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Représenter le clergé : la convocation des États générau

théologique, canonique et historique

1.1.1. Représenter le clergé : la convocation des États générau

Le 24 janvier 1789, le règlement donné par Louis XVI pour la convocation des États généraux marque l’entrée en Révolution des chapitres cathédraux. Tandis que le roi appelle aux assemblées du clergé « tous les bons & utiles Pasteurs qui s’occupent de près & journellement de l’indigence & de l’assistance du peuple, & qui connoissent plus intimement ses maux & ses appréhensions », c’est-à-dire tous les curés, l’article X du règlement ne prévoit qu’une bien plus faible représentation des chanoines :

Il sera tenu dans chaque Chapitre séculier d’hommes une Assemblée qui se séparera en deux parties, l’une desquelles, composée des Chanoines, nommera un Député à raison de dix Chanoines présens & au-dessous ; deux au-dessus de dix jusqu’à vingt, & ainsi de suite1.

Cette mesure, qui rend pratiquement impossible l’élection de députés chanoines2, provoque au printemps 1789, alors que les députés de l’ordre du clergé ont déjà été désignés, un mouvement de protestation des chapitres de France. Le chapitre métropolitain de Notre- Dame de Paris, s’il n’est pas le premier à dénoncer le règlement, joue un rôle décisif dans cette mobilisation. Le 17 avril, lors de la réunion ordinaire du chapitre, est lue une lettre du chapitre

1 A.N., L541, Lettre du Roi pour la convocation des États-Généraux à Versailles le 27 avril 1789, et règlement y

annexé, 1789.

2 Le chapitre de Chartres relève ainsi (A.N., L542, Extrait des registres capitulaires de l’Église de Chartres, 22

avril 1789, p. 8-9) que 76 chanoines et 17 dignitaires n’ont que cinq députés à l’assemblée du baillage, où trois cents curés possèdent voix individuelle.

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de Tours, qui proteste contre les clauses du règlement1. Dès le lendemain, les chanoines de Paris protestent à leur tour contre un règlement « contraire aux principes, aux bonnes règles, aux loix & à la justice distributive2 », qui accorde à de simples chapelains à peine initiés dans les ordres sacrés une meilleure représentation qu’aux membres des chapitres et à leurs dignitaires. Les chanoines font imprimer leur protestation et la diffusent largement en en expédiant des exemplaires au roi, aux ministres, aux principaux magistrats, à tous les évêques, à leurs chapitres, à diverses collégiales, aux séminaires, aux maisons de Sorbonne et de Navarre, à l’université, aux bibliothèques publiques, aux chefs d’ordres3. Cette initiative entraîne la multiplication des protestations de chapitres cathédraux contre le règlement du 24 janvier4.

Les protestations sont en partie motivées par des arguments d’ordre temporel. Ainsi le chapitre de Paris entend-il défendre la « place éminente » qu’il occupe dans l’ « ordre des propriétaires5 », tandis que les chanoines de Dijon invoquent les « droits sacrés de la propriété6 », bafoués par un règlement qui ne tient aucun compte des revenus et des propriétés attachés aux différents bénéfices. Le chapitre d’Auxerre dénonce l’injustice qu’il y a à accorder à un sous-diacre « sans revenu » un suffrage équivalent à celui de dix chanoines7. Le chapitre d’Apt note que les intérêts personnels des différents membres de l’ordre du clergé sont très différents, voire opposés :

Les Chapitres des Cathédrales sont Décimateurs, & comme tels débiteurs des Curés auxquels ils payent des portions congrues susceptibles d’augmentation : or l’intérêt du débiteur n’est pas le même que celui du créancier8.

De même, pour le chapitre d’Angers, le choix de la totalité des députés dans une seule classe ne peut que nuire à l’intérêt général du clergé en rompant l’équilibre entre les différents intérêts particuliers9.

Cependant, si ces arguments temporels ne sont pas négligeables, les raisons alléguées par les chanoines sont avant tout ecclésiologiques. Pour les chanoines, la défense de l’ordre

1 J. MEURET, Le chapitre de Notre-Dame de Paris en 1790, op. cit., p. 177.

2 A.N., L541, Protestation du chapitre de l’Église de Paris, contre le Règlement fait par le Roi, pour l’exécution

des Lettres de Convocation aux États-Généraux, du 24 Janvier 1789, p. 5.

3 A.N., L542, Relevé de la correspondance des chapitres du royaume avec le chapitre de l’Église, 1790. 4 Sur les liens tissés entre les chapitres à cette occasion, voir partie II, chapitre 1.

5 A.N., L541, Protestation du chapitre de l’Église de Paris, p. 11-12. Le chapitre métropolitain de Toulouse

s’exprime en termes comparables (A.N., L542, Représentations et Protestations du Chapitre de l’Église

Métropolitaine de Toulouse, 1789, p. 15).

6 A.N., L542, Réclamations et Protestations de l’Église de Dijon, 1789, p. 4.

7 A.N., L542, Représentations du chapitre d’Auxerre au Roi, au sujet du règlement du 24 janvier 1789, p. 10. 8 A.N., L542, Représentations du Chapitre de l’Église Cathédrale d’Apt, adressée au Roi, au sujet du Règlement

du 24 Janvier, p. 7-8.

9 A.N., L542, Précis des réclamations, protestations et significations faites par le chapitre de l’église d’Angers,

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social est en effet indissociable de celle de l’ordre hiérarchique1 : le règlement est « contraire à la hiérarchie et à la religion2 ». Les chapitres dénoncent avant tout dans le règlement du 24 janvier une atteinte et un renversement complet de la hiérarchie de l’Église, qui place à égalité la « classe inférieure » des ministres avec la « classe supérieure3 » : la quantité des suffrages l’emporte sur le rang tenu dans l’Église, au mépris de sa constitution. Or, estime le chapitre d’Auch,

C’est l’Église entière qu’on a incorporée à la Monarchie, & qui est devenue une partie intégrante & une des colonnes de l’État ; c’est l’Église constituée en corps d’Église, à qui cette prérogative appartient, & qui doit l’exercer ; ce ne sont pas seulement des Citoyens revêtus du Sacerdoce, qui sont appelés aux États-généraux, en vertu de leur droit de Cité, ou de leurs Droits politiques4.

Ainsi, le règlement pour la convocation des États généraux pose de manière aiguë, à l’intersection du spirituel et du temporel, le problème de la représentation de l’Église : qui représente le clergé ? Pour les chanoines, le clergé n’est pas une collection d’individus, mais un corps et une hiérarchie divinement instituée. Il est donc absurde de prétendre le représenter en ne tenant aucun compte des droits du premier ordre. L’évêque est en effet le chef nécessaire qui « possède toute l’autorité nécessaire pour gouverner5 ». Dès lors, il « ne peut, ni ne doit subir la loi de ses inférieurs, dans l’ordre de la Religion & de la discipline Ecclésiastique6 ». Les chanoines dénoncent tout d’abord dans le règlement une subversion de la hiérarchie, qui soumet les premiers pasteurs, représentants naturels de leurs Églises, au suffrage de leurs subordonnés. Les membres des chapitres s’affirment donc comme des défenseurs résolus de l’autorité épiscopale. Ainsi le chapitre de Paris demande-t-il dans ses cahiers de doléances que soit assurée une représentation suffisante des évêques, qui « réponde à l’autorité épiscopale & à l’éminence de son caractère ». Les chanoines invitent donc le roi à convoquer aux États généraux, en plus des députés élus, plusieurs évêques de chaque métropole7.

La défense du premier ordre, cependant, semble cependant n’être pas un motif suffisant d’opposition à l’article X du règlement, relatif non au rang des évêques, mais à la

représentation des chanoines dans les assemblées du clergé. En effet, écrivent dans leur protestation les chanoines de Paris,

1 Voir par exemple A.N., L543, Représentations que fait à Sa Majesté le Chapitre de la Sainte Église

Métropolitaine de Tours, 1789, p. 4.

2 A.N., L542, Lettre du chapitre d’Amiens, 7 juin 1789.

3 A.N., L541, Protestation du chapitre de l’Église de Paris, p. 6.

4 A.N., L542, Représentations et protestations que fait à Sa Majesté le Chapitre de l’Église Primatiale &

Métropolitaine d’Auch contre le Règlement du 24 janvier 1789, p. 6.

5 Ibid., p. 5.

6 A.N., L542, Représentations du chapitre d’Auxerre au Roi, au sujet du règlement du 24 janvier 1789, p. 19. 7 A.N., L541, Cahiers de l’Église de Paris, 1789, p. 8.

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Jamais l’expression de haut & de bas clergé n’a été employée dans l’église. […] La seule distinction qui ait existé jusqu’à présent, est celle de premier ordre & de second ordre1.

Une telle conception devrait tout au plus justifier une représentation équivalente des chanoines et des curés. Pourtant, les chapitres se considèrent au contraire comme les plus aptes à représenter leurs Églises aux côtés des évêques : ainsi le chapitre de Bourges se plaint-il de n’avoir pu, pour la première fois, envoyer aucun député aux États généraux2, tandis le chapitre d’Angoulême dénonce des dispositions qui rendent « illusoire » la « representation des chapitres & des premiers superieurs », dont la cause est manifestement considérée par les chanoines comme commune3. Loin de se réduire à de simples collèges de prêtres du second ordre, les chapitres cathédraux constitueraient dans la hiérarchie un échelon intermédiaire entre l’épiscopat et les curés. Le chapitre métropolitain de Bordeaux désigne ainsi les chapitres des églises cathédrales comme une « partie essentielle de la hiérarchie4 » ; pour les chanoines de Besançon, ces chapitres sont des « corps utiles » qui sont « en quelque sorte dans la hiérarchie, ce que les corps intermédiaires sont dans l’état5 ».

Le rang tenu par les chapitres cathédraux dans la hiérarchie, reconnu par les chapitres collégiaux qui adhèrent à la protestation du chapitre de Notre-Dame de Paris6, découle pour les chanoines de leurs prérogatives dans l’administration diocésaine. En effet, si les chapitres se désignent comme les « plus zélés défenseurs » de la juridiction épiscopale, c’est parce que l’Église leur en confie l’exercice pendant la vacance du siège7. Les chapitres sont ainsi nombreux à reprendre les termes du concile de Trente, qui les désigne comme le sénat et le conseil-né de l’évêque8. Conduits à prendre part par leurs avis au gouvernement des diocèses

1 A.N., L541, Protestation du chapitre de l’Église de Paris, p. 17.

2 A.N., L542, Représentations que fait à Sa Majesté le Chapitre de la Sainte Église Primatiale & Métropolitaine

de Bourges, sur le Règlement du 24 Janvier 1789, p. 3.

3 A.D. 16, G3386, Conclusions capitulaires extraordinaires du chapitre d’Angoulême, délibération du 17 avril 1789. 4 A.N., L542, Réclamations auprès de Sa Majesté de la part du Chapitre de l’Église Métropolitaine de Bordeaux,

1789, p. 6. Le chapitre de Lodève (A.N., L543, Extrait des registres capitulaires de l’église cathédrale de Lodève, 29 mai 1789) utilise les mêmes termes pour motiver son adhésion aux chapitres de Paris et de Toulouse.

5 A.N., L542, Très-humbles et très-respectueuses représentations du chapitre métropolitain de Besançon au roi

au sujet du règlement du 24 janvier 1789, p. 12.

6 La collégiale de Saint-Seurin de Bordeaux reconnaît ainsi qu’elle ne « tient pas aussi immédiatement à la

Hiérarchie ecclésiastique que les Chapitres attachés aux Églises Cathédrales » (A.N., L542, Observations et

doléances du chapitre Saint-Seurin de Bordeaux, 1789, p. 7).

7 A.N., L541, Protestation du chapitre de l’Église de Paris, p. 11.

8 A.N., L542, Réclamations et protestations du Chapitre de l’Église Cathédrale de Cahors contre les dispositions

du Règlement du 24 Janvier, 1789, p. 4 ; Représentations et protestations que fait à Sa Majesté le Chapitre de l’Église Primatiale & Métropolitaine d’Auch, p. 5 ; Représentations du chapitre d’Auxerre au Roi, p. 21 ; Réclamations auprès de Sa Majesté de la part du Chapitre de l’Église Métropolitaine de Bordeaux, p. 6 ; A.N.,

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du vivant de l’évêque et à exercer la juridiction sede vacante1, les chapitres, en vertu de la distinction des pouvoirs d’ordre et de juridiction, sont placés au-dessus des simples prêtres du second ordre : égaux aux curés selon l’ordre, ils leur sont supérieurs selon la juridiction.

Ces prérogatives, cependant, découlent d’une qualité explicitement revendiquée par les chapitres. En effet, rappellent les chanoines de Besançon, le « privilege précieux » de gouverner le diocèse pendant la vacance n’est autre que celui dont « jouissoit l’ancien presbytere que les chapitres représentent, & qui assistoit l’évêque dans ses fonctions2 ». Pour appuyer leurs revendications, les chapitres se désignent comme les successeurs du presbytère de l’Antiquité chrétienne. « Les chapitres des églises cathédrales, déclarent les chanoines de Paris, représentent le clergé primitif du diocèse3. » « Les Chapitres des Églises Cathédrales représentent l’ancien Presbytère », écrivent quant à eux les chanoines de Reims4. De même le chapitre de Lavaur estime-t-il que le chapitre représente le « Collège des Prêtres de la Ville Épiscopale ; ce Presbytère, auquel les lois de l’Église ont donné une prééminence5 ». La protestation du chapitre d’Auxerre est la plus explicite dans sa référence aux premiers temps du christianisme :

Dès le commencement, chaque cité eut son Évêque, & autour de l’Évêque, dans l’Église commune, une Assemblée de Prêtres pour demeurer en société avec lui comme les Apôtres avec leur divin Maître dont il est l’image, pour l’aider dans ses travaux, partager sa sollicitude, former perpétuellement son conseil & le Sénat de l’Église 6.

Les attributions de conseil de l’évêque et de sénat de l’Église qui fondent la légitimité des chapitres à représenter le clergé sont tout d’abord celle du presbyterium ou presbytère, c’est- à-dire au collège de prêtres qui entourait et secondait l’évêque dans l’Église primitive. Héritiers du presbytère, les chapitres cathédraux sont aussi les héritiers de ses prérogatives et en tant que tels les « Corps représentans-nés de leurs Diocèses respectifs7 ».

En rendant nécessaire l’élection de députés de l’ordre du clergé, la convocation des États généraux pose donc brutalement la question de la représentation du clergé. « Par qui et quand l’Église parle-t-elle ? » demandait à propos du christianisme antique Adolf von Harnack8. C’est à cette question difficile, qui donne lieu à des réponses très variées, que se

1 Sur l’administration capitulaire sous l’Ancien Régime, voir Olivier CHARLES, « Sede vacante. Les périodes

interépiscopales dans les diocèses de Tréguier, Saint-Brieuc et Saint-Malo aux XVIIe et XVIIIe siècles », Annales de

Bretagne et des Pays de l’Ouest, n°123, 2016, p. 93-120.

2 A.N., L542, Très-humbles et très-respectueuses représentations du chapitre métropolitain de Besançon, p. 11. 3 A.N., L541, Protestation du chapitre de l’Église de Paris, p. 10-11.

4 A.N., L543, Réclamations et Protestations du Chapitre de l’Église Métropolitaine de Reims, 6 mai 1789, p. 5. 5 A.N., L543, Protestations du chapitre de l’église cathédrale de Lavaur, 1789, p. 4.

6 A.N., L542, Représentations du chapitre d’Auxerre au Roi, p. 18. 7 Ibid., p. 22.

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trouve confrontée l’Église de France au printemps 1789. « Qui dispose de l’expression de la vérité dans l’Église ? demande ainsi René Taveneaux. Constitue-t-elle le privilège exclusif des évêques ? ou ceux-ci le partagent-ils ? et avec qui ? avec les chanoines ? les curés ? voire les simples laïques1 ? » S’estimant lésés par le règlement, les chanoines, tout en se rangeant résolument sous la houlette de leurs évêques, répondent à cette question en affirmant que les chapitres représentent légitimement le clergé de leurs diocèses parce qu’ils représentent l’ancien presbytère.

Comme on le verra, les chanoines usent ici d’expressions communément reçues dans l’Église gallicane à la fin de l’Ancien Régime. L’interprétation de ces expressions, cependant, n’est pas sans difficultés. En effet, le sens dans lequel est entendue la représentation n’est guère univoque. Comme le note Jean Roels, à propos de la représentation politique, la notion de représentation, qui se situe au cœur de toute organisation politique et de toute réalité humaine, est très complexe à analyser et à définir2. D’après l’étymologie latine, représenter signifie « rendre présent ici quelqu’un ou quelque chose qui est présent là-bas » ; la représentation est donc une « composition binaire, c’est-à-dire l’existence de deux éléments ou de deux groupes d’éléments entre lesquels il existe une certaine relation, à la fois juridique et sociologique, de similitude et de connexion3 ». C’est la nature de cette relation qui fait la richesse en même temps que la difficulté de la notion : Jean Roels énumère ainsi cinq types de représentations en droit privé et cinq autres encore en droit public4. La représentation est ainsi une notion très générale, susceptible de s’adapter à n’importe quel régime politique ou à n’importe quelle institution publique ou privée5.

À ces difficultés que pose la représentation politique en général s’ajoutent celle que pose son application à l’institution ecclésiale. À cet égard, la remarque de Gérard Guyon à propos de l’Église antique s’applique tout aussi bien à l’Église gallicane de 1789 : bien qu’elle soit pourvue de règles et d’une hiérarchie, l’Église est et se conçoit avant tout comme un corps mystique. Elle est ainsi une société instituée d’en-haut, à laquelle il n’est pas possible d’appliquer sans réserve les règles et qualificatifs juridiques communs aux organisations politiques ; dans l’Église, les mécanismes juridiques sont inséparables de leur enracinement

1 René TAVENEAUX, « L’abbé Grégoire et la démocratie cléricale », dans RHEF, t. LXXVI, n°197, 1990, p. 236. 2 Jean ROELS, Le concept de représentation politique au dix-huitième siècle français, Béatrice-Nauwelaerts, Paris,

1969, p. XIII.

3 Ibid., p. 1. 4 Ibid., p. 2-3. 5 Ibid., p. 12.

40 religieux1.

La notion de représentation telle que la définissent les théologiens n’est cependant pas moins générale que celle que propose Jean Roels. Pour saint Thomas d’Aquin, repraesentare

aliquid est similitudinem ejus continere2, représenter quelque chose, c’est contenir sa

similitude. Le degré de similitude qu’implique pour Thomas la représentation est cependant extrêmement variable : comme le note Thierry-Dominique Humbrecht, dans l’œuvre du docteur dominicain, le sens de la repraesentatio va du théâtre à la génération du Verbe en Dieu. La représentation est parfois identique à l’objet ; parfois au contraire elle ne l’est pas ; son sens dépend donc largement du contexte. Thierry-Dominique Humbrecht fait cependant une remarque qui convient particulièrement au problème que pose la représentation du presbytère par le chapitre de l’église cathédrale : « Le nerf de la représentation, estime-t-il, est dans sa capacité de traduire à l’identique une chose en une autre3. »

La représentation peut donc être investie en théologie d’un sens extrêmement fort : ainsi le concile de Trente déclare-t-il que le sacrifice de la messe représente le sacrifice du Christ sur la croix, ce qui signifie qu’il le rend réellement présent4. Son application à l’ecclésiologie est d’autant plus malaisée qu’à l’époque moderne, les traités systématiques sur l’Église tendent à se réduire, dans une perspective apologétique consécutive à la contestation protestante, à la recherche de la véritable Église et de ses notes au détriment du traité théologique proprement dit de l’Église et de sa constitution intime5. Il est significatif à cet égard que les développements sur le rapport entre le presbytère et les chapitres sont moins le fait de théologiens que d’historiens, de canonistes ou d’hommes d’Église soucieux de défendre leurs droits6. Le sens que revêt le terme dans les écrits relatifs aux chapitres et au presbytère est cependant rarement explicité : si la représentation a une très vaste étendue de sens chez des docteurs scolastiques pourtant très précis, cela est vrai à plus forte raison sous la plume d’ecclésiastiques ou de canonistes de la fin de l’Ancien Régime nourris principalement d’une

1 Gérard GUYON, « La représentation dans les premières Églises chrétiennes (I-IIIème siècles) », dans Le concept de

représentation dans la pensée politique. Actes du colloque d’Aix-en-Provence (mai 2002), Presses Universitaires

d’Aix-Marseille, Aix-en-Provence, 2003, p. 77-78.

2 THOMAS D’AQUIN, De Veritate, q. 7, a. 5, ad. 1.

3 Thierry-Dominique HUMBRECHT, Théologie négative et noms divins chez saint Thomas d’Aquin, Vrin, Paris,

2006, p. 315.

4 Sacrificium, quo cruentum illud semel in cruce peragendum repraesentatur eiusque memoria in finem usque

saeculi permaneret (Sess. XXII, cap. I, dans Les conciles œcuméniques, op. cit., t. II, p. 1490).

5 Jean RIGAL, L’ecclésiologie de communion. Son évolution historique et ses fondements, Cerf, 1997, p. 32-33. 6 Ainsi Nicolas-Sylvestre Bergier, l’un des plus notables apologistes et théologiens français de la fin de l’Ancien

Régime, pourtant lui-même chanoine de Notre-Dame de Paris, écrit-il, à l’article « Chanoine » de son Dictionnaire

de théologie, Lefort Libraire, Lille, 1844, t. I, p. 390, que l’institution des chanoines, de même que leurs droits et leurs devoirs, est un « objet de discipline qui regarde les canonistes ».

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littérature patristique moins soucieuse de définitions précises ou d’anciens canons relatifs à une discipline essentiellement variable, donc peu susceptible de fonder des affirmations absolues.

Il arrive que la difficulté soit avouée par les auteurs eux-mêmes. Ainsi Zeger Bernhard Van Espen, canoniste de Louvain fréquemment cité bien au-delà des milieux jansénisants jusqu’au début du XIXe siècle, peut-il écrire1 que le chapitre de l’église cathédrale quodam modo

totius dioecesis clerum repraesentat, représente « en quelque manière » le clergé de tout le

diocèse : la modalisation renchérit encore sur le flottement de sens du verbe, comme si l’érudit

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