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Relecture des notions broussaldiennes de contrat et de milieu à la lumière des approches socio-interactionniste et pragmatiste

1.3 L’étude de l’action conjointe de l’enseignant et des élèves en didactique

1.3.3 Relecture des notions broussaldiennes de contrat et de milieu à la lumière des approches socio-interactionniste et pragmatiste

Nous montrons à présent comment le sens des concepts de contrat et de milieu a évolué au cours du temps dans le cadre de l’analyse didactique de l’action conjointe de l’enseignant et des élèves.

Le contrat : continuités entre la situation et l’ensemble des usages habituels spécifiques des objets

Dans le paragraphe 1.1.3, nous avons défini le contrat didactique comme constituant le cadre interprétatif évolutif qui permet le décodage des situations auxquelles les élèves sont confrontés et la négociation du sens des objets du milieu par l’enseignant et les élèves.

Selon la TSDM de Brousseau, « les mécanismes générateurs du contrat » par les élèves (Sarrazy, 1995, p. 93) se fondent sur la reconnaissance des habitudes spécifiques du maître : l’interprétation des élèves sur ce qu’il y a à faire s’appuie sur la recherche d’une continuité entre les éléments de la situation et les usages habituels développés en classe à propos de ces éléments. Bien que ce mécanisme de recherche de continuités apparaisse pertinent, sa limitation aux usages spécifiques internes à la classe pose des difficultés dans d’autres disciplines que les mathématiques. En mathématiques, au sein d’une thématique donnée, le système des tâches présente habituellement peu de variation d’une tâche à l’autre (parfois, seulement les valeurs numériques) ; d’autre part, les objets qu’on y rencontre ont une existence très locale du point de vue de l’élève, presque confinée à la salle de classe (en famille, avec les copains, on n’aborde pas l’objet « √2 » ou « triangle isocèle »). Ces deux caractéristiques

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illustrent la raison pour laquelle les ressources à disposition des élèves pour interpréter la situation sont effectivement surtout à rechercher dans les habitudes spécifiques internes à la classe. Mais dans d’autres disciplines, les objets vivent à l’interface de plusieurs institutions : en sciences physiques, les objets, tant théoriques que physiques (le poids, les forces, l’eau, les circuits électriques) ont une existence en dehors de la classe où ils sont pris quotidiennement dans d’autres usages, d’autres pratiques : au final, d’autres règles, normes se sont sédimentées à leurs propos dans les diverses institutions où ils apparaissent ; d’autre part, les systèmes de tâches pour l’enseignement des sciences physiques ne possèdent pas cet aspect répétitif propre aux problèmes mathématiques et peuvent présenter des discontinuités nettes de l’une à l’autre. Comme le souligne Ligozat (en préparation) :

« Les rapports au monde construits par les élèves dans la biographie de leurs différents assujettissements institutionnels (école, famille, cours de récréation, leçons dans les différentes disciplines scolaires) entrent dans la construction de significations à propos des composantes de la situation dans laquelle ils ont placés. (…) Ainsi, lorsque l’élève agit sur un objet du milieu (….), le rapport à cet objet (…) prend forme dans ce qui est interprété du contrat didactique hic et nunc, mais également dans la continuité des rapports à cet objet établis dans d’autres situations (ou pour le dire à la manière de Chevallard : dans d’autres formes d’assujettissements antérieurs ou collatéraux) » (p. 16)

Il est donc possible que les recherches de continuité dont témoignent les élèves prennent en compte l’ensemble des usages habituels des objets de la situation, que ceux-ci soient internes ou externes à l’institution scolaire. Mais rares sont les études qui s’interrogent sur « comment et par quels indices les élèves construisent du sens à propos à la fois du savoir et de la situation de questionnement » (Schubauer-Leoni, 1988, p. 75). Ces études auraient cependant toute leur place dans une approche pragmatiste de l’étude des rapports aux objets construits par les élèves et de leurs évolutions au cours du temps.

Le milieu : abandon de la fonction antagoniste

Dans le paragraphe 1.1.3, nous avons défini le milieu comme étant constitué des objets (physiques, verbaux, symboliques) avec lesquels enseignant et élèves interagissent.

Selon la TSDM de Brousseau, le milieu constitue le système antagoniste de l’élève en lui fournissant les rétroactions qui autorisent la validation ou l’invalidation de ses stratégies d’action et qui permettent, in fine, l’émergence de nouvelles connaissances. Cet aspect a été remis en question dans de nombreuses études didactiques, particulièrement dans des disciplines qui ne relèvent pas des mathématiques (Orange, 2007 ; Amade-Escot & Venturini, 2009 ; Thevenaz-Christen, 2002). Le potentiel de rétroaction du milieu n’est pas évident, y compris au sein des sciences expérimentales : « le milieu matériel convoqué ne peut fournir seul les rétroactions permettant à l’élève d’avancer vers le savoir en jeu » (Amade-Escot & Venturini, 2009, p. 27).

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Mais l’argumentaire en défaveur de la fonction antagoniste du milieu s’appuie surtout sur l’idée que celui-ci évolue au fil des échanges didactiques dans des directions qui ne peuvent pas être complètement anticipées. À cela, deux raisons principales :

- D’une part, l’action des élèves est déterminée par un processus d’interprétation de la situation (lié au contrat didactique). Rien n’assure a priori que cette interprétation permette au milieu de jouer sa fonction antagoniste : en effet, chaque élève, dans sa tentative d’identifier ce qu’il y a à faire, identifie un contrat et se donne un milieu pour engager l’action (pour la notion de milieux différentiels, voir Ligozat & Leutenegger, 2008). Les objets qu’il se désigne pour résoudre la tâche ou le problème posé ne sont pas forcément les objets adéquats pour que la rencontre avec le savoir ait lieu : par conséquent, le milieu de l’élève ne se superpose pas nécessairement au potentiel milieu antagoniste prévu en amont par l’ingénieur didacticien ou l’enseignant. Amade-Escot & Venturini (2009) montrent par exemple, que, dans une tâche en sciences physiques, « les élèves pointent des phénomènes apparaissant dans le milieu, liés à des objets considérés a priori comme extérieurs par l’enseignant » (p. 18).

- D’autre part, le milieu n’est pas statique mais en perpétuelle évolution. S’il est défini comme l’ensemble des objets que les élèves ou l’enseignant manipulent, il est évident qu’il s’agit « en vérité [d’]un construit permanent » (Chevallard, 1992, p. 95). Et puisque l’action conjointe postule que le milieu résulte en fait d’une co-construction par l’enseignant et les élèves, les significations que les élèves construisent (parfois éloignées des savoirs visés par l’enseignant) sont susceptibles d’être réinjectées sur le devant de la scène à tout moment, en apportant leur lot de contingences dans la nature de problèmes traités dans le collectif :

« Le milieu nécessaire à l’étude des savoirs relève d’un processus de co-construction qui n’est jamais totalement contrôlé ni garanti par le dispositif ou la tâche d’apprentissage. (…) S’il implique bien évidemment des aspects liés à l’épistémologie du professeur et aux conditions matérielles et symboliques structurant les dispositifs proposés aux élèves, au-delà, il est aussi le produit émergent de l’action conjointe professeur-élèves » (Amade-Escot et Venturini, 2009, p. 17)

Au final, l’aspect antagoniste, considéré comme inéluctable et consubstantiel d’un milieu pensé en amont par le didacticien dans la TSDM ne nous semble pas tenable, surtout dans le cas des situations d’enseignement et d’apprentissage des sciences où les objets vivent à la croisée de plusieurs institutions ; il n’est pas exclu pour autant que le milieu offre des ressources et des contraintes productives vis-à-vis de l’action des élèves et de l’enseignant, mais c’est à la charge de l’analyse didactique de montrer a posteriori si certains des rapports aux objets produits par l’enseignant et les élèves témoignent de rétroactions pertinentes du milieu par rapport aux enjeux de savoirs visés par l’enseignant. Là encore, nous faisons l’hypothèse qu’une approche pragmatiste permet de se libérer du « souci déterministe qui hante encore certains travaux d’ingénierie didactique » (Chevallard, 2007, p. 41).

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1.3.4 La modélisation de l’action conjointe à l’aide de différents systèmes

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