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2 Quelques considérations phonologiques autour du ton

2.1. Définition du ton dans les langues à tons

2.1.2. Définition et catégorisation du ton lexical

Pour éviter de confondre la notion du ton avec celle qui évoque un type de modalité (qui est aussi appelé « ton » dans certaines recherches prosodiques), nous emploierons dans cette étude le terme de « ton lexical » qui correspond au phénomène que nous étudions.

Dans les recherches citées supra dans la section 2.1.1., on voit grosso modo la trajectoire principale que la définition du ton a suivie au cours des années.

En général, un ton lexical s'identifie par un pitch significatif au niveau lexical et varie selon un certain pattern. Autrement dit, la conservation et la diffusion d‟informations sémantiques s‟effectuent à travers la valeur tonale du pattern du pitch lexical.

Welmers (1959) a attribué au pitch tonal le statut de « phonème » et considère que le

« pitch phoneme » et les phonèmes segmentaux entrent simultanément dans la composition du morphème. Cette définition a été légèrement modifiée par Hyman (2001, 2006) qui souligne que la réalisation du ton sur un morphème respecte, avant tout, des règles phonologiques lexicales. Autrement dit, quel que soit le cadre où se réalise le ton, segmental ou syllabique, le ton n‟est pas subordonné à ce cadre mais à la composition lexicale.

16 Cet exemple a été cité par Zhu (2010).

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Dans l‟évolution de la définition du ton, le progrès qui a eu lieu est très important pour notre recherche. Dans de nombreuses recherches, le pitch a été considéré naturellement comme l'indicateur principal et unique du ton lexical. Dans les recherches qui tentent de séparer les phénomènes tonals des autres phénomènes prosodiques, il nous semble que le ton est compris comme étant monodimensionnel, et qu‟il se distingue des autres composantes prosodiques de l‟énoncé sur ce point.

Hyman (2001, 2006, 2007) a souligné ainsi, dans sa définition des langues tonales, que le ton se réalise non seulement par le pitch mais aussi par « une indication du pitch ». Cette définition permet d‟inclure davantage d‟aspects acoustiques dans la caractérisation des patterns tonals. Elle s‟adapte à la variabilité de la parole qu'on trouve au niveau phonétique, allant ainsi dans le sens de nos intuitions de présence d'une stabilité relative qui serait corrélée à la valeur tonale, et cela pour tous les paramètres que nous étudierons.

En ce qui concerne le rapport entre le pitch et le sens lexical évoqué supra dans les langues, ce rapport s‟appuie sur différents aspects du pitch. Pike (1948) a séparé deux types de base de systèmes tonals selon la dimension du pitch appuyée :

 Le système de registre du pitch (level-pitch register system).

 Le système de contour du pitch (gliding-pitch contour system).

Les systèmes tonals plus complexes peuvent être considérés et analysés en tant que combinaisons de ces deux types de base.

Système de registre du pitch (Level-pitch register system)

La fonction phonologique d‟un système de registre du pitch repose sur la hauteur relative du pitch que le pattern tonal présente. Dans une langue tonale qui possède un tel système, on divise l‟étendue musicale de la voix que l‟individu met à la disposition tonale en un certain nombre de registres. Ces registres sont en contrastes phonologiques entre eux. Ainsi, un mot prononcé avec une voix dans un registre se différencie d‟un mot prononcé avec une voix dans un autre registre. Le nombre de registres en contraste varie d‟une langue à l‟autre. Chez la plupart des systèmes de registre et des systèmes dont la base contient des traits à registre, le nombre de registres se situe entre deux et quatre, puisqu‟au-dessus de quatre registres il sera difficile de créer des contrastes significatifs perceptibles. Par exemple, les langues

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apaches17 (Hoijer 1938) disposent de deux registres en contraste dans leurs systèmes tonals, le mixteco18 (Pike 1945b) et le sechuana19 (Jones 1927) ont des systèmes à trois registres alors que le mazateco20 (Pike 1948) et le jabo21 (Sapir 1931) ont des systèmes à quatre registres. Ward (1939) et Yip (2002) ont tous constaté que le nombre de registres dans une langue tonale permet à peine de créer des contrastes s‟ils sont au-dessus de quatre. Ainsi, dans un système de registres, un ton se distingue des autres principalement par son registre. Le ton n‟a pas nécessairement un contour plat mais la trajectoire du pitch ne dépasse pas les frontières du registre où il réside, ce qui fait qu‟il n‟a pas de poids phonologique.

Bien entendu, chaque individu a différentes contraintes articulatoires et auditives. Il n‟existe donc pas de valeur absolue, ni d'étendue figée pour les registres dans une langue tonale. Les contrastes entre eux se réalisent en décalage de pitch entre les unités lexicales. En production, ainsi qu‟en perception de la parole, ces contrastes s‟adaptent au contexte et à l‟environnement, et peuvent se réaliser avec une certaine élasticité, notamment lorsque le locuteur change la hauteur de la voix, ou lorsqu‟il s‟agit de variantes individuelles.

Dans les recherches sur les langues tonales africaines, les tons à registres sont aussi appelés « les tons fixes » ou « les tons ponctuels » (Boyeldieu 1998, Creissels 2013).

Différents des tons à registres dans les langues asiatiques qui sont souvent associés aux contraintes syllabiques, les tons fixes ou ponctuels dans les langues africaines sont plutôt indépendants des segments auxquels ils sont associés.

Système de contour du pitch (Gliding-pitch contour system)

Très différent du type précédent de systèmes tonals, la fonction phonologique de ce deuxième type s‟appuie sur le contour mélodique du ton. C‟est toute l‟évolution du pitch au fil du temps dans la réalisation du ton qui transmet des informations lexicales ou grammaticales. Sapir (1938, cité par Pike 1948) a exprimé son point de vue sur la

17 Les langues apaches sont une sous-famille des langues athapascanes. Elles sont parlées dans la partie sud-ouest de l‟Amérique du Nord.

18 Le mixteco représente un ensemble de langues de la famille des langues otomangues. Il est parlé au Mexique.

19 Le sechuana, ou bien, le tswana, est une langue bantu parlée au Botswana.

20 Le mazateco représente en fait un ensemble de langues qui ont des liens étroites, pratiquées au Mexique.

21 Le jabo est une langue kru qui est parlé au Libéria et au Sierra-Leone.

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nature des tons à contour. Selon lui, le contour n‟est pas celui de la trajectoire du mouvement de la hauteur de la voix d‟un point à l‟autre, mais plutôt la direction de ce mouvement, et la réalisation d‟un ton à contour ne consiste pas à récupérer la hauteur du pitch à des points de repères temporels : c‟est la direction évolutive du pitch qui donne une « sensation » auditive concernant la valeur tonale. De ce fait, il soutient la reconnaissance de purs systèmes tonals à contour qui sont indépendants des registres.

Pike en a ressorti à quelques différences entre les systèmes de registres et les systèmes de contours :

―1) The basic tonemic unit is gliding instead of level.

2) The unitary contour glides cannot be interrupted by morpheme boundaries as can the nonphonemic compounded types of a register system.

3) The beginning and ending points of the glides of a contour system cannot be equated with level tonemes in the same system, whereas all glides of a register system are to be interpreted phonemically in terms of their end points.

4) In the printed material examined, contour systems had only one toneme per syllable, whereas some of the register-tone languages, like the Mazateco, may have two or more tonemes per syllable. In a pure contour system, then, the glides are phonologically unitary, morphologically simple, and not structurally related to a system of level tonemes ; the glides are minimum structural units of length in words and syllables.‖ (Pike 1948 : 8)

Dans ce paragraphe, Il a précisé que dans un système tonal de contour, la valeur tonale existe dans le mouvement du pitch. Un tonème du type contour se réalise en un seul contour du pitch insécable. Dans un système tonal qui mélange les deux types de bases, le début et la fin de ce contour ne sont pas équivalents phonologiquement des registres tonals. De plus, pour une langue tonale purement du type contour, le contour tonal est également l‟unité minimale temporelle dans la construction des mots et des syllabes, et ne peut pas être perturbé par les frontières morphonologiques. Un système tonal de contour présente un seul tonème par syllabe, différent des systèmes registre-contour qui peuvent en présenter deux ou plus.

Les types de contours mélodiques les plus souvent observés dans ce type de systèmes tonals sont le contour montant et le contour descendant. Toutefois la majorité des

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systèmes contiennent plus que deux types de contours. Souvent, on peut observer un contour tonal plus complexe, par exemple, un contour montant-descendant ou descendant-montant, et parfois un contour zero-glided (contour plat). De plus, dans la littérature sur la tonologie se trouvent des tons qui présentent le même contour mélodique, mais la différence réside dans la vitesse et le timing de variation du pitch.

Ce type de phénomènes implique que la durée du segment sonore portant le ton soit aussi concernée par la distinction tonale. Par exemple, Wang (1985) a décrit, dans les anciennes langues chinoises, les tons « entrants » longs et courts qui se chevauchent respectivement sur des voyelles longues et brèves, et donc se distinguent par leurs durées.

Dans les recherches sur les langues africaines, les tons qui présentent une variation du pitch sont appelés les tons modulés. Comparés aux tons mélodiques des langues asiatiques, dans lesquels l'orientation mélodique est prise en compte en tant que trait tonal, les tons modulés sont plus rares, plutôt une conséquence du phénomène de coalescence (Boyeldieu 1998, Liu 2008, Creissels 2013).

Systèmes registre-contour (Registre-contour systems)

Entre les deux types de systèmes tonals présentés ci-dessus, malgré leur différente manière de fonctionner, l'existence de l'un n'exclut pas celle de l'autre. En fait, dans de nombreuse langues tonales, les deux types de traits tonals cohabitent, et les valeurs tonales s‟attachent au contour mélodique du pitch autant qu‟au registre/aux registres que ce contour couvre. C‟est-à-dire qu‟un tel ton présente une variation significative du pitch qui se limite à un certain registre, ou traverse par nécessité plusieurs registres. Différent d‟un pur ton à contour dont seule la direction évolutive du pitch importe, les valeurs du pitch au début et à la fin d‟un ton du type combinatoire sont aussi à prendre en compte, si l‟on qualifie le contraste en registres que ce ton présente.

Dans un tel système, il est possible d‟avoir un inventaire de tons plus riche, puisque le contraste entre les tons peut se créer sur une double dimension.

Le mandarin possède un tel système tonal. Toutefois, dans ce type de système tonal, la structure géométrique des traits, à l‟intérieur du ton est plus complexe que celle

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apparaissant dans un système tonal monodimensionnel22. Nous y reviendrons dans la prochaine section.

2.2. La structure autosegmentale du ton, les traits tonals et le sandhi

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