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2 Quelques considérations phonologiques autour du ton

2.2. La structure autosegmentale du ton, les traits tonals et le sandhi tonal

2.2.3. Sandhi tonal

Dans un énoncé d‟une langue tonale, le locuteur produit en général une séquence de tons lexicaux. Pour des raisons linguistiques et métalinguistiques, les tons dans cette séquence ne peuvent pas toujours garder leurs valeurs mélodiques canoniques. Ils connaissent des modifications en suivant deux types de règles : les règles phonétiques (ou bien les règles naturelles diachroniques) et les règles morphophonémiques (ou

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bien les règles naturelles synchroniques) (Hyman 1975, 2007, Hyman et Schuh 1974).

Ces règles assurent la stabilité de la valeur sémantique des tons lorsque leurs propriétés acoustiques connaissent des changements. Bien entendu, ces règles varient d‟une langue à une autre.

On appelle ce phénomène le « sandhi tonal ». Il est plus fréquent dans certaines langues tonales et moins fréquent dans d‟autres, et à l‟intérieur d‟une langue tonale, il peut arriver à un certain ton plus souvent qu‟aux autres. En mandarin, par exemple, le ton 3 est considéré comme étant le plus touché par le phénomène de sandhi tonal. Il est souvent difficile de connaître les règles qu‟il suit vu la complexité que ce phénomène présente. La matrice des règles varie d‟une langue tonale à l‟autre. Elle varie en fonction de différents facteurs mis en jeu, et aussi selon les différentes formes sonores produites.

Toutes les modifications tonales ne sont pourtant pas sandhi. Les changements tonals non-sandhi sont ceux provoqués par la morphologie dérivationnelle (par ex. 把 /pa/

porte le ton 3 lorsqu‟il signifie « tenir » mais porte le ton 4 lorsqu‟il signifie

« poignet »), ou par la morphologie flexionnelle (par ex. dans 孩 子 /hai tsɿ/ « enfant », la séquence tonale T2_T3 devient T2_ø puisque 子 /tsɿ/ est un suffixe ou radical ajouté). Les changements tonals des syllabes atones ne sont pas non plus considérés comme un sandhi tonal. Autrement dit, le sandhi tonal est avant tout la conséquence de règles phonologiques. Ainsi, les changements tonals dont les règles ne se situent pas au niveau phonologique ne sont pas considérés comme sandhi tonal.

Pike (1948) affirme que la modification tonale du type sandhi a lieu dans les situations suivantes : a) un ton produit isolément peut connaître un sandhi tonal lorsqu'il se trouve dans un énoncé ; b) un ton peut être remplacé par un autre pour marquer une modification morphologique et c) une différence syntaxique ; d) il peut connaître une substitution simplement pour des raisons bio-mécaniques ; e) il peut se faire remplacer dans des cas exceptionnels et irréguliers ; f) il peut connaître un sandhi tonal pour des raisons non-linguistiques, etc.

En ce qui concerne l‟apparition du sandhi tonal, Kratochvil (1968) a précisé que certains tons sont plus sensibles que d'autres dans certaines conditions, par exemple, le ton 3 et le ton 4 du mandarin sont plus sensibles que les autres tons au contexte

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phonétique. Cela montre que la nature des tons eux-mêmes fait partie de la matrice des règles du sandhi.

Duanmu (1990) a redéfini le sandhi tonal comme étant le résultat de perturbations tonales dans le discours courant, incluant la coarticulation tonale, l‟influence intonative et les changements tonals conditionnés morphologiquement.

Par commodité, nous n‟allons pas détailler les règles phonologiques qui gouvernent le sandhi tonal, nous présenterons plutôt de manière générale les modifications sandhi du mandarin, et éventuellement celles d‟autres langues chinoises dans une optique comparative.

Certains chercheurs constatent que dans une séquence de tons, l‟effet du sandhi tonal peut s‟étendre à toute la séquence du ton, suivant certaines règles géométriques. Parmi les langues chinoises, il en existe certaines qui ne connaissent aucun sandhi tonal.

Parmi celles qui en connaissent, on peut distinguer en gros deux catégories : right-dominant sandhi et left-right-dominant sandhi (Chen 2000, Zhang 2007). Le mandarin, les dialectes du nord de la Chine, les dialectes Wu du sud, les dialectes Min etc. se caractérisent par le right-dominant sandhi. Dans ces langues, le sandhi tonal d‟un groupe lexical contenant plusieurs syllabes tombe sur les syllabes non finales alors que le ton de la syllabe finale (qui est la syllabe dominante dans le sandhi) ne connaît pas de modification. Et vice versa, dans les langues qui possèdent le left-dominant sandhi, par exemple, les dialectes Wu du nord, le ton de la syllabe initiale d‟un groupe lexical ne connaît pas de modification tandis que l'effet du sandhi tonal se manifeste sur les tons des syllabes suivantes. Il a été montré que ces deux types de sandhi tonal apparaissent pour des raisons différentes : un right-dominant sandhi semble inclure les modifications tonales contextuelles ou paradigmatiques, alors qu‟un left-dominant sandhi inclut plutôt l‟extension du premier ton à droite de la syllabe initiale (Zhang 2007). D‟ailleurs, un right-dominant sandhi présente souvent une neutralisation des tons des syllabes non-finales (Zhang 2002), alors qu‟un left-dominant sandhi présente plutôt une sorte d‟assimilation partielle.

De plus, le sandhi tonal présente une nature cyclique, telle que celle du ton 3 du mandarin (Pike 1948, Shih 2007). En observant une séquence de ton 3, on peut constater que le sandhi tonal s‟arrête sur une certaine syllabe et reprend sur la syllabe

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suivante, par exemple, dans la phrase 你有酒瘾我也有酒瘾。(Tu es alcoolique et je suis aussi alcoolique.), les 9 tons 3 en chaîne deviennent 2-3-2-3-2-2-3-2-3.

Quant aux performances des tons dans le sandhi, Pike (1948) a séparé deux types de performances dans le sandhi tonal : a) une substitution d'un ton par un autre ; b) une modification non-phonémique exigée par le contexte.

Dans la situation de substitution tonale, la forme sonore du ton, sous l'effet du sandhi, est complètement substituée par celle d'un autre ton. Malgré cette substitution, la valeur sémantique que le ton présente est conservée. Ce type de sandhi tonal peut apparaître lorsqu‟on compare un ton produit dans un mot isolé avec ce même ton produit dans un énoncé, ou lorsque les règles exigent arbitrairement une substitution.

De plus, ce type de sandhi inclut également le cas où un ton d'une syllabe est supprimé et que cette syllabe devienne atone (ou bien, portant un ton neutre, si l‟on adopte la notion de « ton neutre »). Ce cas peut être dû à la position de la syllabe dans le groupe rythmique.

En cas d‟une modification non-phonémique du ton, la modification porterait plutôt sur le niveau de la forme phonétique du ton. Pike (1948) les résume dans les types suivants :

(1) Le locuteur change d'octave de la voix dans la production du ton (pour des raisons émotionnelles ou stylistiques, par exemple).

(2) Dans un système tonal à registres, l‟intervalle entre les registres peut s‟étendre (pour des raisons intonatives, par exemple).

(3) La forme acoustique d‟un ton varie librement (c‟est-à-dire une variation allotonique).

(4) Un tonème est modifié selon sa position dans la séquence lexicale ou dans l'énoncé, ou sous l'influence de la coarticulation des tonèmes voisins.

Le sandhi tonal intéresse les phonologues car il permet de comprendre la structure géométrique du ton, ainsi que les règles phonologiques qui le gouvernent. Il pose des questions intéressantes sur l‟interface entre le niveau phonologique et le niveau grammatical. Comme il est mentionné ci-dessus, le sandhi tonal peut tout-à-fait dépasser le cadre d‟une structure tonale et s‟étendre à l‟entourage immédiat. En fait, le

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cadre que les règles du sandhi tonal peuvent couvrir varie d‟une unité de stress sublexicale à une structure intonative (Chen 2002, Shih 1997).

Nous nous intéressons spécialement ici à la performance de la structure géométrique du ton dans le sandhi tonal. Nous citons ici un exemple du sandhi dans une séquence dissyllabique que Chen (2000) a analysée en zhenhai, un dialecte chinois qui possède six tons à contour. Une séquence dissyllabique tombe souvent sur deux patterns : SW (Strong-Weak pattern) et WS (Weak-Strong pattern), ressemblant plus ou moins à une sorte d‟accent tonique. La position de cet « accent » est déterminée par les propriétés des tons concernés (par ex. le ton à un registre plus bas semble être « faible », ou bien,

« inaccentué »), ainsi que par les frontières syntaxiques (Rose 1990). En général, les unités tonales suivent le principe de TSA (Tone-to-Stress Attraction) (Hayes 1995, Chen 2000, De Lacy 2002, Smith 2000) : l‟unité tonale du ton faible peut se détacher de ce dernier et rejoindre le ton fort. Deux effets observés méritent notre attention dans cet exemple, il s'agit de : l‟effet de marge (edge effect) et l‟effet d‟intégration (integrity effect). Sous l‟effet de marge, on observe le contour tonal se décomposer en petites unités de registre et que celles proches de la frontière des deux tons se détachent d‟une structure tonale et rejoignent l'autre. Sous l'effet d'intégration, on observe plutôt le contour tonal se détachant d‟une structure tonale, laissant un trait de registre seul dans cette dernière, pour s‟intégrer dans l‟autre structure tonale modifiant éventuellement la forme sonore de cette structure. De plus, la structure de la syllabe qui porte le ton influence également la forme finale du ton. Nous supposons que ce phénomène est lié au nombre ou au volume de TBU que la syllabe contient.

2.3. Les formes sonores/acoustiques de surface des aspects tonals, la

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