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Remarques finales

A) Aux États-Unis

6. ÉTUDE DE CAS À CHICAGO

6.2 Les musées des communautés 367

Au vingtième siècle, les musées à caractère ethnique ou racial se sont multipliés partout sur le territoire américain. L‟héritage culturel des communautés immigrantes est devenu un sujet d‟exposition et un sujet d‟actualité. Il ne s‟agit pas d‟un droit octroyé par l‟État américain, mais d‟un droit conquis par la lutte des communautés minoritaires : Noirs, Juifs, Asiatiques, Hispaniques, homosexuels et femmes entre autres. Ces musées, nommés donc musées des communautés, reprennent dans leurs expositions, les motifs du groupe ou de la société d‟origine qu‟ils représentent. Ils montrent ainsi les enjeux du passé sans oublier les mutations culturelles du présent.

Un des premiers musées de communauté fut l‟Anacostia Neiborhood

Museum368. Il est apparu en 1967 face à la croissance des musées nationaux de

l‟époque. L‟Anacostia est le résultat d‟une initiative menée par la communauté marginale et pauvre de Washington. Depuis le début, cette communauté minoritaire a participé à la tâche muséographique de l‟institution. Par exemple, la première exposition sur le jazz, This thing called jazz369, a eu lieu dans les années soixante-dix grâce à la demande des jeunes amis du musée. À l‟époque, choisir « le jazz » comme thème d‟exposition était un geste avant-gardiste. Paradoxalement, si L‟Anacostia Neiborhood Museum a exposé cette musique si

367 Le terme pour désigner ce type de musée change par rapport à la langue et aux pays. En Grande Bretagne le terme utilisé est « neiborhood museum », aux États-Unis « community museum ». En français, le terme est « musée de communauté », en Italien « museo di quartiere, museo rionale », en Espagnol « museo de una

comunidad » et en Portugais « museu comunitário, museu de comunidade ». Voir Dictionarium Museologicum, réalisé par le Groupe de Travail Terminologie du

Comité International de l‟ICOM pour la Documentation (CIDOC), Hungary, Budapest, 1986, p. 62.

368 Aujourd‟hui le musée s‟appelle : The Anacostia Community Museum.

http://anacostia.si.edu/

369 George Henri Rivière analyse le rôle éducatif de ce musée dans : « Rôle du musée d‟art et du musée de sciences humaines et sociales », Museum, Vol.XXV, No. 1/2, revue trimestrielle de l‟UNESCO, Presses Centrales, S.A., Lausanne, 1973, pp.39.

proche de la culture populaire afro-américaine des années 1970, le jazz aujourd‟hui est reconnu comme une pratique culturelle proche de la « haute culture »370. Néanmoins, il est intéressant de constater que le jazz fut représenté, c‟est-à-dire « exposé » pour la première fois, par la propre communauté qui l‟a vu naître. Il faut dire que ce quartier de la communauté afro-américaine était perçu comme un « Ghetto Noir371 ». En effet, pendant plusieurs années et jusqu‟à nos jours, l‟Anacostia Neiborhood Museum travaille pour une communauté stigmatisée de Washington. Ce musée dispose aujourd‟hui d‟une bibliothèque et d‟un centre multimédia. C‟est un lieu de formation aux arts appliqués, un lieu de rencontre pour les groupes du quartier et un centre culturel artistique où il est possible de chanter, de danser, de travailler, de discuter des questions sociales, d‟étudier et de reproduire les pratiques culturelles propres à la culture afro-américaine.

Dominique Poulot évoque le projet des musées de ville comme préliminaire aux musées de communauté. Dans son chapitre « Le temps de l‟histoire urbaine », il écrit que ce type de musées sont apparus :

« […] dans la décennie 1970 en Amérique du Nord, qui voulait donner à des groupes sociaux ou ethniques défavorisés la possibilité de (re) trouver leurs propres cultures et de prendre en main leur vie quotidienne

(travail , drogue, hygiène ou éducation des enfants372 ».

370 Le Musée du Quai Branly exposa du 10 mars au 21 juin 2009 une rétrospective du jazz depuis ce point de vue. L‟exposition « Siècle du Jazz - Art, cinéma, musique et photographie de Picasso à Basquiat », illustra le jazz et promut l‟exposition avec les noms des artistes et auteurs reconnus par le mainstream de l‟art et non par les minorités qui l‟ont vu naître. Le musée annonça l‟exposition de la manière suivante :

« Epopée du genre musical, né au début du XXe siècle, illustrée par différents arts : peinture, photographie, mais aussi graphisme et bande dessinée. Avec notamment les œuvres de Picabia, Man Ray, Matisse, Pollock, etc.». Commissaire de l‟exposition :

Daniel Soutif, Philosophe et critique d‟art. Voir Catalogue de l‟exposition Musée du quai Branly / Skira Flammarion, France, 2009.

371 Stuart Hall a essayé de comprendre la question de la race et les éléments qui composent la catégorie du sujet « Noir » au-delà de la représentation positive que les communautés ont construite autour d‟elles. Il propose la fin des essentialismes et une transformation concrète de la politique de la représentation. Voir HALL Stuart, « Nouvelles ethnicités » dans Identités et Cultures. Politiques des Cultural Studies, Paris, 2008, p.290.

Aux États-Unis, les musées « ethniques» ne représentent pas seulement les communautés ou groupes « ignorés » par les musées nationaux, mais ils s‟opposaient au discours hégémonique du « musée public américain ». Dans ces musées, il s‟agissait de célébrer la visibilité de la communauté non - blanche, le passé héroïque des personnes ignorées jusqu‟à présent, les luttes de groupes ou d‟individus hors du canon national et les acquis démocratiques obtenus par les communautés. Il fallait mettre en valeur ce qui avait longtemps été méprisé par le pouvoir373.

Aux États-Unis, l‟affirmation d‟un « soi - collectif » et la résistance face à la vision assimilatrice d‟une culture occidentale dominante, fut vécue comme une bataille au sein des quartiers et des imaginaires des dirigeants soutenus par les populations concernées. De cette manière, les communautés ont mis en place un nouveau récit et un nouveau regard porté sur elles-mêmes et raconté par elles-mêmes. Les musées des communautés aux États-Unis montrent à travers les expositions permanentes, qu‟il existe une incorporation « d‟autres » récits historiques sur l‟histoire officielle de la nation américaine. Ces musées sont ainsi les dépositaires de la conjonction du patrimoine actuel des identités ambiguës, souvent binationales, fragmentées et recomposées.

Les actions des communautés récupèrent ainsi des éléments culturels de leurs anciennes appartenances. Ces actions cherchent à construire un récit sur l‟identité culturelle et artistique, propre et différente, face au récit national dominant. Le découpage des expositions a donc pour but de montrer en effet, un discours identitaire qui correspond à une autre nation et à un autre passé, mais qui se renouvelle et devient actuel dans la vie quotidienne des communautés américaines d‟origine migrante. La démarche muséographique des musées des communautés, au-delà de la mise en scène de l‟ethnicité, n‟utilise pas seulement des objets d‟art mais aussi des images, des documents, des photographies et des objets propres à l‟artisanat et à la culture populaire afin de consolider le sens et l‟unité d‟une identité qui se veut singulière mais aussi collective. Chaque musée de communauté exerce à sa façon et avec ses

373 Voir un développement de cette idée et la critique des musées nationaux américains dans l‟œuvre de Karen Mary DAVALOS. Exhibing Mestizaje, University of New Mexico Press, Albuquerque, 2001.

moyens, une politique de la représentation qui lui permet de se localiser dans une catégorie nationale recomposée : afro - américaine, chinoise - américaine, mexico - américaine.

- La communauté africaine

Le musée afro-américain Du Sable Museum on African American

History374 rentre dans l‟ensemble des musées du parc, mais il n‟est pas localisé

dans l‟agglomération des musées du Parc du centre ville. Il se trouve dans un quartier périphérique proche de l‟université de Chicago. Il est destiné à raconter l‟histoire passée et présente des Afro-américains de la ville.

Au début de sa collection permanente ce musée présente une Afrique lointaine divisée en quatre régions : nord, sud, est, ouest. L‟exposition commence avec l‟histoire glorifiée de l‟Égypte antique et de ses empereurs. Nous trouvons des objets royaux et des portraits d‟hommes et femmes de l‟empire. Le musée montre l‟Afrique comme un ensemble, comme un continent, et il n‟établit aucune division entre les pays ou les cultures propres à chaque région. Ainsi, toute l‟Afrique est intégrée dans l‟exposition qui sert de référence aux immigrants afro-américains. Dans la partie contemporaine, ce musée propose des portraits de dirigeants originaires de Chicago. Nous trouvons parmi les femmes, Margaaret Burroghs, dame de lettres, des arts et des humanités. Ensuite, un grand couloir transporte le spectateur dans l‟histoire et la transformation des salons de coiffure (barbers shop). Nous découvrons par exemple, la reproduction d‟un salon de coiffure des années 1940 avec les brosses, les miroirs et les produits de beauté de l‟époque. Cette partie de l‟exposition est accompagnée d‟affiches qui illustrent l‟histoire évolutive de la coiffure africaine, un élément si important de l‟image et de l‟identité afro-américaine et symbole de démarcation raciale face aux autres peuples et cultures. Le message central de l‟exposition se trouve dans la partie des archives photographiques et documentaires.

374 Voir Du Sable Museum on African American History, Chicago. http://www.dusablemuseum.org/

Le musée montre l‟histoire de la domination et de l‟esclavage africain aux États-Unis. Il met en scène les preuves du racisme des « Blancs » et les luttes de libération menées par la communauté « Noire ». Nous observons cette partie de l‟histoire grâce à d‟anciennes attestations de propriété d‟esclaves exposées ainsi que les annonces d‟achat et de vente d‟êtres humains. Le document de l‟abolition de l‟esclavage signé par Abraham Lincoln s‟y ajoute aux documents et le récit de cette exposition tourne ainsi cette page cruelle de la vie des Afro-américains. L‟exposition se termine par une salle photographique qui raconte l‟histoire des luttes gagnées et des combats perdus comme ceux de Martin Luther King, Malcom X ou des Black Panters. En effet, l‟histoire racontée par Du Sable Museum, ce musée national américain, ne fait pas partie de la fierté nationale de l‟histoire américaine Wasp375. Elle révèle plutôt l‟épisode lamentable de la ségrégation qui fait maintenant parti de leur histoire. Mais malgré tout, l‟existence d‟un musée de ce type prouve aussi les changements des politiques ségrégationnistes de l‟État américain. Cela prouve que l‟histoire des Afro-américains fait parti de l‟identité nationale américaine d‟aujourd‟hui. Nonobstant et c‟est important de le souligner, c‟est grâce à la communauté afro-américaine que ce découpage historique a pu avoir eu lieu. En effet, c‟est la communauté, elle-même qui a eu l‟initiative de raconter sa propre histoire.

- La communauté chinoise

Aujourd‟hui, il y a entre trente et quarante millions de Chinois migrants répartis dans cent trente-six pays hors de la Chine. La plupart vivent dans le sud-est de l‟Asie mais c‟est aux États-Unis qu‟il y a la plus large population de Chinois hors de l‟Asie. Ils sont plus d‟un million et demi376. La diaspora chinoise est arrivée aux États-Unis au dix-neuvième siècle. En principe, la

375 WASP : White Anglo-Saxon Protestant. Le terme désigne les groupes d‟américains blancs de type européen et notamment d‟origine britannique. Ils sont souvent d‟une classe sociale propre à la haute bourgeoisie face aux autres communautés ethniques ou raciales.

376 HO, Chuimei. « Seeking a new World », dans Chiness in Chicago (1870-1945), Chinatown Museum Fondation, Arcadia Publishing, GB, 2005.

migration des femmes n‟était pas forte ; par contre, quatre-vingt pour cent des migrants étaient des hommes377. À la fin du dix-neuvième siècle, la violence contre la population chinoise de San Francisco et de Los Angeles éclata et un grand nombre de migrants partent s‟installer à Chicago. Les anciens habitants de Chicago ont trouvé que les migrants chinois formaient une population tranquille avec qu‟ils pouvaient vivre en paix. La migration clandestine a donc augmenté. À l‟époque beaucoup de Chinois devenaient citoyens américains à cause des incendies de bureaux où disparaissaient les certificats de naissance. Par manque de preuves de naissance, il fallait juste déclarer sur l‟honneur être né Américain et l‟État donnait les papiers de citoyenneté378.

L‟identité culturelle des immigrants chinois est composée de plusieurs signes hybrides parce que beaucoup de Chinois vivant aux États-Unis sont devenus protestants et catholiques. Ils ne sont pas restés proches du Bouddhisme ou du Taôisme. Le besoin de « temples » ou de « monuments » propres à la représentation de leur identité culturelle ou religieuse fut visible tardivement sur le territoire américain. Nous trouvons seulement depuis 1940, le Mount Auburn Cementery, qui est l‟espace physique du repos des morts de la communauté chinoise de Chicago 379. À l‟instar des immigrants Mexicains qui ont pris le mythe d‟Aztlan380 pour donner sens à leur nouvelle identité en territoire américain, la communauté chinoise de Chicago s‟est faite appeler : « La population de la rue de Tang » en raison et en l‟honneur de la

377 TOKARCZYK Michelle M. Class definitions. On the lives and writings of Maxime

Hong Kingston, Sandra Cisneros and Dorothy Allison, Susquehanna University Press,

USA, 2008, p. 58.

378 HO, Chuimei, Op.Cit., p.9

379 Ibid.

380 Aztlán est l‟ancien nom que portait la ville aztèque avant l‟arrivée des colons ibériques. La communauté mexicaine américaine nommée aussi chicana, écrit le « Le

Plan Spirituel d‟Aztlán » qui devient le dogme fondateur de l‟orgueil identitaire des

Chicanos. Ils affirment : « La Fraternité nous unit, et l‟amour de nos frères fait de

nous un peuple dont l‟heure est venue, et qui lutte contre l‟étranger « gabacho »

[Américain blanc] qui exploite nos richesses et détruit notre culture… » Et puis :

« Nous déclarons l‟indépendance de notre nation métisse. Nous sommes un peuple de bronze (…) nous sommes une nation, nous sommes une union de « pueblos libres », nous sommes Aztlán ». Extrait de : « El Plan de Aztlán ». Dans VAGNOUX, Isabelle. Les Hispaniques aux États-Unis « Le mouvement chicano ». PUF, Paris, France,

dynastie Tang381. Autour de ce quartier, les résidents chinois américains ont créé des restaurants, des boutiques, des salles de massages et des vêtements typiques ainsi que des meubles, de l‟artisanat et un musée pour leur communauté.

Le Musée Chinois Américain est un des plus récents musées des communautés. Il est localisé à Chinatown Chicago, qui est le quartier chinois de Chicago, un quartier voisin du quartier mexicain. Le Musée Chinois Américain est constitué de bénévoles cultivés et d‟universitaires d‟origine asiatique. Ce petit musée ethnique dispose d‟une section temporaire pour exposer l‟histoire, l‟archéologie, les outils et les éléments propres à la culture chinoise (soie, tofu, papiers) mais aussi l‟histoire sociale photographique des sans papiers du début du siècle. Le musée acheta le bâtiment pour la mise en œuvre de ses activités sans avoir de subventions de l‟État. Il n‟est pas encore un musée national américain. Le musée est considéré comme un musée du voisinage fait par et pour la communauté chinoise même si l‟entrée est ouverte à tous les visiteurs.

- La communauté mexicaine

La population hispanophone représente 12.5% aux États-Unis et 60% sont d‟origine mexicaine, ce qui représente près de 21 millions de personnes382. À 16 kilomètres du centre de Chicago, il y a deux quartiers identifiés comme strictement hispaniques383 : Little Village et Pilsen. Auparavant, la population de Pilsen était d‟origine « polonaise » et le quartier a gardé son nom en raison de la célèbre bière. Les habitants de Pilsen sont aujourd‟hui dans leur grande majorité, d‟origine mexicaine. Nous pouvons voir dans l‟architecture, le reflet de la relation qui existe entre Chicago comme centre et Pilsen comme

381 HO, Chuimei. Chiness in Chicago, Op.Cit. p.9.

382 ODGERS-ORTIZ Olga. Problèmes d‟Amérique Latine. Mexique. L‟élan brisé, “Flux Migratoire du Mexique vers les États-Unis: Changement et Continuité”, PAL No. 50, Autonome 2003, p. 59.

383 Les communautés des Mexicains à Chicago se trouvent aussi dans d‟autres périphéries et petits villages comme Joliet, Gary, Aurora, Elgin, Romeoville et Cicero parmi d‟autres. Voir ARIAS, Rita et TORTOLERO, Carlos. Mexican Chicago.

périphérie (figure 2). C‟est un contraste entre le quartier mexicain souvent décrit comme pauvre et catholique, et le quartier des américains blancs souvent compris comme riche et moderne.

Bien que l‟organisation administrative de Pilsen soit régulée par les modes de gestion propres à la vie du peuple américain, les commerces, les boutiques, les cafés, les centres de loisirs, les bibliothèques, les écoles et la radio montrent la vie quotidienne d‟un village mexicain installé aux États-Unis. Les professeurs des écoles publiques comme ceux de l‟école élémentaire Orozco, se déclaraient fiers de mettre un drapeau mexicain au cœur d‟une ville américaine. Ils savent que la langue courante de ce quartier est l‟Espagnol - Mexicain.

Figure 2

« Église de Saint Adalbert à Pilsen et Downtown Chicago », États-Unis. Photographie  Cristina Castellano, 2006

À l‟instar des autres musées de communauté comme l‟afro-américain ou le chinois-américain que nous venons brièvement de signaler, la communauté mexicaine dispose également d‟un musée dédié à sa propre communauté. Ce musée fera l‟objet de notre étude de cas principale dans cette thèse. Les informations concernant ce musée seront donc développées d‟une

manière minutieuse et nous essayerons de répondre à notre problématique à partir d‟une analyse détaillée de cette institution.