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Un compilateur des thèses canoniques gallicanes : Durand de Maillane

théologique, canonique et historique

1.2. Les doctrines gallicanes du presbytère à la fin du XVIII e siècle

1.2.1. Un compilateur des thèses canoniques gallicanes : Durand de Maillane

Dans son Dictionnaire de droit canonique, qui forme une « vaste compilation des traités des auteurs gallicans1 », significative à cet égard de la pensée la plus commune en France dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, Durand de Maillane ne donne du presbytère qu’une définition très sommaire :

On appelloit ainsi dans les premiers siécles de l’Église ce qui formoit l’Assemblée du Clergé Supérieur, dont l’Évêque prenoit ordinairement l’avis dans les affaires tant soit peu importantes.

Cependant, si le canoniste ne propose pas d’exposé systématique sur le presbytère, sa position ne se résume pas à cette définition. En effet, il renvoie au mot « Chapitre » pour voir « comment les Chanoines ont cessé de former le Presbiterium auprès des Évêques2 ».

Plusieurs regardent les Chapitres des Églises Cathédrales, note Durand de Maillane à propos de l’origine des chapitres, comme cet ancien Conseil de l’Évêque qui composoit son Praesbiterium, sans l’avis duquel il ne faisoit rien de considérable dans le gouvernement de son Église.

À cette époque, prêtres et diacres résidaient tous dans la ville épiscopale et « ne formoient qu’un corps avec leur Évêque ; ils avoient indivisiblement avec lui & sous lui, le gouvernement des autres Ecclésiastiques & de tous les Fidéles du Diocèse3 ». On retrouve dans cet exposé des attributions de l’ancien presbytère deux traits appelés à connaître une fortune particulière lors des controverses de la Révolution : le presbytère est uni à l’évêque, dont il ne peut être séparé ; en vertu de cette union, l’évêque ne peut prendre aucune décision importante sans en conférer avec lui. Il faut noter que Durand de Maillane ne précise ni les modalités, ni la portée de l’avis donné par le presbytère à son évêque.

Après l’érection des paroisses rurales, il devient pratiquement très difficile de réunir le presbytère, qui renvoie donc à l’ensemble des prêtres et des diacres ; l’évêque ne le convoque plus que pour les affaires importantes, ce qui assimile le presbytère du Haut Moyen Âge au synode de l’Ancien Régime. Cependant,

1 G. PELLETIER, Rome et la Révolution française, op. cit., p. 225.

2 Pierre-Toussaint DURAND DE MAILLANE, Dictionnaire de droit canonique, t. II, op. cit., p. 257. 3 Ibid., t. I, p. 269.

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chaque Évêque continua de régler & de gouverner son Peuple par les avis des Ecclésiastiques qui faisoient leur résidence dans la ville Episcopale : ce qui se pratiquoit si constamment, qu’après l’érection des Églises Cathédrales, où les Chanoines ménoient une vie commune […] le Chapitre de ces Églises devint comme le conseil ordinaire & nécessaire de l’Évêque.

Le canoniste suggère ainsi qu’après une période de transition où les curés de la ville épiscopale ont exercé les fonctions du presbytère, celles-ci sont revenues progressivement dans les faits aux chanoines des cathédrales, dont l’évêque est le chef. Le récit du transfert des attributions du conseil de l’évêque aux chapitres des cathédrales n’a rien de propre à Durand de Maillane, mais semble assez généralement reçu parmi les théologiens et canonistes français de la fin du XVIIIe siècle, qui peuvent le reprendre de Thomassin aussi bien que de Van Espen. C’est l’interprétation qui en est donnée qui varie d’un auteur à l’autre. Pour Durand de Maillane, l’évolution qui a consacré les droits des chapitres cathédraux ne semble rien comporter d’intrinsèquement illégitime dans la mesure où un corps d’ecclésiastiques dont l’évêque est le chef continue à gouverner avec lui le diocèse, ce qui est conforme à l’institution antique du presbytère. Cependant, le canoniste remarque aussitôt que « depuis ce temps les choses ont bien changé » :

Soit que les Chanoines aient été peu capables de remplir la fonction de Conseil de l’Évêque pendant les siécles d’ignorance, soit à cause des exemptions auxquelles les Chapitres ont eu leur part ; soit enfin, que les Évêques aient voulu gouverner avec plus d’indépendance, les Chapitres des Cathédrales ont perdu le droit d’être le Conseil nécessaire de leur Chef1.

Les exemptions apparaissent à cet égard comme la raison la plus significative dans la mesure où elles fondent en droit la perte par les chapitres cathédraux des attributions de l’ancien presbytère. Le canoniste se fait en effet l’écho d’une tradition épiscopale gallicane, puisqu’au concile de Trente les évêques français s’étaient déjà distingués par leurs attaques virulentes contre les chapitres exempts2. Associées comme chez Fleury, qui les estime inconnues des beaux jours de l’Église3, au « tems de relâchement4 », les exemptions sont définies par Durand de Maillane dans l’article qui leur est consacré comme le « Privilége qui soustrait une Église, une Communauté séculiere ou réguliere à la jurisdiction de l’Évêque5 ». Le canoniste estime que ce n’est qu’après le XIIe siècle que l’exemption des chapitres cathédraux s’est peu à peu généralisée à l’imitation des privilèges accordés aux réguliers. S’il juge peu favorablement les exemptions accordées aux ordres religieux, qui lui paraissent contraire à l’esprit de l’Église,

1 Ibid., p. 270.

2 A. TALLON, La France et le concile de Trente, op. cit., p. 711-719. 3 C. FLEURY, Discours, op. cit., p. 41.

4 P.-T. DURAND DE MAILLANE, Dictionnaire de droit canonique, op. cit.., p. 680. 5 Ibid., p. 674.

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l’exemption du chapitre d’une cathédrale lui apparaît contraire à la nature même d’une telle institution :

Au siécle de ce Saint [Bernard de Clairvaux], les Chapitres qui se formoient encore sous les yeux des Évêques, & se regloient même par leur autorité, n’étoient pas au cas des Moines, pour réclamer l’exercice libre & tranquille de leur regle1.

Il appartenait à la nature même des chapitres cathédraux d’être, comme héritiers du presbytère, placés sous l’autorité de l’évêque. Dès lors qu’un chapitre obtient une exemption qui l’excepte de la juridiction épiscopale, les chanoines sont détachés de l’autorité de l’évêque ; ils cessent donc de former avec lui un seul corps. Par conséquent, dans le « plus nouveau droit », les chapitres n’ont conservé, des attributions du presbytère, que quelques droits le siège étant rempli : l’évêque n’est tenu de requérir le consentement de son chapitre que dans les affaires qui regardent son intérêt ou la réforme de la liturgie2. Bien que le chapitre continue à exercer le gouvernement du diocèse pendant la vacance du siège, il a donc cessé, en droit comme en fait, d’être le conseil nécessaire de l’évêque. S’il représente l’ancien presbytère, comme l’admet presque incidemment le canoniste3, c’est donc imparfaitement et au sens le plus faible, comme un vestige de l’institution dont il a pris la place sans en remplir les fonctions. Pour Durand de Maillane, la rupture qui s’est produite avec la multiplication des exemptions à l’époque médiévale rend donc impossible d’affirmer l’identité du presbytère et du chapitre cathédral, dont l’état actuel est le résultat du relâchement, de l’ignorance et des abus. Ainsi, bien que le

Dictionnaire de droit canonique ne se prête pas à la formulation de projets de réforme de

l’institution capitulaire, il n’en expose pas moins une doctrine qui lui est largement défavorable.

1.2.2. Une succession imparfaite : l’orthodoxie épiscopale des

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