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Conclusion du chapitre

Chapitre 2 : Entre utilitarisme et archéologisme : le presbytère en Révolution

2.3. Remplacer les chapitres : les expériences constitutionnelles

2.3.2. L’expérience des conseils épiscopaux (1791-1793)

La formation des conseils s’effectue dans les premiers mois de l’année 1791. S’il ne s’agit pas ici d’entreprendre une étude prosopographique, il n’est pas inutile d’examiner sommairement composition de ces conseils. En effet, la carrière et la personnalité des vicaires peuvent nous renseigner sur la manière dont leurs évêques concevaient leurs fonctions, tandis que leur conduite, tant dans leurs rapports avec la hiérarchie constitutionnelle que face aux autorités civiles, n’a pas été sans conséquence sur la réflexion ecclésiologique du clergé assermenté. Le dévouement au pouvoir politique et la recommandation des autorités locales semblent avoir souvent été des critères déterminants dans les choix faits par les évêques3, qui prennent parfois soin de faire représenter dans le conseil les différentes composantes de leur département4. Si les curés de la ville épiscopale, membres de droit lorsque leur paroisse a été supprimée, figurent en bonne place dans les conseils5, les anciens chanoines n’en sont pas absents. Mgr de Jarente d’Orgeval fait ainsi entrer dans son conseil un membre de son ancien chapitre et trois chanoines de collégiales supprimées6, tandis que des chanoines de collégiales participent de manière notable aux conseils des évêques auvergnats7. La nouvelle organisation

1 N. de LARRIERE, Suite du Préservatif, op. cit., p. 108.

2 Ch. de LA FONT DE SAVINE, Examen des principes, op. cit., p. 66-67.

3 P. CHOPELIN, Ville patriote et ville martyre, op. cit., p. 154 ; C. CHOPELIN-BLANC, De l’apologétique à l’Église

constitutionnelle, op. cit., p. 395-396 ; Albert DURAND, Histoire religieuse du département du Gard pendant la

Révolution française, t. I, 1788-1792, Imprimerie Générale, Nîmes, 1918, p. 241-242 ; J. GALLERAND, Les cultes

sous la Terreur en Loir-et-Cher, op. cit., p. 481-487 ; Jean GERARD, L’Église constitutionnelle dite « nationale »

dans les pays de Charente (1790-1802). La Constitution Civile du Clergé en Charente et Charente Inférieure, La

Pensée Universelle, Paris, 1985, p. 61.

4 A.-V. DERAMECOURT, Le clergé du diocèse d’Arras, op. cit., t. II, p. 170-171. 5 J. PERRIN, Le cardinal de Loménie de Brienne, op. cit., p. 74.

6 P. GUILLAUME, Essai sur la vie religieuse dans l’Orléanais de 1789 à 1801, op. cit., p. 134. 7 Ph. BOURDIN, « Collégiales et chapitres cathédraux », loc. cit., p. 54.

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des cathédrales ne s’effectue pas sans mal malgré le recours fréquent à des prêtres extérieurs1. Dans la Manche, l’évêque, qui tente de s’entourer de prêtres distingués par leur qualité intellectuelle, ne parvient jamais à réunir simultanément les seize vicaires que prévoit la loi2. En décembre 1791, le conseil épiscopal du diocèse des Côtes-du-Nord n’est encore composé que de dix membres, y compris le supérieur du séminaire3 ; en Moselle, les anciens curés, qui abandonnent leur poste, sont remplacés par d’anciens religieux4. Faute d’anciens pasteurs, notamment dans les diocèses où le clergé paroissial refuse majoritairement le serment, les évêques puisent dans l’abondant vivier des ci-devant chanoines de collégiales et surtout des religieux sécularisés5.

Pour les adversaires de la Constitution civile du clergé, les conseils instaurent dans les diocèses une forme de presbytérianisme. Dès le 31 mai 1790, à l’Assemblée, l’abbé Goulard, curé de Roanne, estime que la réforme des cathédrales substitue au gouvernement épiscopal de l’Église catholique le « gouvernement presbitérien des calvinistes6 ». Ce reproche est par la suite un lieu commun des ouvrages composés par les évêques d’Ancien Régime contre les décrets. Comme on l’a vu, Maultrot lui-même juge cette accusation fondée. Il faut noter cependant que les chanoines de Saint-Brieuc relèvent eux-mêmes dans leur protestation l’ambiguïté, qu’ils jugent volontaire, du texte de la Constitution civile :

Et quel sera ce droit de revision, ce droit de suffrage du Presbytère, dans les délibérations antérieures ou postérieures à l’exercice de l’autorité épiscopalle ? Sera-ce un droit de simple conseil ? Sera-ce un concours et un vrai partage d’autorité ? on ne l’explique pas ; mais tout insinue, tout fait craindre un sens erronné ; mais c’est précisément parce qu’on ne dit pas ce qu’on auroit dû positivement dire, qu’on annonce assez qu’il pourra bien s’agir d’un suffrage définitif attribué de droit au prêtre comme à l’évêque7.

Pour les chanoines, les réformateurs ont à dessein omis de rappeler la prépondérance de droit divin de l’évêque comme seul juge et législateur dans son diocèse afin d’introduire

1 Léon-L. GRUART, « Jean Mocqueris, premier vicaire épiscopal de Primat, évêque du Nord », Revue du Nord,

t. XLV, n°79, 1963, p. 319.

2 Jean BINDET, François Bécherel. Député à la Constituante, évêque constitutionnel de la Manche, évêque

concordataire de Valence (1732-1815), Éditions O.C.E.P., Coutances, 1971, p. 84. Si Bécherel, comme

Lamourette, prend soin de recruter ses vicaires dans le département, il ne semble pas que cela ait été le cas dans l’Aisne, où Marolles amène six de ses douze vicaires avec lui (É. FLEURY, op. cit., p. 231). À Blois, plusieurs des vicaires de Grégoire sont étrangers au diocèse, notamment l’abbé Nusse, ancien curé de Chavignon au diocèse de Soissons.

3 A.D. 22, 10L185, Extrait du registre des délibérations du directoire du département des Côtes-du-Nord, 15

décembre 1791.

4 Jean EICH, Nicolas Francin, évêque constitutionnel de la Moselle, Éditions Le Lorrain, Metz, 1962, p. 39-40. 5 P. CHOPELIN, « L’évêque et ses vicaires », loc. cit., p. 142.

6 Opinion de M. l’abbé Goulard, CE II, p. 403.

7 A.N., D/XXIXbis/25, Extrait du registre de délibérations du Chapitre de l’église cathédrale de Saint-Brieuc, 9

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dans les faits le presbytérianisme sans en avoir explicitement énoncé le principe ; il s’agit d’introduire dans le gouvernement des diocèses une pratique contraire à la doctrine et à la discipline de l’Église tout en évitant de formuler une proposition ouvertement hérétique. Telle n’est pas cependant l’interprétation de la majorité des évêques constitutionnels1. Certes, Henri Reymond, reste fidèle, après son élection en novembre 1792 au siège épiscopal de l’Isère, à ses convictions de défenseur du second ordre en écrivant que les évêques sont « dans l’heureuse impuissance » d’agir sans leur conseil, qui est « aussi actif que nécessaire2 » ; mais cette interprétation maximaliste de la législation est rejetée par la majorité des évêques, dont la conception de l’autorité dans l’Église emprunte souvent davantage au gallicanisme épiscopal qu’aux thèses richéristes3.

Régler qu’il ne sera fait par l’Évêque aucun acte de jurisdiction sans en avoir délibéré avec son conseil, écrit ainsi Louis Charrier de La Roche, n’est pas ordonner qu’il se décidera toujours selon le vœu de son conseil. […] Rien n’interdit à l’Évêque de s’écarter de ses vues pour le plus grand bien de son troupeau4.

Pour Jean-Baptiste Dumouchel, évêque du Gard, la supériorité de l’évêque sur les prêtres n’est pas détruite par la réforme, puisque le concours de son conseil ne lui enlève pas sa qualité de seul législateur5. Comme l’a montré Bernard Plongeron, Adrien Lamourette et Henri Grégoire adoptent des positions similaires : l’évêque a seulement l’obligation, avant de prendre une décision, d’en conférer avec son conseil, sans être aucunement contraint d’en adopter les conclusions6. Cette doctrine semble toutefois loin d’être clairement établie dans l’ensemble du clergé assermenté. Consulté sur l’étendue de ses droits par les vicaires épiscopaux de la Métropole du Sud, le conseil épiscopal de Paris, d’accord avec Jean-Baptiste Gobel, insiste tout d’abord sur les rapports étroits qu’il entretient avec son chef : l’évêque est au conseil un « père au milieu de sa famille7 ». Le conseil propose de distinguer les actes relevant de la discipline intérieure, notamment les sacrements, pour lesquels les membres du conseil ont voix consultative, et les actes relevant de la discipline extérieure, telle que la circonscription des paroisses ou l’établissement de règlements diocésains généraux, pour lesquels les vicaires ont

1 P. CHOPELIN, « L’évêque et ses vicaires », loc. cit., p. 141.

2 Henri REYMOND, Lettre pastorale du nouvel Évêque du Département de l’Isere, à tous les Citoyens qui ont

concouru à son Election, chez J. M. Cuchet, Grenoble, 1793, p. 2.

3 Voir, par exemple, le cas de Paul-Benoît Barthe, évêque du Gers et théologien, qui dans la lignée de Tournely

subordonne nettement les prêtres du second ordre aux évêques (J.-C. MEYER, Deux théologiens en Révolution, op.

cit., p. 73).

4 L. CHARRIER DE LA ROCHE, Examen des principes, op. cit., p. 49.

5 Jean-Baptiste DUMOUCHEL, Lettre pastorale de M. l’Évêque du Département du Gard, op. cit., p. 40. 6 B. PLONGERON, « Théologie et applications de la collégialité », loc. cit., p. 74.

7 Cité par Gustave GAUTHEROT, Gobel, évêque métropolitain constitutionnel de Paris, Nouvelle Librairie

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voix délibérative1. Cependant, Lanjuinais s’attache lui-même, dans sa circulaire du 4 juillet 1791, à récuser au nom du comité ecclésiastique une telle interprétation, qu’il attribue aux « prétentions outrées » des vicaires épiscopaux, propres seulement à accréditer l’accusation de presbytérianisme lancée par les réfractaires contre la nouvelle organisation.

C’est l’évêque qui exerce la juridiction spirituelle, c’est lui qui gouverne le diocèse après en avoir délibéré avec son conseil. Cette délibération n’est qu’un avis pour lequel il aura nécessairement beaucoup de déférence, mais qu’il peut absolument se dispenser de suivre, hors le cas où il s’agit de la destitution des vicaires2.

Cette interprétation, dont Ludovic Sciout reconnaît lui-même qu’elle se rapproche de la « véritable discipline de l’Église3 », revient à ramener les attributions du conseil dans les limites des prérogatives que les traditions gallicanes accordaient au chapitre. « L’Évêque ne doit

ni exercer sa jurisdiction, ni rien faire de grave, & d’important, qu’avec le Conseil de son Chapitre », soulignait au printemps 1789 le chapitre d’Auxerre en se référant aux cahiers

soumis par l’Église de France au concile de Trente en 15624. Les vicaires épiscopaux, écrit Lanjuinais, représentent le « Sénat presbytéral » dont le chapitre avait partiellement conservé les droits5. Certes, le jugement de l’évêque sans son clergé est nul, mais le prélat n’est « pas obligé par la Constitution civile du Clergé, de déférer à l’avis de son Conseil6 ». Dans les premiers temps de l’Église constitutionnelle, les évêques conformistes comme la puissance séculière semblent ainsi s’être accordés à désamorcer la charge presbytérienne et collégialiste dont le texte législatif était porteur par ses ambiguïtés : c’est à la lumière de l’ancienne tradition capitulaire que doit être interprétée la réforme.

De plus, d’après Bernard Plongeron, la supériorité des évêques a été dans la plupart des diocèses largement acceptée par les vicaires épiscopaux, qui auraient même fait preuve de « servilité » vis-à-vis des évêques7, bien que ceux-ci se plaignent parfois de divergences de vues avec leur conseil8. La perte fréquente des registres de délibérations des conseils9, cependant,

1 Ibid., p. 130.

2 Cité par L. SCIOUT, Histoire de la Constitution civile du clergé, op. cit., t. II, p. 350. 3 Ibid.

4 A.N., L542, Représentations du chapitre d’Auxerre au Roi, au sujet du règlement du 24 janvier 1789, p. 20. 5 Jean-Denis LANJUINAIS, Instruction conforme à la doctrine de l’Église catholique, apostolique et romaine, sur

la Constitution civile du clergé, Robiquet, Rennes, 1791, p. 6.

6 Ibid., p. 24.

7 B. PLONGERON, « Théologie et applications de la collégialité », loc. cit, p. 77.

8 C’est le cas par exemple de Sermet en Haute-Garonne, cf. J.-C. MEYER, op. cit., p. 356.

9 J. BINDET, François Bécherel, op. cit., p. 90 ; P. CHOPELIN, op. cit., p. 154. Certains conflits portés à la

connaissance des autorités civiles, tels celui que provoque la conduite de Pascal-Antoine Grimaud, accusé par les autres vicaires épiscopaux de l’Allier, d’avoir insulté l’évêque et plusieurs notables, permettent cependant d’avoir quelques aperçus des délibérations des conseils, cf. Ph. BOURDIN, op. cit., p. 243-247. Dans le cas du Loir-et-Cher, la perte des registres est partiellement compensée par le fonds unique d’informations que constitue malgré ses

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rend souvent difficile de connaître leur fonctionnement et d’en mesurer l’influence sur l’administration diocésaine. Dans la Manche, les mandements de l’évêque sont donnés « de l’avis de son conseil » ou « son conseil entendu1 », ce qui rappelle les traditionnelles mentions du chapitre dans les mandements épiscopaux d’Ancien Régime.

La publication en février 1792 de la brochure de Jean Tolin2, ancien chanoine régulier de Prémontré et vicaire épiscopal de Grégoire dans le diocèse du Loir-et-Cher, montre cependant que l’interprétation restrictive et traditionnelle de la Constitution civile ne suffit pas à mettre fin aux revendications collégialistes de prêtres qui invoquent la lettre ou l’esprit des textes législatifs contre l’autorité épiscopale accusée d’en avoir diminué la portée. L’auteur reproche en effet avec virulence aux évêques de s’être arrêtés à mi-chemin dans le retour aux usages de la primitive Église, aussi bien dans le domaine liturgique que dans leur administration, laissant l’Église devenir le dernier refuge du despotisme d’Ancien Régime alors qu’il n’est pas de « doctrine plus démocrate, ni plus ennemie du despotisme que celle de l’Evangile3 ». Si l’abbé Tolin se réclame des usages des « beaux siècles de l’église », recourt à l’érudition ecclésiastique ordinaire et parle un langage marqué par de fréquentes réminiscences d’auteurs richéristes, notamment de Maultrot, c’est ce jugement, qui identifie esprit démocratique et esprit évangélique, qui assure la cohérence de son propos. Le vicaire épiscopal rejette ainsi l’accusation de presbytérianisme en rétorquant qu’ « on a beaucoup plus à appréhender de l’épiscopisme, c’est-à-dire de l’autorité capricieuse d’un seul ». L’épiscopisme est ainsi l’équivalent, à l’échelle du diocèse, de ce qu’est le papisme à l’échelle de l’Église universelle. Pour Tolin, l’infaillibilité du pape n’est qu’un « système absurde », dont la toute- puissance de l’évêque dans son diocèse est un malheureux reflet4. Le pamphlet du vicaire de Grégoire repose donc sur un premier postulat : l’autorité d’un seul, si elle n’est fermement

lacunes la Correspondance de l’abbé Grégoire avec son clergé du Loir-et-Cher, tome I, 1791 à 1795, édition de

Jean DUBRAY, Classiques Garnier, Paris, 2017.

1 J. BINDET, François Bécherel, op. cit., p. 91.

2 Jean TOLIN, Grande réforme à faire dans le clergé constitutionnel, Imprimerie du Postillon, Paris, 1792. Cf. P.

et C. CHOPELIN, L’obscurantisme et les Lumières, op. cit., p. 52 ; Jules GALLERAND, « A l’assaut d’un siège épiscopal. Thémines et Grégoire au début de 1791 », dans Mémoires de la Société des sciences et lettres de Loir-

et-Cher, vol. XXIV, 1922, p. 104. L’abbé Gallerand décrit Jean Tolin comme un personnage « frondeur, brouillon, insolent », qui a « de longue date amassé des rancœurs contre le haut clergé » et s’est distingué dans les polémiques contre Mgr de Thémines. A sa publication, la brochure est également remarquée pour sa critique du célibat

sacerdotal ; c’est pour cette dernière raison qu’elle est mentionnée à la fin des années 1790 par Étienne-Antoine de BOULOGNE, Précis sur l’Église constitutionnelle, dans Mélanges de religion, de critique et de littérature, t. I, Leclère, Paris, 1827, p. LXXXVII : « Tolin, prémontré, et depuis vicaire épiscopal, écrivit en faveur du mariage des prêtres et se maria. » Henri Grégoire lui-même, qui l’attribue à la « tête soudain exaltée » de son vicaire, la mentionne pour le même motif dans son Histoire du mariage des prêtres, Baudouin Frères Éditeurs, Paris, 1826, p. 65.

3 Jean TOLIN, Grande réforme à faire, op. cit., p. 38-39. 4 Ibid., p. 41.

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réfrénée et contenue par des instances collégiales ou démocratiques, doit fatalement dégénérer en despotisme. Il ne suffit donc pas d’en appeler à l’esprit de la primitive Église. Pour retrouver l’esprit d’une autorité exercée selon l’Évangile, sans esprit de domination, il faut une institution capable de poser une borne à la puissance épiscopale.

L’argumentation de Tolin s’attache donc à montrer d’une part que la Constitution civile du clergé comme loi émanée de la Nation exige de l’évêque qu’il respecte la volonté de ses vicaires, d’autre part que seul un tel gouvernement ecclésiastique est conforme à l’esprit de l’Évangile. Contre l’interprétation de Lanjuinais, adoptée par la plupart des évêques constitutionnels, à laquelle il fait allusion que pour mieux dénoncer l’ « ignorance ou les intrigues des directeurs du Comité1 » ecclésiastique, Tolin invoque l’article 41 du titre II de la

Constitution civile, qui fixe les règles du gouvernement ecclésiastique sede vacante : le premier vicaire de la cathédrale remplace alors l’évêque, « mais en tout il sera tenu de se conduire par les avis du conseil ». Pour Tolin, il est clair que dans cet article, la consultation du conseil par le premier vicaire n’est pas de pure forme ; or la loi utilise le même terme d’avis que dans l’article 7, ce qui en éclaire la signification. L’évêque est donc contraint de se conformer aux avis de son conseil2.

Une autre interprétation, juge le vicaire épiscopal, serait absurde et contraire à la lettre de l’article 7, qui dit vouloir ramener les cathédrales à leur « état primitif », nécessairement éloigné des prétentions du despotisme épiscopal. En effet, si la délibération du conseil n’était qu’un simple avis que l’évêque n’est pas tenu de suivre, les « législateurs auroient accordé plus de droits aux Évêques du nouveau regime que n’en avoient leurs prédécesseurs », ce qui n’a pu entrer dans les intentions d’une Assemblée soucieuse de combattre le despotisme3. L’existence des chapitres cathédraux sous l’Ancien Régime est donc invoquée par le vicaire constitutionnel à l’appui de ses vues collégialistes. Bien que Tolin note que les anciens évêques, lorsqu’ils prétendaient consulter leurs « vénérables frères » et agir avec leur consentement, ne prenaient en réalité l’avis que d’ « un ou deux membres de leurs chapitres dont ils étoient surs de l’opinion, parce qu’ils la leur avoient dictée4 », il reconnaît néanmoins dans les chapitres supprimés, malgré leurs défauts, les héritiers du presbytère antique et, dans la lignée de Richer, une réelle instance modératrice de la puissance épiscopale :

Les chapitres […], image si défiguré (sic) des premiers sénats, s’étoient neamoins (sic) conservés en possession de donner leur consentement à différens actes de jurisdiction : celui de Poitiers

1 Ibid., p. 30. 2 Ibid., p. 39-40. 3 Ibid., p. 39. 4 Ibid., p. 29-30.

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entr’autres ne laissoit courir aucun mandement de son Évêque sans son attache et de son consentement ; maintenant que les chapitres ne subsistent plus, l’Évêque concentreroit toute l’autorité en lui seul ? Quelle pauvreté1 !

La nouvelle organisation ecclésiastique telle qu’elle s’est installée dans les faits a donc paradoxalement aggravé dans l’Église le despotisme qu’elle devait combattre. Même privé de son rôle de nomination aux cures, l’évêque de 1791, estime Bernard Plongeron, se rapproche beaucoup de son prédécesseur d’Ancien Régime quant au pouvoir personnel et effectif2. Maultrot estime ainsi qu’alors que les articles de la Constitution civile peuvent être taxés de presbytérianisme, certains évêques constitutionnels se sont jetés « dans un excès contraire3 ». Il n’est en effet pas impossible que certains évêques constitutionnels aient en réalité vu dans les décrets de l’Assemblée Nationale une occasion d’exercice plus sûr et plus efficace de l’autorité épiscopale. Bien que Jean-Baptiste Volfius, dans son premier mandement d’évêque de la Côte- d’Or, fasse l’éloge du presbytère comme d’un gouvernement ecclésiastique excluant tout usage arbitraire du pouvoir, c’est aussi parce qu’il voit dans les anciens chapitres des « rivaux des Évêques » qu’il estime qu’ils ne peuvent être considérés comme leur sénat4. Les chapitres cathédraux n’étaient donc pas seulement inutiles : ils étaient un obstacle au plein exercice de la puissance épiscopale. Ainsi les vicaires épiscopaux doivent-ils être les « coopérateurs » que les chanoines avaient cessé d’être. Loin de toute perspective presbytérienne, certains évêques, malgré leur attachement proclamé à un gouvernement ecclésiastique où tout se ferait « par conseil5 », pourraient donc avoir considéré le collège de leurs vicaires non comme un frein ou une limite mise à leur pouvoir, mais au contraire comme un relais de leur administration. C’est précisément ce que répliquaient, dès l’instauration de la nouvelle organisation ecclésiastique au début de 1791, les administrateurs du département de l’Isère à Mgr Dulau d’Allemans, qui déplorait le remplacement de son chapitre par des « prêtres nouveaux6 » :

[L’évêque] accable [d’injures] ce qu’il appelle de simples prêtres dans le clergé, que jamais l’Église n’a appellés à la jurisdiction dont les cathedrales jouissoient avant les decrets. Ainsi des Pretres elevés par lui aux fonctions de ses vicaires, ne vaudroient pas des Pretres Chanoines dont il n’auroit pas eû le choix7.

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