• Aucun résultat trouvé

synthèse des résultats

2. Les facteurs d’évolution de la distribution automobile

2.2 La numérisation dans la distribution

Le deuxième facteur qui nous apparaît décisif dans l’évolution du secteur est celui de la numérisation. Par numérisation, on entend la diffusion dans l’économie d’un « ensemble d’innovations technologiques dont la combinaison a provoqué la chute spectaculaire du coût du traitement, du stockage et de la transmission d’informations. » (Bomsel et Le Blanc, 2003). Le secteur de la distribution des biens de consommation a été l’un des champs les plus précoces de la numérisation, notamment dans sa fonction logistique, et, plus récemment, l’un des plus observés et médiatisés, notamment lorsque le commerce électronique a fait croire à l’apparition d’une « nouvelle économie ». Nous retiendrons ici trois aspects de la numérisation de ce secteur : la numérisation de la fonction logistique, la récolte et le traitement de l’information sur les clients, et le développement de plates-formes d’infomédiation.

a)- Numérisation et logistique

La mise en place de systèmes informatisés dans la logistique est une des applications les plus précoces des technologies de l’information (TI) dans la distribution. En effet, la circulation descendante des marchandises dans les chaînes logistiques est conditionnée et organisée par les flux d’information ascendants.

La diffusion des TI à partir des années 80, sous la forme de systèmes d’information propriétaires tels que les systèmes EDI (Echange de Données Informatisées), a permis aux distributeurs de mettre en place une gestion unitaire des stocks et de faire remonter en temps réel l’information sur les ventes vers l’amont, auprès de leurs propres entrepôts régionaux ou de leurs fournisseurs. Ainsi, les TI, en automatisant les flux d’information et en réduisant les coûts, ont transformé les magasins, de points de stocks remontant périodiquement des commandes en canaux informationnels où chaque vente constitue une information logistique traitée en amont.

Ces systèmes d’information permettent, ainsi la dissociation entre les fonctions d’interface commerciale et de gestion du stock, dissociation permettant d’exploiter en amont des effets de portefeuille dans la gestion de l’incertitude sur la demande.

L’usage de ces systèmes d’information a permis un essor considérable de la variété dans des secteurs tels que le prêt-à-porter ou les biens d’équipement. Ainsi, l’extension de la gamme de Louis Vuitton de la maroquinerie de luxe vers le prêt-à-porter a été l’occasion de la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement et d’un système d’information entre les usines et les magasins intégrés (Masclet, 2002). Cette « supply chain » a permis à LV de déplacer les stocks détenus dans les magasins vers des entrepôts régionaux où les effets de portefeuille que nous avons montrés peuvent être exploités. Ce système a ainsi permis de réduire les phénomènes de rupture de stock ou de sur-stockage dans les points de vente, alors même que l’accroissement de la variété exposait la firme à une plus grande incertitude sur la demande locale pour chacune des variantes. De même, les Galeries Lafayette conditionnent l’extension des gammes des fournisseurs des produits « permanents » (en opposition aux collections qui se renouvellent rapidement) à la mise en place d’un système de réapprovisionnement automatique en EDI permettant de maîtriser l’accroissement du risque de stock afférent80 (Behr, 1999).

L’automobile, caractérisée par un appareil productif lourd et complexe et par des circuits de distribution très éclatés, a en grande majorité échappé à ce processus jusqu’à la fin des années 90 : les passages de commandes des concessionnaires sont restés espacés (hebdomadaires dans le meilleur des cas). cCes commandes étaient ensuite traditionnellement rassemblées par la Direction Commerciale nationale (ou la filiale d’importation du constructeur), et donnaient lieu à une production organisée en lots de taille suffisante pour assurer le lissage de la production et des approvisionnements amont. La numérisation en cours de la chaîne logistique automobile, par la mise en place de systèmes d’informations et de postes informatisés dans les concessions, permet de réduire le coût et le délai de traitement informationnel des commandes de stock. Les concessionnaires sont ainsi connectés directement aux sites de production, le système d’information logistique s’interconnectant avec le système d’information de production qui a fait l’objet de développements beaucoup plus précoces par les constructeurs.

b)- Numérisation et traitement de l’information sur la demande

80

L’imposition au fournisseur d’un système de réapprovisionnement informatisé est d’autant plus stricte que le rayon visé présente une très large variété et que les consommateurs sont sensibles à la

Les systèmes d’information logistique, qui permettent de remonter une information unitaire sur les ventes, ont fourni aux producteurs des outils d’analyse et de prévision de la demande, jusque-là réservés aux points de vente (seul le vendeur détenait l’information sur « ce qui se vend bien »). Mais le développement à partir des années 90 de nouvelles technologies de récolte, de stockage et de traitement de l’information, ont permis d’enrichir l’information commerciale, notamment de la personnaliser, c’est-à-dire de rattacher les flux unitaires de marchandises aux clients. L’apparition et l’essor phénoménal du marché des solutions de CRM (Customer Relationship Management) à la fin des années 90 (Bomsel et Le Blanc, 2003) témoignent des perspectives de gains anticipés par les firmes dans l’exploitation de ces bases de données clients : fidélisation, offre personnalisée, extension du panier d’achat, etc.

Malgré le développement de nouvelles interfaces numérisées avec les consommateurs, notamment le web, les points de vente sont restés l’interface privilégiée de récolte d’information sur les clients. Ainsi, la récolte et le traitement de ces bases de données sont devenus des enjeux majeurs des rapports de force entre fournisseurs et distributeurs. Les grands distributeurs monnayent ces informations auprès de leurs fournisseurs et en font une source de pouvoir dans la négociation des marges arrière (Allain et Chambolle, 2003). Dans la distribution automobile, le pouvoir dont jouissent les constructeurs à l’égard de leurs concessionnaires leur a permis, dans de nombreux réseaux, de mettre en place un système de récolte et de remontée systématique des contacts clients de la concession, à partir d’un terminal numérique dans le point de vente.

c)- Infomédiation numérique et exploitation des externalités de réseaux

Enfin, le déploiement d’Internet a permis l’apparition d’intermédiaires informationnels (infomédiaires) numériques. La numérisation de l’infomédiation, permettant la diffusion de l’information à coût marginal nul, permet en effet d’étendre l’exploitation d’externalités de réseaux asymétriques dans la mise en relation d’acheteurs et de vendeurs. On parle d’externalités de réseau asymétriques lorsque l’utilité de l’usage d’un infomédiaire pour une catégorie des acteurs de la transaction (par exemple les vendeurs), est croissante avec le nombre d’acteurs de l’autre catégorie (les acheteurs), et réciproquement.

Ces externalités de réseau sont notamment présentes dans les transactions sur des biens non standardisés (véhicules d’occasions, biens immobiliers). En effet, plus les acheteurs sont nombreux à utiliser l’infomédiaire, plus le vendeur peut espérer trouver l’acheteur pour lequel

différenciation. C’est notamment le cas du rayon lingerie, où le mis-matching sur une taille ou un bonnet entraîne une perte sèche, mais où le sur-stock est très coûteux (dégradation rapide des produits stockés).

l’utilité, et donc le consentement-à-payer pour son produit, est maximum, et inversement. Les sites web proposant des annonces de professionnels ou de particuliers pour des biens non standardisés tels que les véhicules d’occasion ou les biens immobiliers se sont donc multipliés avec l’équipement des ménages en accès Internet (Behr, 2001)81. Par ailleurs, certains réseaux de franchisés, dans l’immobilier en particulier, ont mis en place des plates-formes informationnelles pour exploiter ces externalités entre offreurs: certains réseaux d’agents immobiliers mettent ainsi en commun leurs mandats pour accroître l’offre disponible dans chaque point de vente et accroître l’efficacité du traitement des mandats (accélération de la recherche d’un client, et ainsi élévation du prix de la transaction, ou meilleur taux de transformation puisque comme le mandat n’est pas exclusif mais que le réseau est mis en concurrence).

L’infomédiation a également touché la distribution des véhicules neufs. Mais l’apparition des infomédiaires numériques sur le web, d’abord aux Etats-Unis avec Autobytel dès 1995, a d’abord cherché à offrir le meilleur « deal » aux consommateurs en mettant les concessionnaires en concurrence sur les prix. Ce sont donc les constructeurs eux-mêmes, en particulier Ford et GM, qui ont mis en place les premières plates-formes d’infomédiation fondée sur le matching, permettant au consommateur internaute de trouver la variante de son choix dans le stock des concessionnaires d’une large zone géographique. Ford et GM ont ainsi lancé en 2000 des systèmes dits de « Locate-to-Order » (en opposition au terme de « Build-to-Order » qui désigne la production à la commande), fondés sur l’idée que le lancement d’une nouvelle commande auprès du constructeur n’est pas utile si la variante demandée par le consommateur est disponible quelque part dans les stocks du réseau. Les sites web créés par les constructeurs, FordDirect sur la Californie, et GMBuypower sur la zone de Minneapolis, permettent ainsi de réduire considérablement les coûts de recherche du consommateur dans le réseau.

En Europe, les constructeurs se sont plutôt tournés vers l’exploitation des externalités de réseau entre concessionnaires, en ouvrant des plates-formes informationnelles donnant aux concessionnaires l’accès à l’ensemble des stocks détenus par les autres concessionnaires dans une zone régionale ou nationale. Ce système permet de systématiser et de réduire les coûts de transaction des transferts entre concessionnaires, jusque-là réalisés de manière ponctuelle entre concessionnaires de confiance et donnant lieu à des négociations au cas par cas. Dans un tel système, les externalités de réseau sont liés au fait que le concessionnaire pourra d’autant mieux répondre à la demande d’un client de sa concession que le nombre de concessions reliées à l’infomédiaire est important et que leurs stocks présentent une large variété. Nous analyserons dans la partie suivante si un tel système permet d’accroître l’efficacité du matching.

81

Ces sites web sont en réalité la version numérisée d’informédiaires traditionnels sur ce type de marché, tels que les journaux d’annonces.

Le processus de numérisation dans la distribution automobile permet donc de réduire considérablement les coûts de transaction entre acteurs. D’une part, la numérisation réduit les coûts de la circulation et de traitement de l’information circulant verticalement entre le concessionnaire et le constructeur, d’autre part, elle réduit les coûts de transaction entre concessionnaires, c’est-à-dire l’information circulant horizontalement entre acteurs, et offre l’opportunité de l’exploitation de nouvelles économies.

Outline

Documents relatifs