• Aucun résultat trouvé

« culture formation »

8. Discussion et analyse des résultats

8.3. Pratiques de management et implication des parties prenantes

Les discours des RF et notre revue de littérature mettent en évidence que la prise en compte des dynamiques relationnelles constitue un enjeu managérial majeur : celui de la mobilisation et du renforcement de l’implication des parties prenantes, clé de la réussite de tout projet de formation. Notre cadre théorique nous éclaire sur deux axes principaux permettant de renforcer l’implication des acteurs d’un projet :

- Le premier axe est celui des stratégies d’acteurs (au sens de la sociologie des organisations), lui-même composé de deux sous-niveaux : l’analyse et la

compréhension par le management des stratégies des parties prenantes d’une part, et les stratégies personnelles des RF permettant de gérer et mobiliser les acteurs d’un projet d’autre part.

- Le deuxième axe est celui du renforcement de la cohérence, à travers les leviers de la culture et de la confiance.

Nous développons ces différents éléments dans les chapitres suivants.

Figure 10 : modèle des leviers de

l’implication basé sur notre cadre théorique

79

8.3.1. Implication et stratégies d’acteurs

De nombreuses stratégies d’acteurs émergent des entretiens que nous avons conduits, et nous les observons à deux niveaux principaux :

- Premièrement celui des stratégies que les parties prenantes mettent en place dans leur quotidien, ou à travers des projets spécifiques ;

- Deuxièmement celui des pratiques personnelles développées par les RF pour

« gérer » ces acteurs.

8.3.1.1. Stratégies des parties prenantes

Les stratégies mises en place par les parties prenantes s’inscrivent dans des contextes d’action spécifiques, elles font apparaître des typologies relationnelles influencées par l’environnement (l’entreprise) d’une part, et par des dynamiques complexes d’intérêt, de pouvoir et où les zones d’incertitudes font partie intégrante du « jeu ». Pour illustrer ce phénomène, Charles nous dit par exemple que :

« Mais il y avait toujours un membre ou deux du CODIR qui étaient directement les supérieurs hiérarchiques de ces instructeurs monteurs, qui disaient pas grand chose mais qui par derrière faisaient de la résistance. » (E2, p. 4, L 165- 168)

Nous retrouvons également dans certains entretiens des négociations entre acteurs aux rôles et au « pouvoir » différents :

« Ils (les coordinateurs) sont dans une négociation quotidienne permanente avec ces formateurs d‘entreprise pour essayer de les rendre de plus en plus autonomes […] C’est au contact, beaucoup. C’est un petit milieu, c’est les formateurs, les gens qui travaillent dans les services d’ambulance, ils les connaissent tous, en même temps il y a toute la dimension pression individuelle, etc., à laquelle il est impossible d’échapper. » E6, p. 8, L 352-354

La compréhension de ces stratégies par les RF représente un enjeu important, puisqu’elles constituent la réalité du terrain, et que les appréhender permet potentiellement au management de prendre les bonnes décisions et de piloter les projets de manière réaliste et

80 efficace, en tenant compte des dynamiques relationnelles et des pouvoirs en présence. Les RF pourront le cas échéant également adapter leurs propres stratégies à celles des parties prenantes, et nous proposons de développer ce point précis ci-après.

8.3.1.2. Stratégies personnelles des RF pour la gestion des parties prenantes

Dans les exemples de réussite et d’échec (7.1.6. » Pratiques informelles identifiées dans un exemple de réussite et un exemple d’échec ») et dans les bonnes pratiques (7.1.8. « Bonnes pratiques – si c’était à refaire »), les RF interviewés nous font part de nombreuses pratiques informelles personnelles qu’ils mettent en place pour la gestion et la mobilisation des parties prenantes : celles-ci touchent essentiellement au relationnel et concernent

principalement l’analyse et la compréhension des dynamiques relationnelles, la prise en compte de l’intérêt des acteurs et la mise en place de stratégies. L’importance de la création d’alliances avec les acteurs clés est également soulignée par tous les RF :

« Je m’arrangeais avant d’aller présenter un projet au CODIR à avoir un ou deux alliés, puis que ce soit validé avant de venir, que je sois introduit, donc ça se passait très bien. » (E2, p. 4, L 163 – 165)

Les alliances possèdent ainsi une dimension stratégique permettant de valider ou « faire passer » des projets, avec les acteurs de tous les niveaux hiérarchiques, et leur importance stratégique rejoint ainsi le postulat de Friedberg (1997) qui relève la nécessité du soutien actif de l’encadrement dans le management des projets. Friedberg ne limite cependant pas le soutien actif de l’encadrement aux alliances, mais l’étend à la notion d’implication des

acteurs dans le processus. Nous observons cependant dans les entretiens que l’implication des acteurs et le facteur « alliances » ne constituent aucunement une « formule magique » pour la réussite d’un projet, celle-ci étant également influencée par d’autres facteurs :

« La deuxième des choses que j’ai rencontré comme difficulté, et je reviens là-dessus, c’est que les managers n’étaient pas convaincus de la démarche. Les managers étaient les plus critiques par rapport aux collaborateurs. Et ça maintenant, je pense que c’est la deuxième ou la troisième fois, je vois que ça devient une constante, je vois que d’une manière ou d’une autre le management ne joue pas son rôle comme il devrait dans le fait de relayer les messages. » (E4, p. 9, L 409-414).

Ce constat rejoint par ailleurs le postulat de Friedberg (1997) pour qui l’implication des acteurs ne va jamais de soi, celle-ci mettant en lumière des zones d’incertitudes que les acteurs chercheront potentiellement à préserver par diverses stratégies. Nous trouvons ainsi dans cinq entretiens (E1, E2, E3, E4, E6) des exemples de cette « préservation des zones d’incertitudes », à travers notamment des stratégies de résistance de la hiérarchie et/ou des collaborateurs dans les difficultés rencontrées mentionnées par les RF (7.1.7. « Difficultés rencontrées dans le management des projets »). Ces résistances peuvent être expliquées par de nombreux facteurs, comme les intérêts personnels des acteurs ou les dynamiques de pouvoir, mais aussi par les contraintes au sein du « jeu institutionnel », comme dans l’exemple de Zacharie :

81

« […] je pense qu’aujourd’hui, le middle management, c’est un sale job. C’est-à-dire que vous êtes entre les exigences d’un top management, d’une direction générale, et vos collaborateurs qui doivent mettre tout ça en mouvement, et parfois vous êtes un peu seul, là, au milieu. Et ça dépend de vous, vous recevez votre objectif de direction générale, vous avez votre équipe, vous avez les moyens qu’on vous a donnés, parfois on vous les limite, on vous les restreint, donc ça veut aussi dire que vous devez quand même faire toujours plus avec un peu moins, vous devez mettre un peu plus de pression sur vos gens, pour ça il faut qu’ils créent les conditions qui fassent qu’ils aient quand même du plaisir à la faire, qu’ils ne s’épuisent pas, et puis de votre côté, vous devez nager dans tout ça. Vous devez un peu prioriser les choses, quand vous avez de l’expérience, ça va un peu, mais quand vous n’avez pas trop d’expérience, du coup vous avez tout ça qui vous arrive dessus et quand vous avez tout d’un coup une action spécifique où vous allez encore devoir être le motivateur et le relayeur en plus de ce que vous faites déjà aujourd‘hui avec des moyens qui sont limités, peut-être que vous vous dites ben zut, c’est encore une de plus. » (E4, p. 9-10, L415 – 429)

Comme nous l’avons vu dans notre cadre théorique (4.1.4.3. « L’implication des acteurs »), Friedberg (1997) préconise pour diminuer ces risques de résistance

d’augmenter la marge de manœuvre des acteurs tout en renonçant à tout mettre en lumière, c’est-à-dire à tout formaliser dans la gestion de projet. Nous retrouvons ainsi dans quatre de nos entretiens (E1, p. 7-8, E3, p. 10, E5, p. 9, E6, p. 2, 10, 11, 12) des mentions de l’importance de cet équilibre entre cadrage et autonomie accordée aux collaborateurs. Des pratiques de management concrètes visant à assurer cet équilibre sont également mentionnées, notamment dans les entretiens de Georges et de Zora, qui préconisent un pilotage de projets « à distance », avec des comptes-rendus réguliers (E3, p. 10, E6, p. 4).

8.3.2. Implication et cohérence

Après avoir présenté dans le chapitre précédent le premier axe permettant de favoriser l’implication (8.3.1. « Implication et stratégies d’acteurs »), nous proposons à présent de détailler le deuxième : celui de la cohérence. Celle-ci possède deux composantes en lien avec notre cadre théorique : celle de la culture, et celle de la confiance, que nous développons ci-après.

La culture peut d’après Thévenet (2015) renforcer l’implication à la condition d’optimiser la cohérence, assimilable selon l’auteur à toute la partie prescrite (règles, processus, définition des rôles, attribution des tâches, etc) de l’organisation, et nous en trouvons des traces dans chaque entretien, notamment à travers les pratiques formelles identifiées dans un exemple de réussite et un exemple d’échec (7.1.5. « Pratiques formelles identifiées dans un exemple de réussite et un exemple d’échec »). Culture et confiance sont également étroitement liées dans une optique de renforcement de l’implication, car toutes deux nécessitent de poser un cadre précis et formalisé, et de clarifier les règles, objectifs, normes, processus, etc (Thévenet, 2015, Mangematin, 1999).

82 Ces pratiques de formalisation pouvant renforcer la cohérence mais n’en constituant pas une garantie, la cohérence de l’alignement entre les différents « niveaux » de l’entreprise (nous avons développé cette notion dans le chapitre 8.1. « L’influence de la dimension culturelle », à travers le modèle des « trois dimensions de l’organisation appliqué à la formation ») et les diverses parties prenantes joue ici un rôle prépondérant. Nous retrouvons un exemple de l’importance de cette cohérence d’alignement dans l’exemple de Zacharie :

« […] je vais dire qu’est-ce qui fait que ça peut avoir du succès. La première chose qu’on peut dire c’est que si le centre de formation avait été seul à devoir faire ça, on n’aurait jamais réussi, c’est la première des choses. On ne réussit jamais seul, en matière de formation. Je pense qu’il y a eu deux choses : la première, c’est une stratégie qui a été définie au niveau de la banque, une stratégie de pilotage de l’action commerciale au front. Comment on va faire, quelle segmentation, quelle responsabilité, quelle

proactivité, comment on pilote, quels indicateurs, on met en place toute la structure de gouvernance et de pilotage. C’est la première des choses. Ensuite, réfléchir comment une formation peut accompagner ce genre de choses […] » (E4, p. 3, L 137 – 146) Les procédures de formalisation (cadrage et alignement) ne constituent cependant qu’une sous-modalité du renforcement de la cohérence, celle-ci pouvant encore être complétée par les références culturelles solides (Thévenet, 2015) qui peuvent également être définies comme « une culture commune qui garantisse l’homogénéité et le consensus

nécessaire au bon fonctionnement de l’ensemble » (Enlart, 2012, p. 384). Cette « culture commune » peut être composée des valeurs, rituels, héros, symboles, et pratiques en vigueur (Hofstede et Minkov, 2010) mais nous n’avons pas spécifiquement interrogé les RF de notre panel à leur sujet et n’en trouvons que peu de traces dans nos entretiens, hormis les pratiques en vigueur que nous avons déjà largement détaillées précédemment.

La confiance nous donne également des pistes intéressantes nous permettant de prolonger et d’optimiser cette dimension de la formalisation, puisqu’elle nous invite à faire adhérer les parties prenantes au cadre de travail, éventuellement à travers un processus de négociation des règles de fonctionnement. Nous ne trouvons pas de traces spécifiques dans nos entretiens de cette notion de « négociation collective des conditions cadre de travail », mais cinq des RF que nous avons interrogés mentionnent la pose d’un cadre de travail clair d’une part, et une forte autonomie accordée aux acteurs d’autre part :

« […] pour moi ce qui est important, c’est de pouvoir permettre à mon team d’être autonome avec ses propres ressources, et de les rassurer sur ce qu’ils peuvent faire et comment ils peuvent le faire. Mes collaboratrices sont hyper autonomes, donc j’ai mis à la fois un aspect très cadré, avec des séances d’information, des échanges sur les projets où on en est, c’était pour moi le truc le plus difficile, mettre aussi des délais, ce que j’attendais, les critères de qualité attendus, et après, leur laisser toute leur autonomie, en disant voilà tu peux faire comme tu veux, de ta façon, mais l’objectif c’est ça. » (E3, p.

10. L 449 – 456)

83 Finalement, un autre aspect que relèvent plusieurs auteurs (Alter, 2010, Claude, 2002, Dupuy, 2014, Le Vallois, 2017, Thuderoz, 1999) qui permettrait de renforcer la confiance, la

cohérence et l’implication et qui peut constituer également une forme de formalisation est la négociation de l’éthique collective et des normes partagées au sein d’une équipe ou d’un groupe projet. Interrogés spécifiquement sur les conditions de la confiance (7.1.9.5.

« Conditions de la confiance ») , les RF de notre panel mentionnent cependant des facteurs aussi divers que la communication transparente (E1, E4, E6, avec Georges qui nuance cette condition en parlant notamment des limites de la transparence), la compétence (E2, E5), le droit à l’erreur (E3), le soutien (E1, E4), l’historique relationnel (E2) et l’équité (E6), et à l’exception de la communication transparente relevée par 3 RF sur 6, aucun de ces facteurs ne semble constituer une pratique incontournable partagée, et aucune de ces pratiques ne va dans le sens d’une « formalisation des normes partagées », le cadrage et la formalisation se limitant ici aux règles, objectifs, process, etc.

A RETENIR

Ce chapitre a permis de détailler un premier axe permettant de favoriser l’implication des acteurs, celui des stratégies d’acteurs, comportant deux sous-niveaux : celui des stratégies des parties prenantes, et celui des stratégies du RF. L’implication via l’utilisation des stratégies d’acteurs ne va cependant jamais de soi, la participation étant soumise à de

multiples facteurs internes et/ou externes. Pour pallier à ces difficultés, une piste de solution se situe au niveau du cadrage managérial, et plus précisément au niveau de l’équilibre entre cadrage et autonomie, afin de laisser une certaine marge de manœuvre aux acteurs et préserver leurs zones d’incertitudes.

Le deuxième axe permettant de favoriser l’implication préconise le renforcement de la cohérence, à travers les dimensions de la culture et de la confiance : notre revue de littérature et nos entretiens relèvent ainsi l’importance de la formalisation à plusieurs niveaux (cadre de travail, alignement, normes partagées), pour permettre ensuite à la confiance de se déployer à la dimension relationnelle et ainsi de potentiellement favoriser l’implication et la

participation.

Nous pouvons finalement faire un lien entre les deux axes de l’implication (les stratégies d’acteurs et la cohérence) développés ci-dessus et les pratiques formelles/informelles, le levier des stratégies d’acteurs se situant dans la dimension informelle, et celui de la cohérence nécessitant une forte formalisation : c’est la combinaison du formel et de l’informel qui influencerait positivement la participation.

8.4. Le phénomène de co-construction du discours sur les