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« L’occupation journalière à laquelle l'homme est condamné par son besoin et à laquelle il doit en même temps sa santé, sa subsistance, sa sérénité, son bon sens et sa vertu peut-être » (Schnapper, 2007 : 137).

Telle est la définition du travail que propose l'Encyclopédie et à partir de laquelle Dominique Schnapper invite à discuter de la fonction du travail : l'homme sans emploi est aussi l'homme sans qualité (ibid., p. 140). C’est une prise de vue qui est largement partagée à l’instigation de ce qu’on serait en droit d’appeler le travail moderne142. A la définition du travail comme peine, associée au servage et à l’esclavage, et à la définition du travail comme œuvre attachée aux hommes libres, répond donc une nouvelle acception du travail : « […] à partir du moment où [il] est traité comme une marchandise par la pensée économique » (Supiot, 1994 : 6),

acquérant alors son sens actuel au XIXème siècle. Le travail (moderne) nous dit Alain Supiot : « […] évoque à la fois la contrainte, la peine d’une activité qui n’est pas elle-même sa propre fin, et la liberté, l’acte créateur, qu’en accomplissant, l’homme s’accomplit lui-même » (ibid., p. 3).

Acception du travail largement dominante, c’est de surcroît cette acception aussi qu'ont évoqué les migrants rencontrés :

« Par rapport aux galères au pays [au Mali], tu peux pas rester vivre là-bas. Tu peux pas vivre avec ton père qui a 70 ans, 75 ans ou bien 80 ans. Ton père, il va aller travailler et toi, tu vois ça. C'est pas possible. Du coup, il faut qu'on vive ici pour gagner notre vie et pour ces crises [assurer une retraite à ses parents]. Par exemple, tes parents qui sont là-bas [restés dans le pays d’origine], au moins tu vas faire un geste pour eux. […] Demain, il va pas aller au travail, à son âge. Il va rester à la maison. Il va acheter des trucs pour lui et pour les membres de la famille » [Koly, Malien, 31 ans

et sans emploi au moment de l’entretien].

Ici, Koly dépeint sa motivation au départ en migration. C’est que l’argent manque, notamment pour assurer une retraite aux parents. On dépasse ici le seul cadre d’une relation de dépendance des cadets aux aînés pour se situer dans le champ des relations parents / enfants. Observons le tableau suivant, qui reprend les activités professionnelles qu’occupaient les hommes rencontrés en entretien avant leur départ en migration.

142 Dans un ouvrage paru en 1994, Alain Supiot fait cette assertion : « Aux « sans-travail » dont le nombre ne cesse de croître aujourd’hui, est refusée cette part d’humanité, le droit à l’épreuve, le droit de faire ses preuves et de se voir reconnaître une place légitime au milieu de ses semblables » (p. 3).

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TABLEAU 2.Activités professionnelles au départ du pays d’origine (n = 28) Age Nationalité

(pays d’origine)

Localité

d’origine Scolarisation Activité dans le pays d’origine professionnelle (avant le projet de départ en migration)

Boubacar 25 Malienne Kayes Jamais scolarisé Cultivateur Cilly 22 Malienne Yaguiné Jamais scolarisé Cultivateur Demba 41 Sénégalaise Tambacounda Jamais scolarisé Cultivateur

Diadié 22 Sénégalaise Goudiry Jamais scolarisé Eleveur et manœuvre dans le bâtiment

Diaye 25 Malienne Yaguiné Dix ans à l’école franco-arabe

Cultivateur et ferrailleur (2007-2008)

Djibril 34 Sénégalaise Soutouta Quelques années

en école

coranique

Cultivateur

Dramane 37 Malienne Kayes Quelques années

en école

coranique

Commerçant

Doumbe 32 Malienne Sagabri Jamais scolarisé Commerçant (Mali – Niger) Fily 30 Sénégalaise Dakar Jamais scolarisé Commerçant à Dakar dans

les boutiques de ses frères Kande 32 Sénégalaise Goudiry Jamais scolarisé Coffreur dans le bâtiment -

2002-2008)

Karounga 35 Malienne Guka Jamais scolarisé Commerçant d’épices à

Guka

Koly 31 Malienne Gouméra Six ans à l’école

française

Cultivateur, manœuvre dans le bâtiment et vendeur Komisouko 23 Mauritanienne Sélibaby Deux ans à l’école

coranique

Cultivateur

Koné 41 Malienne Kayes Jamais scolarisé Cultivateur

Mamadou 44 Malienne Sahel Jamais scolarisé Cultivateur Massiré 28 Malienne Aïté Jamais scolarisé Cultivateur

Samba 42 Malienne Baniéré Koné Jamais scolarisé Commerçant (1998-2006)

Seydou 28 Malienne Nioro Un an et demi en

école coranique

Commerçant en textile (Mali – Burkina Faso)

Sidi 34 Malienne Fégui Jamais scolarisé Commerçant en textile et en audiovisuel au Grand marché de Bamako

Silamakan 45 Malienne Kayes Jamais scolarisé Cultivateur

Siradji 34 Malienne Kayes Ecole française Commerçant automobile

Sirakhata 23 Malienne Gory Gopéla Jamais scolarisé Commerçant en

électroménagers à Bamako dans la boutique de ses frères

existe-t-il encore une « noria » de travailleurs immigrés ? 147 Age Nationalité (pays d’origine) Localité d’origine

Scolarisation Activité professionnelle dans le pays d’origine (avant le départ en migration)

Souanding 22 Malienne Kilani Quatre à l’école française

Eleveur

Souleymane 27 Malienne Koulikoro Niveau lycée Cultivateur et manœuvre dans le bâtiment

Soundiata 27 Mauritanienne Tachott Sept ans à l’école coranique

Cultivateur Soumaïla 27 Mauritanienne Sélibaby Dix ans à l’école

française

Commerçant en tissu de Bazin143 et de chaussures (2006-2007 ; Mauritanie – Mali)

Tiecoura 25 Mauritanienne Sélibaby Quatre ans à l’école franco- arabe

Cultivateur, commerçant d’épices pour le compte d’un oncle (2006-2008) et mineur à Zouérat

Wondié 43 Malienne Diabigué Jamais scolarisé Commerçant d’épices sur les marchés de Bamako

Ce tableau n’a pas vocation à être traité statistiquement ; d’ailleurs les informations collectées ne sont pas toutes égales144. L’intérêt de ce tableau réside dans le fait qu’il reprend les déclarations faites par les migrants eux-mêmes des emplois et travaux occupés dans leur pays d’origine et transcrit donc ce qu’ils mettent en avant dans les représentations de l’emploi qu’ils ont. Notons que je n’ai fait aucun codage pour établir les activités. Soulignons alors que les déclarations faites sur les emplois exercés dans le pays d’origine le sont sur la base de ce qui au sens des migrants semble (ou serait à même de) constituer une activité socialement reconnue. La question est donc de savoir si cette catégorisation des emplois occupées est faite depuis ici, en France, ou depuis là-bas, dans le pays d’origine. Lors de la rédaction de son Curriculum Vitae (CV), Cilly (de nationalité malienne, 24 ans et sans emploi au moment de l’entretien) m’avait dit ne pas voir l’intérêt d’y faire figurer ses expériences professionnelles passées au Mali : « Non,

c’est pas la peine de dire ça, parce que c’est pas la même chose ». C’est donc que

potentiellement la migration constitue un moment de rupture dans les carrières145. Mais encore.

143 Il s’agit d’un tissu amidonné, particulièrement convoité en Mali et en Mauritanie.

144 Si l’on peut s’amuser à de brèves lectures du tableau, les informations présentées sont en effet largement

insuffisantes. Il n’est guère possible, par exemple, de mettre en relation l’âge et l’emploi occupé dans le pays d’origine. Pour cela, il faudrait un échantillon bien plus important et connaître également les occupations des autres membres de la famille, etc.

145 Everett C. Hughes résumait la carrière comme le : « […] parcours ou progression d’une personne au cours de la vie (ou d’une partie donnée de celle-ci) » (1996 : 175). De cette manière, la carrière peut être aussi bien entendue

à la fois dans un sens objectif comme l'enchaînement des postes occupés par une personne et dans un sens subjectif comme une mise en introspection du parcours suivi par rapport aux âges sociaux.

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Dans la rédaction de son CV, Koné (de nationalité malienne, 41 ans, agent d’entretien dans le

secteur du nettoyage en CDI et régularisé au titre du travail au moment de l’entretien) avait fait

ce même commentaire : il ne voulait pas mettre les emplois qu’il avait occupés au Mali.

Par conséquent, sommes-nous face à ce qui approcherait des processus de violence symbolique et postcoloniale et qui conduiraient à ne comprendre le travail que dans sa forme moderne ? Autrement dit, est-ce à dire que le départ en migration constitue un événement au sens qu’en donne Alban Bensa et Didier Fassin (2002) ? « L’événement, écrivent Bensa et

Fassin, ce n'est pas qu'il se passe quelque chose, quelque important que soit ce fait, mais plutôt que quelque chose se passe – un devenir » (p. 4). Dans cette configuration, nous pouvons

comprendre le temps du départ en migration comme cet événement, dans le sens d’une rupture d’intelligibilité du temps. Précisons alors que pour comprendre le temps de l’événement, A. Bensa et D. Fassin s’appuient sur une distinction entre deux conceptions du temps que propose le philosophe Gilles Deleuze. Ce dernier oppose deux figures du temps, Chronos et Aiôn. La première figure du temps correspond à une perception qui ramène le passé et le futur au présent : seul le présent existe. La seconde, au contraire, subdivise chaque présent en passé et futur. Le présent est alors sans épaisseur et représente une rupture, une mutation dans un parcours individuel ou collectif. Il suscite un besoin d’interprétation de ce qui se passe. Aiôn est ici le temps de l’événement qui nous semble le plus proche de ce que vivent les migrants après être partis en migration :

Le présent de l’événement n’existe que comme ligne de partage entre deux mondes, mutuellement inintelligibles […] ; c’est une ligne de fracture, voire un simple point qui n’a sens que comme frontière (ibid., p. 5).

On considérera le moment du départ comme une ligne de fracture temporelle, qui marque chez les migrants leur rapport au présent, au passé et au futur. Dans leur rapport au monde, refaçonné par leurs expériences migratoires, certains des hommes rencontrés paraissent exprimer une tension inhérente à leur qualité d’étrangers anciennement colonisés. Tension au travers de laquelle se mettent en œuvre des processus d’assujettissement, favorisant l’émergence d’une économie morale propre aux hommes rencontrés. Soit, une vision des vaincus depuis le point de vue des dominants146. Nous verrons plus loin que cette vision est assassine, notamment par les forces centripètes et centrifuges qu’elle met en branle.

« Je vais à l’école et après l’école, je travaille pour gagner de l’argent. […] Manœuvre […] Ah, c’est, par exemple, t'es à côté du maçon et tu lui donnes un coup de main. Ou, tu fabriques les

146 Référence faite au très bel ouvrage de Nathan Wachtel, (1992), La Vision des vaincus : les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole (1530-1570), paru aux éditions Folio. Il me semble que cette thèse, parce qu’elle

s’inspire des études postcoloniales, doit beaucoup de la lecture de cette ouvrage, notamment par ce qu’il met formidablement en tension deux sortes de messianismes : l’un de capitulation et l’autre révolutionnaire. Et c’est d’une part cette tension que je tente de saisir à chaque étape.

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briques en banco147. Tu fais ça la journée et ça te fait un euro la journée. La demi-journée, c'est 50 centimes et moi je fais des demi-journées. C'est pas un travail qui est facile du tout. Je vais à l'école et à partir de 16 heures, bam je vais faire le manœuvre jusqu’à 18 heures, 19 heures. C’est deux ou trois heures de boulot, et après j'ai 50 centimes. Comme ça, le matin quand je vais à l'école, j’achète mes sandwichs et tout avec ça » [Koly, Malien, 31 ans et sans emploi au moment de

l’entretien].

Si Koly a travaillé comme cultivateur dans son village, il a aussi fait d’autres travaux148 afin de gagner un peu d’argent pour pouvoir acheter ce dont il avait besoin pour ses études. Nous voyons qu’un apport supplémentaire en argent est nécessaire à la bonne marche de la scolarisation de la part des étudiants eux-mêmes (la famille n’ayant pas toujours les moyens financiers de subvenir aux affaires de l’école). Notons alors que Koly souligne les salaires sont dérisoires, particulièrement face à la masse de travail abattue, lorsqu’il raconte quand il était manœuvre.

De deux choses l’une. La première : l’activité de cultivateur est un travail qui apparaît en partie liée à l’ « enfance ». Aussi, Koné et Cilly refusent-ils de le mettre en avant dans leurs CVs. C’est aussi le sens qu’y met Souanding. Celui-ci a voulu rejoindre ses frères en migration pour être avec eux mais aussi parce qu’il ne voulait plus de ce rôle de cadet cantonné au village, emmenant les vaches en brousse :

« Je travaille avec les vaches, c'est pas un travail de travailler avec les vaches. […] J'ai fait six mois comme ça. […] Moi je me suis dit qu’il faut que je vienne en France » [Souanding, Malien, 22 ans

et sans emploi au moment de l’entretien].

Garder les vaches, n’est pas un travail nous dit Souanding. Deux formes de travail s’opposent très concrètement, et sont jugées antagoniques : d’un côté, le travail de la terre non rémunéré, de l’autre, le travail salarié. Il y a ici un parallèle intéressant à faire, peut-être un peu hâtif car il a trait à une supposée violence coloniale qui rendrait passif les migrants rencontrés. Toutefois, il mérite notre attention. Nous pouvons lire dans les migrations des hommes rencontrés différentes temporalités qui s’entrecroisent et forment un régime de temporalités spécifique. Dès lors, nous pouvons considérer un temps long (celui de l’enfance pour certains migrants rencontrés), puis celui d’Aiôn, le temps de l'événement, de la rupture d'intelligibilité. L’arrivée dans le pays d’immigration suscite une troisième temporalité. Celle-ci peut se concevoir soit comme une parenthèse au sein du temps long, soit comme un temps court annoncé permettant à l'homme d'advenir. Ce temps court est alors celui d’un présent dominé par l’incertitude. Si le premier temps long est celui de l’enfance, est-il possible que tout ce qui le constitue soit aussi du ressort de l’enfance comme l’agriculture ? N’avons-nous pas là affaire à

147 Le banco désigne un matériau de construction en terre crue.

148 « Après le sixième j'étais au Mali, j'ai travaillé comme manœuvre. Et n'importe quel travail je faisais. Après, j’ai

arrêté ça. Ensuite, j’ai commencés à vendre des cartes téléphoniques. C’était un peu différent » [Koly, Malien, 31

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l’intériorisation de discours racisés par les migrants eux-mêmes, dont le triste et célèbre discours de Dakar de Nicolas Sarkozy, prononcé le 26 juillet 2007 à l’Université Cheikh-Anta Diop et dans lequel il affirmait que l’Afrique n’était pas encore entrée dans l’histoire, soit la renvoyant au temps de la préhistoire, de l’enfance de l’humanité ? Si Abdelmalek Sayad avait étudié les migrations sahéliennes, comment aurait-il interprété ce que nous dit Souanding ? Le discours de Souanding (et de bien d’autres encore) n’est-il pas l’actualisation du deuxième « âge » de l’émigration de Sayad (1977) ? Celui de la perte de contrôle du monde paysan sur ses migrants et de l’aspiration au plein emploi salarié non-agricole, etc., où : « […] déjà au pays [Souanding] ne se pensait plus paysan même dans ses intentions » (ibid., p. 65) ?

Deuxièmement, avec son travail de manœuvre Koly ne gagnait pas grand-chose. C’est ce que m’a aussi dit Soundiata :

« Pourquoi je suis parti pour l’Espagne ? Parce qu'au pays, j'avais pas de boulot là-bas. Voilà. […] Y a du boulot mais tu gagnes rien [il rit]. Voilà » [Soundiata, Mauritanien, 27 ans et commis de

cuisine en CDI au moment de l’entretien].

Nous retrouvons le travail comme paramètre essentiel à la définition des situations migratoires, et surtout l’entrée dans le salariat moderne qu’il permet. La migration est donc vue comme un moyen d’accumuler du numéraire, du capital, nécessaire à la reproduction des groupes sociaux, autant du point de vue de sa subsistance que du point de vue de son assurance.

Alors, autant, l’agriculture n’est pas vue par certains migrants comme un travail, au sens où cette activité ne fournit aucun salaire, et je citerai à cet effet Cilly (de nationalité malienne, 24

ans et sans emploi au moment de l’entretien) : « Chez nous, on travaille pas. […] C'est pour nous-mêmes ». Autant, s’il arrive d’occuper un emploi rémunéré dans le pays d’origine, ce

dernier l’est faiblement. L’argent ne circule que difficilement et s’il faut vendre un bœuf pour avoir de l’argent149, cela ne saurait suffire aussi à maintenir le petit commerce développé au village ou dans la capitale150 ; sans compter le fait que le manque d’éducation scolaire est aussi un frein pour briguer certains emplois mieux rémunérés. Aussi, tous les propos retenus ci-dessus nous font-ils converger vers la théorie du système migratoire de Claude Meillassoux (1975) et l’illustrent avec force. Au-delà, et considérant : « […] l’agent économique […] comme le produit de conditions historiques tout à fait particulières » (Bourdieu, 2003b : 85), c’est également la

transcription d’un habitus économique, pour reprendre la formule de Pierre Bourdieu (2003b), qui intervient. Si Bourdieu a examiné les conditions d’émergence et d’acquisition de cet habitus

149 « Oui, si on a besoin d’argent, on vend un bœuf ou bien un mouton » [Cilly, Malien, 24 ans et sans emploi au moment de l’entretien].

150 « Pour faire un commerce, il faut avoir les moyens. Et si tu n'as pas assez de moyens, tu ne peux pas faire de

commerce. Tu peux le faire mais tu ne vas pas bien avancer. Et du coup, c'est ici que je sais que je vais avoir du boulot pour aider la famille » [Cilly, Malien, 24 ans et sans emploi au moment de l’entretien]

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au sein de la société algérienne, habitus qui a exigé selon lui une véritable conversion et a transformé aussi bien le sens du travail que les habitudes temporelles et les stratégies sociales de reproduction, il y a vu un : « […] nouveau sens imparti au travail avec la « découverte » du travail salarié et la dévaluation corrélative des activités agricoles […] »151 (ibid., p. 85). Dès lors, c’est aussi ce qui apparaît ici. Sans vouloir homogénéiser les différentes représentations du travail qu’ont les migrants rencontrés, on ne peut pas non plus ne pas saisir cet impératif du travail, en tant qu’activité sociale socialement reconnue, moyennant un salaire inscrit dans une relation d’emploi, qui domine largement les différentes représentations du travail.

« Moi, je n'ai pas de travail au Mali. Au Mali, j’étais cultivateur. Je fais un peu de commerce aussi […] Mauritanie, Mali, un peu de sucre. […] Après j'ai fait de l’électricité pendant deux ans. […] J'ai appris ça avec quelqu’un » [Mamadou, Malien, 44 ans, employé dans un magasin de tapis et

régularisé au titre de la « vie privée et familiale » au moment de l’entretien].

Dans ses propos, Mamadou apparaît confus : on ne sait plus très bien ce que veut dire travailler pour lui. Un glissement s’opère entre les formes de travail, les formes de travail salariées (faiblement rémunérées) dans les pays d’origine et les formes de travail en France.

« Bon à Diabigué [son village d’origine], je tenais un petit commerce. C'est un petit commerce. Je me débrouillais un petit peu. […] [Ensuite, à Bamako] Je vendais des bracelets avec des chaînes. Tu sais, tu marches toute la journée. Et quand même, tu ne trouves rien [cela ne suffit pas pour manger] » [Wondié, Malien, 43 ans, agent d’entretien dans le secteur du nettoyage en CDI et

régularisé au titre du travail au moment de l’entretien].

Nous voyons comment ce glissement s’opère dans les propos de Wondié. Comme cela a déjà été dit, le travail dans le pays d’origine ne suffit pas, ne suffit plus. Et de son insuffisance naît sa dévalorisation. Il n’est pas (ou plus) ce qui fait l’homme :

« Ouais c'est que les garçons [qui migrent]. Y en a des femmes qui viennent mais c'est pas pour le travail. Il faut que la femme vienne pour son mari. Bon, si elle trouve du travail, elle peut travailler. Mais par exemple, y en a des femmes africaines qui sont immigrées mais c'est pas nous. Jamais, je n'ai pas vu des Soninké, des femmes qui viennent pour immigrer. Il faut que ton mari il te ramène [ici, en France] » [Tiecoura, Mauritanien, 25 ans et employé de marché en CDI au moment de

l’entretien].

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