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Conclusion du chapitre

Chapitre 2 : Entre utilitarisme et archéologisme : le presbytère en Révolution

2.1. Vers la destruction de l’ordo canonicus : de la préparation des États généraux aux premiers projets de réforme ecclésiastique

2.1.1. Les premiers projets de réforme

Le programme de réforme ecclésiastique le plus consistant est peut-être celui que propose Claude Fauchet, prédicateur du roi et grand vicaire de Bourges, qui s’impose rapidement à Paris comme l’un des principaux prédicateurs patriotes3. Probablement composé au cours des années précédentes, mais publié seulement en 1789 à l’occasion de la réunion des États généraux, De la Religion Nationale apparaît alors comme un manifeste des idées réformatrices de son auteur4. Étranger au courant janséniste, auquel il a parfois été rattaché à tort5, l’abbé Fauchet lui reprend cependant l’exigence d’un gouvernement collégial, qu’il fonde sur une ecclésiologie démocratique6. En effet, pour Fauchet, dans l’Église comme dans l’État, la loi doit être le résultat de la volonté générale. C’est donc dans le peuple des fidèles que réside, sous un rapport général, l’infaillibilité de l’Église ; ce n’est que sous un « rapport très-spécial » que celle-ci appartient aux évêques « avec leurs Prêtres ». Il revient seulement aux pasteurs d’apporter le témoignage authentique de la foi de leurs Églises au concile conçu sur le modèle d’une assemblée nationale : les évêques et les prêtres ne sont rien d’autre que les « Députés du

1 J. de VIGUERIE, Christianisme et Révolution, op. cit., p. 45.

2 Rita HERMON-BELOT, L’abbé Grégoire. La politique et la vérité, Seuil, Paris, 2000, p. 35.

3 Voir Isabelle BRIAN, « La parole des prédicateurs à l’épreuve de la Révolution », AHRF, 2009, n°1, p. 34. 4 Jules CHARRIER, Claude Fauchet, évêque constitutionnel du Calvados, député à l’Assemblée Législative et à la

Convention (1744-1793), t. I, Honoré Champion, Paris, 1909, p. 64. Voir aussi Joseph F. BYRNES, Priests of the

French Revolution. Saints and renegades in a new political era, The Pennsylvania State University Press,

University Park, 2014, p. 50-52.

5 J. CHARRIER, Claude Fauchet, op. cit., p. 37-41.

6 Rita HERMON-BELOT, « L’abbé Fauchet », dans François FURET et Mona OZOUF, La Gironde et les Girondins,

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Peuple Fidéle1 ». Non seulement l’évêque doit obtenir le consentement du presbytère pour que ses ordonnances soient revêtues de la forme canonique, ce qui est conforme aux thèses défendues par Maultrot, mais le presbytère ne doit lui-même « donner son assentiment qu’en connoissance du desir & de la volonté des Fidéles2 ».

Une telle conception exclut que les chanoines de la cathédrale composent le presbytère de l’évêque. « Le Conseil permanent de l’Évêque, ou l’Assemblée des Anciens, qui représente habituellement le Presbytère, écrit ainsi Fauchet, seroit le Chapitre de la Cathédrale, s’il étoit composé, comme il devroit l’être, de Chanoines élus par le Synode3. » Fauchet entend en effet le presbytère dans deux sens. Le « Presbytère synodique4 » est composé non seulement des curés, mais aussi de l’ensemble du clergé, représenté par des députés. Le presbytère désigne également ces mêmes prêtres « représentés par un nombre d’anciens, qui doivent environner toujours l’Évêque, & former son Conseil5 ». Dans l’état actuel de l’Église, ces anciens qui forment le conseil fixe du prélat et jouent le rôle d’ « Agens du Presbytère » sont les grands vicaires, archidiacres et officiers épiscopaux. L’absence de tout jugement dévalorisant sur les vicaires généraux, qui s’explique peut-être par la parcimonie des recours à l’histoire ecclésiastique et par l’absence dans son propos d’évocation idéalisée des premiers siècles6, ou encore par la propre carrière ecclésiastique de l’auteur, qui n’a jamais été curé, constitue certainement l’une des originalités du manifeste de l’abbé Fauchet, qui se contente de souhaiter que les grands vicaires soient sinon choisis, du moins agréés par le presbytère synodique7.

En effet, l’extrême modération du programme de réforme ecclésiastique proposé dans la Religion Nationale contraste avec la radicalité des principes ecclésiologiques démocratiques qui y sont formulés. Si comme les richéristes Fauchet demande énergiquement la dénonciation du concordat de Bologne8, il s’oppose à l’invasion de la juridiction spirituelle par la puissance temporelle9 et n’entend supprimer ni les ordres religieux, ni les chapitres séculiers, même collégiaux10. Le programme réformateur de la Religion Nationale est en effet guidé par le

1 Claude FAUCHET, De la Religion Nationale, Bailly, Paris, 1789, p. 28-29. 2 Ibid., p. 74.

3 Ibid., p. 89. 4 Ibid., p. 138. 5 Ibid., p. 89.

6 Pour Fauchet comme pour la plupart des réformateurs gallicans, l’Église a certes connu une décadence

généralisée, à laquelle la réforme tridentine a été incapable de remédier en profondeur ; cependant, l’âge d’or du christianisme ne doit pas être situé aux trois premiers siècles, mais, conformément à la tonalité nationale adoptée par l’auteur, sous le règne de Charlemagne, cf. ibid., p. 30.

7 Ibid., p. 92. 8 Ibid., p. 107. 9 Ibid., p. 78. 10 Ibid., p. 113.

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principe que formule Fauchet lorsqu’il examine la réforme à entreprendre dans l’ordre de Malte : « Toute suppression est mauvaise, quand on peut rendre utile ce qui avoit cessé de l’être1. » Ainsi, « les Chanoines doivent être utiles » ; cependant, Fauchet s’empresse d’ajouter que les membres du chapitre de Paris et ceux d’autres cathédrales et collégiales de province le sont déjà2. L’abbé Fauchet approuve la collation des canonicats par l’évêque, mais aussi par les chapitres eux-mêmes. Dès lors que les évêques auront été élus par les presbytères et par le peuple, ils « rempliront leurs Chapitres d’hommes de bien », tandis que les chapitres « auront la même émulation pour se bien composer ». « Alors, estime Fauchet, les Chapitres seroient ce qu’ils doivent être, l’élite du Presbytère, & le sanctuaire vénérable du mérite Ecclésiastique3. » Ainsi, le chapitre de la cathédrale n’est pas le presbytère, mais il est appelé à en être la portion la plus digne.

Les ressemblances de certains aspects du programme de réforme de l’abbé Fauchet et des mesures adoptées en 1790 par la Constituante ne doivent donc pas faire illusion4. La pondération de la réforme des chapitres proposée en est un bon indicateur. Si générale que soit la réforme de l’Église gallicane proposée par le grand vicaire de Bourges, elle ne supprime aucune de ses institutions à l’exception de la commende, qui est alors largement décriée. Si la Constituante a pu s’inspirer de la Religion Nationale, c’est de manière très libre et en donnant aux mesures reprises une portée plus vaste et plus radicale.

Le projet réformateur de Fauchet reste celui d’un ecclésiastique qui cumule les bénéfices et n’a jamais exercé comme curé de paroisse rurale. Gaël Rideau relève que dans le bailliage d’Orléans, dont les doléances ecclésiastiques, qui témoignent d’une forte hostilité aux bénéficiers sans charge d’âmes, préfigurent pourtant les réformes de la Constituante, un seul cahier demande la suppression totale des chapitres, qui apparaissent avant tout comme de gros décimateurs cupides et accapareurs5. C’est donc sur la base davantage d’arguments économiques que de doctrines ecclésiologiques que les chapitres sont attaqués ; cette critique apparaît également chez Fauchet, quoique sous une forme modérée6. Lorsque l’abbé Nusse,

1 Ibid., p. 139. 2 Ibid., p. 134. 3 Ibid., p. 135.

4 J. CHARRIER, Claude Fauchet, op. cit., p. 64-76, a ainsi excessivement rapproché, et sur des points capitaux, les

mesures proposées dans la Religion Nationale des articles de la Constitution civile. Les meilleurs exemples en sont peut-être l’élection des évêques, effectuée clero et populo chez Fauchet, par les seuls citoyens actifs dans le décret du 12 juillet 1790, et l’institution canonique par le métropolitain : celle-ci, dans la pensée de Fauchet, n’intervient que dans le cas où le pape a refusé arbitrairement d’instituer l’évêque élu, et surtout n’est pas assortie d’une redistribution des métropoles, ni de la possibilité pour les tribunaux laïcs de juger de l’institution en dernier ressort.

5 Gael RIDEAU, « De l’impôt à la sécularisation : reconstruire l’Église. Les doléances religieuses dans les cahiers

de doléances du bailliage d’Orléans (1789) », AHRF, t. LXXVIII, 2006, n°3, p. 16.

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curé de campagne dans le diocèse de Soissons, recommande à ses confrères députés de se prononcer pour l’extinction totale des chapitres, il excepte explicitement de cette mesure le chapitre de la cathédrale, encore considéré comme « nécessaire1 ». Cependant, cette dernière proposition témoigne de la radicalisation des discours que favorise la convocation des États généraux. L’abbé Reymond se contentait de montrer qu’une éventuelle destruction des chapitres collégiaux ne causerait aucun dommage à la constitution et à la vie de l’Église. Dans les cahiers de doléances ou sous la plume de l’abbé Nusse, ce constat se transforme en propositions concrètes qui remettent en cause l’existence même de l’ordo canonicus.

La violence des attaques dont les chapitres font l’objet s’accompagne en effet, dans le clergé réformateur, de positions doctrinales plus hardies, qui tentent, comme dans les années précédentes, de se fonder sur l’histoire. Ainsi, sept semaines après l’ouverture des États généraux, la critique acerbe que fait l’abbé Grégoire des chanoines, insiste principalement sur l’appartenance de nombreux chanoines à la noblesse, mais s’appuie également sur une interprétation de l’histoire de l’Église : les chanoines ne peuvent prétendre former l’ancien presbytère, car ils n’étaient à l’origine que les jeunes élèves ecclésiastiques qui se préparaient au ministère sous les yeux de l’évêque2. L’opinion de Grégoire, qui semble reprise d’Étienne Pasquier3, avait été au début des années 1780 soigneusement réfutée par le chanoine Moreau4, ce qui suggère qu’elle était assez répandue à la fin de l’Ancien Régime parmi les détracteurs des chapitres.

La radicalisation des positions réformatrices apparaît le 31 octobre 1789 au cours des débats sur les biens du clergé lors de l’intervention de Jallet, curé de Chérigné au diocèse de Poitiers. Jallet demande en effet la suppression de tous les chapitres collégiaux, particulièrement des chapitres nobles dont l’institution est contraire au principe de l’égalité comme à l’esprit de l’Evangile. Quant aux chapitres cathédraux, ils seront « réformés pour les ramener à leur institution primitive, ou supprimés5 ». Jallet distingue donc encore les chapitres de cathédrales, dont l’existence possède un fondement dans l’Église des premiers siècles, des chapitres de collégiales irrémédiablement condamnés, mais conditionne leur maintien à leur retour à la pureté de leurs origines. Si le curé de Chérigné ne nie pas tout rapport entre chapitres et presbytère antique, il suggère donc leur déchéance de leur premier état, qui autorise l’Assemblée Nationale à opérer leur transformation en profondeur ou, si celle-ci est jugée

1 J.-F. NUSSE, Avis à mes confrères, op. cit., p. 37.

2 Henri GREGOIRE, Nouvelle lettre à MM. les curés, députés aux États-généraux, s. n., 1789, p. 15-16. 3 Étienne PASQUIER, Les recherches de la France, Martin Colet, Paris, 1633, p. 300.

4 E. MOREAU, Fonctions et droits, op. cit., p. 31-32. 5 AP IX, p. 614-615.

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inutile ou impossible, leur destruction pure et simple. Malgré sa brièveté, l’intervention de Jallet exprime donc pour la première fois à la Constituante le principe qui prévaut par la suite dans les débats sur le sort des chapitres.

Cependant, les premières propositions de réforme de l’Église émises par le comité ecclésiastique n’envisagent pas la suppression des chapitres cathédraux. Dans son rapport lu à la séance du 23 novembre 17891, Durand de Maillane distingue nettement les chapitres collégiaux, qui forment un « hors-d’œuvre dans la hiérarchie » et doivent donc disparaître en même temps que les bénéfices simples, des chapitres cathédraux, qu’il veut laisser subsister précisément parce qu’ils représentent l’ancien presbytère. Le canoniste déclare en effet les chapitres cathédraux « aussi anciens que l’Église », c’est-à-dire d’institution divine ou apostolique. « Inséparables de l’épiscopat », ils tiennent donc à la hiérarchie ecclésiastique.

Ils représentent cet ancien conseil de ministres expérimentés, compresbyterium, sans lequel les plus saints évêques de l’antiquité nous ont appris eux-mêmes qu’ils n’osaient entreprendre rien de tant soit peu grave dans leur gouvernement.

Si Durand de Maillane propose une « meilleure composition dans le conseil capitulaire de l’évêque2 » en y admettant d’anciens curés, il propose de leur rendre un rôle dans la désignation des évêques. Les chapitres, conjointement avec les évêques voisins du siège vacant, pourraient soumettre trois sujets au roi, qui choisirait parmi eux le nouvel évêque3. Pour le canoniste, le chant de l’office n’est pas le principal objet des chapitres : ceux-ci, parce qu’ils représentent le presbytère, doivent avant tout aider au gouvernement des diocèses4. Ainsi, le rapport du 23 novembre 1789 s’exprime encore en des termes proches de ceux des canonistes des dernières décennies de l’Ancien Régime. Loin de recommander l’extinction des chapitres cathédraux, il entend plutôt, tout en ménageant une place aux revendications du clergé paroissial, étendre leurs prérogatives dans une perspective qui peut rappeler celle des chanoines Clément et Moreau, voire celle des Conférences d’Angers. Il s’agit de rendre aux chapitres leur qualité de conseils permanents, capables d’émettre des avis utiles à l’intention des évêques5. La réforme assez mesurée de l’institution capitulaire que propose Durand de Maillane témoigne ainsi de la « modération » qui caractérise selon Albert Mathiez le premier plan du comité6.

1 Sur ce rapport, voir Rodney J. DEAN, L’Assemblée Constituante et la réforme ecclésiastique, 1790. La

Constitution civile du Clergé du 12 juillet et le serment ecclésiastique du 27 novembre, chez l’auteur, Paris, 2014,

p. 147-148.

2 Pierre-Toussaint DURAND DE MAILLANE, Histoire apologétique du comité ecclésiastique de l’Assemblée

Nationale, F. Buisson, Paris, 1791, p. 56.

3 AP X, p. 234. 4 Ibid., p. 237.

5 R. J. DEAN, L’Assemblée Constituante et la réforme ecclésiastique, op. cit., p. 148. 6 A. MATHIEZ, Rome et la Constituante, op. cit., p. 96.

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2.1.2. Du chapitre au conseil épiscopal : le rapport Martineau et la

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