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Du chapitre au conseil épiscopal : le rapport Martineau et la Constitution civile du clergé

Conclusion du chapitre

Chapitre 2 : Entre utilitarisme et archéologisme : le presbytère en Révolution

2.1. Vers la destruction de l’ordo canonicus : de la préparation des États généraux aux premiers projets de réforme ecclésiastique

2.1.2. Du chapitre au conseil épiscopal : le rapport Martineau et la Constitution civile du clergé

Le renouvellement du comité ecclésiastique le 7 février 1790, qui y fait entrer quinze hommes de gauche, ce qui provoque deux jours plus tard la démission de ses membres conservateurs1 entraîne cependant, au moment même où l’Assemblée demande un plan constitutionnel pour l’organisation du clergé, une radicalisation des projets de réforme. Comme le note Pierre de La Gorce, le rapport est élaboré sous l’influence prédominante de légistes d’une érudition théologique et canonique remarquable, mais qui, comme avocats du clergé, n’ont souvent « pénétré le monde ecclésiastique que par ses petitesses, ses rapacités, ses compétitions vaniteuses2 », ce qui n’est pas sans conséquence dans le traitement accordé à la question capitulaire, envisagée davantage sous le rapport de l’utilité et de la réforme des abus que sous celui de principes ecclésiologiques ou canoniques nettement définis. Alors que Durand de Maillane distinguait les chapitres collégiaux, étrangers à la hiérarchie, des chapitres cathédraux auxquels il reconnaît une origine apostolique, le rapport Martineau du 21 avril 1790 les enveloppe dans un même reproche : les chapitres tant collégiaux que cathédraux ne sont « d’aucune utilité, ni pour les peuples, ni pour la religion, et la raison d’inutilité est une raison suffisante de suppression3 ». Sur ce point, le rapport Martineau ne se distingue guère du projet de décret proposé le 12 février 1790 par l’abbé Sieyès, qui prévoit de supprimer toutes les corporations ecclésiastiques pour ne conserver qu’une hiérarchie exclusivement composée d’évêques, de curés et de vicaires4.

Certes, Martineau, qui prévoit que la suppression des chapitres cathédraux, contrairement à celle des collégiales, considérée comme une évidence, soulèvera des oppositions, reconnaît que l’institution des chapitres est « grande, majestueuse, infiniment utile

1 Sur ce renouvellement, voir R. J. DEAN, L’Assemblée Constituante et la réforme ecclésiastique, op. cit., p. 183-

187 ; P. de LA GORCE, Histoire de la Révolution française, Plon, Paris, 1909, t. I, p. 200-203 ; A. MATHIEZ, Rome

et la Constituante, op. cit., p. 98-100 ; Jérôme TISSOT-DUPONT, « Le comité ecclésiastique à l’Assemblée Nationale Constituante (1789-1791). De L’Histoire apologétique par Durand de Maillane à la recherche moderne », RHEF, t. XC, 2004, p. 431.

2 P. de LA GORCE, Histoire de la Révolution française, op. cit., p. 202. 3 AP XIII, p. 168.

4 Emmanuel-Joseph SIEYES, Projet d’un décret provisoire sur le clergé, Imprimerie Nationale, Paris, 1790, p. 25,

27-28. Le 31 mai 1790, pendant les débats sur la Constitution civile du clergé, Robespierre réduit quant à lui les ecclésiastiques utiles aux évêques et aux curés (Œuvres de Maximilien Robespierre, tome VI, Discours (1789- 1790), édition préparée sous la direction de Marc BOULOISEAU, Georges LEFEBVRE et Albert SOBOUL, Presses Universitaires de France, Paris, 1950, p. 386). Loin d’être originale, la position de Robespierre sur la réforme du clergé, fondée sur des considérations d’utilité sociale, reflète celle des autres juristes patriotes de la Constituante (Paul CHOPELIN, « Le mythe du “grand prêtre” de la Révolution. Robespierre, la religion et l’Être Suprême », dans Michel BIARD et Philippe BOURDIN (dir.), Robespierre. Portraits croisés, Armand Colin, Paris, 2014, p. 132-133).

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à la religion ». C’est en effet celle du presbytère, sénat et conseil-né de l’évêque. Cependant, pour le rapporteur, il est évident que les chapitres ont cessé d’être ce qu’ils étaient. Martineau reprend alors l’habituelle critique des exemptions, par lesquelles les chanoines se sont irrémédiablement séparés de leur chef, de sorte que les chapitres ne sont plus « que de nom » le conseil des évêques, désormais secondés par des vicaires généraux. Tandis que le rapport du 23 novembre 1789 ambitionnait une réforme de l’institution capitulaire, celle-ci est désormais jugée irréformable à cause de la mauvaise volonté des chanoines1. Dès lors, sa suppression est inévitable, afin, précisément, de restaurer l’institution perdue du presbytère. La cathédrale doit redevenir une église paroissiale dont l’évêque sera le curé et dont les vicaires succéderont aux chanoines. Alors, estime Martineau,

l’évêque et son clergé seront vraiment ce qu’ils doivent être, et ce qu’ils furent dans la première institution ; un collège pastoral, dont l’évêque sera le chef ; un corps unique, animé du même esprit, dirigé par les mêmes principes, dignes d’être tout à la fois le modèle et le conseil de toutes les églises secondaires2.

Pour Edmond Préclin, ce projet de réforme des cathédrales, qui se réclame du retour à la discipline primitive, rappelle à la fois les doctrines de Maultrot et les polémiques auxerroises du début des années 17803. Paul Chopelin écrit de même que cette mesure, qui confie un ministère paroissial à l’évêque, se situe dans le droit fil des théories richéristes4. La diversité et la complexité des thèses défendues sur ce point par les auteurs richéristes invitent néanmoins à nuancer ces jugements. En effet, la réforme, que ses partisans justifient par la critique radicale des exemptions5, ne correspond guère à l’idée que forme Maultrot des fonctions de sénat que doit remplir le chapitre. À cet égard, l’hostilité du canoniste à la destruction des chapitres n’est nullement un revirement, mais se situe dans la continuité de ses écrits d’Ancien Régime. En revanche, la nouvelle organisation des cathédrales projetée par le rapport Martineau paraît plus proche des aspirations des chanoines jansénisants d’Auxerre, qui concevaient les chanoines

1 « S’il est certain que les chapitres des églises cathédrales ont cessé d’être les coopérateurs de leur évêque, qu’ils

se sont séparés de lui, qu’ils se sont élevés contre lui ; qu’au lieu de le regarder comme leur chef, ils l’ont même exclu de leurs assemblées capitulaires, ou ne lui permettent d’y assister que comme simple chanoine ; s’il est notoire que, depuis longtemps, les chapitres ne sont plus que de nom le conseil des évêques, et que les évêques se sont donné d’autres coopérateurs, des grands-vicaires, des vicaires généraux ; s’il est indubitable que les dignitaires, chanoines et prébendés de nos églises cathédrales ne consentiraient jamais à redevenir ce qu’ils furent dans le principe, les simples coopérateurs, les simples vicaires des évêques, vous ne pouvez pas balancer à décréter leur suppression » (Archives parlementaires, t. XIII, p. 169).

2 Ibid.

3 E. PRECLIN, Les Jansénistes du XVIIIe siècle, op. cit., p. 473.

4 Paul CHOPELIN, « Les paroisses urbaines de l’Église constitutionnelle (1791-1803) », dans A. BONZON, Ph.

GUIGNET, M. VENARD (dir.), La paroisse urbaine, op. cit., p. 292.

5 C’est le cas par exemple de Treilhard, qui en réponse à l’intervention de Mgr de Boisgelin renchérit le 30 mai

1790 sur les termes du rapport Martineau en évoquant des chapitres divisés par l’intérêt et devenus les « rivaux, pour ne pas dire les ennemis », des évêques (AP XV, p. 745).

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comme les « vicaires en titre » de l’évêque1 : en insistant sur l’union du corps des vicaires avec l’évêque, sur la dimension collégiale de leur action, sur la participation au gouvernement de l’Église en même temps que sur l’exercice du ministère pastoral, le rapport semble favoriser une évolution conforme à leurs vœux, ce que paraît confirmer l’adhésion des deux chanoines aux réformes2. Pour le chanoine Clément, la Constitution civile du clergé semble cependant n’avoir été qu’un prélude à une réforme plus générale et plus profonde3, et il faut relever qu’en faisant de l’évêque le curé de la cathédrale, le rapport Martineau ne reprend pas l’idée, essentielle chez les deux chanoines, de cure solidairement desservie par le collège des chanoines.

Mais il faut souligner surtout que ni Clément, ni Moreau n’avaient envisagé le remplacement des chapitres existants, qu’ils voulaient au contraire rétablir dans leurs anciennes prérogatives. Si les deux chanoines ont pu être séduits par un projet qui se présente uniquement comme un retour à la discipline des premiers siècles, les propositions que fait Martineau pour ramener l’église cathédrale à son « état primitif4 » sont marquées par l’ambiguïté qui caractérise le plan de régénération de l’Église. En effet, la réforme des cathédrales, sous prétexte de retour à l’Antiquité chrétienne, s’opère par la création d’une institution nouvelle, substituée à celle qui s’exerçait dans la confusion ou la corruption5. Les chapitres cathédraux, n’étant plus que l’image déformée et obscurcie du presbytère qu’ils représentent, doivent céder la place à de nouveaux collèges institués par la nation, seule capable de faire revivre l’ancien presbytère ; la renaissance du presbytère exige la destruction des chapitres.

Ainsi, bien que le rapport Martineau use, à propos de la réforme des cathédrales, d’un langage qui peut rappeler les auteurs richéristes de la fin de l’Ancien Régime, la suppression des chapitres, comme l’a remarqué Ségolène de Dainville-Barbiche, relève bien plus du rationalisme et de l’utilitarisme hérités des Lumières que du jansénisme. La transformation de la cathédrale en paroisse pourrait avoir été motivée non pas seulement par la volonté de revenir

1 J.-Ch.-A. CLEMENT, Mémoire sur le rang, op. cit., p. 20.

2 E. PRECLIN, Les Jansénistes au XVIIIe siècle, op. cit., p. 504. Le soutien de l’abbé Clément à la Constitution civile du clergé est bien connu ; l’abbé Moreau quant à lui semble avoir prêté le serment et ne l’avoir rétracté qu’en 1796.

3 Jean-Charles-Augustin CLEMENT, Lettres d’un jurisconsulte sur les intérêts actuels du clergé adressées à un

député, Leclère, Paris, 1790, p. 11. Le chanoine Clément, cependant, n’aborde guère dans cette brochure la

nouvelle organisation des cathédrales.

4 AP XIII, p. 172.

5 Voir Lucien JAUME, Le religieux et le politique dans la Révolution française. L’idée de régénération, Presses

Universitaires de France, Paris, 2015, p. 21 ; voir également le commentaire du rapport Martineau, ibid., p. 55-78. Mona OZOUF, L’homme régénéré. Essais sur la Révolution française, Gallimard, Paris, 1989, p. 155, note que la régénération révolutionnaire est « rebelle à la pensée de la transformation » : il n’est jamais question d’utiliser l’ancien, mais seulement de l’abolir ou de le laisser s’évanouir pour que puisse surgir le nouveau.

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à l’Église primitive, mais aussi par des soucis d’économie1, et il reste à prouver que tous les richéristes ont « allègrement consenti à la suppression des chapitres » en juin 1790, comme a pu l’écrire Edmond Préclin2. L’examen des débats parlementaires sur les conseils épiscopaux, brefs et théologiquement très superficiels3, confirment en revanche son jugement sur la défaite des idées richéristes. Certes, le 8 juin 1790, Goupil de Préfeln, considéré comme l’un des députés les plus ouvertement jansénistes de la Constituante4, désigne le remplacement des chapitres cathédraux comme « une des plus importantes questions » qui aient été soumises à l’Assemblée et oppose, en des termes qui rappellent Maultrot, le « gouvernement absolu » au « gouvernement de charité et de conseil ». Il se dresse donc contre Garat l’aîné, qui estime que rien ne prouve que l’évêque soit tenu d’avoir un conseil. Goupil de Préfeln propose au contraire qu’en cas de désaccord sur une affaire urgente entre l’évêque et ses vicaires, le premier n’ait que provisoirement voix décisive jusqu’à ce qu’il puisse en être référé au synode5. Cette proposition n’est cependant pas retenue par l’Assemblée, qui ne précise jamais avec exactitude l’étendue des attributions du conseil et n’y fait pas entrer les curés urbains conservés.

Le 15 juin 1790, Martineau confirme que les vicaires épiscopaux ne perdront pas leur place à la mort de l’évêque qui les a nommés6, mais s’oppose, le 2 mars 1791, aux « articles de superfétation » proposés par Legrand au nom du comité ecclésiastique pour affirmer plus nettement l’inamovibilité des vicaires. À ses yeux, le décret du 12 juillet 1790 est déjà très favorable aux vicaires, qui ne sont que les mandataires des évêques. Ceux-ci, estime Martineau,

ne doivent donc pas être forcés de garder auprès d’eux des gens qui ne leur conviendraient peut- être sous aucun rapport. La raison veut qu’on ne donne sa confiance qu’à des hommes de son choix ou dont on a validé librement le choix.

Ainsi, la logique même des critiques adressées aux chapitres cathédraux en raison de leurs exemptions finit par ébranler la position des nouveaux vicaires épiscopaux. Si Grégoire se prononce en faveur des nouveaux articles, Buzot estime qu’il est contraire à la Constitution civile du clergé de « mettre [un évêque] dans la dépendance d’un conseil qu’il n’aura pas formé », et l’Assemblée passe à l’ordre du jour7. Dans les mois où s’installe la nouvelle Église constitutionnelle, il apparaît donc clairement que les constituants n’ont pas l’intention de

1 S. de DAINVILLE-BARBICHE, Devenir curé à Paris, op. cit., p. 242. 2 E. PRECLIN, Les Jansénistes du XVIIIe siècle, op. cit., p. 477.

3 Paul CHOPELIN, « L’évêque et ses vicaires. Le gouvernement collégial dans la première Église constitutionnelle

(1791-1793) », dans Paul CHOPELIN (dir.), Gouverner une Église en Révolution. Histoires et mémoires de

l’épiscopat constitutionnel. Actes du colloque organisé par le Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes. Lyon, 8-9 juin 2012, LARHA, Lyon, 2017, p. 157.

4 R. J. DEAN, L’Assemblée Constituante et la réforme ecclésiastique, op. cit., p. 166. 5 AP XVI, p. 142.

6 Ibid., p. 221. 7 Ibid., t. XXIII, p. 597.

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reformer l’ancien presbytère tels que le concevaient les richéristes. Durand de Maillane, dans son Histoire apologétique, peut donc déclarer qu’il n’est jamais entré dans les vues du comité ecclésiastique de diminuer la juridiction épiscopale : le Comité ecclésiastique n’aurait pas eu d’autre intention que de « mettre tant l’évêque que son presbitère, dans cette heureuse et paternelle correspondance, dont l’évêque et les chanoines avoient de part et d’autre secoué le joug depuis des siécles1 ».

Il est possible de s’interroger sur la radicalisation manifeste des plans de réforme ecclésiastique entre la fin 1789 et le printemps 1790. Si celle-ci résulte bien sûr du doublement du comité, il convient certainement d’insister sur l’importance de la réforme de la carte ecclésiastique. Supprimer des évêchés signifie en effet éteindre les chapitres cathédraux correspondants avec leur juridiction. Une fois acquis le principe de la compétence de l’Assemblée en matière de circonscription diocésaine, le fait que les chapitres de cathédrales, à la différence des collégiales, possèdent une juridiction, cesse d’être un obstacle à leur remplacement. Les chapitres cathédraux peuvent dès lors être compris dans l’opprobre dont est frappé l’ordo canonicus en général.

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