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Le Foyer de Travailleurs Migrants comme passage du temps et du temps présent

2.4. L A MIGRATION DE RITE ET D ’ AVENTURE

Il me faut aussi revenir sur les justifications de la migration des hommes rencontrés afin de complexifier l'idée de noria précédemment évoquée. Si la noria s’actualise, elle se réinvente dans le même temps, et ce autant par la description de certaines logiques de l’action qui fondent la migration des hommes rencontrés, à la fois entreprise collective et individuelle. Il appartient alors de situer les migrants dans leur capacité d’agir sur le monde, de se souvenir et de se projeter dans le temps et dans l'espace, soit : « […] la capacité de ce même sujet à agir sur et à

transformer ce monde […] » (Ma Mung, 2009a : 26). En somme, relever la réflexivité des

acteurs, notamment en ce qui concerne la réappropriation de leur migration et du sens qu’ils lui donnent. Je m'éloignerai ainsi des théories classiques des migrations qui font des individus :

[…] soit des objets balistiques mus par les différentiels des niveaux de vie entre des pays émetteurs et des pays récepteurs, soit des calculateurs acharnés visant à maximiser leurs gains tout en minimisant leur effort ; autrement dit, soit un ensemble d'agents n'ayant aucune prise sur leurs actions, soit des individus disposant de toutes les informations et moyens leur permettant de choisir entre rester sur place ou se déplacer, et de la connaissance à l'avance des effets de leurs actions (ibid., p. 25).

194 Examinant les foyers de la ville de Montreuil, François Ménard, Élise Palomarès et Patrick Simon (2000)

analysent un différentiel entre les foyers en fonction de la composition sociodémographique de ces derniers. Ils distinguent alors deux grands types : d'un côté, il y a les foyers Sonacotra, occupés à 60% par une population maghrébine vieillissante et tournée vers une vie sociale externe au foyer. Dans ces foyers, il n’y a aussi presque pas de sureffectif. D'un autre coté, il y a les foyers ADEF et AFTAM, occupés à 95% par des travailleurs maliens travailleurs, originaires de la région de Kayes. Les classes d'âges y sont plus largement variées, la suroccupation y est forte et la vie sociale est étroitement liée au fonctionnement interne du foyer. Les résidents sont aussi constitués en associations de résidents et villageoises (p. 49). Par ailleurs, ces auteurs critiquent l'idée que le foyer est un « sas d'entrée de l'immigration ». Ils argumentent cette idée par le fait qu’il y ait de faibles taux de demandes de logement sociaux. Et ce pour différentes raisons : les migrants ont besoin de pouvoir être en mesure de faire des transferts de fonds à leur famille restée au pays. Il est compliqué de faire venir sa famille par regroupement familial, les chances sont minces. Et il est aussi difficile de se voir proposer un logement dans le parc social de Montreuil.

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Les aventuriers des « Nouveaux Mondes » : la migration comme aventure

« Quand tu dis Soninké, les gens vont te dire c'est l'aventure » [Diaye, Malien, 25 ans et sans

emploi au moment de l’entretien]

Péripéties, rebondissements, trame narrative, l’aventure que décrit Diaye peut résumer les incertitudes et les chances de réussite de l’entreprise du voyage, au travers des itinéraires empruntés, des trajectoires suivies et du récit des parcours rapportés195.

« C’était ma première fois d’aller en exil. C’est-à-dire d’aller en aventure. Le Congo Brazzaville, c’était mon premier pays à l’aventure » [Souleymane, Malien, 27 ans et commis de cuisine en CDI

au moment de l’entretien].

Souleymane a quitté le Mali en 2008 pour aller au Congo Brazzaville, où il est resté environ deux ans. Il y faisait essentiellement du commerce de produits textiles. Le terme d'« exil » doit être ici compris comme une aventure. Si pour le philosophe Vladimir Jankélévitch, l'aventure est un départ sans retour qui finit par être un mode de vie (in Bredeloup, 2014 : 21), Georg Simmel en propose une autre définition :

La réalisation d'un contenu propre à une aventure ne constitue pas encore une aventure. Le fait d'avoir encouru un danger de mort ou d'avoir conquis une femme pour un bonheur éphémère, le fait des facteurs inconnus, qui ont été mis en jeu, ont apporté un gain surprenant ou une perte inattendue […] tout cela ne constitue pas encore nécessairement une aventure, et ne le devient que par une certaine tension du sentiment vital dans la réalisation de pareils contenus (ibid., p. 82).

Ainsi, un événement ordinaire peut devenir une aventure196. Ajoutons que pour l’écrivain et le philosophe Jean-Paul Sartre, c'est par la mise en récit de l'événement qu'une aventure advient (ibid., p. 24). La question de la narration et du narrateur deviennent centrales. Mais tous les migrants rencontrés ne m'ont pas raconté leur parcours migratoires en ces termes ; seulement certains l'ont fait comme Fily :

« Bon en plus, toujours l'aventure c'est dur. Mais, j'ai plus de liberté ici que là-bas. […] Surtout dans l'aventure, on a beaucoup de soucis ; y a pas de famille. Comment trouver du boulot, comment trouver travail, comment trouver des papiers ? [Il rit] » [Fily, Sénégalais, 30 ans et sans emploi au

moment de l’entretien].

L’« exil » et l’« aventure » apparaissent similaires et sont révélateurs de la manière de ce que représentent les parcours migratoires, tant dans la manière de les décrire que de les reconstruire, dans l’organisation des idées et des expériences vécues qu’elles autorisent. Elles influent alors sur les perceptions et le franchissement des obstacles. La migration devient une

195 Je mentionnerai que la migration comme aventure s’inscrit sans doute dans un registre cosmogonique qui a trait à

l’ethnie des Soninké. Seulement mes données ne permettent que d’étayer cette hypothèse, d’autant que la population considérée n’est pas constituée uniquement de soninké même si c’est l’ethnie majoritaire.

196 Et à propos de l’exil, on pourrait ajouter la distinction que fait Olivia Bianchi (2005) : « Ce qui nous intéresse dans l’exil, c’est qu’il n’existe pas sur le seul mode d’être physique ; s’exiler ce n’est pas seulement changer de lieu, mais que la conscience elle-même tend à l’exil. Et cet exil est plus exilant que le corps » (p. 4).

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aventure, notamment parce que les risques encourus ne sont pas connus, au-delà de la découverte d'autres cultures, de « Nouveaux Mondes ». Et aussi parce que cette aventure migratoire permet une émancipation des personnes, comme nous le voyons dans le cas de Fily. Ce dernier tente de rompre avec un ordre social (il ne voulait plus travailler dans les boutiques de ses grands frères), où les cadets sont mandatés par leurs aînés pour travailler, parfois dans les champs, comme cela a été le cas de Souanding197 qui s’y est opposé opiniâtrement. Sans que soit évoquée l’aventure, la migration semble permettre aussi une individuation de l'être, une prise en main d'un destin. Le cas de Souanding est un exemple particulièrement intéressant pour repenser les termes d’une discussion sur les « cadets sociaux »198. Y a-t-il lieu de croire à la persistance d’une telle catégorie ? Est-ce là la fin des cadets sociaux pour reprendre le titre d’un appel à contribution :

Être femme en Afrique subsaharienne : la fin des « cadets sociaux » ? Cette remarque est intéressante car elle permet de complexifier l’analyse. En effet, c’est bien de cette émancipation dont il est question, et qui permet la mise en place de nouvelles dynamiques sociales.

Dans un article paru en 2001, « Les migrations des jeunes Sahéliens : affirmation de soi et émancipation », Mahamet Timera résume ce propos par l'existence d'une insignifiance sociale, puissant mobile à la migration des jeunes Sahéliens :

Le jeune candidat à l'émigration reste insatisfait de l'assistance familiale qui permet de survivre, voire de vivre décemment mais sans réelle considération familiale et sociale. Cette prise en charge familiale interdit de satisfaire non seulement des ambitions personnelles, mais surtout d'entrer dans le rôle social que la société attend de lui (p. 38)199.

La migration, narrée et évoquée comme aventure, permet alors de se saisir d'une certaine liberté, comme l'évoque Fily :

« Avant je travaillais avec mes frères. Je faisais du commerce dans l'alimentation et dans le bois. En 2000, j'étais avec mes frères. Il y avait une boutique familiale au marché. Bon j'étais avec eux et je fais rien quoi. Je reste avec eux. Après un de mes frères m'a donné une boutique pour que je

197 Mahamet Timera (2001) souligne que : « L'étude du système de production, de consommation et d'échanges dans les sociétés de la vallée du fleuve Sénégal et la place conférée aux jeunes informent sur la nature réelle de l'espace économique qui leur est dévolu » (p. 42). Conséquemment, à travers l'émigration : « […] les jeunes ruraux cherchent un moyen pour accéder à des biens et des revenus propres, contourner ainsi le système communautaire recherchant l'individuation refusant la solidarité familiale unilatérale et perpétuelle » (p.42). 198 Les « cadets sociaux » désignent l’ensemble des catégories sociales dominées (les jeunes et les femmes), dans

les sociétés africaines, par opposition à leurs « aînés sociaux » qui ont une autorité du fait leur âge, de leur position dans le groupe familial. Ils possèdent les ressources symboliques et matérielles. Les rôles, fonctions, dépendances des « cadets sociaux » ont été largement étudiés (Claude Meillassoux, 1975).

199 Je soulignerai alors cette remarque de Mahamet Timera et de Christophe Daum à propos d'une recherche menée

en 1994-1995, en partenariat avec une fédération d’associations villageoises de migrants originaires de la région de Kayes : Guidimakha Xéri Koffo (G.X.K.) : « […] En fait, l’ensemble des kagunme s’accorde sur un projet

d’avenir concernant les jeunes : l’agriculture ; au point que certains d’entre-eux, convoquant les jeunes de leur ka pour la passation du questionnaire, feront pression sur eux pour chercher à orienter leurs réponses : « dites- leur bien que c’est l’agriculture que vous voulez et rien d’autre ». Les jeunes nient ce fait et s’abstiennent de faire état de l’agriculture : ils désignent au contraire la migration comme projet quasi unanime ; mais nous ne verrons pas moins dans les pressions des chefs de familles à leur égard l’expression du besoin de contrôler leur travail et les sources de revenus dans les villages » (1995 : 94).

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travaille dedans, pour que je vende. Je faisais ça du matin jusqu'à 17 heures. Après tout ce que je vends, mon frère vient, comptent et prend l'argent. Demain matin, encore, je viens dans la boutique et je continue à vendre. […] Ben ici [en France], je fais tout ce que je veux. [...] À la maison [au Sénégal], parfois même les portes à certaines heures et si tu n'es pas rentré, tu vas dormir dehors » [Fily, Sénégalais, 30 ans et sans emploi au moment de l’entretien].

C'est aussi, à peu près dans ces termes que s'exprime Souleymane :

« On doit être là, c’est-à-dire pour être indépendant. [Et être indépendant] c'est de pouvoir vivre tout seul, prendre la charge de tout ce dont t’as besoin tout seul, sans l’aide de quelqu’un. […] C’est toujours à la recherche du bonheur et à la recherche de changer ma vie » [Souleymane,

Malien, 27 ans et commis de cuisine en CDI au moment de l’entretien].

Dans les itinéraires et les trajectoires spatiaux-temporels des migrants (voir plus particulièrement le chapitre additionnel), il est possible de faire la même lecture qu'Alain Tarrius (1996) lorsqu'il dit qu’un lieu est constitué de multiples rapports sociaux, d'expériences d'échanges qui associent en collectifs identitaires des individus d'origines diverses. Pour A. Tarrius, les itinéraires et trajectoires, qui finissent par dépasser le cadre des parcours migratoires, s'insèrent dans des « territoires circulatoires » (2001)200, qui expriment une certaine socialisation des espaces supports aux déplacements. Ces espaces offrent alors les ressources symboliques et factuelles du territoire. Les hommes qui parcourent ces espaces ne sont plus des migrants mais des « transmigrants », dans la mesure où leur migration est postcoloniale et postfordiste. Il y a à lire dans les parcours des migrants rencontrés quelque chose de cet ordre. Si certaines motivations à leur migration ne les soustraient pas d'un régime migratoire de travail et de main-d'œuvre (régime à la fois « néocolonial » et fordiste), une part est laissée à l'aventure africaine :

« J'ai quitté mon village [Yaguiné] pour aller à Abidjan. […] Directement, je suis allé à Abidjan. J'ai fait un an à Abidjan [de 2008 à 2009, où Cilly y a fait du commerce de bijoux] » [Cilly, Malien, 24 ans et sans emploi au moment de l’entretien].

« C’était ma première fois d’aller en exil. C’est-à-dire d’aller en aventure. […] Du coup, [au Congo Brazzaville], j’ai appris déjà beaucoup de choses : dans leur culture, qui est différente de chez nous » [Souleymane, Malien, 27 ans et commis de cuisine en CDI au moment de

l’entretien].

Ces premiers « exils » fonctionnent comme de premiers apprentissages, préalables à d'autres migrations. Mais tous ne migrent pas premièrement à l'étranger : certains sont partis vivre à la capitale ; c'est le cas, par exemple, de Soundiata (de nationalité mauritanienne, 27 ans

et commis de cuisine en CDI au moment de l’entretien), de Sidi (de nationalité malienne, 34 ans et laveur de vitres « à la sauvette » au moment de l’entretien) et de Dramane (de nationalité malienne, 32 ans, agent d’entretien dans le secteur du nettoyage en CDD et détenteur d’une

200Soulignons que ces « territoires circulatoires » deviennent complémentaires de ce que j'évoquais premièrement

« circulation migratoire ». En effet, si les migrations des hommes rencontrés sont inscrites dans des réseaux qui permettent une circulation des hommes et des idées, ces dernières s'ancrent également dans des espaces et territoires, eux-aussi circulatoires.

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carte de séjour espagnol au moment de l'entretien). Tout comme Sidi, Dramane a vécu un long

moment à Bamako où il y a fait du commerce de marchandises achetées à Dubaï, revendues sur les étals du Grand Marché de Bamako. Sidi y tenait un commerce d'habits et d'audiovisuel. Quant à Soundiata, il est parti vivre deux ans à Nouakchott avec deux de ses amis : il faisait des petits travaux de manœuvre dans le bâtiment et retournait quelques fois au village pour rendre visite à sa famille.

Certaines grandes villes africaines forment, avec certains villages, comme des « territoires circulatoires » : on va et on vient à la ville pour y implanter un commerce, pour y vendre des marchandises, pour se faire soigner, etc., amenant donc à une certaine socialisation des espaces supports aux déplacements, pour reprendre, une fois de plus, les mots d'Alain Tarrius, auxquels s'ajoutent encore d'autres espaces, plus lointains. Il est alors intéressant de souligner que si ces premiers « exils » servent de préalables aux migrations ultérieures au travers d'apprentissages faits par l'immersion dans d'autres cultures (nationales et/ou urbaines), par le fait d'être loin de chez soi, ils ont été aussi les lieux de l'élaboration de tactiques migratoires. Comme le souligne Sylvie Bredeloup :

Là-bas, les stratégies migratoires s'élargissent, s'adaptent au gré des conjonctures économiques, politiques. De nouveaux espaces socialement accessibles sont balisés : ici, bien qu'encore peu visibles, les frontières ne peuvent qu’être déplacées, si on considère que le dedans et le dehors participent du même système migratoire (1992 : 22).

Les capitales africaines constituent deux sortes de ressources : elles sont les lieux de premiers exils, qui permettent d'acquérir des dispositions nécessaires à la migration (internationale) que l'on s'apprête à vivre. Elles sont également des lieux de rencontres et d'efforts. En outre, si ces capitales permettent d'établir des commerces, commerces permettant une acquisition et accumulation d'argent, elles sont aussi des espaces de transit, des zones d'accueil des futures migrations vers l'Europe, modifiant quelques trajectoires initiales :

« [Des membres de ma famille] m'ont dit de retourner au Mali [pour continuer l'école coranique]. Je leur ai dit non. Je n'ai pas accepté de repartir au Mali. Alors, je suis parti en ville [à Nouakchott] pour chercher à venir ici en Europe » [Soundiata, Mauritanien, 27 ans et commis de cuisine en CDI

au moment de l’entretien].

Soundiata est parti pour la région de Kayes, au Mali, à l'âge de 12 ans pour aller à l'école coranique. Il est resté cinq ans, là-bas, à prendre des cours et à travailler dans les champs, à s'occuper des animaux. Lorsque sa famille a voulu le faire repartir à Kayes, Soundiata s'y est opposé et a alors décidé de partir pour Nouakchott. C'est à ce moment qu'il s'est installé dans un appartement avec deux de ses amis. Là, il a commencé à réfléchir à un moyen pour venir en Europe. Si, la famille de Soundiata voulait qu'il retourne étudier à l'école coranique, c'est que le grand père de Soundiata est aussi maître d'école coranique et que la famille aspirait à ce que

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190 Soundiata suive quelque peu les traces de son grand père.

L'aventure migratoire peut apparaître comme une tension caractéristique de la vie (Bredeloup, 2008 : 283), relative à une certaine jeunesse. Il s'agit de : « […] de triompher de la

monotonie journalière qui assaille la majorité des cités africaines, pour devenir acteurs de leurs propre destinée alors que l'Afrique est plongée en pleine crise des référents identitaires »

(Bredeloup, 2008 : 293). Il y a alors à lire dans une partie des migrations observées, l’histoire d’une aventure qui permet une émancipation et une affirmation de soi. Et comme l'a justement souligné Mahamet Timera :

Dans les migrations Sud-Nord, les jeunes hommes occupent une place prépondérante. Leur irruption dans l’espace public dépasse largement le cadre des pays du Sud et déborde dans les espaces des pays du Nord. Une des manifestations patentes de cette présence réside aussi dans leur mobilité qui traduit notamment une démarche conquérante de nouveaux mondes (2001 : 37)201.

« [Et tu voulais venir en France ou tu voulais aller ailleurs en fait ?] Non, mon objectif était de venir en France. […] Vu qu’on [le Mali] est une colonie française, j’entendais toujours parler de la France. C’était mon pays de rêves aussi. […] La puissance de la France, comment la société française fonctionne... Vu qu’on est un une colonie française je crois que c'est pour ça qu'on entend parler de la France plus que tous les autres pays » [Souleymane, 27 ans et commis de cuisine en

CDI au moment de l’entretien].

Soulignons d’ores et déjà que Souleymane ne parle pas d'ancienne colonie mais de colonie. Les liens entre le Mali et la France lui semblent constants. Dans cet extrait, Souleymane parle du rêve que représente pour lui la France : c'est quelque part un pays qui le fascine, par sa puissance, par sa « modernité »202.

« Bon moi depuis que j'ai 14 ou 15 ans, c'est la France qui me plaît. C'est ça. J'ai jamais pensé à un autre pays, si c'est pas la France. » [Sirakhata, Malien, 23 ans et sans emploi au moment de

l’entretien]

Les propos de Sirakhata confortent ceux de Souleymane : la France est un pays qui fascine, un horizon à atteindre, et qui permet de comprendre pourquoi certains des migrants rencontrés ontengagé un mouvement vers la France, en dehors des réseaux de parentèles déjà constitués en France. La France constitue un couple migratoire avec nombreuses de ses anciennes colonies, notamment celles de l'ancienne Afrique Occidentale Française (AOF). À ce titre : « La situation

postcoloniale est une réalité historique, politique, culturelle et sociale » (Smouts, 2007 : 28). Et :

201 L'auteur appréhende alors ces migrations autant dans : « […] l'analyse du sens des projets migratoires que dans leur fonction de consécration sociale et de modalité d'entrée dans l'espace public » (ibid., p. 38).

202 Dans nos discussions ultérieures, Souleymane m’a confié que malgré les difficultés de sa vie en France, c’était

un pays où il se sentait bien parce qu’il y avait tout un système protecteur (la sécurité sociale et autres aides), qui permettait une certaine redistribution des ressources. Ce qui n’est pas le cas du Mali, comme l’a d’ailleurs dit très explicitement Djibril lorsqu’il dit qu’il est venu en France pour aider sa famille, notamment pour les situations de maladies.

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« Il convient de l’analyser, et de dire sereinement ce qu’elle peut expliquer et ce qu’elle ne peut

pas expliquer » (ibid., p. 28). Dans le cas présent, la situation postcoloniale permet d'expliquer le

rapport que ces migrants entretiennent à la France, non dans une notion de séquence renvoyant à un « avant » et à un « après » mais dans « […] l'enchevêtrement des temps et des territoires »

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