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Bon nombre d’idéologies managériales se sont succédées depuis les années 50, chacune d’elle porteuse d’un système de valeurs, d’une vision de la coopération et du management, et d’un ensemble de pratiques spécifiques (Saussois, 2012), et tout comme il n’existe pas de solution universelle en matière de management (Hofstede et Minkov, 2010, le Vallois, 2017), il n’existe pas non plus « d’idéal idéologique » applicable à tous les contextes. Puisque le modèle idéal n’existe pas, il ne nous a pas semblé pertinent de faire l’inventaire d’un ensemble de méthodes, recettes et autres bonnes pratiques, pourtant omniprésentes dans la

30 littérature managériale : nous avons en effet plutôt préféré nous intéresser à ce qui est

commun aux différentes idéologies et à la gestion des hommes, indépendamment des contextes organisationnels dans lesquels ils gravitent : les invariants du management (le Vallois, 2017). Explorer tous ces invariants dépasserait cependant largement l’étendue de ce travail, et nous nous limiterons donc ici à un invariant précis, celui de la confiance, qui est lié à toutes les cultures et idéologies indépendamment de leurs origines, et qui représente un enjeu majeur de la coopération et de toute construction collective. Nous n’aborderons donc volontairement pas ici d’autres invariants tels que la connaissance de soi ou la communication (le Vallois, 2017). Le présent chapitre est donc structuré comme suit : nous poserons dans un premier temps quelques bases relatives aux traits caractéristiques de la confiance présents dans la littérature, puis nous ferons des liens entre la confiance et les pratiques

managériales recommandées par différents auteurs.

4.3.1. Traits caractéristiques de la confiance

D’une manière générale et du point de vue du vivant, la confiance est la condition

incontournable à tout projet individuel et collectif (le Vallois, 2017, Marzano, 2012) : le bébé qui apprend à marcher le fait grâce à la confiance (et ce malgré des erreurs répétées), de même que l’équipe performante ou tout groupe d’individus réunis autour d’un projet

commun. Il est en effet extrêmement difficile, voire impossible de construire sur la méfiance, l’opposé de la confiance, et ce principe de base est valable autant en éducation qu’en

management.

Pour plusieurs auteurs (le Vallois, 2017, Marzano, 2012, Saussois, 2012) la confiance fait donc office de « ciment social » servant à fluidifier et renforcer les relations humaines et favoriser la collaboration au sein d’un groupe ou d’une organisation. La confiance se base sur des règles, normes, valeurs reconnues comme légitimes par les individus, opère en marge des règles formelles, et confiance et culture sont étroitement liées car elles s’autoalimentent et s’autorégulent :

« La culture est l’invariant d’une entreprise. Elle est l’entreprise. Elle est la matrice de la confiance et la ressource principale de la montée en puissance. Plus la confiance est solide, plus elle renforce la culture et réciproquement, et plus la performance est durable. » (Le Vallois, 2017, p. 107)

La confiance se manifeste ensuite sous deux formes : la confiance en soi tout d’abord, puis la confiance en autrui (le Vallois, 2017) : avoir confiance en soi c’est « se sentir capable de réussir », et avoir confiance en autrui « croire l’autre capable de réussir ». Dans cette même logique, dans une optique de management et pour avoir confiance en un collaborateur, il s’agirait de s’assurer que les conditions de sa réussite sont réunies : le manager serait donc un

« créateur d’espaces de réussite » permettant aux acteurs d’être en confiance, et par là-même à la relation de confiance d’émerger et d’exister.

Mangematin (1999, qui cite Zucker, 1986) distingue quant à lui trois grandes formes de confiance :

31 - La confiance intuitu personae ou characteristic based trust tout d’abord, qui est liée aux

caractéristiques propres à un groupe d’appartenance ; ethnie, famille, groupe donné - La confiance relationnelle ou process based trust, qui repose sur les échanges passés,

la réputation et le phénomène de don/contre don

- La confiance institutionnelle ou institutional based trust, fixée par un ensemble de règles formelles

Ces trois types de confiance peuvent se chevaucher : ainsi, lors la mise en place de projets collectifs, les premières bases permettant la confiance sont fixées par la formalisation d’un cadre de travail accepté par les parties prenantes : règles, contrats, procédures, etc.

Dans une seconde phase, la confiance prend une autre forme : d’organisationnelle, elle devient interpersonnelle : une fois le cadre de travail et les règles acceptés, les acteurs disposent d’une certaine autonomie pour décider des modalités de travail. Le contrat joue un rôle de référence mais sera souvent oublié. (Mangematin, 1999)

Les définitions de la confiance divergent également selon les auteurs : certains l’assimilent à l’intérêt personnel, d’autres (Luhmann, 2001, cité par Fronteau et Baruel Bencherqui, 2016) au savoir ou à la compétence (un professionnel en qui on a confiance parce qu’il possède un savoir ou un savoir-faire). Marzano (2012) distingue quant à elle le sentiment de pouvoir compter sur quelqu’un (reliance), de la confiance (trust) ; la reliance serait ici liée à la perception des compétences et de la fiabilité ; par exemple, j’ai confiance en mon médecin parce que je le sais capable et qu’il a bonne réputation. La confiance (trust), est quant à elle liée à l’affectivité et plus précisément la capacité à se rendre vulnérable (Marzano, 2012) ; j’ai confiance en mon ami parce que je m’abandonne à lui, quitte à risquer la trahison (et il peut arriver parfois qu’on fasse confiance à quelqu’un qu’on aime bien en sachant qu’il n’est pas responsable ou fiable). Reliance et confiance (trust) peuvent être complémentaires ou encore s’inscrire dans une forme de continuité (la fiabilité de quelqu’un dans une relation continue peut nous amener à lui faire confiance). Puisque la reliance n’est pas la confiance (trust) une relation de confiance ne peut donc pas pour Marzano se baser uniquement sur les compétences, est donc toujours un projet en construction, n’est jamais totalement garantie, et contient immanquablement le risque du changement, du revirement, de la déception et/ou de la trahison.

Pour plusieurs auteurs (Alter, 2010, Claude, 2002, Dupuy, 2014, Le Vallois, 2017, Thuderoz, 1999), la confiance est possible dans un cadre précis, à condition de reposer sur des normes (comportements, valeurs, éthique) partagées : ainsi ces auteurs mettent en lien la notion de confiance avec la réduction des zones d’incertitudes de Crozier et Friedberg

(1977) : en s’appuyant sur l’éthique collective et/ou des valeurs/ règles partagées. Les acteurs accepteront ainsi de réduire leurs zones d’incertitudes s’ils ont l’assurance qu’il existe des

« règles du jeu », c’est-à-dire non pas des procédures supplémentaires, mais des normes collectives de fonctionnement (ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas) créées, acceptées et régulées par le groupe.

32 Pour Mangematin (1999) et Thuderoz (1999, qui cite Bourdon, 1990) les acteurs ne sont donc pas seulement mûs par l’intérêt personnel, mais également par une logique de rationalité axiologique, c’est-à-dire par un système de raisons non instrumentales (principes, valeurs, croyances, etc). A ce titre, la confiance, la loyauté, la franchise sont des ressorts

organisationnels importants.

4.3.2. Pratiques managériales basées sur la confiance

La mise en place de pratiques managériales renforçant la confiance au sein d’une organisation ou d’une équipe nous renvoie à la question de l’adhésion, qui pour le Vallois (2017) ne peut s’obtenir sans confiance :

« Il n’y a ni éducation, ni management, ni culture, ni changement de culture, sans adhésion. Et il n’y a pas d’adhésion sans confiance, sinon par contrainte mais, dans ce cas, l’adhésion est illusoire, contre-productive et rompue à la moindre occasion.

« Gouverner c’est faire croire » (Machiavel), c’est-à-dire mettre en confiance. Manager, désormais, ce n’est pas faire obéir, c’est faire adhérer en créant du consensus. La

confiance en est la condition. » (2017, p. 74)

Dans une optique de management par la confiance et pour la renforcer, le Vallois (2017) la met en lien avec la notion de pouvoir (dans le sens de « capacité d’agir ») ; il préconise ainsi de renforcer le pouvoir d’agir des acteurs, c’est-à-dire leur autonomie, leurs marges de manœuvres, leurs ressources et leurs responsabilités. Réduire le pouvoir d’agir en instaurant des contraintes ou des mesures de contrôle supplémentaires étant le meilleur moyen de favoriser les pratiques clandestines, les alliances secrètes et autres arrangements défavorables à la vie de l’entreprise :

« Manager c’est donc évaluer régulièrement les pouvoirs en présence, leurs interactions et leurs implications, leurs bénéfices et leurs dommages ; anticiper les évolutions et les développements, mettre cartes sur table avec chacun et avec l’équipe pour négocier les possibilités, gérer honnêtement les frustrations, favoriser la liberté d’entreprendre. Faire acte d’autorité, ce n’est pas d’abord affirmer les limites, c’est offrir les conditions du possible, rendre capable d’explorer et d’inventer. » (le Vallois, 2017, p. 115)

Pour Marzano (2012) et au niveau des bonne pratiques, les conditions de la confiance entre les différents acteurs sont les suivantes :

- Une communication transparente du management sur les orientations (objectifs) et les résultats (bilans).

- Lorsqu’une direction est indiquée, elle ne doit pas prétendre devenir la « feuille de route » à laquelle chaque individu doit à tout prix s’en remettre, comme c’est souvent le cas aujourd’hui.

33 - La connaissance de la part des différentes parties prenantes des objectifs et de leur

caractère partagé ou non ; dans quelle mesure les objectifs sont communs ou individuels.

- La reconnaissance du caractère profondément incertain et imprévisible des

circonstances et des environnements de travail, et ce malgré tous les « plans d’action » dont l’entreprise peut se munir.

- La reconnaissance de la part des dirigeants qu’ils n’ont pas réponse à tout.

- Une culture managériale basée sur le respect et permettant à chacun d’exister dans son individualité propre tout en étant ouvert aux idées des autres.

- L’idée de l’engagement mutuel ; la prise de conscience chez les individus que la confiance mutuelle se construit dans la relation à l’autre, en acceptant le risque de l’erreur, de la déception (voire parfois de la trahison), et que si l’on n’est pas prêt à accepter ce risque, la confiance disparaît.

- Le droit pour les acteurs à la faillibilité et à l’erreur, et donc la possibilité (et la capacité) à reconnaître ses propres limites sans que cela entraine une perte de confiance de la part d’autrui.

A RETENIR

Pour résumer ce chapitre, notre revue de littérature met en évidence que la confiance est un invariant de tout projet individuel ou collectif : elle sert de « ciment social », renforçant les relations et favorisant la performance. Elle peut également prendre différentes formes : de la confiance en soi ou en autrui (le Vallois, 2017), à la confiance liée au groupe d’appartenance, à la relation ou encore l’institution (Mangematin, 1999). Les définitions de la confiance en entreprise divergent, mais plusieurs auteurs sont d’accord pour dire qu’elle repose sur un cadre et des normes précis pour pouvoir ensuite se déployer à la dimension interpersonnelle.

Finalement et au niveau des pratiques de management, les auteurs préconisent également des

« bonnes pratiques » variées, certaines touchant à la dimension formelle (processus, définition des objectifs et des règles, conduite de projets, etc), d’autres à la dimension relationnelle au sens large (évaluation des pouvoirs en présence, communication transparente, définition et promotion des valeurs, etc).