La configuration traditionnelle de la distribution automobile
2. Les trois grands systèmes de distribution : Etats-Unis, Europe et Japon Cette présentation des fondements de la distribution automobile cache en effet des disparités
2.3 Relations verticales dans le système européen
L’organisation des systèmes de distribution européens est soumise à une réglementation spécifique, qui exempte les relations verticales entre constructeurs et distributeurs de l’application du Traité de Rome (1957). L’article 81 du Traité de Rome interdit toute restriction verticale qui a « pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence52 ». Toutefois, peuvent être exemptées de cet article les restrictions verticales dans les accords de distribution « qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte53». A la suite de l’exemption accordée à BMW en 1974, les demandes d’exemption particulières des constructeurs qui suivirent a amené la Commission Européenne à adopter un règlement d’exemption sectorielle en 1985, qui reconnaît la spécificité du produit automobile et les gains pour les acteurs économiques et les consommateurs apportés par les restrictions verticales dans ce secteur. Le règlement 123/85 a donc été adopté pour une période de 10 ans, et reconduit pour 7 ans avec quelques amendements en 1995 par le règlement 1475/95.
Le règlement 1475/95 autorise les constructeurs à entretenir des liens étroits avec leur réseau sous la forme des deux restrictions verticales cumulées que nous avons déjà présentées : la sélectivité et l’exclusivité. La sélectivité permet au constructeur de sélectionner ses distributeurs en imposant des conditions d’éligibilité quantitatives (le constructeur peut contrôler le nombre de distributeurs, imposer un minimum de chiffres d’affaires ou de ventes annuelles) et qualitatives (représentation de la marque, investissement dans le point de vente imposé aux distributeurs, etc.). La sélectivité permet de plus, d’interdire aux distributeurs agréés de vendre des véhicules neufs à des revendeurs non sélectionnés par le fournisseur. Par ailleurs, l’exclusivité permet à un constructeur d’allouer une zone géographique particulière à un seul distributeur. Cette restriction implique en échange, que le distributeur ne peut ouvrir de point de vente ni faire de démarchage actif hors de sa zone d’exclusivité.
Le règlement 1475/95 laisse par ailleurs au constructeur le droit de restreindre le multi- marquisme, les distributeurs pouvant distribuer plusieurs marques à condition que leurs identités respectives soient préservées par des locaux de vente différents, des vendeurs différents, et même des systèmes de gestion et de comptabilité distincts. Dans les faits, ces conditions
empêchant toute économie d’envergure pour un distributeurs multi-marques et nécessitant des investissements redondants, le multi-marquisme est resté limité, et principalement l’apanage de groupes de distributions propriétaires de plusieurs distributeurs franchisés.
La spécificité du règlement européen par rapport aux législations américaines et japonaises réside dans le lien légal entre la vente des véhicules neufs et les activités d’après-vente (Tableau 9). Ce lien, dit « naturel » est même une condition d’entrée dans le règlement. Les concessionnaires sont ainsi légalement contraints de détenir des stocks de pièces de rechange et un atelier de réparation. En contrepartie, ce règlement permet là encore des restrictions importantes à la libre concurrence sur le marché de l’après-vente : il permet notamment aux constructeurs de faire de leurs réseaux les distributeurs exclusifs des « pièces d’origines » auxquelles les autres réparateurs n’ont pas accès, et exige une exclusivité en retour des concessionnaires qui ne peuvent s’approvisionner ailleurs en pièces de qualité équivalente. D’autre part, les constructeurs peuvent également restreindre l’accès à l’information technique sur les véhicules à leur réseau de concessions. Ce lien légal entre vente et après-vente, justifié par le besoin d’assurer au consommateur une qualité de service d’entretien et de réparation pour ce produit technique et présentant des enjeux de sécurité, va, comme on le verra avoir une importance majeure dans la structuration des relations verticales dans ce secteur.
Or, ce règlement 1475/95, qui avait laissé le cadre réglementaire quasi-inchangé depuis les années 70, arrive à échéance en 2002. Cette échéance a été l’occasion d’une réévaluation des effets économiques des restrictions verticales en place dans ce secteur. Dans le nouveau règlement 1400/02, la Commission Européenne a voulu avant tout réduire la spécificité du règlement sectoriel automobile, qui cumule le plus grand nombre de restrictions à la concurrence, et le faire se rapprocher du règlement d’exemption par catégorie 2790/99 s’appliquant à tous les accords de distribution. Ainsi, le nouveau règlement interdit le cumul des restrictions et impose aux constructeurs de choisir entre sélectivité et exclusivité dans l’organisation de leur réseau. Nous analyserons plus en détail l’effet de ce nouveau règlement sur la structure industrielle de la distribution automobile dans le chapitre 8. De manière générale, ce règlement réduit, sans l’annuler entièrement, le pouvoir unilatéral des constructeurs sur leurs concessionnaires en rallongeant du délai de préavis pour la résiliation du contrat, en facilitant le multi-marquisme, etc.
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Commission Européenne, 2002.
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Tableau 9 : Principes de distribution automobile dans l’Union Européenne, aux Etats-Unis et au Japon PRINCIPES UNION EUROPEENNE
( réglement 1475/95) ETATS-UNIS JAPON
Eclusivité Territoriale Oui Oui Oui
Sélectivité Oui
Oui ( licence soumise à une franchise, mais la vente à des revendeurs n’est pas interdite)
Oui
Interdiction de vendre à des revendeurs
Oui Non Non ( sans raisons valides, ou exportations) Réseau Secondaire Oui, soumis à la permission du
constructeur
Non Oui, soumis à la permission du constructeur Droit du constructeur à
effectuer des ventes directes
Oui Non ( seulement par les distributeurs)
Oui
Protection contre la résiliation injustifiée du contrat de
distribution
Oui ( si préavis de moins de deux ans)
Oui Non
Exclusivité de marque Les distributeurs peuvent prendre une franchise supplémentaire, en séparant les showrooms, la gestion et les personnes morales, et de manière à éviter la confusion
entre les marques
Les distributeurs peuvent prendre une franchise supplémentaire s’ils ont une
raison objective
Les principaux constructeurs (PDM > 10%) ne peuvent pas imposer de restriction sur la
distribution de produits concurrents (des règles pour
éviter la confusion entre marques sont possibles) Lien entre la vente et le
service après-vente
Lien légal: pour bénéficier du règlement 1475/95, les
constructeurs doivent contraindre les distributeurs à
offrir un service après-vente
Pas de lien légal, mais tous les distributeurs offrent du SAV qui fait partie du contrat
de franchise offert par le constructeur
Pas de lien légal; les constructeurs peuvent imposer
aux distributeurs d’assurer un service après-vente
Source : Commission Européenne (2000)
Mais le bouleversement le plus important est sans doute dans la rupture du lien légal entre la vente et l’après-vente, et la fin des restrictions à la concurrence en faveur des concessions sur le marché de la réparation. En effet, un groupe d’intérêt réunissant les équipementiers fournisseurs de pièces de rechange (jusque-là exclu de la rente sur les pièces partagées entre constructeurs et réseaux), et de clients de l’après-vente (associations de consommateurs et assureurs) a réussi à obtenir de la Commission une ouverture à la concurrence du marché de l’après-vente. Ainsi, non seulement la vente et l’après-vente doit à présent faire l’objet de deux contrats de franchise séparés (deux agréments), mais le règlement 1400/02 interdit la distribution exclusive des pièces d’origine dans les concessions, et oblige les constructeurs à diffuser l’information technique les concernant (une sélectivité est toutefois possible). La modification des règles de la concurrence
dans l’après-vente pourrait constituer un bouleversement important à moyen terme, car c’est l’équilibre économique de la concession qui est remis en cause, et à sa suite, le compromis de relation verticale existant entre les constructeurs et leurs concessionnaires. En effet, le modèle de la concession automobile repose traditionnellement sur un lien économique de subventions croisées entre la vente de véhicules neufs et les activités d’après-vente, que nous allons présenter dans le cas français.