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DIDACTIQUES RELATIFS À L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES PHYSIQUES À L’ARTICULATION PRIMAIRE-SECONDAIRE

2.1.1.2 Étude de la transposition du triplet {théorie, modèle, champ empirique}

Comme tous les savoirs destinés à être implantées dans les salles de classe, ce triplet {théorie, modèle, champ empirique}, qui possède une fonction singulière et qui est lié à des pratiques sociales spécifiques dans les institutions scientifiques d’origine, subit des transformations afin de s’adapter aux contraintes spécifiques de l’institution scolaire. L’analyse de ce mouvement transpositif a été effectuée par Tiberghien, Gaidioz, Veillard & Vince (1994, 2009, 2011) qui en ont saisi deux types de spécificités majeures.

La première concerne la nature des significations présentes dans la sphère institutionnelle : « When analysing the usual physics teaching content, the theory is not differentiated from the model, particularly from the components of the model that come from the theory » (Tiberghien & al., 2009, p. 2283). Ainsi, selon Veillard, Tiberghien et Vince (2011, p. 207), la nuance entre théorie et modèle est assez peu visible au niveau de l’enseignement secondaire. Autrement dit, à l’école obligatoire, la distinction modèle-théorie ne se justifie pas, au regard du (faible) niveau d’abstraction exigible dans les programmes : Tiberghien & al. (2009) proposent alors de regrouper toutes les constructions théoriques présentes en classe de physique dans une catégorie unique qu’elle nomme « Monde des théories et des modèles ». La transposition didactique ne laisse subsister que deux niveaux de connaissance, le « Monde des théories et des modèles » et le « Monde des objets et des évènements » (cf. Figure 3) :

« Le monde des théories et modèles renvoie donc aux concepts généraux et aux constructions abstraites plus locales permettant d’étudier un type d’objets et d’événements ; le monde des objets et des événements renvoie à ce qui est accessible par la perception de façon directe (observation) et/ou par le biais d’instruments de mesure » (Veillard & al., 2011, p. 207).

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Figure 3 : Schéma illustrant la transposition de la structure épistémologique de la physique tiré de Tiberghien (2009, p. 2283)

La deuxième spécificité du mouvement transpositif concerne les systèmes explicatifs proposés spontanément par les élèves. Tiberghien & al. (2009) font l’hypothèse qu’il existe une certaine modélisation du monde matériel en œuvre au sein des pratiques quotidiennes :

« We consider that in everyday life, explanations or interpretations of material situations are guided by ideas with some general common approach like categorisation and causality and more local theories associated to specific sets of situations. (…) In our theoretical framework we emphasise that modelling activity involves explanatory ideas that we associate with a theoretical level on the one hand and with observation, perception, and possible measurement (such as ambient temperature) of objects and events on the other hand. This leads us to a similar structure to that involved in physics knowledge at school » (p. 2286).

Il existe donc une similarité structurelle entre les systèmes explicatifs du physicien et ceux de l’élève et du profane. Ce point de vue conduit à dédoubler le schéma précédent en imaginant que chacun des deux mondes, les théories et modèles, d’une part et les objets et évènements, d’autre part peuvent se référer à la sphère institutionnelle scientifique ou bien à la sphère institutionnelle de la vie quotidienne (cf. Figure 4).

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Figure 4 : Schéma illustrant la théorie des deux mondes tiré de Tiberghien (2009, p. 2287)

L’idée de « théorie naïve » renvoie à certaines études issues de la psychologie cognitive qui s’intéressent aux apprentissages des savoirs scientifiques : Tiberghien & Vince (2005) affirment en effet que « ce choix s’appuie sur les travaux relatifs aux théories naïves de la vie quotidienne ou des enfants (Carey, 1985 ; Vosniadou, 1994) » (p. 5). Dans le dernier paragraphe de ce chapitre, nous nous positionnerons sur certains aspects de ces études.

2.1.1.3 Conclusion

Du point de vue du chercheur qui analyse les pratiques d’enseignement et d’apprentissage, la théorie des deux mondes fournit des clés de lecture intéressantes vis-à-vis des objets du milieu qui apparaissent au fil des interactions sociales enseignant - élèves. Elle lui permet de les catégoriser en six classes distinctes : les objets qui relèvent du « monde des théories et des modèles » (version naïve ou scientifique), les objets qui relèvent du « monde des objets et évènements » (version naïve ou scientifique) et les objets qui portent sur les liens entre ces deux mondes (version naïve ou scientifique, avec des croisements possibles).

Il est important de noter, afin d’éviter des effets de naturalisation, que la caractérisation de la nature des éléments produits dans les discours des acteurs de la classe à l’aide de la théorie des deux mondes dépend de l’état des connaissances du sujet considéré et de ses interactions avec son environnement :

- Premièrement, le langage procède, par nature, à une sélection et interprétation des évènements et constitue donc déjà une modélisation de la réalité : « À mon avis, nous ne pourrons prononcer une seule phrase qui traduise en réalité un pur fait d'expérience ; les mots les plus simples comme jaune, doux, amer (...) qui ne semblent indiquer que de simples sensations expriment déjà des concepts qui ont été formés par abstraction à partir de multiples faits d'expérience» (Boltzmann, cité par Bachelard, 1979).

- Deuxièmement, l’habitude professionnelle des scientifiques les pousse parfois à projeter certains concepts théoriques sur la réalité sans passer par une phase de description brute (comme le physicien qui se réfère spontanément à une mesure de courant alors que le seul fait perceptible est le mouvement d’une aiguille) : « tout modèle, d'un niveau explicatif

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donné tend, par sa simple vulgarisation et son renforcement par l'expérience, à apparaître comme quasi-descriptif au bout d'un certain temps » (Walliser, 1977, cité par Larcher, Chomat & Méheut, 1990, p. 52).

- Troisièmement, un terme ou une expression n’appartiennent pas en soi à la sphère institutionnelle scientifique ou bien à la sphère institutionnelle de la vie quotidienne puisque beaucoup de mots ou de tournures de phrase naviguent, dérivent, transitent entre plusieurs sphères de pratiques, en renouvelant leurs significations dans ce mouvement : ainsi, il existe en physique « des concepts qui sont désignés par des mots ou expressions du langage courant avec des significations différentes de celles de la vie de tous les jours, par exemple

énergie, force, puissance, action ou agir, accélération ou accélérer, etc. » mais aussi « des

objets et des évènements qui sont désignés par des mots ou expressions du langage courant avec des sens identiques (ou proches) en physique et dans la vie quotidienne : voiture,

appareil de mesure, ou tomber, toucher, vibrer, devenir, etc. » (Gaidioz, Vince &

Tiberghien, 2004, p. 1033-1034).

Au final, un même élément de discours peut s’intégrer au sein d’un monde ou d’un autre en fonction de celui qui l’énonce : c’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’opter pour une perspective pragmatiste de l’analyse des actions de classe, à travers la notion de « rapport aux objets du milieu » qui prend en compte le point de vue des acteurs sur leur propre action.

2.1.2 Les modes d’élaboration des savoirs scientifiques et leur

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