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« Ce qui importe, ce n’est pas de distinguer les mots ; c’est d’arriver à distinguer les choses qui sont recouvertes par les mots »

Emile Durkheim, in « Débat sur le nationalisme et le patriotisme », in Textes ([1905] 1975), p. 179.

Il peut sembler aux lectrices et lecteurs périlleux de procéder dans un tel ordre : présenter une population sans même l'avoir avant définie précisément. Il s'agit d'une rhétorique car il faut comprendre les écueils que je n'ai pu éviter et les difficultés que j'ai pu rencontrer à nommer la population dont il est ici question. Et il faut aussi comprendre que c’est la conduite des terrains qui m’a amenée à nommer, catégoriser la population ici étudiée. Comment nommer la population dont il est question ? De qui est-elle constituée ? D'étrangers, de migrants, d'immigrés, de

travailleurs migrants, de sans-papiers, de « travailleurs sans-papiers » ? Il paraît nécessaire de

conduire une réflexion qui nous permettrait d'appréhender au mieux les processus de production et de reproduction de ces formes d'identités collectives et assignées mentionnées, les processus de catégorisation dont la population à désigner est à la fois l’objet et le sujet. En soi et partant de cette question que formule Véronique De Rudder (à partir des travaux de Brigitte Fichet, 1993) :

Dans un contexte général d’ethnicisation des rapports sociaux et de résurgence du racisme, la recherche s’est trouvée – et se trouve toujours dans un dilemme : comment analyser ces processus de production/reproduction d’« altérité » sans y participer ? Comment prendre les catégorisations spontanées, fort souvent sanctionnées « clandestinement » par les pratiques administratives et institutionnelles, sans, d’un même mouvement, les admettre comme outils de travail ? (1997 : 77).

L'identité, si ce n'est la prolifération de sens et leur polysémie problématiques, et surtout sans épithète, doit être envisagée à partir d’un répertoire à multiples entrées (économique, sociologique, culturelle, politique, locale, nationale, religieuse, familiale, etc.). Ce sont ces entrées qui ont été passées en revue jusqu'ici dans la présentation de la population d’étude et qui nous ont permis de ramasser suffisamment d'éléments afin d'explorer chacun des termes ci- dessus énoncés (en italiques), pour pouvoir nommer par la suite :

[…] ce que [j’] étudi[e] à l'aide de mots que les personnes concernées utilisent déjà, [pour acquérir], à travers ces mots, les attitudes et perspectives que ces mots impliquent. Dans la mesure où de nombreuses catégories interviennent dans tous les types possibles d'activité sociale, choisir

109 En référence à l’article de Georg Simmel, [1908] 1979, « Digression sur l’étranger », in Y. Grafmeyer et I.

Joseph, L’École de Chicago, naissance de l'écologie urbaine, Paris : Du Champ urbain, pp.53-77 ; et en référence à un article de Didier Fassin paru en 1996, « «Clandestins» ou «exclus» ? Quand les mots font des politiques », in Politix, 1996/ 9, n°34, pp. 77-86.

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des mots provenant de n'importe quel corpus de vocabulaire […] oblige par conséquent à [se] conformer à l'une ou l'autre des perspectives déjà en usage chez l'un ou l'autre de ces groupes (Becker, 2009 : 235).

Prêtons-nous à un examen attentif des mots ci-dessus énoncés, qui n’ont de cesse de venir catégoriser les hommes rencontrés.

L'

ETRANGER DANS NOS SOCIETES

L’étranger est le plus souvent opposé au national d’un Etat-nation. Toutefois la catégorie d’étranger n’est pas une catégorie uniforme aussi bien au sens sociologique qu'au sens politico- juridique110. Ainsi, dans un sens politico-juridique, parmi les étrangers foisonnent de multiples sous-catégories, hiérarchisées selon l’origine nationale, l’ancienneté de la résidence, l’activité professionnelle, etc. La question de l’étranger est ainsi posée en termes de politique migratoire, en termes de statut juridique, en fonction des mobilités admises et permises et des besoins économiques. A cela, deux dispositifs de catégorisation confirment les statuts de l’étranger : l’un juridico-administratif, et l’autre politico-médiatique. Dans cette perspective, l'étranger est défini (démographiquement) comme toute personne qui réside en France et ne possède pas la nationalité française, soit qu'elle possède une autre nationalité (à titre exclusif), soit qu'elle n'en ait aucune (c'est le cas des personnes apatrides). L'étranger est aussi celui dont la légitimité de la présence peut être (voire se doit d'être) remise en cause.

Au sens sociologique, comme l’écrivait déjà Georg Simmel en 1908 (1979) :

[…] l’étranger dont nous parlons ici n’est pas ce personnage qu’on a souvent décrit dans le passé, le voyageur qui arrive un jour et repart le lendemain, mais plutôt la personne arrivée aujourd’hui et qui restera demain, le voyageur potentiel en quelque sorte : bien qu’il n’ait pas poursuivi son chemin, il n’a pas tout à fait abandonné la liberté d’aller et venir. […] L’étranger est un élément du groupe lui-même […], un élément dont la position interne et l’appartenance impliquent tout à la fois l’extériorité et l’opposition (p. 53).

Pour G. Simmel, « l'étranger » est une forme exclusivement sociale. Rappelons que dans sa sociologie, G. Simmel conçoit la société comme une entité abstraite qui n'existe pas, et préfère à cet égard parler de socialisation (Vergesellschatfung). Les formes sont alors des contenants, dissociées des contenus. Il y a une empirie manifeste dans son concept de « société », qui tranche avec les conceptions représentant la société comme transcendée par les forces de l'État-nation et de la nation111. Ainsi, pour le sociologue allemand, « […] [les individus sont ces] élément[s] d'un

110 Et comme l’écrit Danièle Lochak (1985) : « L’étranger est une catégorie sociale avant d’être un concept juridique, mais la définition juridique de l’étranger agit en retour sur l’image que la collectivité a de lui, l’infléchit imperceptiblement, trace une frontière plus rigide et plus visible entre lui et les autres » (pp. 7-8). 111 Notons que pour le sociologue Emile Durkheim, la « société » est une réalité sui generis. Les individus ne sont

pas en dehors de la société mais bel et bien inscrits en son sein par les liens d'interdépendance des parties du tout, chaperonnées par l'État (nation). L'individu ne peut réellement être détaché de la société dans laquelle il est.

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groupe [qui ne sont] pas seulement une partie de la société, mais [sont] en plus quelque chose d'autre » (G. Simmel in P. Watier, 1986 : 32). Dans cet interstice réside toute la force de la figure

de l'étranger de Simmel. En somme, pour lui, l'étranger participe d'un lieu unissant les deux

dimensions contraires de la rupture et de l'appartenance, dans une société donnée. Considérons

alors la citation du philosophe et esthéticien Olivier Revault d'Allonnes :

Le lien entre le dépouillement et la variation, c'est finalement la situation même du créateur, l'opération même de la création […]. C'est une « logique » (ici une esthétique) de l'engendrement (in C. Javeau, in P. Watier, 1986 : 186).

Les catégories de l'étrange(r) telles qu'elles nous apparaissent ne sont donc données que par la capacité de l'homme d'unir et de dissocier, de créer et d'engendrer de la différence ou de la ressemblance. L'étranger est alors une forme sociale, indéniablement, dont les contours sont poreux et dont le contenu varie selon les époques et les politiques migratoires112. D’autant plus que comme le souligne Danièle Lochak, si nous nous demandons :

[…] qu’est-ce qu’un étranger, qui est étranger ? Sans doute la qualité de l’étranger s’est-elle, pendant de longs siècles, appréciée en fait plutôt qu’en droit […]. Aujourd’hui, à l’inverse – et c’est là le résultat d’une évolution lente mais vraisemblablement irréversible –, le droit contraint la réalité à se plier à ses catégories et impose imperceptiblement sa problématique aux représentations collectives : le concept juridique d’étranger, parfaitement codifié et opératoire, tend à acquérir une valeur universelle (1985 : 41).

L’

IMMIGRE ET LE TRAVAILLEUR MIGRANT

Au début de mon terrain, et puisque j’avais à cœur de parler des populations qui vivaient dans les Foyers de Travailleurs Migrants (FTM), je me suis longuement interrogée sur leurs qualités (au sens de caractéristiques sociales), sur ce qui faisait et sur ce à quoi renvoyait les termes d’« immigré » et de « travailleur migrant ». Que signifiait être un immigré ? Était-ce l’équivalent du travailleur migrant ? Pourquoi accolé une terminaison en « -é » dans l’un des cas, et une terminaison « -ant » dans l’autre ? Cela devait-il m’aider à comprendre quelque chose de pertinent ? Commençons par l’« immigré ».

Dans L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, Abdelmalek Sayad (1991) revient sur la nécessité de comprendre les processus d’immigration par l’acte initial de ces processus qu’est

Aussi, E. Durkheim ne traite-t-il pas de la figure de l'étranger à proprement parler ; elle s'instille dans sa sociologie des représentations collectives.

112 Dans sa contribution à l’ouvrage collectif dirigé par Michel Wieviorka, Une société fragmentée ? (1997), Didier

Lapeyronnie, se propose d’examiner tour à tour deux figures de l’immigré, inversées. La première est celle de l’altérité et de l’étrangeté Dans cette veine, l’immigré devient la figure des sociétés en voie de modernisation : « L’expérience de l’immigré est fondamentalement l’expérience de la modernisation » (p. 206). Quant à la seconde figure, elle est celle de la minorité et de la « colonisation » et se réfère quelque peu aux approches des partisans de politiques multiculturelles. Ici, l’immigré est à la fois reconnu comme un individu, en même temps qu’il est stigmatisé par la culture qu’il porte : « L’immigré colonisé est ainsi exemplaire de l’expérience de

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l’émigration (p.14 et suivantes). Pour A. Sayad, l’immigré est désigné comme tel par la société qui le fait naître et exprime ainsi :

[…] une double contradiction : on ne sait plus s’il s’agit d’un état provisoire mais qu’on se plaît à prolonger indéfiniment ou au contraire s’il s’agit d’un état plus durable mais dont on se plaît à vivre avec un intense sentiment du provisoire (ibid., p. 51).

Auparavant l’immigré était avant tout un travailleur dont l’immigration était provisoire. A ce titre, et je citerai de nouveau A. Sayad : « C’est le travail qui fai[sai]t « naître » l’immigré,

qui le fai[sai]t être ; c’est lui aussi, quand il v[enai]t à cesser qui fai[sai]t « mourir » l’immigré, pronon[çait] sa négation dans le non-être » (ibid., p. 61).

Mais la parution des circulaires Marcellin et Fontanet en 1972 qui ont restreint les régularisations d’étranger/ères et limité la migration de main-d’œuvre, et l’annonce officielle de la fermeture des frontières françaises en 1974 suspendant provisoirement l'immigration de travail, ont eu pour fonction de couper court à cette immigration et ont amorcé la voie à l’immigration familiale. Dès lors, il n’a plus été possible de voir en l’immigré, un travailleur. Dans son ouvrage paru en 2012, L’invention de l’immigré, Hervé Le Bras montre comment le terme « immigré » est apparu aux lendemains du recensement de 1990 comme une catégorie officielle (statistique) pour désigner (et encore de manière actuelle), toute personnenée étrangère à l'étranger et résidant en France113. Dans cette définition, l’immigré n’est pas opposé à l’étranger. Il est une catégorie, sans vocation juridique. Par l’imposition de ce terme à différents domaines de la vie politique et publique, H. Le Bras y voit l’entretien et le maintien d’une distance entre le national et l’étranger (même naturalisé), un processus d’altérisation naturalisante renforçant une dichotomie grossière entre le « Nous » et les « Autres »114. Comme le dit Alexis Spire, la catégorie statistique de l’« immigré » légitime : « La progressive mise en

place d’une politique de l’intégration [qui] a tout d’abord créé et définit institutionnellement les immigrés comme étant la population à intégrer » (1999 : 55)115.

113 D’après les définitions officielles de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE).

Pour plus de détails sur la mise en place de la catégorie de l’ « immigré » comme catégorie statistique, voir l’article d’Alexis Spire, 1999, « De l'étranger à l'immigré [La magie sociale d'une catégorie statistique] », in Actes de la recherche en sciences sociales, 1999/129, pp. 50-56.

114 Voire une « ethnicisation du pauvre » pour reprendre un article de Gérard Althabe, (1985). « Production de

l’étranger, xénophobie et couches populaires urbaines », in L’homme et la société, n°77-78, pp. 63-73. Dans cet article, G. Althabe montre comment le contexte de crise des années 1970 a permis à un discours xénophobe de s’élever. Par ailleurs, il montre aussi comment les populations maghrébines, pointées du doigt, stigmatisées, deviennent actrices de leur condition et se fabriquent une identité collective pour répondre aux différents assauts qui les poussent toujours plus aux marges de la société française.

115 Les questions de politiques d’assimilation puis d’intégration ne sont pas ici le cœur de la réflexion. Aussi, je

renvoie les lectrices et lecteurs à l’ouvrage de Dominique Schnapper, 2007, Qu’est-ce que l’intégration ?, paru aux éditions Gallimard. Voir aussi, l’ouvrage collectif de Didier Fassin et d’Eric Fassin, 2006, De la question

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L’immigré est alors défini par défaut, par ce qu’il n’a pas ou par ce qui lui manque. Les politiques mises en œuvre, toutes dirigées pour favoriser son intégration (son assimilation), lui assigne dès lors une place particulière au sein de la société qui « souhaite » l’accueillir. Cette place, discriminante, se trouve par ailleurs légitimée, notamment en temps de crises dans lesquels l'immigré se retrouve assimilé à la figure de l'étranger116.Pour autant, la population que j’étudie peut-elle tenir dans cette définition de l’immigré ? N’y va-t-il pas d’autres formes de catégorisation hiérarchisantes, altérisantes et naturalisantes ?

Contrairement à l’immigré, la terminaison « -ant » du terme « travailleur migrant » donne à penser les individus qu'elle caractérise dans un mouvement. Placés sous l'égide des migrations de travail, le travailleur migrant peut être vu comme cet individu qui se déplace pour trouver du travail, soit qu'il ait été appelé (comme ce fut le cas des migrations de main-d’œuvre d’après- guerre). Dans la migration de travail, le mouvement migratoire ne semble pas complètement achevé. Il est un présent en pointillé (ce que laisse entendre la terminaison en « -ant »), comme s'il s'agissait d’« oiseaux de passage »117, dont le logement éponyme, le Foyer de Travailleurs Migrants (FTM) en est le symbole, celui d'une présence passagère et éphémère, de travailleurs célibataires, assurés d'un retour prochain. Et pourtant, si :

[…] le foyer se présente comme un logement sans définition juridique précise, comme un logement “spécifique” n'entrant dans aucune des catégories habituelles, c'est sans doute parce qu'il est conforme au statut ambigu [du travailleur migrant] actuel qui n'est ni un résident vraiment permanent, ni un résident vraiment passager dont le temps et le séjour est compté (qu'il soit compté ou qu'il le compte lui-même) […] (Sayad, 1991 : 86).

Une question nous guette : pour qui ce présent est-il en pointillé ? Abdelmalek Sayad évoquait quelque chose de très juste :

Il faut une véritable cécité conventionnellement entretenue pour accepter et reproduire, en raison du confort de toute nature qu'elle procure, la réduction qu'on opère du phénomène migratoire, quand on le définit implicitement comme simple déplacement de force de travail […] (1999 : 17).

Par conséquent, si la population ici étudiée habite principalement dans des FTM et répond à l’appellation de travailleurs migrants :

[N’établit-on pas] une séparation arbitraire entre, d'une part, une immigration de travail qui ne serait que le fait de travailleurs (apport de main-d'œuvre sans plus) et ne poserait que des

116 En effet, et c'est en quelque sorte la seconde figure de l'immigré, si l'immigré peut faire l'objet de politiques

d'intégration : « […] il ne s’agit pas pour l’immigré de se dégager de la tradition pour s’individualiser dans la

société moderne, mais à l’inverse de se construire, de donner un sens à son expérience vécue, en trouvant ou en retrouvant une appartenance collective, des repères. La quête de sens est ici d’autant plus intériorisée comme une nécessité personnelle que le racisme est toujours susceptible de stigmatiser l’immigré, de lui dénier toute représentation positive de lui-même, de lui rendre difficile l’estime de soi » (Wieviorka, 2005 : 118). Voir aussi

l’article de Didier Lapeyronnie précédemment cité.

117 En référence au titre de l'ouvrage de Michael Joseph Piore de 1979, Birds of Passage. Migrants Labor and Industrial Societies, Cambridge : Cambridge University Press.

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problèmes de travail, et, d'autre part, une immigration de peuplement dont la signification et les conséquences sont d'une autre portée […] [?] (ibid., p. 18).

Cécité conventionnelle ou non, le travailleur migrant, si tant est que cette figure soit encore utile pour décrire une réalité, n'est-il pas encore considéré comme simple force de travail ? On le voit, les FTM ont fait l'objet de différents rapports dont le rapport Cuq paru en 1995 qui les décrit comme des lieux et des zones de non-droit. Aussi, la circulaire interministérielle n◦95-33 du 19 avril 1995, modifiant la réglementation des logements-foyers et

créant les résidences sociales, établit une transformation de ces foyers en résidences sociales118, présageant une volonté des pouvoirs publics d'intégrer cette frange de population à la catégorie des « exclus » plus générale119. Mais, il serait bien rapide d'attester le bien-fondé d'une telle volonté. Aussi, n'assistons-nous pas au travers de ces transformations, à une substitution du travailleur immigré au travailleur migrant ? Là où le présent en pointillé finit par être parachevé par un glissement sémantique ?

Dans sa contribution à un ouvrage collectif paru en 1997, Mahamet Timera précise que le statut de travailleur immigré renvoie au résident autorisé à travailler en France et est le résultat d’un parcours avec des phases d’irrégularité – des changements de statut (in D. Fassin et al. (dir.), 1997 : 96). On peut donc dire que l’immigré et le travailleur migrant sont comme les déclinaisons d’une même question sociale, d’une même question raciale (et je renvoie à l’ouvrage collectif dirigé par Eric Fassin et Didier Fassin, paru en 2006 aux éditions La Découverte, De la question sociale à la question raciale. Représenter la société française). Ils sont des sous-catégories de l’étranger, segmentées et hiérarchisées. Retenons alors qu’autant l'émigré-immigré que le travailleur migrant/travailleur immigré, ne saurait se résumer à sa seule force de travail, à la seule reconnaissance de son intégration réussie (il y manquerait toute la sagacité de l'espoir et de la reconnaissance sous toutes ses formes, de son agency et dont la thèse en témoignera). Toutefois, cette catégorisation, bien que désuète, est opérante à l'endroit d'une place choisie et/ou assignée. Il convient de garder à l’esprit que nous faisons face à des hommes, assimilés autant de l’extérieur que de l’intérieur à la figure du travailleur migrant (et je renvoie les lectrices et lecteurs pour une plus ample démonstration au chapitre 5 et à la deuxième partie de la thèse).

118 Par trois décrets promulgués en décembre 1994 sous le gouvernement Balladur, suivis d'une circulaire

d'application datée d'avril 1995, les Foyers de travailleurs migrants seront transformés en résidences sociales. Ce processus est en cours depuis les années 2000. Cette transformation n’est pas sans poser quelques problèmes de fond notamment celui de la considération des populations concernées.

119 Sur cette notion d'exclusion, voir l'ouvrage collectif dirigé par Serge Paugam et paru en 1996 aux éditions La

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L

E

«

SANS

-

PAPIERS

»

ET LE

«

TRAVAILLEUR SANS

-

PAPIERS

»

Nous touchons à la fin de notre examen. Si c’est avec la fermeture des frontières que l’immigré cesse d’être un travailleur pour devenir l’étranger à intégrer, le terme immigré renvoie désormais à une fonction de désignation (Fichet, 1993) des étrangers venus s’installer durablement en France et dont il est impératif de concourir à l’intégration. S’opère, parallèlement, un détachement de l’expérience de la migration puisque l’intégration concerne aussi bien les immigrés et leurs descendants. La société française précise ses frontières intérieures, là où les ordres du national et de l’Europe prévalent. Cinq catégories de personnes sont désormais identifiables : celle des nationaux, celle des étrangers communautaires, celle des étrangers extracommunautaires, celle des immigrés réguliers, et enfin celle des immigrés irréguliers. On assiste à un tri des étrangers (Lochak, 2006a), entre les « bons » immigrés, hier assimilables, aujourd’hui intégrables, et les « mauvais » immigrés, entre une immigration « choisie » et une immigration « subie », entre les immigrés réguliers et les irréguliers (tour à tour clandestins et sans-papiers).

Toutefois, les immigrés (ou étrangers) en situation irrégulière ne peuvent être compris comme une catégorie homogène. Comme le rappelle à juste titre Didier Fassin (in D. Fassin et

al. (dir.), 1997), leur irrégularité administrative est aussi fonction des jeux politiques, naît du

produit de la rencontre (ou de la mise en relation) entre les projets des individus et les projets de

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