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Une « oraison funèbre » des chapitres cathédraux : l’évolution de Maultrot (1790-1792)

Conclusion du chapitre

Chapitre 2 : Entre utilitarisme et archéologisme : le presbytère en Révolution

2.2. Les chapitres cathédraux dans l’ecclésiologie réfractaire (1790 1792)

2.2.2. Une « oraison funèbre » des chapitres cathédraux : l’évolution de Maultrot (1790-1792)

Le jugement que le canoniste Gabriel-Nicolas Maultrot, qui s’impose rapidement comme l’une des figures les plus notables de la minorité janséniste anticonstitutionnelle5, porte sur la suppression des chapitres et la formation des conseils épiscopaux revêt un intérêt particulier dans la mesure où le canoniste s’est fait, à la fin de l’Ancien Régime, le théoricien des droits du second ordre et du gouvernement collégial de l’Église. Comme on l’a vu, Maultrot, malgré le rôle qu’il assigne aux chapitres dans le gouvernement des diocèses, refuse sous l’Ancien Régime de reconnaître en eux le presbytère de l’Église primitive. Le bouleversement révolutionnaire, qui le pousse à multiplier les écrits dirigés contre la Constitution civile du clergé, puis contre le clergé constitutionnel, le conduit cependant à réviser notablement sa

1 Extrait du registre aux actes du Chapitre de Laon du vendredi 29 octobre 1790, s. n. s. n. l. d., p. 11.

2 A.D. 31, L1074, Copie de la lettre de Monseigneur l’archevêque de Toulouse à son chapitre du 10 mars 1791. 3 A.S.V., Ep. Nap. Francia 23, Fasc. 10, Copie de la lettre de Mgr l’archevêque de Narbonne à son Chapitre

métropolitain en date du 6 décembre 1790.

4 A.D. 21, L1138, Lettres de l’évêque de Dijon, 14 janvier 1791, p. 7.

5 Monique COTTRET, « 1789-1791 : triomphe ou échec de la minorité janséniste ? », Rives nord-méditerranéennes,

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position et à prononcer ce qu’il désigne lui-même comme l’oraison funèbre des chapitres détruits.

La première intervention du canoniste en faveur des chapitres se trouve dans le

Mémoire à consulter et consultation du 15 mars 1790 de l’abbé Jabineau, qu’il signe avec sept

autres jurisconsultes pour la plupart jansénisants1. Rédigé à la demande de Mgr de Bonal, évêque de Clermont, le Mémoire vise à démontrer la nécessité du concours de la puissance spirituelle à l’érection ou l’extinction des évêchés. Les jurisconsultes estiment ainsi que le démembrement d’un diocèse nécessité le consentement de l’évêque, mais aussi celui du chapitre2. En affirmant que l’approbation du chapitre est nécessaire à l’acte proprement hiérarchique que constitue la fixation de la circonscription ecclésiastique, les jurisconsultes suggèrent donc que les chapitres tiennent à la hiérarchie de l’Église. Dans le Mémoire se dessine ainsi l’argumentaire fondé sur la juridiction que les chapitres tiennent directement de l’Église que mobilise ultérieurement l’Exposition des principes. L’adhésion au texte de Jabineau, qu’il contribue certainement à rédiger, ne suppose cependant aucune évolution des positions défendues par Maultrot sur la nature et les attributions du chapitre cathédral.

Dans les deux lettres que le canoniste consacre à l’examen du rapport Martineau3 se dessine une défense plus précise des chapitres de cathédrales. La première, qui rappelle surtout les attributions respectives des deux puissances, n’entre pas dans les détails du projet de décret, mais oppose à la réforme une objection générale en contestant le droit de l’Assemblée Nationale à disposer de la circonscription ecclésiastique et à usurper la nomination des ministres : reconnaître l’autorité de l’Assemblée sur une partie de la discipline revient selon Maultrot à reconnaître son autorité sur la discipline tout entière4. Conformément à sa conception des rapports entre l’Église et l’État, lequel a certes le droit et le devoir de réformer les abus, mais en se réglant toujours sur les canons, Maultrot s’élève logiquement, dans sa seconde lettre, contre une suppression effectuée sans le concours de l’Église :

Pour moi, je ne mesure pas la compétence de l’Assemblée Nationale sur les abus, mais sur les Canons. Elle ne peut certainement abolir les corps, & sur-tout des corps tels que les Chapitres de Cathédrales, que comme exécutrice des loix de l’Église. Qu’on nous montre celle qui a ordonné l’abolition des Cathédrales ; qu’on nous fasse voir cette abolition prononcée par un décret exprès.

1 « Controverse sur la constitution civile du clergé », dans L’Ami de la Religion et du Roi, n°632, 30 août 1820,

t. XXV, p. 82. Sur le mémoire des jurisconsultes du 15 mars 1790, voir R. J. DEAN, L’Assemblée Constituante et la

réforme ecclésiastique, op. cit., p. 212-215

2 Henri JABINEAU, Mémoire à consulter et consultation sur la compétence de la puissance temporelle, relativement

à l’érection & à la suppression des sièges épiscopaux, Veuve Desaint, Paris, 1790, p. 26.

3 E. PRECLIN, Les Jansénistes au XVIIIe siècle, op. cit., p. 486.

4 G.-N. MAULTROT, Lettre à un ami sur le Rapport fait à l’Assemblée Nationale, au nom du Comité ecclésiastique,

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Qu’on nous prouve au moins que l’Église toleroit à regret les Chapitres de Cathédrales ; qu’elle en desiroit l’anéantissement, que son vœu sur ce point a été énoncé par des Évêques, des Théologiens, des Canonistes remplis de son esprit. Tant qu’on n’établira pas clairement ce desir de l’Église, il est absurde ; je ne crains pas de le dire, d’attribuer à l’Assemblée Nationale le pouvoir d’éteindre les Chapitres de Cathédrales1.

On ne peut davantage alléguer, pour justifier la destruction des chapitres, la volonté de revenir à la discipline primitive, à laquelle les chapitres étaient inconnus : il ne revient pas à la puissance séculière de remettre en vigueur des canons que l’Église elle-même a abandonnés2 ; c’est de l’esprit plus que de la lettre de l’ancienne discipline qu’il faut se rapprocher en prenant en considération l’intérêt de la religion :

Il y a des institutions qui ne remontent pas au premier siecle, qui sont utiles à l’Église, & dont l’abolition lui seroit nuisible. Prétendre qu’il faut détruire aujourd’hui tout ce qui n’existoit pas dans les temps apostoliques, ce seroit une assertion ridicule3.

Les propositions du rapport Martineau conduisent ainsi Maultrot à commencer à se détacher, au nom de l’indépendance de la puissance spirituelle, de la perspective archaïsante et primitiviste de ses écrits de la fin de l’Ancien Régime. S’il faut reconnaître une utilité spirituelle aux simples chapelains titulaires de bénéfices simples dans la mesure où ils célèbrent la messe et peuvent, du consentement du curé, prendre part à l’administration des sacrements et aux fonctions pastorales, il faut, à plus forte raison, reconnaître celle des chapitres tant collégiaux que cathédraux, qui vaquent continuellement à la prière publique, dont le comité ecclésiastique a méconnu la grandeur. La preuve en est selon Maultrot que les canonicats sont des bénéfices qui emportent le devoir de la résidence, ce qui démontre l’importance que l’Église attache au service rempli par les chanoines4.

La volonté de répondre aux accusations de décadence portées par Martineau contre les chapitres cathédraux favorise également l’évolution des conceptions de Maultrot. Dans la continuité de ses écrits d’Ancien Régime, le canoniste refuse de reprocher aux chapitres les exemptions par lesquelles les chanoines se sont protégés du despotisme épiscopal et ont conservé des « portions de l’autorité qu’il [le chapitre] exerçoit conjointement avec l’Évêque & sous lui ». Si les chanoines des cathédrales ne remplissent pas les fonctions que leur confient les anciens canons, ce n’est donc pas par négligence, mais par suite des abus de pouvoir des évêques. La solution que propose le canoniste, toujours dans la continuité de ses consultations

1 ID., Seconde lettre à un ami sur le Rapport fait à l’Assemblée Nationale, au nom du Comité ecclésiastique, par

M. Martineau, Député de la ville de Paris, sur la Constitution du Clergé, Leclère, Paris, 1790, p. 21-22.

2 Ibid., p. 8. 3 Ibid., p. 11. 4 Ibid., p. 13-16.

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en faveur du second ordre, suggère pourtant une révision discrète des thèses défendues avant la Révolution en associant explicitement le chapitre au presbytère :

Que les Évêques renoncent à l’esprit de domination ; qu’ils consentent à gouverner en commun avec leur Clergé ; & les Chanoines ne demanderont pas mieux que de recouvrer les droits de l’ancien Presbytere1.

Maultrot, qui se contente d’évoquer l’exercice des droits du clergé primitif, se garde cependant d’affirmer purement et simplement l’identité du presbytère et du chapitre ; il estime alors qu’il serait conforme aux anciens canons de confier l’administration du diocèse sede

vacante au corps des curés de la ville épiscopale plutôt qu’au chapitre2. La doctrine des Lettres

à un ami reste donc conciliable avec celle de ses anciennes consultations qui désignaient le

chapitre cathédral comme le représentant du clergé auprès de l’évêque. À l’époque où il répond au rapport Martineau, Maultrot estime encore que les canonicats « ne tiennent point à la hiérarchie », les pasteurs entrant seuls dans l’ordre hiérarchique3. La fermeté de son opposition au projet d’extinction des chapitres semble ainsi résulter avant tout de l’horreur que lui inspire un « temps que les livres saints appellent tempus destruendi4 ». En effet, pour le canoniste, la destruction des chapitres manifeste éminemment les principes qui ont guidé le comité ecclésiastique. C’est en la commentant qu’il les met en lumière :

Le rapport entier est établi sur cette maxime, que, dès qu’il s’est glissé quelque déréglement dans une corporation ecclésiastique, il faut aussitôt la supprimer, sans tenter même la réformation, sans examiner si elle est facile. C’est le premier dogme fondamental du rapport. Il y en a un second assorti au premier. C’est qu’il appartient à la Puissance civile de faire main-basse sur tous les établissemens spirituels, sous prétexte d’abus, sans aucun concours de la Puissance ecclésiastique, & sans que le bras séculier ait été imploré. Voilà en deux mots l’analyse du rapport. On auroit pu lui donner pour épigraphe : Tempus destruendi5.

Pour Maultrot, aucun argument canonique valable ne peut justifier l’extinction des chapitres ; celle-ci doit donc être imputée à la cupidité de l’Assemblée Nationale : les canonicats sont anéantis parce que des revenus leur étaient attachés6 ; il ne s’agit pas de retrouver l’ancienne institution du presbytère, mais d’effectuer une pure et simple mesure d’économie, qui n’en altère pas moins l’essence de la discipline ecclésiastique7.

1 Ibid., p. 20. 2 Ibid., p. 95.

3 Ibid., p. 16. Il est possible cependant que Maultrot tienne ici un discours général sur l’ordo canonicus, applicable

aux canonicats de collégiale et non sur les canonicats cathédraux, qui emportent l’exercice d’une juridiction.

4 Ibid., p. 10. 5 Ibid., p. 22-23. 6 Ibid., p. 13.

7 Maultrot définit ainsi la Constitution civile du clergé comme la « constitution qui ménage l’argent de la Nation

en diminuant ses dépenses », « civile dans ses effets », mais non « en elle-même & dans sa nature » (ibid., p. 49). La même opinion apparaît chez Henri JABINEAU, La vraie conspiration dévoilée, s. n., 1791, p. 47 : « On a imaginé

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Ainsi la question capitulaire acquiert-elle le caractère d’un révélateur qui donne à voir la position plus générale adoptée face à la Constitution civile du clergé. En effet, la suppression des chapitres, parce qu’elle est opérée sans le concours de l’Église et se fonde sur l’inutilité des fonctions canoniales, rend particulièrement visible la nette ligne de démarcation qui sépare Camus ou Martineau de Maultrot, qui n’accepte ni l’invasion des biens du clergé, ni l’immixtion du temporel dans la discipline de l’Église, ni l’utilitarisme qui condamne les ministres principalement voués à la prière publique sous prétexte qu’ils ne sont pas essentiels à l’Église. Les grandes lignes de l’argumentation de Maultrot, fixées dès l’époque des débats sur le rapport Martineau, se précisent et se durcissent lorsque l’application de la réforme donne lieu à l’établissement de l’Église constitutionnelle.

En effet, l’application de la Constitution civile à partir de la fin de 1790 amène Maultrot à aborder de nouveau le rôle des chapitres. La destruction des chapitres prouve que la « réformation de France » est plus contraire encore au bien de l’Église que le schisme anglican dans la mesure où Henri VIII a non seulement conservé les chapitres des cathédrales existantes, mais en a créé dans les diocèses nouvellement érigés1. En 1791 le canoniste entreprend de réfuter l’apologie des décrets de la Constituante publiée par les évêques constitutionnels députés à l’Assemblée. L’objectif du canoniste est alors de combattre l’argument de la nécessité allégué par les évêques constitutionnels : ceux-ci auraient accepté l’épiscopat pour venir au secours du troupeau abandonné par les évêques insermentés. Pour Maultrot, l’argument n’a aucune validité dans la mesure où ces derniers, avant d’être forcés de s’éloigner de leurs diocèses, ont laissé derrière eux des vicaires généraux auxquels ils ont donné les pouvoirs nécessaires pour exercer la juridiction. Quand bien même ils auraient négligé de prendre cette mesure, les évêques constitutionnels ne pourraient s’en prévaloir pour se prétendre investis de la juridiction :

Il y auroit eu encore alors une ressource dans les chapitres de cathédrales, qui auroient pu prendre le gouvernement des diocèses, pendant l’absence des évêques qui n’auroient laissé aucuns grands- vicaires. Mais on a commencé par éteindre tous les chapitres de cathédrale. On a forcé ensuite tous les évêques à se mettre à couvert. C’est sans doute une situation bien violente2.

Maultrot ne se borne pas ici à rappeler le droit des chapitres de gouverner les diocèses pendant la vacance ou l’éloignement du prélat, à la manière du clergé de Carthage pendant l’exil

de détruire les chapitres & les communautés, pour pouvoir s’emparer de leurs biens. » Pour un adversaire anonyme de l’abbé Le Coz, c’est également « par avarice » que l’Assemblée anéantit les chapitres (A.D. 22, 1L792, Lettre d’un ami à son ami sur le mémoire de M. Le Coz principal du collège de Quimper, s. d.).

1 G.-N. MAULTROT, Comparaison de la réformation de France avec celle d’Angleterre sous Henri VIII, Leclère,

Paris, s. d. [1790 ?], p. 38-39.

2 ID., Les vrais principes de l’église, de la morale et de la raison, sur la constitution civile du clergé, renversés

par les faux évêques des départemens, membres de l’Assemblée nationale, prétendue constituante, Dufresne, Paris,

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de saint Cyprien, mais désigne la destruction des chapitres comme une étape nécessaire dans le renversement de la hiérarchie accompli par la Constituante. L’instauration d’une nouvelle hiérarchie rendait indispensable l’extinction complète de toutes les institutions pourvues par l’Église de la juridiction spirituelle. La dispersion des chanoines est donc à cet égard une condition préalable de l’éloignement des évêques et de leur remplacement par de nouveaux pasteurs. Ainsi, le canoniste reconnaît le chapitre comme un foyer de juridiction subsistant, un principe de continuité dans l’administration spirituelle de l’Église diocésaine.

Dans les brochures qu’il publie contre Camus, Maultrot mentionne le presbytère, sans lequel rien ne peut être fait dans l’ordre1, mais la réponse qu’il fait en avril 1791 à l’abbé Baillet indique clairement qu’à l’époque de l’installation de l’Église constitutionnelle, il n’identifie pas essentiellement le presbytère au chapitre de la cathédrale. L’évolution historique, achevée au

XIIe siècle et consacrée par les conciles de Bâle et de Trente, a attribué aux chapitres les

attributions du presbytère, mais il reste en soi souhaitable que l’Église revienne librement à l’ancienne discipline en donnant pour conseil à l’évêque les curés de la ville, qui seront « réellement l’ancien presbytère rétabli2 ». L’exercice par le chapitre des prérogatives du presbytère est donc légitime et canonique, mais accidentel.

Cependant, les derniers ouvrages qu’il publie avant la chute de la monarchie, qui le contraint à cesser pour un temps ses activités de controversiste, permettent de mesurer son évolution. En 1792, Maultrot reconnaît que l’ancien presbytère est imparfaitement représenté à la fois par les curés réunis en synode et par les chapitres cathédraux3. À la veille de la chute de la monarchie, le canoniste aborde cependant de façon systématique la question du presbytère. Publiée alors que l’Église constitutionnelle est installée depuis un an, essentiellement dirigée contre Grégoire et sa brochure sur la Légitimité du serment civique, « champ de bataille où il faudra appeler toute l’armée constitutionnelle4 », la Comparaison de la constitution de l’Église

catholique, avec la Constitution de la nouvelle Église de France consacre plus de cent cinquante

pages aux chapitres supprimés et aux conseils épiscopaux qui les remplacent5. Elle permet donc au canoniste d’exposer longuement la conception des chapitres cathédraux qu’il défend après

1 « Jesus-Christ n’a rien fait, sans son Père. On ne doit rien faire de même, sans l’évêque & le presbytere. Rien de

tout ce qui se fait séparément ne peut être dans l’ordre » (G.-N. MAULTROT, Véritable idée du schisme contre les

faux principes de M. Camus et des pasteurs constitutionnels, Dufresne, Paris, 1791, p. 29).

2 G.-N. MAULTROT, Vains efforts des défenseurs du serment, ou réplique à M. l’abbé B., Dufresne, Paris, 1791,

p. 22.

3 ID., L’Autorité de l’Église et de ses ministres, défendue contre l’ouvrage de M. Larrière, intitulé Suite du

Préservatif contre le schisme, ou nouveau développement des principes qui y sont établis, Dufresne, Paris, 1792,

p. 233.

4 ID., Comparaison de la Constitution de l’Église catholique, avec la Constitution de la nouvelle Église de France.

Moyen de les accorder, Dufresne, Paris, 1792, p. 71.

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deux années de lutte acharnée contre les décrets de la Constituante.

Le long développement dédié aux chapitres est avant tout une réponse à l’opinion, reprise par Grégoire1 à l’époque des États généraux, selon laquelle les chapitres, loin d’avoir succédé à l’antique presbytère, n’ont succédé qu’au collège de clercs inférieurs qui jusqu’au XIe

siècle se préparaient au ministère sous le regard de l’évêque. Pour anéantir ce « conte absurde & misérable2 », Maultrot accumule pendant près de trente pages une « foule de preuves » antiques et médiévales qui tendent à démontrer que les chanoines, associés au gouvernement des diocèses, ne peuvent être de jeunes élèves ecclésiastiques. Cela le conduit à conclure, contre la doctrine qu’il professait avant la Révolution, à l’ « identité des chapitres actuels avec l’ancien presbytere3 ». Le canoniste reprend certes le récit habituel de la dispersion du presbytère des trois premiers siècles lors de l’érection des églises rurales, mais il en donne désormais la même interprétation que les Conférences d’Angers :

Ce presbytere abandonnant l’église épiscopale, se dispersa dans les villes & les campagnes, & fut remplacé par les chanoines4.

Le remplacement de l’antique presbytère par un chapitre de chanoines est désigné par Maultrot comme une « succession légitime5 ». C’est en vertu d’une « succession perpétuelle » que le chapitre peut être dit « depuis l’origine » le sénat diocésain6. Il convient de ne pas s’arrêter à la différence des mots, toujours variables7. Le chapitre, identique au presbytère par la continuité de l’institution, est en tant que tel d’institution divine ou apostolique8.

Contre Grégoire, qui représente l’office des chanoines au chœur comme le concurrent des cérémonies paroissiales, reléguées dans les chapelles latérales de la cathédrale, le canoniste s’emploie à réhabiliter la fonction orante des chapitres, qu’il investit d’une signification proprement ecclésiologique : aux yeux de Maultrot, la « satyre imbécile » dont Grégoire accable les chapitres signale une « erreur bien plus sérieuse », qui démontre que l’ancien curé d’Emberménil n’a « aucune idée de l’unité de l’église9 ». La cathédrale est en effet « église générale », « paroisse des paroisses », « matrice de toutes les autres qu’elle contient éminemment », « la forme, le modele et l’archétype de tout le ministere sacré, le point de ralliement de toutes les parties d’une vaste contrée ». « En un mot, résume le canoniste, elle est

1 H. GREGOIRE, Nouvelle lettre à MM. les curés, députés aux États-généraux, s. n. l., 1789, p. 15. 2 G.-N. MAULTROT, Comparaison de la constitution de l’Église, op. cit., p. 176.

3 Ibid., p. 206. 4 Ibid., p. 176. 5 Ibid., p. 229. 6 Ibid., p. 31.

7 Maultrot fait remonter le mot de chanoine au IVe siècle et celui de chapitre au VIIIe siècle (ibid., p. 173). 8 Ibid., p. 176, 212.

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l’église1. » La cathédrale et son clergé représentent donc adéquatement l’ensemble de l’Église diocésaine. Ce langage rappelle certes de très près celui des protestations capitulaires contre le règlement du 24 janvier 1789 ou l’application de la Constitution civile du clergé, et plus encore celui que tenaient à la fin de l’Ancien Régime les chanoines d’Auxerre, marqués comme Maultrot par une culture ecclésiastique jansénisante et richériste. Cependant, plus nettement qu’eux, le canoniste insiste non seulement sur la valeur surnaturelle de la prière publique,

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