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Remarques finales

1. LA NOTION DU SENS

1.2 Sens et signification

Le terme latin sensus se traduit par « sens » en français, par « sentido » en espagnol, par « sense » en anglais, par « senso » en italien et par « sinn » en allemand. Le débat actuel autour de sa définition, sa fonction et sa communication se développe dans les sciences sociales et humaines. Par exemple, la notion du « sens » est traitée par les études sémiotiques qui ont élargi leur champ d‟analyse vers les études en linguistique, en communication, en cinéma, en droit, en architecture et en arts du spectacle entre autres. La sémiotique36 établit des théories générales pour l‟étude du sens par rapport aux signes. Nous trouvons diverses positions sémiotiques comme celles de Charles Sanders Peirce, Ferdinand de Saussure, Umberto Eco ou Roland Barthes37. Par exemple, Bernard Darras explique que la notion du sens dans la sémiotique de Charles Sanders Peirce est équivalente à la notion anglaise de « meaning » et à la notion de signification :

« Peirce, qui est réputé pour sa précision terminologique, semble donc utiliser les deux termes comme des équivalents. En l‟occurrence et dans le cadre théorique qu‟il développe, « meaning » et « sens », tout comme signification et sens, renvoient

donc bien à la même opération38».

En effet, Peirce élabore une théorie générale des signes. Dans la traduction de cette théorie sémiotique, nous ne trouvons pas de nuance entre sens et signification même si la théorie peircienne ramène à décrire les

36 « Sémiotique ou sémiologie? » D‟après Umberto Eco, le consensus qui a décidé pour l‟utilisation de la notion de “sémiotique” s‟est établit à Paris, en janvier 1969, par un comité international donnant naissance à “l‟Association internationale de sémiotique”. Voir ECO, Umberto, La Structure Absente, «Introduction à la recherche

sémiotique», Mercure de France, France, 1972, pp. 11.

37 Nous ne nous attarderons pas dans l‟explication des différences épistémologiques entre la sémiotique linguistique, cognitive, pragmatique ou les autres courants sémiotiques du récit. Mais il est important de mentionner que la notion de « sens » a été employée de manière différente en raison de chaque théorie sémiotique.

38 DARRAS, Bernard. « L‟enquête sémiotique appliquée à l‟étude des images ». “Présentation des théories de C.S. Peirce sur la signification, la croyance et l‟habitude” dans L‟image entre sens et signification, dans Beyaert-Gesline, Anne. (Dir.), Publications de la Sorbonne, Collection Esthétique-9, série images- analyses, Paris, 2006, p.15.

mécanismes de production de la signification dans un objet culturel quelconque grâce à l‟ensemble organisé des concepts qu‟elle propose. Cette remarque est importante dans la différenciation de perspectives sémiotiques parce que comme le dit Romain Duval :

« Il semble que la tâche de toute une génération de philosophes et de théoriciens contemporains des années 1960-1970 fût d‟insister soigneusement sur la nécessité de distinguer la signification du sens, donnant à ce

dernier une tout autre ampleur39 ».

En effet, l‟usage de la notion de sens entre les sémioticiens professionnels n‟est pas homogène. Pour cela et afin d‟éviter les confusions référentielles, chaque auteur est censé expliquer l‟utilisation de ses catégories concernant le « sens » et la « signification ». Christophe Genin énonce par exemple les questionnements qui entourent cette préoccupation :

« Quel est le rapport du sens à la signification ? Le premier est-il le prélude à la seconde, de sorte qu‟une progression mènerait graduellement de l‟un à l‟autre ? La signification découle-t-elle d‟une agglomération de sens, par effet cumulatif ? Sont-ils complémentaires ? La signification résulte-t-elle d‟une interprétation du sens, de sorte qu‟il y aurait un saut qualitatif de l‟un à

l‟autre ? S‟excluent-ils l‟un de l‟autre ? 40».

L‟auteur tient à distinguer « sens » et « signification » et nous explique que même si les deux notions sont des « modalités de notre intelligence des

choses du monde », le sens est : « […] cette compréhension de ce que nous appréhendons par nos cinq sens et que nous identifions par notre bon sens ou

notre sens commun »41. Cette première définition - dit l‟auteur - fait penser au

terme grec de aisthêsis parce qu‟elle comprend le phénomène de la perception

39 DUVAL, Roman. « Une figure grotesque, gorgonéenne. Analyse «formelle» d‟une publicité déridante », dans L‟image entre sens et signification, Beyaert-Gesline, Anne. (Dir.), Op.Cit., p. 69.

40 GENIN, Christophe. « Homo bulla est », dans L‟image entre sens et signification, Beyaert-Gesline, Anne. (Dir.), Op.Cit., p. 123.

et la construction des idées. Cette position coïncide avec la philosophie de la perception de David Hume pour qui l‟impression est la première perception qui a pénétré avec une grande force dans la conscience. Elle constitue toute sensation, passion ou émotion au moment de voir, de sentir, d‟aimer, de haïr, de désirer ou de vouloir ; et ensuite, l‟image affaiblit de cette impression devient idée ou pensée42. L‟idée, d‟après la thèse de David Hume, est l‟image mentale que nous nous formons tous à partir d‟une première expérience dans le monde matériel. La constitution du sens s‟établit donc à partir de notre ensemble sensoriel avant de devenir une idée de notre propre sens. Il existe un deuxième critère autour du sens selon Christophe Genin:

« Le sens semble être de l‟ordre du pressentiment : nous devinons qu‟une chose, qu‟un acte, qu‟une œuvre vaut quelque chose même si cette valeur reste indistincte. Par la même, qu‟il soit implicite n‟est pas un obstacle à sa production, car si une chose fait sens , c‟est que nous la visons, nous la chargeons d‟intentions, volitives ou cognitives, quand bien même ces visées resteraient obscures ou confuses. La signification serait alors la tentative pour identifier ce sens par des mots, par des propositions, par des jugements. Ainsi le sens serait le noyau obscur de la

signification43 ».

Par conséquent, « sens et valeur » ainsi que « sens et intention » sont apparemment en relation occulte. Grâce à la « signification », c‟est-à-dire à la tentative d‟explication, nous pourrions accéder au « sens ». Mais il arrive «que la chose qui fait sens à quelqu‟un ne soit pas reconnue de la même façon pour quelqu‟un d‟autre44 : « Le problème est que, si une chose nous fait sens, a du

sens, est porteuse de sens, nous ne sommes en rien certains d‟attribuer à cette

42 ABBAGNANO, Nicola. Storia della filosofia, Volume Quarto, La filosofia moderna dei secoli XVII e XVIII, Editore TEA, Milano, 1996, pp. 196-197.

43 GENIN, Christophe. Op.Cit., p.123

44 Nous pouvons introduire ici une prélude de la notion de “lutte de sens” défendu par Antonio Gramsci et Stuart Hall.

chose la même signification qu‟ à autrui »45. La signification ou l‟ensemble d‟explications concernant le sens ne seront pas acceptées à l‟unanimité par la totalité «des intelligences et des volontés » comme le dit Christophe Genin. C‟est ici où se fige le problème de l‟identification et l‟interprétation du sens. D‟ailleurs, si le sens invite à la reconnaissance de ce qui serait évident pour tout le monde (le sens commun) ; la signification ou l‟ensemble d‟explications visant le sens, interrogeraient les a priori de ce sens commun en ouvrant la porte à toutes les interprétations possibles. Dévoiler la signification du sens par rapport à quelque chose amène souvent à la discordance du sens ou dans le meilleur des cas, à un dialogue autour de lui. Éclaircir la complexité du sens dans sa totalité absolue serait une tâche qui nous conduirait à fixer le sens dans une dimension ontologique. Nous ne pouvons pas prendre ce parti car nous pensons que si même il existe une intention pour fixer le sens, par exemple dans un musée et à partir d‟une exposition dans une période donnée, il sera toujours interprété dans son mouvement et dans sa diversité de voix.

Pour la réalisation de cette étude, nous avons pris en compte tous ses éléments explicatifs pour montrer les différents moments de la construction du sens dans les expositions. En effet, dans cette thèse, le « sens » sera distingué de la signification parce que nous pensons que quand une chose est produite et porte du sens, c‟est parce qu‟elle a été construite ou déterminée par plusieurs facteurs d‟ordre matériel et / ou mental qui sont capables d‟être interprétés. Jean-Pierre Balpe, explique dans son article sur la programmation du sens, que le sens apparaît lorsqu‟un locuteur est capable d‟en tirer des conséquences pragmatiques46. Par conséquent, nous supposons que la construction du sens dans une exposition s‟établit à partir d‟un tissage de relations qui peuvent être matérielles, intellectuelles, culturelles, politiques, économiques et sociales. En effet : « Le sens n‟est pas une donnée en soi… tout

établissement du sens repose sur un tissage de relations effectives dans un

45GENIN, C. Op.Cit., p.124

46 « […] ce qui se construit c‟est une organisation de relations… Le sens est un

tissage de relations ». BALPE, Jean Pierre. « La programmation du sens » dans Le cerveau, le Langage, le Sens, Université de tous les savoirs 5, sous la direction d‟Yves

ensemble de relations possibles : le sens est une mise en contexte, une mise en

réseau d‟informations, de significations et de connaissances47».

Dans cette thèse, nous essayerons d‟expliquer la complexité et les divers moments de la construction et de la circulation du sens dans les expositions choisies pour l‟analyse48. Nous avons développé ce travail à partir de l‟utilisation de la théorie culturaliste, et notamment à partir de la définition du sens et de la signification de Stuart Hall. Nous pensons que les hypothèses qu‟il a utilisées pour penser la construction et la circulation du sens dans les médias, sont également pertinentes également pour l‟analyse de la construction du sens dans les musées.