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L’évolution du musée à l’aube de la modernité

Remarques finales

2. LES ORIGINES ET LE DEVELOPPEMENT DU MUSÉE

2.2 L’évolution du musée à l’aube de la modernité

Les objets précieux et d‟une grande importance commerciale ou culturelle ont toujours existé. L‟empire romain a gardé sous ses arcades plusieurs trésors de l‟Antiquité, mais la transformation de l‟empire sous l‟emprise chrétienne a stimulé également un changement de mentalité. Dans cette période qui dure plus de mille ans et qui va - selon le découpage de l‟histoire de la philosophie85- de la patristique jusqu‟avant la Renaissance, les objets de collection n‟existaient pas tels que nous les connaissons aujourd‟hui et ils ne répondaient pas à la même logique de conservation ni d‟estimation. Les objets prenaient de la valeur dans des contextes spécifiques et souvent en relation avec l‟histoire, le pouvoir et la ferveur des peuples et des régions. L‟appréciation des objets hors du fait religieux était perçue comme une idolâtrie, c‟est-à-dire, comme une activité inacceptable pour les régimes dogmatiques de l‟époque86. En général, les objets et les images appréciés de l‟époque portaient une signification religieuse digne de l‟imaginaire de ce temps. La richesse de l‟objet était liée également à la valeur de l‟argent, c‟est-à-dire, les objets précieux étaient les objets (en or) qui gardaient une forte correspondance avec la foi et la croyance :

« Pour les premiers Chrétiens, comptent, plus que tout, les pieuses statues et les reliques : les restes de la croix du Christ, de sa couronne d‟épines, des fragments du voile de la vierge, ou des os des saints… Au Moyen Âge, on leur voue un culte immodéré, car ces reliques sont censées assurer de bonnes récoltes, protéger des épidémies, des infirmités, des calamités en tout genre. Elles attirent les pèlerins et constituent une source importante de revenus pour la ville qui les possède. Aussi sont-elles âprement disputées. On ne recule ni devant le vol ni devant le meurtre pour se les procurer.

85 ABBAGNANO, Nicola. Storia della filosofia, Volume Secondo, La Filosofia Medioevale, la Patristica e la Scolastica, Editore TEA, Milano, 1996.

86 Ce sont les mêmes régimes qui dictent les interprétations autorisées de la sententia et du sensus littéralis.

Ces restes saints sont contenus dans des reliquaires ou des châsses d‟or, d‟argent, incrustés des pierres précieuses et de perles et conservés au sein des cathédrales, des monastères ou des églises. Accumulés en « trésors », ces objets constituent les premiers dépôts d‟œuvres d‟art de la chrétienté. On y conserve les reliques, mais aussi les pièces d‟orfèvreries liturgiques, les calices, les ciboires, les manuscrits avec leur reliure ouvragée, les jeux de tapisseries qui servent à décorer l‟église lors des grandes fêtes religieuses. Des objets d‟arts antiques ou venus des pays lointains, de l‟Orient et même de l‟Extrême-Orient, considérés comme infiniment précieux et acquis à grands frais, sont réutilisés, transformés, détournés de leur fonction

initiale87 ».

Si la figure du musée ne se développe pas pendant le Moyen Âge, c‟est en raison du moralisme médiéval qui essayait d‟interdire les « muses » et les divinités de la Grèce antique dans l‟imaginaire chrétien. L‟architecture en est la preuve parce que dans l‟Europe médiévale, des temples se sont construits, des églises, des cathédrales mais aucune construction de musée n‟a eu lieu. La visite des musées nationaux des pays comme le Portugal, l‟Espagne, la France, la Belgique, l‟Italie et l‟Angleterre permet de constater la représentation des sujets propres à l‟époque comme par exemple : la vierge à l‟enfant, la vie des Saints et le calvaire du Christ entre autres. Aujourd‟hui, les objets, les peintures et les images de cette époque ont trouvé leur place dans les collections publiques des musées européennes et ils constituent une partie de l‟identité et du patrimoine de l‟Europe car :

« En créant l‟esthétique, l‟histoire de l‟art et le musée, nous avons converti les objets en œuvres d‟art et fondé

87 POULOT, D. Op.Cit., p. 17.

notre patrimoine : nous avons inventé la conservation

comme le corollaire de notre besoin d‟éternité88 ».

La Renaissance italienne puis européenne signe une nouvelle période pour le développement des musées. Lorsque les croyances médiévales s‟achèvent, les hommes commencent à valoriser les objets en raison de leur beauté ou de leur rareté. Les fondements du musée d‟inspiration grecque serviront à l‟expansion des musées et collections de la Renaissance. Nous assistons à la désacralisation de l‟objet qui retrouve sa valeur dans sa propre matière et forme. L‟esprit du divin n‟est plus la principale raison pour collectionner les objets. L‟Italie devient le fer de lance de cette transformation. À l‟époque, l‟art renaissait avec un goût pour l‟Antiquité. L‟Italie de la fin du Moyen Âge découvrait le monde ancien traduit du Grec. La curiosité millénaire réapparaissait ainsi que le goût pour la découverte des régions lointaines. L‟homme s‟est placé au centre de l‟univers et a déplacé son imaginaire vers un continent méconnu : l‟Amérique. Le rapport au corps s‟est métamorphosé. La nudité humaine est apparue sur les murs des églises. Leonard de Vinci a dessiné l‟anatomie de l‟homme de la renaissance et a commencé à tracer des routes de navigation à l‟intérieur de l‟Italie. À partir de la deuxième moitié du quatorzième siècle une mutation radicale s‟est opéré face au monde du moyen âge. L‟homme de la Renaissance a découvert un esprit de liberté, d‟autonomie et de rationalité. Les hommes de la Renaissance se voyaient profondément inscrits dans la nature et dans l‟histoire de rapports politiques, artistiques, historiques et humains. Cela a donnée naissance à une nouvelle science expérimentale89. La curiosité, le goût et la recherche des phénomènes et des objets étrangers est devenu à l‟ordre du jour. Les objets singuliers ont acquis une nouvelle valeur matérielle qu‟il fallait admirer, découvrir et exhiber :

« Milan, Venise, Vérone, Ferrare, Bologne, Naples, dans chaque ville d‟Italie, princes et riches bourgeois, érudits et amateurs amassent de grandes collections

88 DELOCHE, Bernard. Museologica. Contradictions et logique du musée, éditions W, MNES, France, 1989, p.21.

89 ABBAGNANO, Nicola. Storia della filosofia, Volume Terzo, La Filosofia del Rinascimento, Op.Cit,

d‟œuvres d‟art, d‟antiquités et d‟objets de toute

nature90 ».

Le fait de posséder des objets remarquables traduit le pouvoir économique des élites. Les objets procurent plaisir et privilèges. À Florence, c‟est la famille des Médicis qui possède ces collections et bibliothèques sans égal : « Les Médicis, princes de Florence ; comme les autres familles

d‟Europe, ont fait un commerce de la splendeur en s‟entourant eux-mêmes

d‟artistes et d‟artisans de grande valeur »91. Plus tard, mais toujours sous le

pouvoir des Médicis, a eu lieu la construction des célèbres « Offices » de Giorgio Vasari. Ils sont considérés comme le premier musée public d‟Europe. Les peintures et les sculptures antiques ainsi que l‟art mobilier ont été exposés pour la première fois « […] à toute personne qui en fait la demande, comme le

précis un guide de Florence publié en 159192 ».

Le centre du monde n‟est plus la société cléricale mais une humanité éblouie qui s‟extasie devant des objets exotiques et qui commence à stocker des os d‟animaux, des pièces rares, de métaux, de plantes et de bijoux venus d‟ailleurs. À cette époque, l‟intérêt des Européens est centré sur la figure de l‟homme italien de la Renaissance. L‟italophilie se répand dans les pays voisins et: « Toute l‟Europe se met à collectionner. C‟est l‟époque des cabinets

d‟amateurs ; chaque prince, chaque duc, chaque comte veut avoir son Kunst

und Wunderkammern (cabinet d‟art et de curiosités) 93».