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« Si l’immigration a été longtemps un objet théorique marginal, elle est (re-)devenue à partir du milieu des années 70 un objet politique central. L’Etat et le politique s’en sont saisis par leurs discours mais aussi par leur mode de gestion et de traitement institutionnel. La politisation qui découle de ces prises de parole a conduit à une représentation de l’immigration qui se décline à travers des formes d’essentialisation culturelle des migrants et un procès d’altérisation ethnique » (Timera, 2009 : 37)

L’immigration, et plus loin les migrations, sont donc devenues, à partir de la deuxième moitié du XXème siècle, des objets politiques36. Si avancer cela n’a rien de nouveau, il faut néanmoins considérer que dès lors mon objet d’étude a une dimension politique appuyée (car

36 A cet égard, voir l’important ouvrage de Patrick Weil, 1991 (2004), La France et ses étrangers. L’aventure d’une politique de l’immigration de 1938 à nos jours, paru aux éditions Gallimard. Dans cet ouvrage, P. Weil montre

comment la France s’est dotée peu à peu d’un cadre législatif premièrement par la définition de logiques, qui ont à terme contribuées à l’élaboration d’une politique d’immigration républicaine.

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c’est somme toute le lot de tous les objets d’étude), soit le situer très certainement dans une anthropologie politique.

Pour Marc Abélès (2005), l’anthropologie politique offre des perspectives d’analyse originales dans la mesure où elle porte un « [...] questionnement sur ce qui a longtemps été

considéré comme l'organisation politique la plus achevée » (p. 8). Autrement dit, elle aide à

penser l'Etat et montre « […] qu'il existe ou non un appareil spécialisé, le politique est présent

en toute société, mais sous des formes extrêmement diverses » (ibid., p. 11). Au-delà,

l’anthropologie politique permet de : « […] mettre à jour des dispositifs de pouvoir réellement

opérationnels […] [mettant aussi] l'accent sur l'imbrication du politique et des autres dimensions du social » (ibid., p. 11). C’est parce que, dans la présente thèse, je m’interroge sur

les processus de régularisation au titre du travail des migrants « sans-papiers », que j’entends appréhender les manières dont on passe d’un statut de migrant irrégulier, à celui de migrant régularisable puis régularisé, que cette entrée dans l’anthropologie politique est pertinente. C’est aussi parce que j’envisage avec Michel Foucault de comprendre certaines parts du processus d’« étatisation » des relations de pouvoir, c’est-à-dire l’exercice de formes de pouvoir quotidiennes et immédiates, classant les individus en catégories selon différentes individualités, qui imposent une loi de vérité. Ce qui implique alors que l’on se place :

[…] au centre de l’analyse non le principe général de la loi, ni le mythe du pouvoir mais les pratiques complexes et multiples de « gouvernementalité » qui suppose d’un côté des formes rationnelles, des procédures techniques, des instrumentations à travers lesquelles elle s’exerce et, d’autre part, des enjeux stratégiques qui rendent instables et réversibles les relations de pouvoir qu’elles doivent assurer ([1984] 1994, p. 584).

Autrement dit, afin d’éclairer ces processus, il importe d’analyser les mécanismes de la régularisation par le travail de « […] se poser la question du « comment » de l’exercice du

pouvoir ; [de] penser le pouvoir « en acte » comme « mode d’action sur des actions » (Abélès,

[1990] 2005 : 131). Soit, de définir le pouvoir comme une conduite au sens double dans le même sens que Michel Foucault qui « […] emploie cette expression : une manière de « mener » les

autres et « une manière de se comporter dans un champ plus ou moins ouvert de possibilités »

(ibid., p. 133). Le pouvoir est alors une relation entre différents acteurs, et qui, si l’on suit Max Weber, se distingue de la domination, parce qu’elle est une relation horizontale, tandis que la domination est une relation verticale.

Mais si j’envisage plus simplement la question du pouvoir, celle de la domination est plus épineuse (et j’en ai déjà donné une première conceptualisation possible). En effet, choisissant de traiter de l’emploi de migrants « sans-papiers » et émettant l’hypothèse selon laquelle leur intégration économique dévoile des rapports de subordination, profilés par des marchés du travail particuliers, je ne peux faire l’économie de définir concrètement ce que j’entends par

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domination, et donc des travaux de Max Weber ([2013] 2015). Pour M. Weber, la domination doit être envisagée de façon structurelle (et c’est qu’il s’agit d’une relation verticale). Aussi, existe-t-il trois types purs (idéaux) de domination :

1) Un caractère rationnel, reposant sur la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens (domination légale) ; 2) Un caractère traditionnel, reposant sur la croyance quotidienne en la sainteté de traditions valables de tout temps et en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercés l’autorité par ces moyens (domination traditionnelle) ; 3) Un caractère charismatique, [reposant] sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d’une personne, ou encore [émanant] d’ordres révélés ou émis par celle-ci (domination charismatique) (p. 289)

Chacun de ces types-idéaux de domination est légitimé par un principe qui permet aux individus sur lesquels s’exerce tel ou tel type de domination d’y consentir : « L’existence de toute

« domination », au sens technique que nous avons donné à ce terme, est bien entendu tributaire au plus fort degré qu’on puisse imaginer de l’autojustification par l’invocation de ses principes de légitimité » (ibid., p. 60). Puisque mon objet d’étude porte pour partie sur ce que la Préfecture

de Police de Paris, comme instance légitime dans les processus de régularisation, représente en tant qu’Administration, la domination rationnelle-légale (ou bureaucratique) telle que la définit M. Weber apparaît convenir à la présente recherche : « La bureaucratie présente un caractère

« rationnel » : son action est dominée par la règle, les objectifs, les moyens, l’impersonnalité « objective » » (ibid., p. 118). Et son principe de légitimation réside dans :

La « validité » d’un pouvoir de commandement [qui] peut s’exprimer dans un système de règles

rationnelles instituées (par un acte ou octroyées), qui apparaissent comme des normes valables

pour tous et sont suivies lorsque celui qui, en vertu de la règle, a été « appelé » à exercer le pouvoir de commandement revendique celui-ci (ibid., p. 60).

Aussi, le concept de domination chez M. Weber a-t-il trait à la deuxième dimension classique de la domination, la domination par consentement. Elle : « […] désigne un complexe d’associations

et de mécanismes assurant la formation et la reproduction du consentement des dominés par une série de compromis divers » (Martuccelli, 2004 : 469).

Parce qu’à l’heure actuelle, on assiste tout autant à l’extrême politisation de l’immigration qu’à sa dépolitisation car elle est saisie par l’Administration, l’action publique, il est alors nécessaire de porter une partie de l’attention à ce que fait la sociologie de l’administration et de l’action publique37, et notamment à la suite des travaux d’Alexis Spire (1999, 2005a, 2005b, 2008)38. Aussi, envisagerai-je, une « domination bureaucratique » (Weber,

37 Pour quelques vues sur le champ de recherche de l’action publique, voir Vincent Dubois, 2009, « L’action

publique », in A. Cohen, B. Lacroix, P. Riutort (dir.), Nouveau manuel de science politique, Paris : La Découverte, pp. 311-325.

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[2013] 2015), qui parce qu’elle se meut dans les institutions de l’Etat, est un instrument du pouvoir étatique. La Préfecture de Police de Paris (PPP) sera alors définie comme cette administration de l’action publique qui participe à la domination bureaucratique. Car comme le dit Pierre Lascoumes (2003), ce qui compte n’est pas tant l’analyse de l’action publique que l’analyse de son « instrumentation »39, c’est-à-dire, l’analyse de ses effets d’inertie, de la production des représentations spécifiques, la construction de ses indices, la problématisation particulière de son enjeu par la hiérarchisation de variables et l’induction d’un système explicatif (pp. 394-396). Soit, déterminer une partie de la face cachée de l’Etat (Spire, 2005a : 144), en partant de l’hypothèse que :

[…] la politique d’immigration se mesure aussi aux pratiques des agents qui la mettent en œuvre. En décidant du sort des étrangers qui se présentent aux guichets des préfectures, ceux-ci se livrent à un travail permanent de production, d’appropriation et de réinterprétation du droit. Ainsi l’administration joue un rôle primordial comme instance de traduction du droit, autrement dit comme espace intermédiaire entre la loi et les étrangers (ibid., p. 11).

Les analyses des réunions avec la Direction de la Police Générale (DPG) et la Sous- Direction de l’Administration des Etrangers (SDAE) de la PPP et l’UD-CGT de Paris recouvriront alors un aspect essentiel de la démarche. Par conséquent, et si l’on considère avec Marc Abélès que :

Il nous faut maintenant aller plus loin, car le politique ne se définit pas seulement par l’accès au pouvoir et son exercice sur un territoire donné, mais aussi par la construction d’une sphère publique, la mise en scène de la représentation politique, le façonnage symbolique des rapports entre gouvernants et gouvernés. C’est à partir d’une analyse du langage et des rituels de la politique que nous envisagerons ces phénomènes (2005 : 158)

Définissons l’action publique comme le fait V. Dubois, c’est-à-dire comme : « […]

l’ensemble des relations, des pratiques et des représentations qui concourent à la production politiquement légitimée de modes de régulation des rapports sociaux » (2009 : 312).

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D’

UN OBJET DE RECHERCHE MAITRISE ET PROBLEMATISE A LA THESE

DEFENDUE

Comme l’écrivent Margaret Maruani et Emmanuèle Reynaud ([1993] 2004), l’emploi est une des activités essentielles de la société actuelle : « […] c’est l’emploi qui ordonne, de manière

plus ou moins directe, les principaux clivages et les dynamiques sociales de base, qui façonne les statuts et les capacités d’action individuelles et collectives » (p. 103). Autrement dit, porter une

attention aux emplois occupés permet de saisir et de restituer les lignes de partage, de fracture

enquête quantitative et qualitative menée à la demande de la DPM par le Centre d’Etudes de l’Emploi retraçant le parcours de « sans-papiers » régularisés au titre de la circulaire du 24 juin 1997.

39 « J’entends par « instrumentation de l’action publique » l’ensemble des problèmes posés par le choix et l’usage des outils (des techniques, des moyens d’opérer, des dispositifs) qui permettent de matérialiser et d’opérationnaliser l’action gouvernementale » (p. 388).

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qui divise possiblement ceux et celles qui sont en emploi et pour lesquel.l.e.s l’emploi peut devenir la base de leurs actions et de leur capacité d’agir (agency). Ajoutons que :

La question de l’immigration irrégulière, et de son insertion dans les économies des pays de destination, peut être considérée, en premier lieu, comme une conséquence typique des tensions existantes entre une demande de main-d’œuvre pour les tâches les moins convoitées et les strictes restrictions politiques vis-à-vis de l’immigration légale pour des raisons de travail (Ambrosini, 2010 : 10).

En ce sens, l’intérêt porté aux emplois de migrants « sans-papiers » nous conduit à caractériser ces emplois au sein d’un ensemble structuré, d’un espace économique de travail particulier dans la mesure où ce dernier apparaît quelque peu réglementé par les politiques migratoires. Si mon hypothèse de départ cherchait à vérifier la proposition selon laquelle

l’intégration de migrants « sans-papiers » passe premièrement par l’accès au marché du travail, à l’emploi (déclaré) via l’activation de réseaux qui ont permis la migration, il en est ressorti que

si ce n’est l’accès, on avait affaire à un marché particulier. Mais en quels sens ? Comme le formule Maurizio Ambrosini :

Ce qui résulte du décalage entre les restrictions politiques à la mobilité du travail et la demande économique de main-d’œuvre est justement la formation de réservoirs plus ou moins importants d’immigration irrégulière qui s’insère dans les interstices des systèmes économiques et sociaux des pays de destination, même de façon continue (2010 : 12).

Ce qui revient, par conséquent, à interroger à la fois les conditions de cette intégration au marché du travail et les formes de production institutionnelle de la régularité et de l’irrégularité des situations professionnelles. Mon second terrain réalisé à la permanence des « TSP » de l’UD-CGT de Paris souligne, nous le verrons, ce dernier point.

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