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Notre recherche s’intéresse à l’enseignement et l’apprentissage des propriétés de la matière, notamment les propriétés de l’état gazeux et des changements d’état faisant intervenir l’état gazeux. D’autre part, nous rappelons qu’elle conjugue plusieurs plans de comparaison interinstitutionnels : une comparaison entre le primaire et le secondaire, d’une part et une comparaison entre la Suisse romande et la France, d’autre part. Pourquoi avoir choisi de mener cette étude sous l’angle comparatiste ? Dans cette section, nous retraçons les motivations de l’émergence d’une didactique comparée, ses visées principales en termes de distinction généricités/spécificités et enfin, nous argumenterons que l’approche comparatiste dont nous nous saisissons permet de traiter le processus de transposition de manière plus approfondie. Motivations d’une didactique comparée : une double défamiliarisation

Plusieurs raisons président au mouvement de création de la didactique comparée, en tant que domaine autonome de recherche. La première concerne la nécessité « d’émancipation épistémologique et institutionnelle de la position du didacticien et de la science didactique qu’il produit vis-à-vis des institutions qui servent d’habitat à ses objets d’étude » (Chevallard, 2007, p. 705). En effet, l’organisation disciplinaire s’impose partout dans les institutions d’enseignement et d’apprentissage : l’organisation de l’étude, les programmes, les manuels, les référentiels de compétence de la formation des enseignants structurent le monde de l’enseignement en frontières disciplinaires bien délimitées. Mais, comme le souligne Ligozat (2016, p. 281), « le découpage en termes de disciplines scolaires est un donné des systèmes scolaires répondant en partie à des finalités sociales et politiques ». Ce découpage est ainsi variable d’un contexte à l’autre, selon les visées prioritaires que se fixent les décideurs des politiques éducatives (cf. Marty & Ligozat, accepté). Cette nature partiellement contingente des frontières disciplinaires pousse à remettre en question le fait qu’elles puissent structurer intégralement le travail d’étude des conditions de diffusion des savoirs en termes de didactiques disciplinaires :

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« Si l’on admet que l’organisation des savoirs en termes de disciplines scolaires dans les programmes, les manuels, les référentiels de compétences de la formation des enseignants, etc. sont des ressources structurantes pour les acteurs, les questions épistémologiques propres à ces découpages, et leurs conséquences sur les pratiques d’enseignement et apprentissage ne peuvent être négligées. Ainsi, on est amené à se poser le problème suivant : en quoi ces « ressources structurantes » pour les acteurs des systèmes didactiques, que sont les organisations disciplinaires, devraient-elles nécessairement structurer intégralement le travail d'étude des conditions d'enseignement, d'apprentissage des savoirs ? Ou pour le dire autrement, le découpage des travaux de recherche et de formation en didactique en fonction des disciplines scolaires permet-il de traiter de l’ensemble des questions que pose la transmission des savoirs dans la société ? » (Ligozat & Leutenegger, en préparation)

À un second niveau, ce découpage en didactiques disciplinaires a entraîné des conséquences importantes au niveau du développement du champ : puisque chaque didactique s’est développée autour des savoirs en jeu dans une discipline donnée, les cadres théoriques, d’une part et les résultats, d’autre part ont progressé de façon autonome pour chacune. C’est pour éviter le repli de chaque didactique sur elle-même que la didactique comparée propose de découvrir « la nécessité de défamiliarisation, voire d’estrangement en vue d’une décentration par rapport à la vision du didactique acquise au travers d'une didactique disciplinaire dans laquelle nous avions mené nos recherches jusque-là » (Mercier et al, 2002, p. 5).

La didactique comparée se réclame donc d’un double processus de défamiliarisation, au premier niveau par rapport à l’emprunt dans le champ de la recherche du découpage institutionnel des savoirs en disciplines scolaires et au second niveau par rapport au cloisonnement théorique que cela implique.

Visées d’une didactique comparée : les dimensions génériques et spécifiques Par conséquent, le comparatisme vise à contribuer à la construction d’une science du didactique qui prend comme domaine de réalité l’ensemble des pratiques d’enseignement et d’apprentissage et comme unité de découpage privilégiée le système didactique, défini comme le système de relations qui s’établissent entre l’enseignant, l’élève et le contenu d’enseignement.

Le comparatisme permet d’aborder les pratiques d’enseignement et d’apprentissage avec un nouveau regard en fournissant un angle d’étude inédit à leur propos : « Une approche comparatiste permet (…) de poser des questions que chaque didactique prise isolément ne peut traiter » (Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2009, p. 244). Au final, ce nouveau point de vue sur les pratiques de classe permet de produire des résultats scientifiques émergeants qui n’auraient pas pu être mis au jour autrement, même en s’emparant de l’ensemble des outils théoriques de chacune des didactiques disciplinaires. Cette nouvelle brèche dans les perspectives de recherche nous invite à considérer la didactique comparée comme un « champ théorique et d’intervention à part entière et non pas seulement comme méthode d’enquête » (Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2009, p. 244).

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Mais les fondateurs de ce nouveau champ nous préviennent d’emblée : il s’agit « d’éviter les apories d'une didactique générale (…) alors que l'essence même de cette didactique comparée réside dans l'hypothèse d'un maillage subtil entre dimensions spécifiques et génériques » (Mercier et al., 2002, p. 8-9). La didactique comparée fait jouer un rôle essentiel à la distinction entre générique et spécifique : « Dans le travail du professeur et dans celui des élèves, qu'est-ce qui est générique et peut être rapporté à un proqu'est-cessus d'enseignement (ou d'apprentissage), qu'est-ce qui est spécifique et doit être rapporté à tel ou tel savoir enseigné/appris ? » (Mercier et al., 2002, p. 9). Autrement dit, quelles formes d’action sont inhérentes à la spécificité épistémique du savoir étudié ? Quelles formes d’action relèvent plutôt de manières d’enseigner génériques ?

Ces questions fondamentales délimitent un programme de recherche : les caractéristiques de spécificité et de généricité sont « à sonder au plan des institutions, des groupes et des acteurs, des conditions dans et par lesquelles les objets constitutifs des œuvres culturelles, sont proposés aux sujets censés les étudier et les apprendre » (Mercier et al., 2002, p. 9). Les variations dans la configuration du système didactique permettent de faire émerger plusieurs axes de travail :

- Un premier axe de travail compare les pratiques d’enseignement et d’apprentissage à propos d’objets appartenant à différentes disciplines scolaires ou bien d’objets qui se trouvent à la jonction de plusieurs découpages disciplinaire (par exemple, la modélisation, les grandeurs et mesures, etc.), ou bien encore d’objets pris dans des questions complexes (par exemple, les éducations au développement durable, à la santé, etc.).

- Un second axe de travail interroge la comparaison entre les pratiques d’enseignement et d’apprentissage d’un même objet pris dans des formes institutionnelles distinctes. Il peut s’agir de la transition entre le primaire (où officie un enseignant polyvalent) et le secondaire (enseignant spécialiste d’une discipline) ou bien entre une institution « officielle » (école obligatoire, post-obligatoire, université, etc.) et une institution « non-officielle » mais porteuse d’une intention didactique (club de sport, école de musique, musée, etc.). Enfin, un autre point d’intérêt concerne l’investigation des pratiques relatives à un même objet pris dans des cultures scolaires et des traditions curriculaires différentes (typiquement, entre des contextes scolaires nationaux différents, comme les cantons de Suisse romande et la France).

Le croisement des études qui font varier les différents paramètres du système éducatif (objet de savoir, institution d’apprentissage/enseignement) doit permettre d’établir une cartographie fine des spécificités/généricités et d’éclairer les questions fondamentales de la didactique comparée. Dans ce cadre, le travail de théorisation a largement commencé et « certains concepts jouent le rôle de candidats au statut de dimensions fondatrices de l’espace didactique » (Mercier et al., 2002, p. 11). En effet, certains outils à fort potentiel de généricité, et donc candidats pour l’exercice comparatiste, ont déjà été sélectionnés, débattus, soumis à la communauté de didacticiens : rapport aux objets, triplet de genèses, structures fondamentales de l’action professorale. Nous reviendrons sur ceux qui nous semblent les plus pertinents dans la suite (cf. 1.3.4). Soulignons ici que le comparatisme en didactique ne procède pas par comparaison

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directe d’un système avec un autre, c’est-à-dire par énumération des similarités et des différences par simple juxtaposition. Le comparatisme vise l’identification des phénomènes génériques, des « manières de faire » récurrentes, phénomènes non visibles par comparaison directe, mais qui peuvent être construits à l’aide des outils à fort potentiel de généricité. Ces outils jouent le rôle de tiers comparant, et donc de révélateurs de phénomènes impossibles à repérer au sein d’une didactique disciplinaire isolée.

Enfin, il existe une solidarité foncière entre les dimensions génériques et spécifiques et seul l’exercice de cette solidarité permet de construire l’intelligibilité des pratiques d’enseignement et d’apprentissage (Sensevy & Ligozat, 2017 ; Amade-Escot & Venturini, 2009) :

Sans description générique, il manque aux descriptions spécifiques une catégorisation susceptible de faire identifier les fonctions générales que les faits décrits permettent de remplir et les finalités qu’on peut leur attribuer ; sans description spécifique, les descriptions génériques s’épuisent rapidement parce qu’elles sont impropres à rendre compte de certaines relations de type causal qui « déterminent » en partie l’action conjointe. (Sensevy & Ligozat, 2017, p. 175)

Comparatisme et étude de la transposition : une relation privilégiée

Nous avons défendu plus haut l’idée que le point de vue comparatiste sur l’analyse didactique des pratiques de classe permet de produire des résultats complémentaires aux travaux de didactique des disciplines. Quelle est la nature de ces résultats de recherche ?

Une partie de ceux-ci concernent l’étude de la transposition. Selon Chevallard, une certaine « illusion de la transparence du savoir » voire de « dénégation de la transposition didactique » tend à naturaliser les façons traditionnelles d’enseigner les savoirs, comme si elles découlaient naturellement et immuablement de la nature même de ces savoirs. Chevallard (1986) a tôt averti sur les dangers de ce point de vue :

« À ne pas " travailler " la transposition didactique, à accepter, sans inventaire préalable, l’héritage qu’elle nous transmet, nous nous condamnons ainsi à reproduire indéfiniment un motif qui semble fixé une fois pour toutes » (p. 10-11)

Une façon de reproblématiser les savoirs scolaires est de comparer les effets transpositifs entre des contextes contrastés dans lesquels les objets ont subi des formes de déterminations différentes : c’est exactement ce que propose la didactique comparée à travers le deuxième axe de travail. Dans ce deuxième axe, la didactique comparée utilise les mises en relation entre les pratiques didactiques issues de plusieurs formes institutionnelles pour identifier des schémas d’action, des habitudes, des manières d’enseigner qui pourraient passer inaperçus ou être tenus pour naturels si l’on avait considéré qu’une seule forme institutionnelle. Cette approche permet de révéler des dimensions que l’on ne remarquerait pas sans la comparaison. Lorsque le savoir savant constitue une référence commune pour les différents contextes choisis, les conditions sont optimales pour questionner « le travail des institutions sur les savoirs et les pratiques qui les font vivre » (Ligozat, 2008, p. 20). C’est le cas de ce travail de thèse qui explore comment

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un même objet de savoir (les propriétés de la matière) est configuré dans des pratiques de classe incluses dans des institutions différentes (primaire, secondaire, Suisse romande, France) En conclusion, le comparatisme en didactique est une entrée privilégiée pour explorer les processus de transposition (Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2005). En contraste avec le mouvement esquissé par le sous-titre de l’ouvrage de Chevallard (1985/1991) « Du savoir savant au savoir enseigné », c’est donc à l’aide d’une logique ascendante que la didactique comparée se propose d’étudier les phénomènes transpositifs. L’étude des pratiques ordinaires constitue le fondement de cette étude.

1.3 L’étude de l’action conjointe de l’enseignant et des élèves en

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