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Le chapitre, Parlement de l’Église : les chapitres cathédraux dans la défense du second ordre par Gabriel-Nicolas Maultrot à la fin de

théologique, canonique et historique

1.2. Les doctrines gallicanes du presbytère à la fin du XVIII e siècle

1.2.5. Le chapitre, Parlement de l’Église : les chapitres cathédraux dans la défense du second ordre par Gabriel-Nicolas Maultrot à la fin de

l’Ancien Régime

La position de Gabriel-Nicolas Maultrot (1714-1803) est plus complexe. Canoniste laïc, avocat au Parlement de Paris depuis 1733, formé dans le contexte de la lutte des avocats

1 H. REYMOND, Droits des curés, op. cit., p. 305. 2 Ibid., p. 306.

3 Ibid., p. 307.

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contre la bulle Unigenitus (1728-1735)1, Maultrot se distingue rapidement comme un défenseur opiniâtre des droits du second ordre contre les pratiques des évêques de la fin de l’Ancien Régime, notamment en 1768, lorsqu’il appuie le clergé du second ordre qui à l’occasion du synode de Luçon s’attaque au « despotisme épiscopal2 ». Cependant, ses préoccupations, si elles peuvent se rapprocher de celles de Claude Salomon, qui l’invoque abondamment3, paraissent nettement distinctes de celles d’Henri Reymond. Collaborateur régulier des

Nouvelles Ecclésiastiques4, Maultrot est à la fin de l’Ancien Régime un membre éminent du parti janséniste5. Fort d’une vaste érudition et d’une solide culture théologique, le canoniste, sur le plan ecclésiologique, peut être désigné selon Philippe Denis comme un disciple fidèle d’Edmond Richer, dont il tient compte de l’ensemble de l’œuvre6. Comme le remarque Edmond Préclin, Maultrot, contraint par sa cécité à renoncer à ses activités d’avocat praticien pour exercer exclusivement comme avocat consultant, s’efforce dans ses écrits de tirer de l’enchevêtrement des faits des lois générales : son richérisme a le caractère d’un système complet et cohérent7.

En effet, il ne s’agit pas avant tout pour Maultrot d’obtenir l’amélioration du sort matériel des curés, mais de plaider pour un gouvernement ecclésiastique de charité et de raison, où seraient de mise délibération commune et consentement unanime8. Pour Maultrot, le gouvernement de l’Église est « directement opposé à la monarchie par sa loi fondamentale9 ». Il s’agit ainsi, à tous les degrés de la hiérarchie, d’un gouvernement essentiellement conciliaire et collégial10, seul propre à remédier à la faiblesse de l’homme, constamment en proie à l’ « envie de dominer » qui lui est naturelle11. C’est pourquoi un « bon Évêque désirera toujours d’avoir des Coopérateurs, des Aides, & pour ainsi dire des Contrôleurs12 ».

1 Catherine MAIRE, « L’Église et la Nation : du dépôt de la vérité au dépôt des lois. La trajectoire janséniste au

XVIIIe siècle », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 46e année, 1991, n°5, p. 1184.

2 B. PLONGERON, Conscience religieuse en Révolution, op. cit., p. 205 ; E. PRECLIN, Les Jansénistes du XVIIIe

siècle, op. cit, p. 315-320.

3 C. SALOMON, Lettre à un ami, op. cit., p. 56-63.

4 Sur cette feuille janséniste clandestine, voir Monique COTTRET et Valérie GUITTIENNE-MURGER (dir.), Les

Nouvelles Ecclésiastiques. Une aventure de presse clandestine au siècle des Lumières (1713-1803), Beauchesne,

Paris, 2016.

5 Edmond PRECLIN, Les Jansénistes du XVIIIe siècle, op. cit., p. 336.

6 Ph. DENIS, Edmond Richer, op. cit., p. 188.

7 E. PRECLIN, Les Jansénistes du XVIIIe siècle, op. cit., p. 338, 458 ; Catherine MAIRE, De la cause de Dieu à la

cause de la Nation. Le jansénisme au XVIIIe siècle, Gallimard, Paris, 1998, p. 566.

8 D. VAN KLEY, Les origines religieuses de la Révolution, op. cit., p. 494-496.

9 G.-N. MAULTROT, Les Droits du second ordre, défendus contre les Apologistes de la domination Épiscopale, ou

Réfutation d’une consultation sur l’autorité législative des Évêques dans leurs Diocèses, publiée en 1775 en faveur de M. de Condorcet, Évêque de Lisieux, contre les Curés de son Diocèse, s. n. s. l., 1779, p. 443.

10 Jeanne-Marie TUFFERY-ANDRIEU, « Un aspect du pouvoir législatif de l’évêque : le synode diocésain, du

Concile de Trente au Code de 1917 », RDC, t. LV, 2005, n°2, p. 366.

11 G.-N. MAULTROT, Les Droits du second ordre, p. 407. 12 ID, Le droit des prêtres dans le synode, op. cit., t. I, p. 167.

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C’est dans cette perspective que Maultrot traite de l’origine, de la nature et des attributions des chapitres. Dans les premiers siècles, « qui disoit l’Évêque, disoit l’Évêque & tout son Presbytere1 », c’est-à-dire le corps formé par les « Prêtres & les Diacres qui gouvernoient le Diocèse avec [l’évêque] & sous lui2 ». En effet, estime le canoniste, Jésus- Christ et l’Église ont prescrit des formes pour que les ordonnances de l’évêque aient véritablement caractère de loi, et « ces formes sont que les lois Ecclésiastiques ne soient pas émanées d’un homme seul, & qu’elles soient le résultat de la délibération d’un Concile » formé par les prêtres de l’Église locale3. Dans les premiers temps de l’Église, l’évêque réunissait autour de lui la totalité du clergé de son diocèse ; le presbytère formait donc autour de son chef un concile permanent. À l’érection des paroisses rurales, « on a pris […] le sage tempérament de partager le Presbytere en deux, le Presbytere de la Ville, & le Presbytere de la campagne4 ». Maultrot refuse l’idée d’une prééminence du clergé de la ville épiscopale sur le clergé rural : la partie urbaine du presbytère n’avait pas « plus de droit que l’autre, mais […] il étoit plus commode à l’Évêque de la consulter5 ». C’est encore un motif pratique de commodité qui a peu à peu restreint le presbytère urbain au chapitre de la cathédrale. En effet, après la scission du presbytère, les curés de ville sont progressivement accaparés par leurs tâches paroissiales, qui les éloignent du conseil de l’évêque.

Les Chanoines de la Cathédrale au contraire n’étant occupés qu’à prier Dieu, il leur étoit plus facile de coopérer avec l’Évêque dans les affaires quotidiennes6.

Ainsi le chapitre a-t-il par une évolution insensible formé seul le sénat avec lequel l’évêque délibérait. Ce sénat restreint, cependant, n’a pu succéder au presbytère. La preuve en est selon Maultrot que l’institution des synodes est contemporaine de la scission du presbytère. La « fin manifeste des Synodes » est donc de reformer, une ou deux fois l’an, l’ancien corps du clergé du diocèse7. Le synode diocésain « n’est qu’une continuation de l’ancien Presbytere8 », où l’évêque ne peut légiférer que du consentement du second ordre, qui a donc la voix délibérative9.

Maultrot ne considère cependant pas le chapitre cathédral comme inutile. Certes,

1 ID., Les Droits du second ordre, op. cit., p. 116. 2 Ibid., p. 376.

3 ID., Le droit des prêtres dans le synode, op. cit., t. I, p. 164. 4 ID., Les Droits du second ordre, op. cit., p. 378.

5 Ibid., p. 310. 6 Ibid., p. 379. 7 Ibid., p. 378.

8 ID., Le droit des prêtres dans le synode, op. cit., t. I, p. 177. 9 Ibid., p. 164.

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le chapitre « ne représente pas le Synode, dont sans cela la convocation auroit été illusoire1 ». Cependant, pour le canoniste,

Les Chanoines de la Cathédrale sont devenus en quelque sorte les mandataires & les représentans du Clergé, pour gouverner en son nom & en sa place conjointement avec l’Évêque2.

Les deux affirmations peuvent sembler contradictoires. En réalité, il faut distinguer, dans l’argumentation de Maultrot, le clergé dispersé du synode, ou clergé assemblé en concile diocésain. Dans la conception de l’Église résolument conciliariste du canoniste, c’est seulement au clergé régulièrement convoqué et assemblé, délibérant sous la conduite de l’Esprit-Saint, qu’appartient l’autorité, et non au clergé considéré comme somme d’individus. Le concile ne peut être représenté que par lui-même. En revanche, le clergé dispersé peut et doit être représenté auprès de l’évêque par un mandataire, qui ne peut cependant posséder la plénitude de ses droits. Le rôle de représentation assigné aux chapitres est ainsi explicitement pensé par Maultrot sur le modèle de la procuration. La mission du chapitre comme représentant du clergé est donc clairement délimitée ; il s’agit de former, pour reprendre les mots d’Edmond Préclin, la « section permanente du presbytère3 » :

Il le représente pour entourer l’Évêque & régler avec lui ce qu’il y a de facile & d’instant dans le régime du Diocèse, ce que faisoit autrefois le Clergé entier de la Ville4.

Le jurisconsulte tend donc à envisager le chapitre comme un corps distinct de l’évêque, auprès duquel il est le mandataire du clergé du diocèse ; dès lors, il ne peut représenter le synode, dont l’essence « consiste dans [le] jugement conjoint de l’Évêque & de son Clergé5 ». C’est probablement sur ce point que la position de Maultrot sur les chapitres est la plus originale. Les prérogatives du chapitre de la cathédrale ne découlent pas de l’union du corps avec son chef. Ainsi Maultrot se sépare-t-il des autres canonistes et théologiens en refusant de déplorer les exemptions obtenues par les chapitres. Celles-ci, loin d’être des abus par lesquels les chapitres ont déchu de leur ancien état, sont au contraire des vestiges de l’antique discipline de l’Église qu’il importe de préserver et non d’abolir.

On prétend que ces foibles restes des beaux jours de l’Église sont des abus qu’il faudroit ensevelir dans un éternel oubli pour l’honneur des Chapitres, dont ils retracent l’usurpation. C’est précisément tout le contraire. Ce sont les Évêques qui ont secoué le joug de l’ancienne discipline, qui se sont lassés d’avoir des coopérateurs & des Conseillers qui gênoient la domination arbitraire. Les Chapitres chargés de défendre les droits du Clergé l’ont fait avec trop de foiblesse. Ils auroient dû s’opposer comme un mur d’airain à ces nouveaux projets de despotisme. Leurs efforts, s’ils en

1 ID., Les Droits du second ordre, op. cit., p. 380. 2 Ibid., p. 379.

3 E. PRECLIN, Les Jansénistes du XVIIIe siècle, op. cit., p. 330.

4 G.N. MAULTROT,Les Droits du second ordre, op. cit., p. 380-381. 5 ID., Le droit des prêtres dans le synode, op. cit., t. II, p. 7.

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ont fait, ayant été sans succès, ils ont au moins tâché de conserver quelques-uns des droits dont ils jouissoient dès les premiers temps. Ce sont quelques débris sauvés du naufrage, où tout a été englouti par l’ambition & le desir de dominer1.

C’est donc en vain qu’on allègue, contre les droits des chapitres, des exemptions qui n’ont « ni changé, ni pu changer les droits du Chapitre qui ne lui étoient pas acquis précisément à raison de sa soumission à l’Évêque, mais comme représentant le Clergé du Diocèse2 ». Contrairement à ce qu’estiment même les chanoines jansénisants d’Auxerre, les exemptions, notamment la faculté concédée à certains chapitres de nommer leurs membres, doivent précisément permettre aux chapitres de remplir convenablement leur tâche de conseil et de contre-pouvoir. Maultrot, marqué par la culture et les pratiques parlementaires, conçoit en effet le chapitre sur le modèle du sénat des monarchies tempérées, dont le souverain doit obtenir le consentement alors qu’il n’en a pas lui-même choisi les membres3. Comme l’a montré Monique Cottret, la connexion entre pensée politique et pensée ecclésiologique est réelle chez Maultrot4. « Où a-t-on pris cette idée, qu’il ne peut y avoir que des conseils de goût & de choix ? se demande donc le canoniste. Ignore-t-on qu’il y a des Conseils légaux, que la loi donne aux gens en place malgré eux ? » Par une telle idée, on dispense en réalité les évêques de consulter d’autres conseillers que les grands vicaires et officiers complaisants qu’ils ont nommés. C’est précisément, estime Maultrot, ce que défendent les canons5.

Le chapitre, même exempt, conserve donc la plénitude de ses prérogatives dans le gouvernement du diocèse, sans quoi les canons lui attribueraient en vain le titre de sénat de l’Église, qui implique également que l’évêque soit contraint de se régler par ses avis :

Si le Chapitre est encore aujourd’hui le Sénat de l’Église, l’Évêque doit suivre son avis, & non pas seulement le demander pour la forme6.

Le jurisconsulte s’oppose donc à la corruption moderne de la discipline que constitue le « droit nouveau », suivant lequel le chapitre « ne peut donner qu’un avis, dont l’Évêque se

1 ID., Les Droits du second ordre, op. cit., p. 367. 2 Ibid., p. 368.

3 L’analogie entre le chapitre de la cathédrale et les cours souveraines de la monarchie française est explicite dans

les Maximes du droit public françois, tirées des capitulaires, des ordonnances du royaume et des autres monumens

de l’histoire de France, Marc-Michel Rey, Amsterdam, 1775, du jurisconsulte janséniste Claude MEY, auxquelles Maultrot a contribué. On y lit en effet, t. II, p. 352, qu’il en est « à peu près de même » des Parlements vis-à-vis du

roi et du chapitre vis-à-vis de l’évêque. En effet, le roi envoie ses ordonnances aux magistrats pour qu’ils l’examinent « comme l’Évêque envoie son Mandement au Chapitre ». Le rapport du chapitre au synode paraît de même comparable à celui des Parlements aux États généraux, dont ils forment l’ « image en racourci » (ibid., t. I, p. 130). Sur les conceptions parlementaires de la représentation, voir F. DI DONATO, « Le concept de “représentation” », loc. cit.

4 Monique COTTRET, Jansénismes et Lumières. Pour un autre XVIIIe siècle, Albin Michel, Paris, 1998, p. 279-280.

5 G.-N. MAULTROT., Les Droits du second ordre, op. cit., p. 373-374. Maultrot fait ici référence à la lettre

d’Alexandre III au patriarche de Jérusalem lui prescrivant de consulter son chapitre.

79 moque quand il veut1 ».

La position de Maultrot sur l’institution capitulaire est donc bien plus originale que ne le laissent penser même les auteurs comme Salomon qui se réclament de ses travaux. Tout en niant que le chapitre représente l’ancien presbytère, le canoniste reconnaît en lui le représentant indispensable du clergé dispersé, mandaté par ce dernier pour contrôler l’administration journalière du diocèse. Cette tâche exige que le chapitre demeure institutionnellement indépendant de l’évêque. Certes, Maultrot paraît isolé dans le renversement qu’il opère des opinions les plus répandues à l’époque. Ainsi, L’Ecclésiastique citoyen, publié en 1787, ouvrage que Dale Van Kley décrit comme une « panoplie d’idées jansénistes2 » et qui se réfère à Maultrot dans sa défense de la dignité des curés, désigne-t-il la juridiction particulière des chapitres comme un « privilège pitoyable3 », tandis qu’en 1789 un recueil de jurisprudence juge leurs exemptions particulièrement « monstrueuses » en tant qu’elles transforment le conseil de l’évêque en son « rival4 ». La nature du rôle qu’il attribue aux chapitres suggère ainsi le décalage qui existe dès la fin de l’Ancien Régime entre Maultrot et les nombreux auteurs qui parlent son langage et puisent dans son œuvre la justification théorique de leurs revendications. Néanmoins, la position du canoniste montre que jusque dans les dernières années qui précèdent la Révolution, la cause du second ordre n’implique nullement de manière nécessaire la dépréciation des chapitres cathédraux, auxquels il s’agit au contraire de rendre tout leur rôle de contre-pouvoir.

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