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Problématique, questions de recherche, hypothèses

Remarques finales

B) Approche scientifique

II. PROGRAMME DE RECHERCHE

5.1 Problématique, questions de recherche, hypothèses

La question de la construction du sens dans les expositions muséales a été étudiée à travers la muséographie qui s‟occupe de l‟aspect architectural et opérationnel de la mise en scène d‟une exposition. La question semble en principe d‟ordre pratique et sa réponse renvoie à une explication d‟ordre technique. Le texte de Sylvie Girardet et Claire Merleau-Ponty325 répond à partir de cette perspective. Les auteurs montrent les « règles à suivre » d‟un savoir-faire qui est devenu un métier et parfois même une industrie. Mise à part les explications techniques, il existe aussi des études sur la dimension symbolique et culturelle de cette problématique. Ce que nous voulons démontrer dans cette thèse, c‟est comment se construit le sens dans les expositions des musées qui sont ancrées dans des sociétés et des contextes spécifiques.

Nous partons de l‟idée que les expositions muséales se construisent grâce à la collaboration de structures d‟activité collective326. L‟exposition est en effet une mise en scène intentionnelle d‟objets qui, à partir d‟une thématique déterminée, visent à provoquer une expérience sensorielle et cognitive chez le spectateur. Mais, quels sont les facteurs qui interviennent dans la construction du sens d‟une exposition ? Comment se construit le sens ? À partir de quels moments s‟active la coopération des acteurs pour produire le sens des expositions dans les musées ? Comment se construit le sens des expositions dans lesquelles les frontières et les alliances identitaires constituent le sujet d‟exposition ? Est-ce que les expositions qui

325 Le texte est « Une expo de A à Z ». C‟est un manuel pratique qui cherche à expliquer didactiquement quels sont les éléments qui doivent être pris en compte pour la conception et la réalisation d‟une exposition. GIRARDET, Sylvie et MERLEAU-PONTY, Claire. Voir le chapitre « Concevoir et réaliser une exposition », Musée en Herbe, OCIM, Paris, 1994.

326 Howard BECKER utilise le terme de “structures d‟activité collective” pour expliquer le fonctionnement des mondes de l‟art. Voir son texte Les mondes de l‟art. Préface, Flammarion, Paris, 2006. Première édition en anlgais : Art Worlds, The University of California Press, USA, 1982.

traitent des sujets de société le font à partir d‟une rhétorique basée sur le politiquement correct ? S‟agit-t-il d‟une construction du sens inventée et fondée dans les mythes ? Le musée cherche-t-il à provoquer une identification ou bien une provocation face aux visiteurs ? Est-ce que les expositions de ce genre véhiculent un discours colonial, postcolonial ? Quels sont les enjeux politiques qui se dévoilent à partir de la mise en scène d‟expositions? Comment interviennent les catégories de culture, d‟hégémonie, d‟occident pour la construction du sens? Quels sont les discours des responsables institutionnels ? Quels messages véhiculent les objets d‟exposition ? Quels sont les discours des créateurs Ŕ quand il y en avait Ŕ et quelles sont les réactions du public par rapport au sujet de l‟exposition ?

Notre première hypothèse est que la construction du sens d‟une exposition muséale se réalise à plusieurs moments327 et dans plusieurs dimensions articulés d‟une manière complexe. Nous croyons que ces moments et dimensions peuvent être identifiés à partir de modalités et fonctions spécifiques. Nous supposons que le premier moment de la construction du sens d‟une exposition - celui qui marque le point de départ - est celui de « la production du sens ». Ce premier moment de la construction du sens est assuré par une communauté de producteurs qui imaginent, désignent et produisent un récit d‟exposition en employant des éléments intellectuels et techniques destinés à cet effet. Nous croyons que le musée, à travers la communauté de production du sens, construit « le thème » des expositions en déterminant et en proposant un discours et une lecture préférentielle. Nous pensons que, même si l‟intérêt du musée est d‟exposer des phénomènes d‟ordre historique sous le prétexte de mener une mission pédagogique, l‟intention des institutions est aussi d‟ordre moral et politique. Nous sommes persuadés que la manière par laquelle les producteurs du sens assument un discours, reflète un

327 Cette première hypothèse ne cherche pas à defendre un modèle linaire (émetteur / message / récepteur) dans le processus de communication et de construction du sens. Notre hypothèse cherche à identifier les différents moments de la construction du sens d‟une exposition, parce que nous supposons que même si la construction du sens fait parti d‟une structure complexe de relations qui sont imbriquées à tout moment, il est possible d‟identifier et donc de différencier, voir de « déconstruire » les moments et les actions qui rendent possible le circuit du sens dans les musées. Voir le texte de Stuart HALL, « Codage/Décodage », dans Identités et Cultures. Politiques des

positionnement qui, traduit également des idées culturelles et des orientations au sujet de la classe, de la race, de l‟ethnicité et du genre.

Ensuite, nous supposons que le deuxième moment qui intervient dans la construction du sens d‟une exposition est la circulation ou distribution du sens, à travers de la mise en scène des messages articulés, des œuvres et des objets d‟exposition328. À partir de cette dimension, nous pensons que les musées mettent en valeur non seulement des objets mais aussi des discours qui reflètent les politiques de signification et de représentation propres à une culture et à un contexte.

En effet, la construction du sens dans une exposition n‟est effective qu‟à travers l‟appropriation du sens de la part des visiteurs. Nous supposons que la communauté d‟interprètes régule, négocie, s‟oppose ou harmonise avec le discours du musée à travers ses propres schémas culturels et cognitifs. Nous pensons que le discours du musée, celui qui a été produit par la communauté de production du sens, n‟est pas toujours partagé de façon homogène par les visiteurs des expositions. Nous avons voulu démontrer que dans certaines expositions où les sujets relèvent de questions identitaires ; la reconnaissance, l‟acceptation, la négociation ou l‟opposition au discours du musée dépend de la structure du sentiment des visiteurs.

Enfin, nous pensons que dans les expositions où le parcours identitaire des visiteurs est mis en question, les personnes « négocient » le sens proposé par les institutions. Nous avons exploré comment à partir de la lecture/réception de l‟exposition, le public exprime soit une différenciation soit une affirmation qui correspond à ses propres structures du sentiment (structures of feeling) qui s‟ allient ou entrent en conflit avec le discours proposé par le musée. La construction du sens dépend donc d‟un travail de collaboration humain. Elle dépend également des politiques culturelles liées à la mission des musées qui prédisposent la mise en scène des sujets d‟exposition. Elle dépend aussi de la structure du sentiment que les visiteurs manifestent vis-à-vis des objets d‟exposition et des discours.

328 Ce deuxième moment porte une infinité d‟interpétations et une perspective différente pourrait faire apparaître des aspects qui restent ici inexplorés.

5.2 La méthode

Nous avons employé l‟approche culturaliste propre aux études culturelles des musées parce que cette méthode privilégie la transdisciplinarité comme méthode d‟analyse :

« Les approches culturalistes considèrent le plus souvent que la construction du sens - tant au niveau de la production des messages, de leur réception que de leur articulation - résulte d‟arrangements plus ou moins paisibles ou conflictuels entre les partenaires de l‟échange d‟information et d‟expérience. Elles s‟intéressent donc tout particulièrement aux différentes formes de constructions sociales et individuelles de la réalité par les médias, et elles sont intéressées par les différents processus de complicités, d‟hégémonies, de subordination, de contradiction et de résistances qui se manifestent dans les petites et grandes croyances qui structurent les cultures et se manifestent dans

leurs messages, leurs médias et leurs œuvres329 ».

À l‟instar des études culturelles qui comprennent les médias comme des constructeurs des valeurs sociales et politiques, nous sommes partis de l‟idée que l‟institution muséale construit des arguments et des messages qui contiennent une axiologie morale et politique pertinente par rapport à contexte. À ce propos, l‟approche textuelle des études culturelles des musées explore les logiques qui opèrent dans les choix et découpages de la représentation dans l‟exposition, ainsi que sa cohérence et sa légitimité dans le contexte précis du musée. Comme l‟explique Rhiannon Mason, dans son chapitre : « La lecture

des musées comme textes : théorie culturelle et textualité330 », les spécialistes

de cette tendance lisent l‟exposition comme s‟il s‟agissait d‟un texte. Ils se concentrent par exemple, sur l‟analyse du récit, sur la structure et les stratégies existantes dans la « voix » adoptée par les expositions. Ils s‟intéressent à

329 DARRAS, Bernard. Images et études culturelles, Présentation, Publications de la Sorbonne, Collection Esthétique - série images analyses, France, 2008, p. 5.

l‟étude des discours des institutions et leur mise en scène, qu‟elle soit esthétique, pédagogique ou culturelle331.

L‟exposition dans cette thèse est comprise comme récit fabriqué et produit par l‟institution muséale. Pour analyser la manière dont ce sens a été construit, et donc les contenus et les significations de l‟exposition dans le musée332, nous avons mené des entretiens avec les commissaires, membres, dirigeants et collaborateurs des musées. Ceci nous a permis de connaître les motivations, les intentions et les accords qui ont permis l‟installation et la mise en scène des expositions. Grâce à l‟étude de la production d‟expositions nous avons découvert les à priori qui ont guidé les institutions à choisir les thématiques et les lignes qui les ont conduites à privilégier un certain discours en dépit des autres.

Ensuite, pour analyser les messages du musée, nous avons concentré toute notre attention dans l‟étude de la macrostructure333 du récit de l‟exposition. À cet effet, nous avons pris en compte quelques objets et textes qui véhiculent le message général qu‟a voulu transmettre le musée. Nous avons montré des exemples d‟objets d‟art, peintures, retables et documents afin de comprendre les lignes générales et thématiques du discours des expositions. Afin de mieux cerner la macrostructure de chaque exposition et le sens privilégié par la production, nous avons extrait les informations directes des commissaires d‟exposition et nous avons également étudié les catalogues quand il y en avait. Nous n‟avons pas traité d‟autres dispositifs334 de médiation335 comme les visites guidées, les guides enregistrés en audio, les

331 Ibidem, p.26

332 DAVALLON, Jean. L‟exposition à l‟œuvres. Stratégies de communication et

médiation symbolique. L‟Harmattan, 1999. Pour l‟auteur, le musée est un des moyens

principaux d‟intervention entre les objets d‟art et sa réception.

333 L‟identification des macrostructures implique la réconstruction théorique d‟un « thème » ou « sujet ». Voir VAN DIJK, Teun A. The structures and functions of

discours an interdisciplinary introduction to textlinguistics and discours studies,

traduction en Espagnol Estructuras y funciones del discurso, Siglo XXI editores, México, 1996, p. 43.

334 POLI Marie-Sylvie. Le texte au Musée, L‟Harmattan, France, 2002. Voir aussi Élisabeth Caillet et Daniel Jacobi. (Dir.) Les médiations de l‟art contemporain”, Culture & Musées No. 3. Université d‟Avignon/ Actes Sud, 2004.

335 Il y a plusieurs dispositifs de médiation dans le musée. Voir l‟œuvre de CAILLET Élisabeth et JACOBI Daniel. (Dir.) Les médiations de l‟art contemporain”, Culture & Musées No. 3. Université d‟Avignon/ Actes Sud, 2004.

visites commentées par les spécialistes ou les dispositifs virtuels des sites Internet. Nous pensons comme Louise Ravelli336, que chaque média de communication a ses propres singularités. Certes, une étude de ce type aurait conduit à la rédaction d‟une autre thèse et d‟une autre approche.

Finalement et bien que tous les moments de la construction du sens soient importants, nous avons travaillé auprès des visiteurs des expositions pour analyser l‟appropriation du sens de la part du public. Nous avons observé et enquêté par rapport au parcours de lecture et réception de l‟exposition, nous avons accompagné les visiteurs de l‟exposition et nous avons appliqué notre méthodologie d‟enquête après la visite. Enfin, pour l‟obtention des résultats, nous avons employé des méthodologies d‟analyse propres à l‟ethnologie et à la sociologie réflexive337.