• Aucun résultat trouvé

Remarques finales

B) Approche scientifique

4. CATÉGORIES UTILES POUR L’ANALYSE DES ÉTUDES DE CAS

4.1 Culture et Occident

Commençons par la notion de culture et son rapport à l‟Occident. La catégorie de culture apparaît dans Keywords261 de Raymond Williams. Ce texte262 a servi de fer de lance aux études culturelles modernes263. La catégorie de « culture » est devenue une notion capitale, a theoretical legacy, pour les pratiquants des études cultuelles, notamment pour Stuart Hall, Tony Bennet et James Clifford. Selon Raymond Williams, les changements de la révolution industrielle qui commencent à apparaître au début du vingtième siècle transforment la compréhension et l‟usage de la notion de culture, de classe et d‟industrie. D‟abord et afin d‟expliquer les transformations, il définit culture à partir de sa généalogie. Il affirme que la notion naît du latin colere qui signifie cultiver, protéger, habiter, honorer avec admiration. Cette première notion fait référence à agriculture, dont les signifiants ont évolué dans le temps en créant des nouveaux concepts. Par exemple, colere (en tant que habiter) s‟est transformé vers colonus et puis vers la notion de colon. Puis, colere (en tant que honorer avec admiration) a changé vers cultus qui est devenu à la fois

cultura. En français, la déclination de cultus a évolué vers couture et plus tard

vers culture. La catégorie de culture dans son acception française du quinzième siècle, a traversé l‟Atlantique en donnant naissance à la notion de “culture” en anglais264. D‟après l‟étude sémantique de Raymond Williams, les variations de la notion de culture en Europe qui vont du dix-septième au dix-neuvième siècle induisent deux grands changements :

261 Le mot anglais Keywords peut être traduit en français par « mots-clés ». Voir WILLIAMS, Raymond. Keywords: a vocabulary of culture and society, Fontana/Croom Helm, London 1976.

262 Il établit les bases pour ce qui plus tard sera nommé : « the cultural turn » dans le monde universitaire états-unien. JAMESON, Fredric. The cultural turn : selected

writings on the Postmodern : 1983-1998, Verso, London, NY, 1998.

263Depuis, d‟autres publications du même ordre sont apparues. Voir par exemple l‟anthologie que fait MIKULA, Maja. Key concepts in Cultural Studies, Palgrave, England, 2008.

D‟abord, l‟acception de culture en tant qu‟agriculture s‟est raffinée au seizième siècle en raison de la croissance et du progrès attribué à un processus du développement humain. Les philosophes Thomas Hobbes et Francis Bacon ont lié cette notion de culture à la notion d‟esprit, c‟est-à-dire « mind » en anglais. Les auteurs anglais se sont ainsi appropriés le concept de culture et l‟ont transformé par rapport à son contexte et à sa propre évolution philosophique et littéraire. Le deuxième changement sémantique important identifié est le moment où la singularité de la notion de culture change dans une dimension de généralité, c‟est-à-dire quand la notion de culture a commencé à se comprendre en tant que substantif et non en tant que l‟ancien verbe « colere ou cultiver, habiter, protéger ». C‟est à partir de ce moment que la notion de culture a inauguré son histoire moderne265. C‟est ainsi que dans la France du dix-huitième siècle, la notion de culture fût associée aux mœurs et à l‟idée « d‟être cultivé ». La langue allemande a emprunté aussi cette notion française de culture et a instauré Kultur en tant que synonyme de « civilisation ». Le concept de civilisation faisait référence au fait d‟être cultivé et de faire parti d‟un processus du développement humain séculaire. En effet, l‟Europe de l‟époque était profondément marquée par l‟idée du développement, du progrès et des sciences inspirées par le siècle des Lumières266. Mais pour Raymond Williams, le vrai changement important de l‟usage de la notion de culture a commencé quand le terme fut dénoncé par Johann Gottfried Herder267. L‟auteur allemand est le premier à signaler que dans la notion de culture est véhiculée la justification d‟un processus unilatéral dirigé par le point de vue dominant de la culture européenne. En effet, cette supériorité et la domination de la culture européenne sur les quatre parties du globe ont empêché longtemps de parler des « cultures » au pluriel. Il fallait commencer à reconnaître la spécificité des cultures étrangères ainsi qu‟à différencier les diverses périodes historiques des nations et c‟est le mouvement romantique

265 But the process of change is so intricate , and the latencies of meaning are at times

so close, that it is not possible to give any definitive date. Ibidem, p. 88.

266 Ibidem, p. 89.

267 HERDER, Johan Gottfried, Culture et civilisation, Aetas Kantiana, Bruxelles, 1969.

qui a pris cette relève jusqu‟à arriver au concept du folk culture268. Au dix-neuvième siècle, les discussions autour de la domination culturelle ont conduit à repenser et condamner le nouveau caractère de la civilisation mécanique qui était en train d‟émerger. Le rationalisme abstrait et le manque d‟humanisme mené par le développement industriel ont conduit à différencier l‟humain et le matériel, le matériel et le spirituel, les machines -dépourvues des valeurs morales- et la valeur de l‟homme, sa dignité personnelle, son caractère, sa conscience et sa parole269. Le dix-neuvième siècle s‟ouvre sur le vingtième siècle avec un vocabulaire nouveau et la notion de culture s‟instaure dans le champ matériel (arts, architecture, monuments) pour fusionner avec le champ spirituel propre à la civilisation, l‟honneur, la gloire et le sentiment national270.

Nous avons donc trois manières de reconnaître la notion de “culture” à partir de l‟explication de Raymond Williams. D‟abord, la culture comme quelque chose d‟abstrait qui décrit le processus général d‟un développement intellectuel, spirituel ou esthétique. Puis, la notion de culture utilisée pour expliquer les formes de vie particulières d‟un peuple, d‟une période, d‟un groupe ou d‟un aspect de l‟humanité en général. Et enfin, la culture comme un substantif qui décrit les travaux et les pratiques d‟une activité intellectuelle et artistique concrète271. Selon Raymond Williams, c‟est la dernière catégorie qui a été employée le plus souvent. La notion de culture comprend donc la musique, la littérature, la peinture, la sculpture, le théâtre, le cinéma, et donc les expositions272.

268 WILLIAMS, Raymond. Keywords, Op.Cit., p. 89.

269 Voir la phrase d‟Edgard Quinet : « Aucune machine ne vous exemptera d'être Homme » dans la révolution religieuse au dix-neuvième siècle, 1857 et voir “Idées sur

la philosophie de l'histoire de l'humanité”, de J.G.Herder. Ouvrage traduite et

introduite par Edgar Quinet. Tome1-3, F. G. Levrault, Paris, France, 1827-1828.

270 WILLIAMS, Raymond. Keywords, Op.Cit., p.90.

271 Selon Raymond Williams, la première et dernière acception de culture que nous venons d‟étudier se trouvent conceptuellement proches. La deuxième acception devient plus complexe parce que : « in cultural anthropology the reference to culture

or a culture is primarily to material production, while in history and cultural studies the reference is primarily to signifying or symbolic systems ». Ibidem, p.91. (Le

soulignement existe dans le texte original).

272 Aujourd‟hui, dans le monde occidental, les activités de cet ordre sont gérées en général par un Ministère de la Culture qui administre les activités et le budget. Malgré tout, l‟utilisation de culture dans ce sens est assez récente par rapport aux anciennes

D‟après cette étude, la complexité sémantique de la catégorie de culture et ses références et changements périodiques, révèlent des positions intellectuelles puisque certains usages de la notion de culture ont provoqué des hostilités quand elle a été employée pour parler de culture en tant que connaissance supérieure ou raffinement. La distinction entre haute culture et culture populaire, entre art et divertissement, s‟est affirmée dans le milieu des hommes de lettre, des critiques sociales et littéraires273. Le problème, conclut Raymond Williams, n‟est pas dans la catégorie de culture en soi-même, mais dans « les usages du sens » qu‟on a utilisé pour l‟employer. Pour cette raison, Raymond Williams renvoie dans ses keywords à d‟autres notions qui sont en relation directe avec la catégorie de culture. Il renvoie à la notion d‟esthétique, d‟anthropologie, d‟art, de civilisation, de folklore, de développement, d‟humanité, de science et d‟Occident274.

Dans notre étude sur la construction du sens dans les expositions, nous prenons en compte cette évolution de la notion de culture et nous utilisons cette référence de Williams pour parler également du caractère social d‟un peuple, c‟est-à-dire, de culture en tant qu‟imaginaire collectif. Il faut ajouter que les études culturelles des musées que nous avons menées, se sont développées dans la culture occidentale. C‟est la raison pour laquelle nous voulons situer la définition du terme. Elle servira pour comprendre l‟intérêt de notre étude ainsi que le contexte de ses productions culturelles dans les musées. En effet, la notion « d‟occident » est utile pour expliquer comment se déroulent les enjeux hégémoniques à la fois dans le contexte américain comme dans le contexte européen.

La notion d‟Occident (ou Western dans son acception anglaise) est associée à la notion de culture, civilisation et développement. Raymond Williams explique que la notion d‟Occident se développe historiquement à travers le contraste géographique et social qui existe entre l‟Est et l‟Ouest275. Il

origines de la notion de culture. Ce dernier concept et son usage appartiennent aux idées et politiques du vingtième siècle, Ibid.

273 Ibidem.p.92.

274 Ibidem.p.93.

275 C‟est une opposition héritée d‟une logique antique. Elle remonte à la division de l‟empire romain du troisième siècle et se renforce avec la division interne de l‟église chrétienne au onzième siècle. De l‟époque médiévale émerge l‟idée de l‟Occident

ajoute que la distinction systématique et géographique de l‟Occident dans l‟Europe est une conception récente et propre au vingtième siècle. L‟usage de la notion Est/Ouest pendant la première guerre mondiale s‟établit pour marquer la division européenne avec les peuples d‟origine slave. Ils furent nommés peuples de l‟Est. Puis, la notion d‟Occident dans la deuxième moitié du vingtième siècle s‟explique à partir d‟une perspective politique. Pendant la deuxième guerre mondiale, l‟Ouest (l‟Occident) est identifié comme une société capitaliste, avec les idées de libre entreprise et à partir des alliances militaires des pays qui partagent les mêmes idées de planification économique. La société d‟abord chrétienne puis capitaliste fût donc considérée comme le modèle d‟une société « occidentale », qui se positionnait souvent face à l‟Est, qui est resté longtemps identifié comme une société socialiste, communiste ou bien sous l‟emprise des idéologies marxistes276. Si la notion d‟Occident commence à se transformer historiquement à partir du dix-huitième siècle, avec l‟opposition West-East, ce positionnement va changer les coordonnées de sa division pour instaurer une nouvelle forme de distinction : le Nord et le Sud. Cette nouvelle distinction rend plus complexe la définition de l‟Occident à partir de sa position géographique face à l‟Est277. L‟identification du Nord, par les sociétés développées, industrialisées et riches face aux sociétés du Sud, sous développées, peu industrialisées et pauvres, établit une nouvelle division multipolaire du monde. Ceci rend encore plus complexe le discernement et l‟usage des catégories comme celle de “culture”. En effet, il n‟est pas possible d‟établir la même comparaison entre les oppositions Est/Ouest et Nord/Sud parce que le poids historique de la notion d‟Occident (capitaliste et chrétien par tradition) s‟est forgé par opposition aux cultures qui ne partagent pas les mêmes éléments. Mais si l‟Occident a inventé sa propre frontière culturelle de manière géographique et par contraste avec les autres peuples et civilisations, quels sont donc les instruments pour analyser les transformations de la culture occidentale à l‟ère de la mondialisation ? Comment traiter les problématiques du “sens” dans les cultures des pays qui sont administrés par

comme chrétien ou gréco-romain et de l‟Orient comme islamiste. Ibidem, pp. 333-334.

276 Ibidem. p. 334.

des politiques de logique occidentale ? Comment aborder la construction du sens dans ses processus culturels si le capitalisme et l‟industrialisation réduisent les rapports de la société et la culture à l‟hégémonie du marché278?