• Aucun résultat trouvé

Une remise en cause du droit des chapitres : le richérisme syndical d’Henri Reymond

théologique, canonique et historique

1.2. Les doctrines gallicanes du presbytère à la fin du XVIII e siècle

1.2.4. Une remise en cause du droit des chapitres : le richérisme syndical d’Henri Reymond

Parmi les défenseurs du second ordre, l’abbé Henri Reymond, curé de Saint-Georges de Vienne, contrairement à Moreau ou à Clément, n’a initialement aucun véritable motif théologique de conflit avec le haut clergé ; son attention se concentre en effet tout d’abord sur dégradation de la situation économique et sociale du clergé paroissial dans le Sud-Est de la France. Les thèses de l’abbé Reymond relèvent donc avant tout du syndicalisme ecclésiastique : il s’agit d’obtenir pour les curés le relèvement de la portion congrue, mais aussi une meilleure représentation des prêtres de paroisse dans les chambres diocésaines chargées de la répartition du prélèvement du don gratuit entre les membres du clergé1. Comme le remarque Dale Van Kley, le programme de réforme matérielle de Reymond ne peut se passer d’une justification théologique, ce qui entraîne la contamination de ses écrits par une théologie d’inspiration richériste2. Dans les Droits des curés, publiés en 1776 et réédités en 1780 puis en 1791, Reymond vise avant tout à proposer, contre les prétentions des gros décimateurs, une sorte de « vade-mecum à l’usage des curés3 ». Il expose, à l’appui de ses revendications sociales, une théologie très simple aux conséquences pratiques potentiellement très radicales. Les curés, successeurs des soixante-douze disciples de l’Évangile, sont d’institution divine4. La hiérarchie ecclésiastique est ainsi composée essentiellement du pape, des évêques et des curés ; telle est la « constitution élémentaire » de l’Église, qui est l’ouvrage de Dieu. « Le reste, qui est l’ouvrage des hommes, n’en est que l’accessoire. » Moines et chanoines, inconnus des premiers siècles du christianisme ne sont donc que des « hors-d’œuvre » dont on pourrait sans dommage grave dépouiller l’édifice de l’Église5.

L’ordre hiérarchique, tel que J. C. l’a institué lui-même, suffit à son Église ; ainsi ce que les hommes y ont ajouté n’a pas une consistance nécessaire. […] Les établissemens humains sont tous essentiellement défectueux ; par conséquent il est de leur nature de n’être bons que par circonstances6.

Le changement des circonstances qui ont donné naissance à l’institution capitulaire suffirait donc à justifier sa suppression. Or les chapitres, comme les monastères, ne sont pas

1 Monique CUILLIERON, « Des syndicalistes avant l’heure ? Les membres du bas-clergé à la fin du XVIIIe siècle »,

Revue historique de droit français et étranger, t. LXIII, 1985, n°2, p. 159-175.

2 D. VAN KLEY, Les origines religieuses de la Révolution française, op. cit., p. 499-500. 3 E. PRECLIN, Les Jansénistes du XVIIIe siècle, op. cit., p. 400.

4 Henri REYMOND, Droits des curés et des paroisses, considérés sous leur double rapport spirituel & temporel,

s. n., Paris, 1780, p. VIII.

5 Ibid., p. 4. 6 Ibid., p. 28-29.

73

seulement inessentiels à l’Église, mais se révèlent de surcroît nuisibles à la mission de ses pasteurs divinement institués. En effet, la fréquence des messes dans les chapitres et dans les monastères a favorisé la désertion des paroisses, surtout dans les petites villes, à tel point que « la plupart des Curés sont des Pasteurs sans troupeau1 ». Tout le bien que l’on attribue à ces établissements pourrait être avantageusement procuré par les paroisses. Si chapitres et monastères étaient subitement détruits, le troupeau se trouverait en effet « réuni par le fait dans un seul bercail & sous la conduite du Pasteur seul », ce qui assurerait « cette uniformité qui caractérise le vrai & le bon moral, qui rend la piété solide & les affections durables2 ».

Pour Reymond, les chapitres sont donc des rivaux des paroisses. La position du curé de Saint-Georges reflète ici les préoccupations non seulement des curés, mais aussi parfois celles des fidèles des paroisses urbaines placées dans la dépendance des chanoines, comme l’a montré Bruno Restif à partir des cathédrales de Bretagne et des grandes collégiales urbaines de Champagne3. Or, pour Reymond, l’esprit de l’Église veut que les fidèles reçoivent les sacrements et l’instruction chrétienne dans leur paroisse. Bien qu’il ne propose pas la suppression des chapitres, il paraît l’envisager très favorablement. Certes, sa critique concerne tout d’abord les chapitres collégiaux, qui n’ont pas de fonctions dans le gouvernement des diocèses, mais les chapitres cathédraux n’en sont pas exceptés. Selon Reymond, le presbyterium ou conseil de l’évêque était composé des curés de la ville, des diacres et de curés de la campagne appelés à sa cathédrale par l’évêque en raison de leurs mérites4. Reymond ne se contente pas de reprendre l’habituel argument des exemptions, qui ont rendu les chanoines indépendants de leur chef : pour conseiller légitimement l’évêque, les chanoines doivent être des pasteurs. Il admet certes que lorsque les chapitres cathédraux ont cessé d’être composés d’anciens pasteurs, ils n’ont pas cessé de former le conseil épiscopal dans la mesure où ils « avoient toujours part aux fonctions pastorales ». Cependant, lorsque des vicaires perpétuels ont été donnés pour successeurs aux curés primitifs5, tous les rapports qui liaient les chanoines au service paroissial ont disparu ; les évêques ont alors pu se passer d’eux dans leur conseil, si bien que les chapitres ont cessé d’avoir part au gouvernement de l’Église du vivant de l’évêque. La conséquence devrait en être, « dans l’intention des lois », que les chapitres ont également perdu le droit de

1 Ibid., p. 150. 2 Ibid., p. 28.

3 Bruno RESTIF, « Les paroisses desservies dans les églises cathédrales et collégiales. Enjeux, concurrence et

conflits (XVIe-XVIIIe siècle) », dans Anne BONZON, Philippe GUIGNET, Marc VENARD (dir.), La paroisse urbaine

du Moyen Âge à nos jours, Cerf, Paris, 2014, p. 183-198.

4 H. REYMOND, Droits des curés, op. cit., p. 304.

5 Le curé primitif est le gros décimateur, chapitre ou abbaye, d’une paroisse desservie par un vicaire perpétuel

touchant la portion congrue (Guy MANDON, « Les revenus des vicaires perpétuels du chapitre de Périgueux au

74 gouverner les diocèses sede vacante1.

Dès que les occupations habituelles des Chanoines n’ont plus aucune analogie avec celles de l’Évêque, dès qu’ils n’ont plus de part à ses fonctions pastorales, pas même pour le Conseil, en un mot depuis que l’état de Chanoine & celui de Pasteur sont devenus dans l’Église deux états entièrement disparates, il est clair que l’intention des lois ne sauroit être entièrement remplie ; & que l’administration d’un Diocese, pendant la vacance du Siege, entre les mains des seuls Chanoines, laisse quelque chose à désirer.

Reymond ne réclame cependant pas la suppression de la dernière grande prérogative conservée par les chapitres cathédraux, mais plutôt son aménagement : le chapitre, qui a l’avantage de constituer un corps assez nombreux, où se trouvent donc toujours au moins quelques chanoines versés en droit canonique, peut garder le soin des règlements qui regardent le for externe2. La partie du gouvernement ecclésiastique qui regarde le for interne, en revanche, nécessite des pasteurs expérimentés, si bien qu’il faudrait contraindre les chanoines à choisir quelques-uns de leurs vicaires capitulaires parmi les pasteurs du second ordre3.

Pour l’abbé Reymond, c’est donc l’exercice des fonctions curiales, inséparables à ses yeux de la qualité de prêtre, qui fonde l’appartenance au presbytère, comme le confirme par la suite, à l’époque de la Constitution civile du clergé, une lettre qu’il adresse à l’archevêque de Vienne : par presbytère, il faut entendre les « curés de [la] ville, et ceux meme du diocese entier4 ». Le chapitre cathédral, quant à lui, ne peut se prévaloir d’aucune institution divine ou apostolique ; en cessant d’exercer le ministère pastoral et en se séparant de l’évêque par ses exemptions, il est devenu inutile à l’Église. Si en 1776 Reymond, dont les principaux objectifs sont avant tout matériels, ne semble pas envisager la suppression des chapitres, celle-ci ne représenterait donc à ses yeux aucune atteinte à la constitution de l’Église et permettrait au contraire de mieux mettre en lumière sa hiérarchie divinement instituée.

1.2.5. Le chapitre, Parlement de l’Église : les chapitres cathédraux dans

Outline

Documents relatifs