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l’expression de « travail immigré » est intéressante. Elles retiennent l'idée que tout travail est à qualifier et dans le même temps qu'il n'est pas nécessairement monolithique et que bien des formes et configurations peuvent en être dégagées.

Le renouvellement de la question du « travail immigré » par la sociologie de

l’emploi

Si la sociologie du travail a été la première à s’intéresser à l’immigration en France, aux migrations de manière générale, actuellement, et parce qu’il y a également dans ce champ de recherche une multiplication des objets d’étude, mon travail de recherche est un objet quelque peu périphérique. En effet, les premières études consacrées à l’immigration, au travail et à l’activité du travail comme celles de Robert Linhart (1978) et de Maryse Tripier (1990) ont porté leur intérêt sur les « […] interactions entre modes de production et rapports sociaux, qui

contribuent en permanence à la construction de la société » (Erbès-Seguin, [1999] 2010 : 37)32. Soit, et comme il l’a été dit, incluant les travailleurs immigrés dans la classe ouvrière, dans un

32 Et on pourrait citer à cet endroit les travaux d’une sociologie des rapports interrethniques dont ceux de Nicolas

Jounin (2004, 2006a, 2006b, 2008b), par exemple. Cette sociologie a autant mis en évidence les jeux, les complicités des relations de travail, que les discriminations à l’œuvre. A ce dernier sujet, dans L’inégalité raciste.

L’universalité républicaine à l’épreuve, paru en 2000, Véronique De Rudder, Christian Poiret et François

Vourc’h essaient de spécifier comment une part des relations interethniques pourraient être étudiée, notamment dans le monde du travail et de l’emploi (page 153 et suivantes).

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prolétariat33. Pour le moins et dans ce que j’envisage ici d’entreprendre, ma recherche apparaît plus proche d’une sociologie de l’emploi.

Née dans les années 1980, la sociologie de l’emploi ne s’est pas construite contre la sociologie du travail mais, comme le soulignent Margaret Maruani et Emmanuèle Reynaud ([1993] 2004), elle en a déplacé l’épicentre :

[…] du travail (compris comme l’activité de production de biens et de services, et l’ensemble des conditions d’exercice de cette activité) vers l’emploi (entendu comme l’ensemble des modalités d’accès et de retrait du marché du travail ainsi que la traduction de l’activité laborieuse en termes de statuts sociaux. A l’intersection de la sociologie du travail et de l’économie du travail, la sociologie de l’emploi traite des rapports sociaux de l’emploi (p. 4).

La tertiarisation du monde du travail opérée tout au long du XXème siècle et accélérée à la fin de ce siècle, la féminisation du salariat et le déclin de l’industrie suite au choc pétrolier de 1974, amènent à observer la mise au travail de nouvelles catégories de personnes : les travailleurs ne sont plus les mêmes34. La sociologie de l’emploi va alors porter son attention sur le secteur du tertiaire35 et appréhender ce secteur comme un laboratoire pour la mise à l’essai de formes nouvelles d’emploi. C’est alors à partir de cette question de fond qu’elle va s’attacher à traiter ces objets : « […] dans quels secteurs d’activités se répartissent les titulaires d’un

emploi ? A quel groupe ou catégorie sociale appartiennent-ils » (ibid., p. 44). Autrement dit, et

c’est ainsi que j’envisage les questions qui forment la trame de fond de mes premières interrogations et dans une certaine mesure l’ossature de la première partie de la thèse, qui sont celles :

[…] de la mise au travail : qui travaille dans telle branche, à tel poste (sexe, race, origine géographique, origine en terme de statut) ? Quel est le mode de domination qui a contraint un individu donné au travail : contrainte violente, symbolique, contrainte par la pauvreté, par la migration, pression familiale, libre calcul, désir de mobilité ? (Lautier, 1998 : 254).

Dans la perspective de ces questions de recherche, il s’agira donc également de souligner l’importance d’une domination à l’endroit des situations d’emploi observées. Et par « domination », j’entends, premièrement, l’une de ces deux dimensions classiques. Aussi, est-elle

33 Notons que j’en retiens la définition qu’en donne Olivier Schwartz ([1990] 2009) : « L’usage prêté ici à cette notion, aux contours relativement flous, est de simple repérage : elle permet de désigner un type de situation de classe ouvrière, lié à toute une époque historique, et par-delà celle-ci, à des tendances permanentes du capitalisme. On peut associer au mot « prolétaire » l’idée d’un ouvrier dépouillé de tout autre statut que celui de producteur salarié : il est subalterne à l’usine et dans la division du travail ; il est soumis aux aléas du marché de l’emploi ; il est fortement exclu des diverses catégories de biens qui constituent la richesse sociale. Soumission, insécurité, dépossession caractérisent – à divers degrés – la condition prolétarienne » (p. 63). 34 Aussi, si à l’ouvrier « blanc » se substitue dans les années 1970 figure du travailleur immigré qui est celle de

l’OS, à la fin du XXème siècle, s’y ajoutent d’autres figures laborieuses, qui ne sont dès lors plus considérées

comme atypiques, soit les femmes par exemple.

35 Et Michel Crozier (1963) fut l’un des premiers, non pas à faire une sociologie de l’emploi, mais à s’intéresser aux

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celle qui « […] souligne une forme de subordination qui n’est pas seulement de nature

personnelle […] mais prend plutôt la forme d’une série de subordinations impersonnelles à des contraintes systémiques – comme celle du capital-travail » (Martuccelli, 2004 : 469), soit la

domination contrainte. Mais plus méthodiquement, et comme le note Danilo Martuccelli (2004), elle est un « type d’action contrainte » dans lequel : « La contrainte y est vue à la fois comme

une limite d’action et comme un déterminant de l’action. Elle diminue le champ des choix possibles, et en détermine partiellement le contenu (Courpasson, 2000, p. 24) » (ibid., p. 475).

Mais parce qu’il s’agira aussi de considérer l’agency des migrants, d’une autre manière, à cette domination par contrainte, lui sera opposée ce que D. Martuccelli appelle des « états de domination » (2001), soit :

[…] des états et des épreuves plutôt que de l’exploitation et des contraintes. […] les manières par lesquelles s’organisent au quotidien bon nombre de nos expériences sociales, là où les états ne permettent pas de décider, toujours et partout, de la nature des épreuves. La consistance des faits sociaux dans la condition moderne fait de la domination une épreuve, plus ou moins individualisante, où l’acteur vit des états dont les contours débordent toute délimitation stricte. En bref, l’élasticité de la vie sociale entraîne avec elle la plasticité des états et des épreuves de domination » (Martucelli, 2001 : 12).

Il conviendra d’articuler les conditions et les modes de la domination contrainte avec ce que D. Martuccelli nomme des « états de domination », afin de rendre compte, à la fois, d’une perspective structurelle qui prévaut dans l’analyse des situations d’emploi observées, et d’une perspective plus interactionnelle. Aussi, l’initiative, qui : « […] est au cœur de la domination

dans la condition moderne […] [et renvoie] aux marges de manœuvre des individus, tout comme à la crainte d’une « société-rouage », (ibid., p. 119), administrera pour partie une sorte d’agency,

reconnu aux migrants rencontrés.

La question du politique dans l’emploi et les processus de régularisation des

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