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« culture formation »

8. Discussion et analyse des résultats

8.1. L’influence de la dimension culturelle

8.1.1. L‘entreprise comme contexte d’action et les trois dimensions de l’organisation

Nous constatons tout d’abord, et bien que le présent travail ne vise pas une analyse

approfondie des spécificités des différents contextes organisationnels, que les descriptions des RF lors des entretiens mettent en évidence des « terrains de jeu » variés, et possédant chacun leurs particularités. Nous pouvons ainsi faire ici un lien avec la sociologie des organisations et son concept de contextes d’action, constitué comme nous l’avons vu et d’une part par les structures formelles, d’autres part par les dynamiques interactionnelles. A titre d’exemple, la multinationale du domaine industriel présente un contexte d’action aux particularités suivantes : au niveau de la structure formelle, un haut niveau de formalisation (procédures, processus, règles du domaine industriel), une structure hiérarchique forte, une grande complexité (interactions entre de nombreux services, départements, fournisseurs, clients, parties prenantes internes et externes), des objectifs de performance élevés (marché hyper concurrentiel, logique de croissance et de rentabilisation de l’investissement) ; au niveau des dynamiques interactionnelles, la présence de sous-cultures (de nombreux métiers présents au sein de l’entreprise), une « culture » du consensus et de la confiance (la hiérarchie encourage les acteurs « à s’entendre » et est réticente à appuyer les décideurs sur certains projets).

L’institution du domaine social quant à elle, et bien que l’on ne dispose que de relativement peu d’informations sur sa dimension structurelle, présente les particularités suivantes : un éclatement géographique (les acteurs travaillent sur différents sites), peu d’échelons hiérarchiques ; au niveau relationnel, la présence de plusieurs sous-cultures, une forte importance laissée à l’informel (les décisions se prennent autour d’un café), une faible influence décisionnelle au niveau de la Direction ainsi que des disparités de pouvoir en fonction du corps de métier et du positionnement géographique.

72 Le concept de contextes d’action de la sociologie des organisations se limitant à deux

dimensions (la structure formelle et les dynamiques de l’action collective), il nous semble intéressant de le prolonger en faisant des liens avec les trois dimensions de l’organisation d’Alexandre-Bailly (2013), Sainsaulieu, (1996) et Thévenet (2015), qui proposent une variante du modèle des contextes d’action : dans ce modèle, nous retrouvons les pôles

« structure formelle » et « dynamiques interactionnelles » (celles-ci étant assimilables aux

« dynamiques de l’action collective » de la sociologie des organisations et, dans la même idée, comprenant les pratiques en vigueur), ainsi qu’un troisième pôle, celui de la dimension culturelle : à ce titre, la conception particulière de Thévenet (2015), qui considère que la culture englobe les dimensions structurelles et relationnelles, les fait émerger et les influence dans une relation dynamique et systémique nous semble particulièrement pertinente :

Pour illustrer ce concept, nous retrouvons dans plusieurs entretiens ce lien entre un changement de paradigme culturel et son impact sur les dimensions structurelles, relationnelles et plus globalement sur les pratiques en vigueur au sein de l’organisation.

Par exemple, dans la société de contrôle aérien, la RF nous dit que :

« […] pendant bien 10 ans, c’était vraiment le leitmotiv, c’était « safety first », peu importe ce que ça coûtait, on faisait safety first. On a pu déployer des programmes qui étaient très longs, très complets, l’argent n’était pas le nerf de la guerre […] aujourd’hui il y a tout ce changement culturel qu’il convient d’accompagner, de passer de on avait le temps, on était très orientés safety, donc on mettait un temps fou, on produisait des documents comme ça, à quelque chose où on vous dit comme ça ben on n’a plus le temps, tu dois livrer beaucoup plus vite, tu dois livrer dans l’excellence, et tu dois livrer dans la conformité avec les attentes qui vont arriver […] » (E3, p. 3, L 98 – 135)

Dans la multinationale du domaine industriel, nous constatons également ce changement de paradigme culturel :

« J’ai vu en 18 mois la culture se transformer du tout au tout, c’est pourquoi c’était cruel, terrible. Un siècle de paternalisme, de famille, pour une trentaine ou une cinquantaine de sociétés qui vivent là-dedans, depuis les boules jusqu’au football, le tennis et la montagne et le ski, la photo, enfin, la grande famille. Puis tout d’un coup

Figure 6 : les trois dimensions de l’organisation selon Thévenet (2015)

73 t’as les technocrates qui arrivent là-dedans et puis qui tranchent dans le lard, avec le management à l’américaine. Avant c’était plus tu as des années de fidélisation et plus tu as des primes. Et plus on t ‘encourageait à la fidélité, et du jour au lendemain,

« Comment ? t’as 10 ans chez Entreprise 1, mais t’es taré, faut que t’ailles voir ailleurs. » Le discours a fait 180 degrés. Une révolution culturelle terrible, tellement rapide, violente […] » (E2, p. 10, L 430 – 439)

La culture transparaît donc de manière forte chez les RF interviewés, mais souvent sous la forme d’un « amalgame de représentations personnelles », ce qui rend ses composantes parfois difficilement identifiables : les RF nous parlent ainsi de culture propre à leur entreprise sous des caractéristiques aussi variées que la stabilité (E1, p.3, E3, p. 3),

l’excellence technologique et l’innovation (E3, p. 3) et le changement continuel (E2, p. 14).

Ce constat nous fait rejoindre à ce titre Hofstede et Minkov, (2010) et Thévenet (2015), qui relèvent le caractère « difficilement saisissable » de la culture, et qui soulignent qu’il est vain d’interroger directement les acteurs sur celle-ci pour y avoir accès.

8.1.2. Culture et pratiques en vigueur

Dans le modèle des trois dimensions de l’organisation, les pôles structurels et culturels sont complétés comme nous l’avons vu par celui des pratiques en vigueur, qui englobent à la fois les pratiques de terrain dans leurs dimensions formelles et informelles, mais également les dynamiques interactionnelles entre acteurs. Nous retrouvons ainsi dans nos entretiens des traces nettes de l’influence de la culture sur les types d’interactions au sein de

l’organisation : Charles nous dit par exemple que dans son entreprise, les interactions étaient fortement influencées par des dynamiques informelles où « on ne dit pas non par devant. » (E2, p. 4, L 182). Il en va de même dans le contexte institutionnel de Patricia, qui nous dit que dans son entreprise, les problèmes se règlent autour d’un café, de manière souvent informelle (E1, p. 4-5).

Au niveau des pratiques managériales, nous observons l’influence d’une culture de

responsabilisation et d’autonomisation dans l’entretien de Georges qui nous décrit la façon spécifique de gérer et cadrer les groupes projet au sein de son institution :

« La pratique maison c’est de former à un moment de développement un groupe projet, et de rentrer dans une démarche de suivi à distance, pas de suivi millimétré du projet, avec des comptes rendus de projet régulier, et on vise l’avancée de ce qui est produit dans le groupe projet, ça peut être la conception d’une formation, une démarche d’équipement, etc. » (E6, p. 4, L 174-178)

Ces quelques exemples illustrent la pertinence du modèle des trois dimensions de

l’organisation, son application concrète aux différents « terrains de jeu » organisationnels, et l’influence de la culture qui englobe les pôles « structure » et « pratiques de terrain ».

L’application de ce modèle au management de la formation nécessite néanmoins à notre sens de l’adapter, et nous trouvons dans nos entretiens des pistes pouvant nous y aider : en effet, et comme nous l’avons relevé dans la présentation des résultats (7.1 « Présentation des

74 résultats »), ceux-ci mettent en évidence que la dimension culturelle ne se limite pas au niveau global de l’entreprise (7.1.1. « Spécificités du contexte institutionnel »), mais exerce

également une influence à deux autres sous-niveaux ; celui de la fonction formation (7.1.2.

« Spécificités de la fonction formation), et celui de la « culture personnelle » du RF (7.1.3.

« Influence de la personnalité du RF sur les pratiques et la « culture formation »). Nous proposons ci-après de détailler ces deux autres dimensions spécifiques.

La culture d’une entreprise n’étant pas nécessairement uniforme et pouvant posséder des

« sous-cultures » (Thévenet, 2015, le Vallois, 2017), il nous paraît important de considérer la place et le rôle de la FF en tant que partie prenante de l’entreprise pouvant potentiellement posséder elle aussi une sous-culture propre : il ressort de nos entretiens que les spécificités culturelles de la FF sont généralement alignées avec la culture d’entreprise globale ; cet alignement se manifeste de manière très concrète par le soutien de la FF à la stratégie, aux besoins de l’entreprise et d’une manière plus générale à la culture organisationnelle en vigueur. La « justesse » de cet alignement possède de plus un enjeu stratégique pour la FF qui joue ici sa crédibilité, sa pertinence, voire même sa raison d’être : cet alignement possède ainsi des implications très concrètes liées aux ressources matérielles et financières mises à disposition par l’entreprise. Zacharie qui travaille dans le domaine bancaire nous dit à ce titre que :

« Et on a une culture – ça, je pense que c’est la chose la plus importante – on a une culture de banque formatrice, on a la formation aujourd’hui qui est positionnée en tant qu’outil de contribution à la formation de la relève, et pour vous donner un premier chiffre, sur l’ensemble des 250 middle managers de la banque, on a systématiquement les deux tiers qui viennent de la relève interne, puis le deuxième élément, on a des responsables d’agence, on a quelques agences qui sont sans occupation humaine, mais on a une cinquantaine où il y a des responsables d’agences, les 95% des responsables d’agences, ils viennent de notre volet interne. Donc du coup, ça donne tout de suite une valeur beaucoup plus importante à la formation, quand c’est positionné stratégiquement en tant qu’outil de développement des compétences et de préparation de la relève. Si

Figure 7 : modèle des trois dimensions de l’organisation appliqué à la formation avec prise en compte de la sous-culture de la FF

75 vous n’avez pas ça, dès qu’il y a des restrictions budgétaires où que ça devient plus difficile, vous êtes le premier poste qui gicle » (E4, p. 2, L 78 – 90)

La « culture de formation », visible à travers les pratiques en vigueur, et alignée avec la culture globale de la banque, contribue donc ici à asseoir la légitimité de la FF et à renforcer sa place de partie prenante stratégique. Dans un autre contexte, celui de la sécurité aérienne, l’entreprise est culturellement influencée par un environnement technologique en constante évolution qui influence également les pratiques de la FF :

« […] on encourage énormément les formations continues. Toute notre équipe, on les motive à continuer à faire des CAS, des DAS, des MAS, pour pas qu’ils stagnent, et on soutient énormément ces mesures de formation. » (E3, p. 6, L 283 – 285)

La question de l’alignement culturel entre entreprise et FF est cependant encore soumise à un troisième niveau d’influence, celui de la personnalité du RF, que nous détaillons ci-après.

8.1.3. Influence de la personnalité et de la « culture personnelle » du RF

Comme nous l’avons relevé précédemment dans la présentation des résultats (7.1.3. « Influence de la personnalité du RF sur les pratiques et la « culture formation »), il apparaît dans tous les entretiens que la « culture de la FF » est également fortement influencée par la personnalité, les valeurs et le style de management du RF :

« Ce que je veux dire à travers ça, c’est que les managers en place viennent avec leur culture, leur vision et ils l’appliquent. S’ils ont une vision paternaliste, généreuse, arrangeante, de compromis, c’est très différent de s’ils ont une vision de tableau de

Figure 8 : modèle des trois dimensions de l’organisation appliqué à la formation avec prise en compte des sous-cultures de la FF et du RF

76 bord, de technocrate et s’ils exécutent leur… c’est vraiment culturel. » (E2, p. 10, L 426 – 428)

La FF s’inscrivant dans un « jeu » organisationnel spécifique et étant donc soumise à des contraintes structurelles (lois, normes, règles, processus, etc) et relationnelles (intérêt,

pouvoir, alliances, etc) diverses, « l’empreinte culturelle » du RF sur celle-ci n’est donc jamais totale : il peut influencer la politique et les pratiques de la FF, mais toujours en se positionnant au sein d’un jeu donné. Nous retrouvons par ailleurs cette logique d’influences systémiques au sein des trois niveaux culturels : celui global de l’entreprise, celui de la FF et celui du RF :

Tout comme dans le modèle classique des trois dimensions de l’organisation de Thévenet (2015), ces trois niveaux sont également en interaction permanente : la culture

organisationnelle d’une part peut potentiellement, en cas de fort alignement avec la FF, être influencée par cette dernière, qui influencera également à son tour les choix, les pratiques, le positionnement, et donc la « culture du RF ». La « culture de la FF » sera également

influencée par les cultures de l’organisation et du RF. Et finalement le RF exercera une influence, mais devra aussi s’adapter à la culture de la FF, elle-même plus ou moins alignée sur la culture de l’entreprise.

A RETENIR

La dimension culturelle possède un niveau global, celui de l’entreprise, puis deux sous niveaux, ceux de la FF et de la « culture personnelle » du RF. Ces trois niveaux culturels s’incarnent concrètement à travers les pratiques en vigueur (Hofstede et Minkov, 2010, Thévenet, 2015), et « cultures » et « pratiques » s’influencent dans une logique d’interactions systémiques.

Figure 9 : modèle des trois dimensions de l’organisation appliqué à la formation ; interactions systémiques entre les trois niveaux

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