• Aucun résultat trouvé

Comme nous l’avons vu dans précédemment, un des concepts mis en évidence par la sociologie des organisations est celui de l’importance du contexte d’action (4.1.1.

« L’organisation comme contexte d’action ») : chaque entreprise étant le terrain de jeu d’un contexte d’action spécifique, il en existe donc une multitude, chacun avec ses particularités.

Pour le deuxième volet de notre cadre théorique, nous avons choisi de nous intéresser à une dimension qui influence ces différents contextes d’action et qui complète les apports des sociologues des organisations : celle de la culture organisationnelle.

La dimension culturelle possédant de nombreux « angles d’approche », en constituer une revue de littérature exhaustive dépasserait amplement le cadre de ce travail. Nous avons donc volontairement choisi de la laisser de côté sous ses angles sociologiques, anthropologiques et interculturels, tel qu’étudié par plusieurs auteurs (Hofstede et Minkov, 2010, Hall, 1989), pour nous focaliser ici uniquement sur sa dimension organisationnelle. Nous proposerons donc dans un premier temps une revue de littérature des définitions de la « culture

organisationnelle », ainsi que de ses traits caractéristiques. Nous étudierons ensuite les liens entre la culture et l’organisation au sens large, et, des liens entre structure et dynamiques relationnelles ayant déjà été mis en évidence par la sociologie des organisations dans le chapitre précédent, nous prolongerons l’analyse de ces liens en nous intéressant aux

interactions entre culture, structure et pratiques de terrain. Après ce passage en revue de concepts généraux relatifs à la culture organisationnelle, nous nous focaliserons sur ses implications pour le management à travers trois sous-thématiques : l’importance de la prise en compte du contexte et de la culture institutionnelle, qui nous éclairera sur les pratiques d’analyse de la dimension culturelle pour la prise de décisions et la gestion de projets ; la dimension relationnelle constituant une part essentielle des pratiques informelles, nous étudierons ensuite le lien entre culture, performance et implication des acteurs ; et

finalement, le rôle du RF restant central dans le management de projets, nous proposerons une revue de littérature relative à la culture et au rôle du leadership.

4.2.1. Traits caractéristiques de la culture organisationnelle

Il existe de nombreuses définitions du terme « culture organisationnelle », bien qu’aucune ne fasse l’unanimité (Thévenet, 2015) : Hofstede et Minkov la définissent par exemple comme :

« la programmation mentale collective qui distingue les membres d’une organisation de ceux d’une autre organisation. » (2010, p. 407). Mintzberg (2007) quant à lui, et sans utiliser spécifiquement le mot « culture », l’assimile à une « idéologie », et souligne son caractère mobilisateur et unificateur. Le Vallois nous dit également que :

« La culture fonde l’identité collective et le sens de son action. Rassemblant des êtres divers, qui ne se connaissent pas, n’ont aucune raison à priori de se réunir, qui n’ont pas les mêmes références individuelles, elle cherche à les fédérer et à les rendre prévisibles […]. » (2017, p. 57-58).

25 Pour Thévenet (2015) la culture organisationnelle évoque trois aspects : premièrement ce qui est relativement stable, permanent et évolue lentement ; deuxièmement les représentations, visions, modes de perception ; troisièmement, et d’une manière plus générale, le

fonctionnement collectif d’une organisation. Il distingue en outre deux dimensions à la définition d’une culture d’entreprise :

1. Un contenu tout d’abord, spécifique à chaque organisation et constitué par un ensemble de références (les modes d’interactions et les systèmes d’organisation), qui détermine partiellement les comportements. Ce contenu est spécifique à chaque organisation et les distingue les unes des autres, et même s’il peut coexister au sein d’une même organisation plusieurs contenus (sous-cultures), il existe toujours une culture générale et partagée.

2. Un mode de description de l’organisation : la culture est un paradigme, une

approche de l’organisation motivée par le sens (chercher à comprendre la signification profonde des phénomènes organisationnels), qui aborde les problèmes

organisationnels dans le temps (car situés historiquement), et finalement une approche qui s’intéresse plus au collectif qu’à l’individu.

Hofstede et Minkov (2010) nous proposent aussi une définition plus globale des

« ingrédients » d’une culture (pas nécessairement organisationnelle), basée selon eux sur cinq types de représentations : les valeurs, les rituels (activités collectives « non techniques » mais socialement indispensables, jargons, discours, etc), les héros (leaders, fondateurs, morts ou vivants), les symboles (mots, images, signes d’appartenance, attitudes emblématiques) et les pratiques en vigueur.

La culture, de par son caractère difficilement saisissable (Hofstede et Minkov, 2010, Thévenet, 2015), pose également le problème de « l’accessibilité », c’est-à-dire de l’identification de ses caractéristiques au sein d’une organisation donnée : « la culture n’est pas une part de connaissance, et il est vain d’interroger les personnes sur la culture pour la découvrir » (Thévenet, 2015, p. 48). Cette difficulté peut néanmoins se contourner en observant les pratiques en vigueur (outils, méthodes, modes d’interactions, etc) au sein d’une organisation, puisque qu’elles en sont le reflet (nous approfondirons cette notion dans le chapitre 4.2.2. « Interactions dynamiques entre culture, structure et pratiques de terrain »).

Certains auteurs ont finalement tenté de définir des typologies de cultures

organisationnelles : ainsi, Lenhardt (1992) en distingue trois types (taylorienne, matricielle, polycellulaire), et insiste également sur le lien entre type de culture et organisation matérielle concrète : types de hiérarchies, organisation du travail, processus, procédures, etc. Boltanski et Thévenot (1987) décrivent quant à eux six « mondes » (le monde inspiré, le monde domestique, le monde de l’opinion, le monde civique, le monde marchand, le monde industriel) possédant également chacun leurs spécificités culturelles, structurelles et relationnelles. Sainsaulieu finalement (1996) propose une classification des différents

« mondes sociaux de l’entreprise » en cinq catégories : l’entreprise communauté (PME et performance commerciale), l’entreprise modernisée (grandes industries), l’entreprise

26 bureaucratique (administrations publiques ou privées), l’entreprise en crise (modernisation partielle ou bloquée) et l’entreprise duale (segmentation des activités et du personnel, par exemple dans le secteur de l’hôtellerie).

4.2.2. Interactions dynamiques entre culture, structure et pratiques de terrain

Alexandre-Bailly (2013) décrit l’organisation comme composée de trois « sphères » en interaction constante : la première est constituée par la culture, la deuxième est la « sphère de l’organisation » (au sens de « structurel », et non pas au sens « d’institution ») et la troisième, celle des stratégies d’acteurs (selon la même définition que celle proposée par la sociologie des organisations).

D’autres auteurs (Sainsaulieu, 1996, Thévenet, 2015) reconnaissent également l’existence de ces trois dimensions, même si la terminologie diffère quelque peu, par exemple pour

Sainsaulieu (1996) qui parle des trois axes « culture – structure – interactions ». Pour Thévenet (2015), ces trois dimensions coexistent également mais la culture englobe la dimension structurelle et les pratiques de terrain ; elle incarne en effet selon lui les références profondes et le niveau sous-jacent à partir duquel se constitue le prescrit (règles, systèmes de gestion, etc), et se développe les comportements des acteurs. Le lien entre culture et prescrit/pratiques » ne se limite pourtant pas à un rapport de causalité unidimensionnel (le prescrit ou les pratiques qui émergeraient de la culture, de façon « mécanique ») mais s’inscrit plutôt dans une interaction dynamique : la culture façonne le prescrit et les pratiques, qui l’influencent à leur tour et peuvent même, sous certaines conditions, la faire évoluer. Pour citer l’auteur, et pour résumer cette relation dynamique :

« On ne peut aborder les problèmes de l’entreprise sans faire de lien avec la culture. On ne peut contempler la culture sans s’intéresser aux problèmes concrets rencontrés au quotidien par les acteurs. On ne change pas la culture mais elle change selon la qualité des réponses apportées aux problèmes banals de l’entreprise » (Thévenet, 2015, p. 85).

Nous voyons donc que culture, structure et pratiques de terrain fonctionnent de manière dynamique, en interaction constante, et ce constat nous invite à considérer l’entreprise de manière systémique et non pas cloisonnée. Dans une optique managériale, s’intéresser aux pratiques de terrain c’est également tenir compte de la structure formelle, des

dynamiques relationnelles et de la culture englobant, ou en tout cas influençant ces pratiques.

4.2.3. Culture organisationnelle et management

Les apports de la littérature sur la culture organisationnelle et les pratiques de management sont nombreux, et il serait impossible de tous les traiter ici : nous avons donc choisi de nous limiter à trois thématiques en lien avec la question des pratiques informelles : premièrement l’importance de la prise en compte du contexte et de la culture institutionnelle qui nous

27 donnera des pistes pour la prise de décisions notamment ; nous complèterons ce premier apport de la littérature en étudiant l’impact de la culture sur la collaboration, et plus

spécifiquement en faisant des liens entre culture, performance et implication des acteurs ; et finalement, le rôle de RF restant central dans tout projet de formation, nous explorerons le rapport entre culture et leadership.

4.2.3.1. L’importance de la prise en compte du contexte et de la culture institutionnelle S’interroger sur les pratiques managériales pourrait se limiter à un inventaire de « recettes », outils et autres « répertoires de bonnes pratiques » dont la littérature abonde : plusieurs auteurs (Hofstede et Minkov, 2010, Le Vallois, 2017, Thévenet, 2015) soulignent néanmoins le caractère illusoire de la « solution managériale universelle », et insistent sur

l’importance de la prise en compte du contexte et de la culture institutionnelle pour la prise de décisions : « comme les modes managériaux, les théories managériales qui ne correspondent pas aux attentes collectives des subordonnés sont fondamentalement source de problèmes » (Hofstede et Minkov, 2010, p. 392).

Concrètement, Le Vallois (2017) et Thévenet (2015) proposent de s’appuyer sur les ressources de la culture locale, c’est-à-dire ses traits forts et utiles, afin de les utiliser comme levier pour accompagner le changement. Cette logique nous amène à une autre façon d’envisager le management, non plus en appliquant des recettes toutes faites, mais en tenant compte des ressources et de la réalité plutôt que de prétendre la façonner :

« Le manager est d’autant plus fécond qu’il considère cette culture comme un ensemble de ressources, de repères et de biens communs, non comme une fin en soi ; comme un espace de dialogue, non comme un uniforme ; comme une dynamique en tension et en constante transformation, non comme un acquis immuable. » (Le Vallois, 2017, p. 67).

Dans l’optique stratégique d’une prise en compte de la culture comme ressource du changement, Hofstede et Minkov (2010) préconisent les deux pratiques suivantes : la

cartographie de la « géographie culturelle locale », et l’identification de sa culture globale, de ses sous-cultures et de ses divisions potentielles. Puis dans un deuxième temps la

vérification de l’adéquation entre la culture institutionnelle et ses contraintes d’une part, et les stratégies élaborées d’autre part.

4.2.3.2. Culture, performance et implication des acteurs

D’une manière plus générale, et outre les bonnes pratiques identifiées ci-dessus, appréhender la culture du point de vue du management nous invite également à questionner le rapport entre culture et performance. Toute organisation tendant à se développer (ou au minimum maintenir ses acquis), donc à « performer » (le Vallois, 2017), et puisque chaque entreprise possède comme nous l’avons vu une identité culturelle qui lui est propre, culture et performance sont inévitablement liées : il existerait cependant des cultures plus favorables à la performance que d’autres, ce que nous allons tenter de vérifier ici. Une première difficulté qui apparaît est liée aux définitions multiples et divergentes de la notion de performance : Kotter et Heskett (1993)

28 ont analysé les grandes catégories de théories mettant en lien culture et performance, et ont relevé une première difficulté liée à la définition des critères de performance (ceux-ci sont-ils les résultats ? le potentiel ? les types de compétence ? ou autre ?). De plus, le lien entre performance et culture organisationnelle « forte » (alignement entre systèmes de contrôle, motivations et systèmes d’organisation) est rejeté, car il existe de nombreuses exceptions à la règle, et les cultures fortes peuvent de plus provoquer des réactions positives ou négatives selon les individus (Hofstede et Minkov, 2010).

Culture organisationnelle forte et performance ne seraient donc pas nécessairement corrélées, mais nous trouvons par contre des liens dans la littérature (Enlart, 2012, Thévenet, 2015) entre culture et implication : pour Enlart (2012), l’implication est liée au besoin fondamental d’appartenance, et peut être stimulé au sein de l’organisation, à certaines conditions : premièrement l’existence « d’une culture commune qui garantisse l’homogénéité et le consensus nécessaire au bon fonctionnement de l’ensemble » (Enlart, 2012, p. 384) ;

deuxièmement en articulant cette culture d’entreprise à la mise en projet (individuel, collectif, de site, d’usine, etc) car « quand on s’engage sur l’avenir, on se lie psychologiquement au développement de l’organisation. » (Enlart, 2012, p. 385).

Pour Thévenet (2015), le lien entre culture et implication est également présent mais nuancé car « il n’est pas possible de créer l’implication qui provient de l’individu lui-même, de son adhésion et de sa volonté, même si on peut toujours essayer de l’influencer. » (2015, p. 97).

L’entreprise peut cependant stimuler l’implication des acteurs en créant une forte cohérence dans le fonctionnement, elle-même arrimée sur des références solides fournies par la culture.

4.2.3.3. Culture(s) et rôle du leadership

Prendre en compte la dimension culturelle dans les décisions, influencer, impliquer fédérer fait que la tâche du manager de la formation n’est pas simple ! Au-delà des quelques bonnes pratiques mises en évidence ci-dessus, elle nécessite aussi de s’interroger de manière plus large sur le leadership, c’est-à-dire l’influence des dirigeants. Hofstede et Minkov nous disent à ce titre que :

« Les valeurs des fondateurs et des dirigeants majeurs façonnent assurément les cultures organisationnelles, mais ces cultures influent sur le personnel par le biais de pratiques communes. Les valeurs des fondateurs et des dirigeants deviennent les pratiques des membres de l’organisation. » (2010, p. 410)

Cette idée est partagée par le Vallois (2017) pour qui le dirigeant est un « faiseur de culture » et son garant : il dispose donc d’un pouvoir d’influence considérable sur les pratiques et les acteurs. Il n’est cependant pas tout puissant puisque les acteurs possèdent toujours une part de liberté dans l’interaction, comme le nuancent d’autres auteurs (Alexandre-Bailly, 2013, Thévenet, 2015).

29

« […] le travail de façonnement des comportements par l’organisation a ses limites, que ce soit à travers la culture ou les dispositifs organisationnels : les individus sont en effet pris dans une tension entre le dévouement à l’organisation et la poursuite de leurs seuls objectifs personnels. (Alexandre-Bailly, 2013, p. 58). »

Cette « part de liberté des acteurs » nous invite ainsi à faire preuve de modestie en matière de management, le dirigeant (ou le RF) possédant certes un pouvoir d’influence non négligeable, mais celui-ci restant soumis au bon vouloir des acteurs qui, en fonction de leurs intérêts et motivations personnelles, déciderons à quel degré ils s’impliquent dans tel ou tel projet de formation.

A RETENIR

Cette revue de littérature a mis premièrement en évidence le caractère multiple des définitions de la culture organisationnelle, de ses typologies, ainsi que de ses caractéristiques. Nous retrouvons cependant des éléments communs pouvant nous aider à la caractériser : une dimension historique (celle de l’histoire de l’entreprise ou des « héros »), sociale

(communication, relations, types d’interactions, etc), anthropologique (codes, valeurs, rituels, etc) et pratique (travail, outils, méthodes, etc). La culture posant également le problème de l’accessibilité, les pratiques en vigueur, qui constituent une « porte d’entrée » importante vers l’identification des caractéristiques d’une culture, méritent ici une attention toute particulière.

Les liens entre culture organisationnelle et pratiques managériales font de plus émerger trois constats : il apparaît premièrement essentiel de tenir compte de la culture organisationnelle pour la prise de décisions et le management des projets, dans une logique de « construction de solutions sur mesures » qui tient compte de la réalité et des contraintes du terrain.

Deuxièmement, et bien que le lien entre performance et culture forte ne soit pas clairement mis en évidence dans la littérature, il est néanmoins possible d’utiliser la culture comme levier pour influencer l’implication des acteurs. Troisièmement, et bien que les acteurs disposent toujours d’une marge de liberté, nous avons vu l’impact potentiel que peut avoir le RF sur les pratiques, le dirigeant jouant ici un rôle de « faiseur de culture ».