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Remarques finales

2. LES ORIGINES ET LE DEVELOPPEMENT DU MUSÉE

2.5 Les enjeux du musée actuel

Le mot clé pour comprendre les transformations de la société et les problématiques qui commençaient à se dessiner à l‟intérieur des musées au dix-neuvième siècle est : représentation. L‟enjeu capital est de savoir comment les représentations commencent à se réguler dans les espaces d‟exposition et comment le goût de l‟art propre de la haute culture, commence à s‟institutionnaliser et à devenir la norme.

113 POULOT, Dominique, Patrimoine et Musées, Hachette, Paris, 2001, p. 77.

114 Si le musée d‟art a commencé à légitimer l‟art à travers le scandale, cela ouvre la porte aux mouvements des avant-gardes, qui arriveront jusqu‟à la mise en question de l‟institution muséale, notamment avec Duchamp. Voir l‟ouvrage anthologique qui explique ce phénomène de censure, scandale et légitimation dans les arts dans l‟article de BERTRAND DORLÉAC, Laurence. « Art et Censure », La censure en France à

l‟ère démocratique (1848-…) Histoire culturelle, éditions complexes, France, 1997,

pp. 191-193.

115 « À ce propos, il est instructif de noter que l‟histoire de l‟art moderne débute un

peu en 1863, quand Napoléon III décide de contrer la censure du Salon unique et très normatif en laissant exposer les impressionnistes. Ce qui donnera le fameux « Salon des refusés » où le public peut voir ou se moquer du fameux «Bain de Manet (dit Déjeuner sur l‟herbe) que l‟impératrice soufflettera d‟ailleurs, le jugeant « impudique »…la situation bascule au début du XXe siècle, quand se multiplient les salons et les galeries qui font contrepoids à la politique des directions des Beaux-Arts et au fameux Salon unique et incontournable qui pratiquait une censure déguisée en « choix ». La censure devient aussi un spectacle. Ibidem, p. 197.

« L‟existence historique du musée d‟art compris dans l‟acception stricte du terme n‟aura guère excédé deux siècles : le musée conçu comme une institution patrimoniale est né à l‟aube du XIXe siècle, il a remplacé la traditionnelle collection privée, substituant ainsi la rigueur de l‟ordonnance rationnelle à la

fantaisie incontrôlée du goût116 ».

L‟appréciation esthétique, scientifique ou commerciale des objets existait depuis bien longtemps, mais le musée en tant qu‟espace de sauvegarde, de protection et de conservation d‟objets singuliers et précieux ne naît qu‟à l‟instar des nations. Comme nous venons de le souligner avec Bernard Deloche, la catégorie « musée d‟art » n‟est pas ancienne. Elle apparaît au sein des controverses et des salons d‟artistes du dix-neuvième siècle, dans un monde où se développent les trains et les voies de chemin de fer, dans un monde où les expositions universelles attirent les économies du monde entier :

« Les dernières décennies du dix-neuvième siècle voient s‟opérer un peu partout une réforme des dispositions anciennes, qui passent de l‟opulence palatiale à un accrochage aéré, isolant les œuvres de qualité. Simultanément, la distinction fonctionnelle entre espaces d‟accueil ou de circulation et de salles

d‟exposition s‟impose117 ».

La consolidation de l‟institution muséale signe ainsi l‟ère de la modernité industrielle parce que le musée représente un des symboles de l‟équilibre et du renforcement de la nation. Dans les nouvelles nations modernes, la liberté et la démarche artistique individuelle (comprise comme universelle) est à la base de l‟esprit démocratique qui gagnera le vingtième siècle. Le musée et les pratiques d‟exposition dans ce domaine subiront toutes sortes de changements dans le paradigme de la représentation. C‟est à partir de la deuxième moitié du vingtième siècle que la figure du musée se déploie dans plusieurs domaines de la société.

116 DELOCHE, Bernard. Op.Cit., p. 17.

Le musée ne reste pas comme une institution proprement artistique. Cette institution élargit son intérêt vers d‟autres zones comme par exemple vers le domaine scientifique, ethnologique, historique et les sujets de société.

« Par rapport aux institutions du XIXe siècle, véritables milieux intellectuels et sociaux porteurs d‟une conscience patriotique, les musées font figure, à la fin

du XXe siècle, de lieux de la différence, artistique et

patrimoniale. Certaines visites surinvestissent

l‟appariement des sens et des musées : loin de figurer l‟écrin neutre de l‟admiration, ou l‟incarnation « sublime » d‟un arrachement, ils finissent par devenir

un des contextes pertinents de l‟œuvre118 ».

En effet, la figure muséale et son développement dans la culture au sein des sociétés démocratiques du vingtième siècle ont bouleversé la manière par laquelle les institutions approchent l‟art, les objets et les sujets d‟exposition. Si les musées nationaux sont apparus pour montrer les images et les symboles qui constituent la fierté identitaire de chaque nation, il est important de souligner que quatre-vingt-quinze pour cent des musées qui existent actuellement ont été bâtis juste après la deuxième guerre mondiale119. Pour cette raison, l‟échantillon typologique des musées s‟est diversifié. L‟ICOM120, qui est un organisme international qui concentre les questions et débats autour du musée, produit des documents afin de faciliter la tâche des professionnels du musée dans le monde entier. Parmi les documents qui servent de référence aux professionnels, se trouve un dictionnaire multilingue dans lequel l‟ICOM

118 POULOT, Dominique. Une histoire des musées de France, XVIII e – XX e siècle, Op.Cit., p. 141.

119 MacDONALD S. A companion to Museum Studies, Blackwell Publishing, USA, UK, 2006, p.4.

120 L‟ICOM est une initiative américaine impulsée par Chauncey J. Hamlin, trustee du musée de sciences de Buffalo, sous l‟accord et appui de Georges Salles, directeur des musées de France. Elle fut fondée à l‟UNESCO en 1946 à Paris. Selon Dominique Poulot, à l‟ère de la mondialisation, les groupes de travail de l‟ICOM «[…]

fournissent un véritable panorama du domaine muséal qui comprend les arts, l‟archéologie, l‟histoire, les sites historiques ; l‟ethnographie et les arts populaires, la science et les techniques mécaniques, les sciences naturelles, enfin les musées d‟enfants ». Voir POULOT, Musée et muséologie, Op.cit., p.8. Voir aussi le Site Web

établit 103 catégories des musées121. Il reconnaît par exemple : le musée biographique, le musée central, le musée anthropologique, le musée d‟architecture, le musée d‟art moderne, le musée d‟art municipal, le musée d‟art sacré ou religieux, le musée d‟histoire, le musée de communauté, le musée de l‟industrie, le musée de la pharmacie, le musée de la poste, le musée de la littérature, le musée de la vie rurale, le musée de la mer, le musée de la forêt, le musée de la pêche, le musée de l‟université, le musée de peinture, le musée des sciences et techniques, le musée des arts appliqués ou décoratifs, le musée des sciences sociales, le musée ethnographique, le musée local, le musée mixte, le musée public, le musée municipal, le musée national, etcetera. Curieusement, la catégorie du musée de société n‟est pas incluse dans l‟ouvrage.

Plusieurs phénomènes se somment à l‟apparition abondante des musées. Dans le domaine de la recherche, de nouvelles tendances critiques et d‟exploration ont surgi pour analyser le musée. Les études récentes se sont réalisées non seulement à partir de l‟histoire de l‟art mais aussi depuis d‟autres disciplines comme la sociologie, la critique littéraire ou les études culturelles parce qu‟en effet : « […] le musée aujourd‟hui n‟est plus un assemblage de

hasards de curiosités, mais une série d‟objets sélectionnés en raison de leur valeur pour les chercheurs, ou de leurs ressources pour l‟instruction

publique122 ».

La prolifération des musées a provoqué également des disparités, des luttes de sens et de signification dans le monde entier. Les institutions muséales ont établi des critères pour la mise en place des expositions. Cela a conduit à des transformations sociales profondes dans les régimes de la représentation. Les musées se sont emparés de la prise de décisions, des moyens et des techniques légitimes qui servent à la divulgation des œuvres d‟art, des objets et des sujets. Nous constatons ainsi une accélération dans la manipulation des ressources et des collections. L‟hégémonie qu‟exerce le musée à travers l‟exposition a conduit souvent à la production de vérités et de savoirs. Mais

121 ICOM. Dictionarium Museologicum, réalisé par le Groupe de Travail Terminologie du Comité International de l‟ICOM pour la Documentation (CIDOC), Hungary, Budapest, 1986, pp. 397-398.

l‟exposition parfois contribue aussi à la production de préjugés123. Le texte déjà mythique de Cameron Duncan sur « le Musée comme Temple ou Forum»124

ouvre ce débat. L‟auteur réfléchit sur le musée et la relation qu‟il établit avec le pouvoir et le savoir.

« En dépit des erreurs et de ces limites, il faut tout de même avouer que les classes sociales, qui en avaient le pouvoir, nous ont donné des musées qui sont en quelque sorte des temples où sont enchâssées les choses qu‟ils croyaient être significatives, importantes et de valeur. Le public acceptait généralement l‟idée selon laquelle si elles étaient dans le musée, non seulement elles étaient considérées comme véritables, mais de plus elles représentaient certaines normes de qualité. Et si le musée disait qu‟il en était ainsi pour ceci ou pour cela, on le considérait alors comme une vérité. Ainsi, pendant un certain temps, le musée fut l‟endroit où vous pouviez vous rendre pour comparer vos propres perceptions ou réalités avec la vision soi-disant objective de ce qui était accepté et approuvé

dans votre société125 ».

L‟analyse de Duncan semble de veine marxiste quand elle affirme que les classes sociales possèdent le pouvoir et les moyens de production qui construisent la valeur de l‟objet et les savoirs autour d‟eux. Le public, assimilé à la pratique civilisatrice des institutions, est donc sensé accepter la vision, la voix, le discours du musée. Si les musées ne sont pas homogènes ni dans leurs pratiques d‟exposition ni dans leurs collections, la critique de Carol Duncan est valide à toutes les catégories de musées mais elle ne s‟applique pas avec le même dégré, parce que :

123 Voir particulièrement le travail de Richard Sandell où il explore le préjugé à partir du discours des publics aux musées et la conformation de limites identitaires. SANDELL Richard. Museums, prejudice and the reframing of difference. Routledge, London, NY, 2007.

124 CAMERON Duncan. Le musée: un temple ou un forum, dans Vagues, une anthologie de la nouvelle muséologie, Volume 1, Éditions W.M.E.S, France, 1992.

« […] il y a eu une prolifération des petits musées, de

budget bas, musées de communautés, souvent concentrés sur la culture de tous les jours ou de l‟héritage local ; et d‟autre part, les musées entreprises, "corporate museums", les musées « franchises » d‟expositions « blockbuster », les musées monuments icône de l‟architecture, les musées

« superstar » et les « meta-musées » si prospérés126 ».

En effet, dans le panorama des musées, les figures qui s‟opposent le plus sont celles des musées comme entreprise ou industries face aux musées à petits budgets, musées locaux ou de communautés. Sans doute, les batailles dites « culturalistes », qui questionnent en même temps les valeurs de la haute culture face à la culture populaire, se livrent aussi dans la sphère muséale parce qu‟à l‟intérieur des musées nous assistons à plusieurs tensions et controverses entre artistes et commissaires, entre écriture et lecture de l‟exposition, entre production et consommation de la signification. Ce débat ouvre la porte aux problématiques chères aux études culturelles. Les possibilités d‟aborder l‟analyse des musées, des expositions et des interrogations dans les régimes de la représentation des cultures sont nombreuses. Afin de mieux connaître les approches des études culturelles des musées, nous allons aborder les principales tendances, les positions critiques et les positions conciliatrices. C‟est en prenant connaissance de l‟univers de ces questions et perspectives que nous pourrons aborder nos études de cas et répondre aux enjeux et questionnements proposés dans cette thèse.