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L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES PHYSIQUES EN FRANCE ET EN SUISSE ROMANDE À L’ARTICULATION

3.1 L’enseignement des savoirs liés aux phénomènes physiques au primaire et au secondaire en France

3.1.2 Analyse des documents institutionnels de référence pour les sciences physiques au primaire et au secondaire inférieur

3.1.2.1 Les documents institutionnels de référence spécifiques à l’école primaire

Les deux documents de référence au primaire supérieur (« Le programme de sciences expérimentales et technologie » de 2008 et « Les ressources en sciences expérimentales et technologie » de 2012) développent trois axes principaux : les enjeux et objectifs fondamentaux de l’enseignement des sciences, la méthode privilégiée de leur enseignement, à savoir « la méthode d’investigation selon l’esprit Main à la pâte » (MEN, 2008a, p. 24) et enfin, une liste thématique des savoirs à aborder.

Enjeux et objectifs principaux de l’enseignement des sciences expérimentales - L’enseignement des sciences est d’abord censé permettre aux élèves de comprendre le

monde environnant :

« Les sciences expérimentales et les technologies ont pour objectif de comprendre et décrire le monde réel ; celui de la Nature et celui construit par l’Homme » (MEN, 2008a, p. 24)

- Cet enseignement doit accorder une place à l’émergence d’une prise de conscience des responsabilités individuelles et/ou collectives vis-à-vis de la préservation de la nature :

« Familiarisés avec une approche sensible de la nature, les élèves apprennent à être responsables face à l’environnement, au monde vivant, à la santé. Ils

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comprennent que le développement durable correspond aux besoins des générations actuelles et futures. » (MEN, 2008a, p. 24)

- L’enseignement des sciences doit aussi contribuer à la maîtrise de plusieurs capacités transversales :

« Les connaissances (…) sont acquises dans le cadre d’une démarche d’investigation qui développe la curiosité, la créativité, l’esprit critique » (MEN, 2008a, p. 24)

La démarche d’investigation selon l’esprit « Main à la pâte »

Les documents institutionnels prescrivent aussi une méthode de construction des savoirs à privilégier dans la classe, la « démarche d’investigation (…) selon l’esprit Main à la pâte » (MEN, 2008a, p. 24). De façon étonnante, aucune description de la démarche n’accompagne ce parti-pris. Cependant, cette ellipse s’explique par l’accessibilité d’une référence plus ancienne pour les enseignants : en effet, les programmes de 2002 (MEN, 2002) explicitent en détail l’opérationnalisation de cette démarche d’investigation dans les documents d’accompagnement. Ceux-ci proposent une mise en place de la démarche qui suit un déroulement en cinq étapes consécutives :

- « Le choix de la situation de départ

- La formulation du questionnement des élèves

- L’élaboration des hypothèses et la conception de l’investigation - L’investigation conduite par les élèves

- L’acquisition et la structuration des connaissances » (MEN 2002, p. 8-9)

La démarche d’investigation est donc présentée comme une succession d’étapes qui s’organisent dans le but de répondre à un problème soulevé par une situation de départ.

Plusieurs remarques peuvent être établies à propos de cette opérationnalisation de la démarche.

Responsabilité de l’enseignant, responsabilité de l’élève : renversement des positions

Les élèves semblent avoir à leur charge la majeure partie de l’avancement de l’investigation. La démarche doit d’abord « s’articuler sur [leur] questionnement sur le monde réel » (MEN, 2002, p. 8). Puis, ce sont les élèves qui sont censés « formuler des hypothèses », « élaborer des expériences destinées à valider ou invalider les hypothèses », « conduire l’investigation » et enfin « communiquer les résultats obtenus » (MEN, 2002, p. 8-9). Au final, il s’agit bien, comme le document le précise, d’une « investigation menée par les élèves guidés par la maître » (MEN, 2002, p. 8). Dans cette perspective, les fonctions de l’enseignant se trouvent modifiées par rapport au schéma classique de l’enseignement par transmission directe des résultats scientifiques : désormais, son rôle se limiterait à proposer un choix initial pertinent de situation-problème en début d’investigation et à structurer et institutionnaliser les connaissances nouvellement acquises en fin d’investigation. Entre temps, il est attendu que les élèves se comportent comme des « apprentis scientifiques » sous le guidage parcimonieux de l’enseignant.

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Le renversement des positions de l’enseignant et des élèves s’inscrit dans un mouvement plus vaste, qui vise à faire de l’élève un constructeur de ses propres connaissances, et sur lequel nous reviendrons en détails plus bas (cf. 3.1.3).

La méthode hypothético-déductive comme référence épistémologique

Au niveau transpositif, la structure de la démarche d’investigation et le vocabulaire employé dans sa description suggèrent que la pratique sociale de référence des scientifiques a été une source d’inspiration majeure des concepteurs du programme. Il est ainsi sous-entendue l’idée que les savoirs scientifiques s’enseigneraient d’une façon optimale lorsque les élèves tentent de reproduire au plus près les procédures des scientifiques.

La succession des étapes (problème initial, émission d’hypothèses, élaboration d’expériences pour tester les hypothèses, validation ou invalidation des hypothèses) présente des similitudes avec celles de la démarche hypothético-déductive telle que développée par Bernard (1865) : ce modèle idéalisé de logique de la découverte scientifique présentent des potentialités et des limites qui ont été décrites plus haut (cf. 2.1.2.2). D’autre part, on peut noter que la démarche d’investigation elle-même a subi des modifications par rapport au schéma princeps de Bernard (cf. 2.1.2.2) : par exemple, le problème initial n’est pas inséré dans un cadre théorique et semble davantage être de l’ordre d’un questionnement « naïf » des élèves ou bien d’une situation contre-intuitive (situation-problème). De même, les hypothèses semblent n’être adossées à aucun système théorique.

Malgré cela, on peut considérer que la méthode hypothético-déductive constitue une référence épistémologique importante de la démarche d’investigation.

La place des conceptions initiales des élèves

Il est également demandé à l’enseignant d’accorder une importance aux conceptions initiales des élèves :

« L’expression des conceptions initiales des élèves pourra se faire aussi bien à l’oral que lors d’écrits individuels, mais ne sera bien souvent complète qu’à l’occasion de la mise en œuvre d’une première expérimentation. Celle-ci permet au maître de mieux cerner les théories implicites des élèves, et à ces derniers de mieux identifier la nature scientifique du problème posé » (MEN, 2002, p. 8)

Nous avions d’ailleurs souligné dans la section 2.1.2.3 que la démarche d’inspiration hypothético-déductive et le dépassement des conceptions initiales se conjuguaient souvent dans la littérature de didactique des sciences (Halloun & Hestenes, 1985 ; Vosniadou, 1994 ; Gyllenpalm & Wickman, 2011). Dans ce cadre, les hypothèses imaginées par les élèves sont censées refléter leurs « conceptions initiales » ou « théories naïves » et c’est leur invalidation à travers la conception et la réalisation d’une (ou plusieurs) expérience(s) cruciale(s) qui fait office d’anomalie(s) et qui crée le conflit cognitif désiré. Cela dit, le programme ne précise pas le rapport éventuel entre hypothèse et conception, ou entre hypothèse et prévision, notion également présente dans le programme (MEN, 2002, p. 8). Si l’on considère qu’une prévision est fondée sur une hypothèse donnée, une prévision non vérifiée par l’expérience

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elle automatiquement une invalidation de l’hypothèse correspondante et un dépassement de la conception qu’elle reflète ? Le mutisme du programme sur ces questions témoigne de l’ampleur du travail dévolu aux enseignants qui doivent notamment démêler le rôle à attribuer à ces trois notions (hypothèse, conception, prévision) dans la construction de la leçon mettant en scène une démarche d’investigation.

Progression thématique des enseignements / apprentissages en sciences physiques

Le programme dégage une progression thématique des enseignements / apprentissages en sciences physiques au primaire supérieur. En ce qui concerne les propriétés de la matière (cf. Figure 6) :

Figure 6 : Extrait du programme français au primaire sur la matière (MEN, 2008a, p. 24)

Ce découpage thématique est détaillé par « les ressources en sciences expérimentales et technologie 2012 » (MEN, 2012). En ce qui concerne les propriétés de la matière (cf. Figure 7) :

Figure 7 : Extrait des ressources en sciences au primaire sur la matière (MEN, 2012, p. 3)

La structure des items (« connaître les trois états physiques de la matière », « savoir que les changements d’état de l’eau se font à température fixe », etc.) ainsi que la liste des mots de vocabulaire à connaître (en bleus) montrent la place accordée à la maîtrise de savoirs propositionnels et d’un lexique spécifique au domaine. Le travail du « français transversal », idée-pivot du programme (MEN, 2008a), est perceptible jusque dans la manière de définir les objets d’apprentissage des autres disciplines, au risque de dénaturer ces objets.

Remarquons enfin que certaines thématiques du programme de sciences expérimentales concernent l’environnement et le développement durable (MEN, 2012, p. 11) : les déchets, le circuit de traitement de l’eau, les pollutions de l’air comptent parmi les sujets abordés sur ce thème.

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Conclusion

Au primaire en France, les objectifs de l’enseignement des sciences expérimentales sont diversifiés : l’enseignement est censé permettre aux élèves de comprendre le monde environnant, leur faire prendre conscience des responsabilités individuelles et/ou collectives vis-à-vis de la préservation de la nature, et leur faire développer des connaissances transversales, comme la curiosité ou l’esprit critique.

La « démarche d’investigation selon l’esprit Main à la pâte » est la démarche d’enseignement à privilégier pour l’ensemble des sciences expérimentales : dans les documents d’accompagnement du programme antérieur (MEN, 2002), elle se présente sous la forme d’un canevas de cinq étapes articulées afin de répondre à un problème soulevé par une situation initiale. Elle exhibe quelques caractéristiques saillantes : ce sont les élèves qui sont censés mener l’investigation sous la houlette de l’enseignant ; la méthode hypothético-déductive s’impose comme une référence épistémologique importante de la démarche d’investigation ; les conceptions initiales des élèves doivent être prises en compte dans sa dynamique.

Quant au découpage thématique, il se concentre sur la maîtrise de savoirs propositionnels et d’une liste de vocabulaire propre aux sciences, en accord avec l’investissement important dévolu à la maîtrise de la langue à l’école primaire à ce niveau. Les manières d’articuler cette exigence thématique avec l’utilisation de la démarche d’investigation sont laissées à la charge de l’enseignant.

3.1.2.2 Le document institutionnel de référence spécifique au secondaire

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