• Aucun résultat trouvé

DIDACTIQUES RELATIFS À L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES PHYSIQUES À L’ARTICULATION PRIMAIRE-SECONDAIRE

2.1.2 Les modes d’élaboration des savoirs scientifiques et leur transposition

2.1.2.1 L’inductivisme et sa transposition

Définition de l’inductivisme en philosophie des sciences

Selon la conception inductiviste de la construction des savoirs scientifiques, les théories constituent des généralisations de données d’observation :

47

« Les énoncés sur l’état du monde (…) doivent être justifiés ou établis comme vrais de façon directe par l’utilisation des sens d’un observateur sans préjugé. Les énoncés ainsi produits formeront la base sur laquelle prennent naissance les lois et théories qui constituent le savoir scientifique » (Chalmers, 1976/1982, p. 23).

Il est ainsi possible de « légitim[er], sous certaines conditions, la généralisation d’une série finie d’énoncés d’observations singuliers en une loi universelle » (Chalmers, 1976/1982, p. 25). L’inductivisme repose sur trois conditions :

1. Le nombre d’énoncés d’observation formant la base de la généralisation doit être élevé. 2. Les observations doivent être répétées dans une grande variété de conditions.

3. Aucun énoncé d’observation accepté ne doit entrer en concurrence avec la loi universelle qui en est dérivée.

Le point de vue inductiviste apparaît dès l’aube de la science moderne dans les écrits des scientifiques émergeants (Bacon, Galilée ou encore Newton). Afin d’asseoir leurs résultats et, dans un mouvement de rejet des propriétés et qualités occultes promues tout le long du Moyen-Âge, il s’agissait de démontrer que leurs résultats étaient dictés directement par l’expérience, sans la dépasser, d’où, par exemple, le célèbre « hypotheses non fingo » de Newton :

« En effet, tout ce qui n’est pas déduit des phénomènes doit être appelé hypothèse et les hypothèses, qu’elles soient métaphysiques, physiques, se rapportant aux qualités occultes ou mécaniques, n’ont pas de place en philosophie expérimentale. En cette philosophie, les propositions sont déduites des phénomènes et rendues générales par induction » (Newton, 1713, p. 117).

Plus tard, l’inductivisme a trouvé un appui considérable dans l’épistémologie positiviste défendue par Comte à la fin du 19ième siècle : les sciences doivent se limiter à la formulation de relations entre les phénomènes sans chercher à déterminer leur nature intrinsèque. Selon une formule bien connue, elles doivent répondre au « comment » des phénomènes à travers la découverte de lois scientifiques et non au « pourquoi ».

Critiques de l’inductivisme en philosophie des sciences : les limites

Le point de vue inductiviste a été critiqué quasiment dès sa naissance, depuis Hume au 18ième

siècle jusqu’aux philosophes contemporains. Sans rentrer dans les détails de la diversité des critiques émises à son égard, retenons-en deux. Tout d’abord, un ensemble fini d’observations sur des évènements passés ne peut garantir que ces évènements se produiront toujours dans le futur :

« Le fait que les prémisses d’une inférence inductive sont vraies n’implique pas que la conclusion l’est. Supposons, par exemple, que j’aie observé un grand nombre de corbeaux dans des circonstances fort variées ; ayant constaté que tous ceux observés jusqu’à ce jour étaient noirs, j’en conclus : « tous les corbeaux sont noirs ». (…) Mais la logique n’offre aucune garantie que le

48

prochain corbeau que j’observerai ne sera pas rose » (Chalmers, 1976/1982, p. 39).

Ce type d’argument conduira Hume à affirmer que le moteur du raisonnement inductif est de nature psychologique et non logique.

Ensuite, un énoncé d’observation n’est pas neutre de tout préjugé, comme le défend l’inductivisme. En fait, tout énoncé d’observation est corrélé à une théorie des deux manières suivantes : d’une part, « les énoncés d’observation seront toujours formulées dans le langage d’une théorie et seront aussi précis que le cadre théorique ou conceptuel qu’ils utilisent » (Chalmers, 1976/1982, p. 61). D’autre part, toutes observation est guidée et contrainte par une théorie, ce qui permet de savoir quoi observer dans une situation parmi d’innombrables perceptions potentielles : « Les observations et les expériences sont faites pour tester ou pour faire la lumière sur une théorie, et seules les observations qui s’y rapportent sont dignes d’être notées » (Chalmers, 1976/1982, p. 67). On reconnaît là la fonction heuristique des modèles décrite ci-dessus : les modèles informent les scientifiques sur le champ d’observation pertinent à considérer.

Quelle est la place de l’inductivisme dans les classes ?

Au niveau transpositif, la perspective inductiviste a rencontré un écho considérable dans les programmes et manuels scolaires français depuis la fin du 19ième siècle. Elle s’est d’abord traduite par les « leçons de choses », méthode d’enseignement des sciences basée sur l’observation et le mouvement du concret vers l’abstrait et dont la filiation avec le dogme inductiviste est évidente :

« En commençant par observer les "choses", l'enfant commencerait comme le savant lui-même, qui énonce les lois de la nature grâce à ses observations répétées, de sorte que, comme Paul Bert n'hésite pas à l'écrire, il n'y aurait aucune différence de nature, mais seulement de degrés, entre les leçons de choses de l'école primaire et la science authentique » (Kahn, 2000, p.13).

En se basant sur le sens commun et sur l’intuition des élèves, et en les faisant eux-mêmes reconstruire voire réinventer les savoirs scientifiques, il s’agissait de les faire passer « d’auditeur docile, prompt à apprendre et prêt à réciter, (…) produit d’un dressage » (O. Auriac, inspecteur de l’Instruction publique, cité par Kahn, 2000, p. 17) à la position d’acteur de sa propre éducation. Dans ces conditions, l’expérience n'a plus le statut didactique habituel pour l’époque d’illustration du discours de l'enseignant mais est supposée initier une dynamique active de conceptualisation et d’abstraction de la part des élèves. Une rupture avec un enseignement dogmatique et transmissif est donc explicitement revendiquée à travers la promotion des leçons de choses : cette méthode se maintiendra dans les programmes des sciences naturelles jusqu’aux années soixante-dix en France et imprègnera fortement l’épistémologie professionnelle des enseignants au point qu’aujourd’hui encore le point de vue qu’ils entretiennent vis-à-vis des sciences et de son enseignement est de nature inductiviste (Cariou, 2010, 2011).

49

Critiques de la place de l’inductivisme dans les classes : reprise des limites révélées par la philosophie des sciences

Évidemment, l’idée qu’il suffirait, pour toute thématique d’enseignement scientifique, « de partir de l’expérience pour faire émerger chez les élèves les connaissances à enseigner, comme si les données d’observation (…) étaient porteuses d’information pouvant être interprétées sans la médiation de connaissances préalables et de manière univoque » (Bächtold, 2012, p. 12) semble naïve, et difficilement applicable en pratique. En fait, pour que cette approche fonctionne, il faut que l’expérience soit mise en scène, c’est-à-dire que les aspects pertinents pour le futur modèle à enseigner soient artificiellement valorisés tandis que les autres soient camouflés : c’est ce que Johsua (1989) nomme de façon critique la « monstration ». Mais, même à l’aide de ce subterfuge, Johsua démontre l’écart insurmontable qui existe entre l’expérience dont la portée reste limitée et la théorie dont on voudrait que l’expérience soit la conséquence directe :

« l’idéologie inductiviste exclut tout élément de rupture (…) entre le donné phénoménologique et les conséquences de l’analyse scientifique de ce donné. Quand cette conséquence est de type « loi descriptive » (obtenue par « des mesures », par exemple), la fiction de cette continuité est déjà difficile à défendre, mais cela tend à l’impossible quand il faut atteindre à des théories » (Johsua, 1989, p.49).

Il donne l’exemple de l’observation de la chute libre dont est censée découler chez les élèves l’idée d’attraction terrestre et de pesanteur : ce passage soi-disant naturel et automatique est hautement contestable. Selon Gohau, cité par Cariou (2011, p. 93) :

« la théorie illumine tant l’expérience de l’arrière que le professeur voit le rapport de l’un à l’autre comme éclatant. Il oublie que l’élève voit l’expérience par sa face "obscure". L’expérience ne conduit directement à la théorie que celui…qui connaît la théorie »

Au final :

« la prédominance de l’inductivisme (…) conduit à une pratique d’enseignement forcément typée, où tout est bâti de manière à contourner, gommer ou nier les relations forcément complexes entre l’expérience et la modélisation. Et cela, à son tour, conduit, paradoxalement, à un très net appauvrissement de la fonction et du contenu du rapport à l’expérimental en situation scolaire » (Johsua, 1989, p. 29).

Gohau, cité par Cariou (2011, p. 85), conclut encore plus sévèrement que « les techniques inductives ont abouti à des absurdités en croyant qu’il suffisait de retourner la méthode traditionnelle déductive pour fonder une pédagogie active de découverte ».

Outline

Documents relatifs