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Les droits des chapitres dans la crise du Sacerdoce et de l’Empire

Conclusion du chapitre

Chapitre 2 : Entre utilitarisme et archéologisme : le presbytère en Révolution

3.1. Chapitre cathédral et système concordataire

3.1.4. Les droits des chapitres dans la crise du Sacerdoce et de l’Empire

La crise du Sacerdoce et de l’Empire qui suit l’occupation des États pontificaux manifeste l’importance des chapitres. C’est en effet dans le contexte de cette crise qu’est décidé l’aménagement des articles organiques en faveur des chapitres, rendu indispensable par la

1 J.-O. BOUDON, Les élites religieuses à l’époque de Napoléon, op. cit., p. 29.

2 Bulletin annoté des lois, décrets et ordonnances, depuis le mois de juin 1789 jusqu’au mois d’août 1830, Paul

Dupont, Paris, 1836, vol. XI, p. 515.

3 Voir par exemple A.N., F192649, Note sur l’administration capitulaire, 20 octobre 1849.

4 A.N., F192649, Note sur les attributions de l’administration capitulaire pendant la vacance de l’évêché, 31 octobre

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nécessité de faire gouverner canoniquement les diocèses vacants tout en évitant le recours à des administrateurs apostoliques nommés par le Saint-Siège. Si les sièges vacants par transfert peuvent être administrés par un évêque nommé non institué, investi par son prédécesseur de pouvoirs de grand vicaire1, il n’en va pas de même dans les diocèses vacants par décès. Face à la situation de blocage qui résulte du refus de Pie VII de donner l’institution canonique aux évêques nommés par Napoléon, le gouvernement recourt à l’expédient utilisé par Louis XIV lors de l’affaire de la régale : le pape Innocent XI refusant d’accorder leurs bulles aux évêques français, les chapitres ont alors créé vicaires généraux capitulaires les évêques nommés2. Le pouvoir napoléonien renoue donc avec une pratique de l’ancienne monarchie gallicane pour imposer provisoirement ses candidats sans aller cependant jusqu’au schisme. Ainsi le chapitre de Paris, malgré l’opposition de plusieurs de ses membres, menés par l’abbé d’Astros, accepte- t-il, sous la pression du gouvernement, de donner au cardinal Maury, nommé au siège de Paris le 14 octobre 1810, des lettres de vicaire capitulaire, tandis que l’abbé d’Astros se voit retirer ses pouvoirs3. Pie VII condamne cependant ces procédés par un bref du 5 novembre, tandis que d’Astros est interné à Vincennes jusqu’à la chute de l’Empire4.

Pour l’abbé Pelletier, les chapitres se sont rendus coupables par ces « complaisances funestes à l’Église » d’une « violation flagrante des saints canons5 » : d’après les canons, des lettres de grand vicaire accordées aux évêques nommés par le pouvoir civil sont nulles et illicites, mais l’illégitimité d’un tel usage n’a rien d’évident pour tous les membres des chapitres. Le 21 avril 1813, le chapitre de Sées se félicite de la nomination de l’abbé Baston, qu’il nomme par acclamation vicaire général6, si bien que l’évêque élu peut évoquer avec satisfaction la « cause commune » qu’il fait tout d’abord avec le chapitre7. Pour Baston, qui rejette comme ultramontaines les maximes de ses détracteurs, il convient de distinguer les pouvoirs d’évêque nommé, qui en effet ne peuvent être licitement exercés, de ceux de vicaire général que celui-ci peut légitimement recevoir du chapitre8. En effet, estime l’ancien chanoine de Rouen, il est indispensable de rappeler les « différences essentielles » qui séparent la

1 Élie FLEUR, « Monseigneur Laurent administrateur de l’évêché de Metz (1811-1814) et Monseigneur Jauffret »,

Mémoires de l’Académie Nationale de Metz, 1956, p. 169.

2 Sur l’affaire de la régale, voir Jean GAUDEMET, Église et cité. Histoire du droit canonique, Cerf, Paris, 1994,

p. 675.

3 J.-O. BOUDON, « Le chapitre et les chanoines de Paris », loc. cit., p. 421.

4 Guillaume de BERTIER DE SAUVIGNY, « Un épisode de la résistance catholique sous le Premier Empire : l’affaire

d’Astros », RHEF, t. XXXV, n°125, 1949, p. 49-58.

5 V. PELLETIER, op. cit., p. 193.

6 Exposition de la conduite que M. G. A. Baston, nommé à l’évêché de Séez, par décret du 14 avril 1813, a tenue

dans ce diocèse, et celle qu’on y a tenue à son égard, dans Mémoires de l’abbé Baston, op. cit., t. III, p. 196.

7 Ibid., p. 217. 8 Ibid., p. 235.

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discipline des Églises d’Italie, où un unique vicaire capitulaire est dépositaire de la juridiction épiscopale, de la discipline de l’Église de France, qui peut admettre d’autres vicaires capitulaires aux côtés de l’évêque nommé, qui n’est pas dépositaire de la juridiction épiscopale, mais seulement commis à son exercice1.

En 1821, pour justifier sa conduite, l’abbé Baston argumente encore en ce sens2. Pour l’ancien chanoine de Rouen, la question du droit des chapitres à donner des lettres de vicaire capitulaire à un évêque nommé constitue une ligne de départ entre canonistes gallicans et ultramontains. Ces derniers objectent aux premiers un canon du concile de Lyon, qui défend aux évêques élus de se mêler du gouvernement de leur Église avant d’avoir reçu l’investiture canonique. Cependant, Baston conteste aussi bien l’autorité que l’interprétation du canon. Il convient en effet de saisir non seulement la lettre, mais aussi l’esprit de la loi : celle-ci frappe ceux qui tentent d’usurper le gouvernement, qui s’ingèrent d’eux-mêmes dans les affaires de l’Église, et non celui qui reçoit les pouvoirs du chapitre, dont il n’est alors que l’agent3. L’abbé d’Astros s’élève contre une telle compréhension des canons en contestant le droit des chapitres, admis par les canonistes gallicans d’Ancien Régime4, de révoquer leurs vicaires sede vacante : la non-révocabilité des vicaires capitulaires, loin de contrarier l’intérêt des chapitres, garantit l’indépendance de l’Église, particulièrement dans les temps de persécution5.

Après l’arrestation des évêques rédacteurs du rapport soumis au concile national le 10 juillet 18116, le ministère des Cultes exige davantage encore des chapitres de leurs cathédrales. À Troyes, après que Bigot de Préameneu lui a annoncé la démission de Mgr de Boulogne, le chapitre nomme vicaires capitulaires deux chanoines qui avaient reçu de l’évêque des pouvoirs de grands vicaires. Ce choix obtient l’agrément impérial et permet d’aboutir à un compromis entre les autorités, qui estiment que Mgr de Boulogne s’est démis de son siège, et la partie du clergé qui le reconnaît toujours comme évêque. Cependant, ce compromis fragile devient intenable lorsque Napoléon veut nommer aux sièges déclarés vacants7. Le 30 avril 1813, Bigot

1 Ibid., p. 239.

2 [Guillaume-André BASTON] Solution d’une question de droit canonique par un docteur de Sorbonne, Imprimerie

Constant-Chantpie, Paris, 1821. La question est ainsi formulée : « En France, les Évêques nommés à un Siége Épiscopal, par le pouvoir auquel appartient la nomination, peuvent-ils, avant d’avoir obtenu l’institution canonique, recevoir du chapitre de l’église vacante, des lettres de vicaire général ; et l’usage qu’ils en feront, sera- t-il valide et licite ? » (ibid., p. 7).

3 Ibid., p. 38-40.

4 F. DUCASSE, Traité des droits et des obligations des Chapitres, op. cit., p. 84.

5 Paul-Thérèse-David d’ASTROS, Du pouvoir prétendu des sujets nommés aux évêchés dans l’administration des

diocèses, Douladoure, Toulouse, 1839, p. 118-120. L’ouvrage a été publié pour la première fois en 1814.

6 J.-O. BOUDON, Napoléon et les cultes, op. cit., p. 288.

7 Sermons et discours inédits de M. de Boulogne, évêque Troyes, Vanderschelden, Gand, 1827, t. I, notice

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de Préameneu écrit au chapitre pour lui ordonner d’accorder les pouvoirs de juridiction à l’abbé de Cussy, évêque élu de Troyes, ce qui lui donne l’occasion d’exposer l’étendue des prérogatives qu’il attribue aux chapitres. Pour le ministre imprégné d’idées gallicanes1, le chapitre « ne peut pas se dispenser de pourvoir à l’administration ». En effet, la discipline ecclésiastique oblige les chapitres à nommer des vicaires capitulaires non seulement lorsque la démission de l’évêque a été acceptée par son supérieur, mais aussi « à raison de l’éloignement de l’évêque, ne pouvant plus avoir aucune communication avec son diocèse2 ». Bigot de Préameneu fait ainsi probablement allusion à l’attitude, souvent évoquée dans la littérature relative au presbytère, du clergé de Carthage, qui assume le gouvernement du diocèse pendant la retraite de saint Cyprien3, bien qu’il soit également possible qu’il s’inspire de canonistes modernes comme Ferraris4.

Dans le diocèse, que le ministre définit comme une « église parfaite », il doit toujours exister un « principe de juridiction et de pouvoir spirituel », qui ne peut résider dans l’évêque démissionnaire et éloigné. Dès lors, « c’est dans le chapitre seul que peut résider maintenant le principe de la juridiction spirituelle ». Considérée à l’époque du Concordat comme facultative, l’institution capitulaire est ainsi reconnue une décennie plus tard, à la faveur de la crise avec la papauté, comme le principe indispensable de continuité du pouvoir spirituel. Le chapitre est donc dans l’obligation rigoureuse d’user de son droit en donnant les pouvoirs à l’abbé de Cussy. Cette mesure, note Bigot de Préameneu, « est la seule qui puisse concilier l’observation des règles canoniques avec la volonté de l’Empereur, la seule qui puisse assurer et perpétuer dans le diocèse de Troyes le libre et légitime exercice des pouvoirs spirituels, et y maintenir la paix civile et religieuse5 ». C’est donc le chapitre cathédral comme dépositaire de la juridiction épiscopale qui constitue la principale ressource du régime impérial pour imposer à des sièges encore remplis ses évêques élus tout en sauvegardant une apparence d’observation des règles canoniques. Cette solution capitulaire est cependant vigoureusement rejetée par Pie VII, consulté à Fontainebleau par un prêtre du diocèse de Troyes. Aux yeux du pape, le siège est toujours rempli, l’abbé de Cussy est donc intrus et schismatique ; les grands vicaires de Mgr de Boulogne restent seuls chargés de la conduite du diocèse.

1 Sur l’attitude de Bigot de Préameneu dans le conflit avec l’Église, voir Jacques-Olivier BOUDON, « Bigot de

Préameneu, ministre des Cultes de Napoléon, face à la crise du sacerdoce et de l’Empire », dans J.-O. BOUDON et R. HEME DE LACOTTE, La crise concordataire, op. cit., p. 41-60.

2 Sermons et discours inédits, op. cit., t. I, p. LXXXVII. 3 Saint Cyprien, Epist. II.

4 Le canoniste franciscain du milieu du XVIIIe siècle Lucius FERRARIS, Prompta Bibliotheca canonica, juridica,

moralis, theologica, voc. « Vicarius generalis », art. III, n. 42, enseigne ainsi que le siège vaque per relegationem

episcopi, par la relégation de l’évêque, et que le chapitre doit alors élire des vicaires capitulaires.

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Tant qu’il ne révoquera pas les pouvoirs qu’il leur a donnés, ils resteront chargés de la conduite du diocèse : on ne peut, dans aucun cas, avoir recours à la prétendue juridiction du chapitre ou de ses représentans1.

Le pape met donc une borne claire à l’exercice de la juridiction épiscopale par le chapitre : dans les cas de relégation de l’évêque, le chapitre ne peut user de son droit que lorsque le souverain pontife a accepté la démission du prélat ; son absence, sa captivité ou même sa démission ne suffisent pas à ouvrir la vacance. Ce point cependant est alors peu évident pour les chanoines soumis aux pressions du gouvernement : ainsi les huit membres du chapitre se divisent-ils entre quatre chanoines qui croient devoir exercer la juridiction et quatre chanoines qui ne reconnaissent que la juridiction de l’évêque2.

3.2. Le « système de Paris » face au droit canonique : statuts des

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