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Incertitude sur la demande et constitution des stocks du distributeur

Relations verticales et optimisation du matching dans le réseau de distribution : une revue de la littérature

2. Restrictions verticales et incitations

2.2 Incertitude sur la demande et constitution des stocks du distributeur

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Le modèle proposé par Deneckere, Marvel et Peck (1997) met en évidence une inefficacité majeure de la structure désintégrée de la distribution liée à la nécessité pour les distributeurs de constituer des stocks. L’objectif de Deneckere et al. s’inscrit toutefois dans la lignée des modèles précédents, puisque ces auteurs cherchent là encore si certaines restrictions verticales observées, notamment la fixation de prix « plancher » imposés aux distributeurs par le producteur, doivent être interdites par le droit de la concurrence, ou si elles permettent au contraire de palier une inefficacité économique.

Ces auteurs prennent en compteles faits suivants : dans la distribution d’un grand nombre de biens de consommation, non seulement les décisions d’achat auprès du producteur par les distributeurs doivent se faire avant la réalisation de la demande, mais de plus, la demande est imparfaitement connue des acteurs qui font des estimations optimistes et pessimistes du volume de demande qu’ils vont rencontrer en deuxième période. Le modèle démontre que lorsqu’un producteur monopoleur distribue, via des distributeurs en concurrence, l’incertitude sur la demande amène ces derniers à s’engager sur des stocks inférieurs à ceux qui maximiseraient le profit vertical intégré. L’idée principale de Deneckere et al. est que la concurrence entre distributeurs, lorsque les stocks constituent un coût échoué, peut faire chuter les prix à zéro si la demande se révèle basse. Ce risque de perte influence les décisions des distributeurs en première période, et mène à des stocks d’un volume trop bas pour maximiser le profit joint. On considère un marché caractérisé par :

- un décalage dans le temps entre production et vente aux consommateurs, qui contraint les distributeurs à fixer le montant de leur stock avant la réalisation d’une demande, et où les distributeurs font face à une incertitude significative sur la demande ;

- des prix flexibles qui s’ajustent rapidement aux chocs de demande jusqu’à liquidation des stocks (market clearing) ;

- des produits qui ont une valeur de récupération très faible et qui sont coûteux à stocker jusqu’à la période suivante.

Sur un tel marché, un monopole intégré fixe en première période le montant de sa production qui maximise l’espérance du profit, selon ses estimations de réalisation de la demande. En deuxième période, le monopole intégré observe la réalisation de la demande :

- si la demande est élevée, il écoule toute sa production au prix qui maximise son profit ; - si la demande se révèle faible, il fixe le prix non nul qui maximise son profit, et laisse

invendu (ou détruit) le sur-stock.

En revanche, des distributeurs en concurrence perçoivent que leurs propres ventes n’ont pas d’effets sur les prix du marché. Les stocks fixés en première période constituant des coûts échoués, les distributeurs baissent leur prix jusqu’à leur liquidation totale. Ainsi les distributeurs fixent leur volume de stock en première période en anticipant un revenu nul si la demande se révèle basse. Le niveau des stocks commandés par l’ensemble des distributeurs sera donc inférieur à celui fixé par le monopole intégré.

Pour remédier à cette concurrence destructrice, le producteur peut exiger que ses distributeurs ne vendent pas en dessous d’un prix minimum si la demande se révèle basse (le prix du monopole intégré), et détruisent le sur-stock qui ne pourrait être écoulé à ce prix73.

Le modèle de Deneckere, Marvel et Peck met donc en évidence le problème d’incitation lié au risque pris sur le stock par des distributeurs. De même, un concessionnaire qui prend la décision de stocker une variante supplémentaire dont la probabilité de vente est incertaine et dont la valeur se déprécie avec le temps, prend un risque : s’il ne trouve pas de client rapidement, il peut être amené à accorder une remise importante pour écouler ce véhicule stocké. Ce risque réduit l’incitation du concessionnaire à élargir la variété de son stock. Or, l’octroi aux distributeurs de l’exclusivité sur leur zone de chalandise (principe d’exclusivité territoriale dans la distribution automobile par exemple) protège théoriquement les distributeurs d’une concurrence destructive à la Deneckere et al.

En effet, à la suite de Deneckere et al., Pepall, Richards et Norman (1999) montrent que l’exclusivité territoriale, en assurant un monopole local au distributeur, suffit à inciter les distributeurs à se comporter comme des monopoleurs maximisant leur profit en rationnant le marché en cas de demande basse, et donc à stocker une quantité optimale de biens. Une autre limite aux résultats de Deneckere et al. est pointée par Flath et Nariu (2000) qui cherchent à expliquer pourquoi sur des marchés qui présentent les caractéristiques de Deneckere et al., on observe peu de prix « plancher » imposés alors même que la législation les autorise (comme au Japon par exemple). Ils démontrent que les RPM « plancher » sont d’autant plus efficaces que : le coût unitaire des produits est faible, la probabilité de demande basse est faible, et qu’il y a une grande variation entre les estimations de demande haute et basse. Dans les autres cas, les producteurs préfèreront la mise en place d’une politique de retour des invendus, bien qu’une telle solution constitue une second best pour Deneckere et al. En effet, la politique de retour présente d’autres avantages :

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Ainsi, le modèle de Deneckere, Marvel et Peck explique pourquoi certains producteurs de biens dont la demande est très incertaine ont utilisé des contraintes sur les prix à leurs distributeurs. Ainsi, le producteur de jeux vidéo Nintendo a rencontré des difficultés pour convaincre les distributeurs de jouets américains à stocker ses produits dans le milieu des années 80, alors que ces distributeurs venaient d’enregistrer des pertes très importantes suites à la chute soudaine de la demande pour les jeux Attari de la génération précédente.

- le risque est supporté par le producteur ;

- ce système est moins coûteux à faire respecter par les distributeurs ;

- le producteur prend des décisions fondées sur ses propres anticipations du marché.

Flath et Nariu (2000) montrent d’autre part, que si les RPM sont interdits par le droit de la concurrence, et si les retours des invendus sont impossibles à mettre en œuvre ou interdits, le problème d’incitation des distributeurs constituera une incitation forte à l’intégration aval des producteurs.

Le développement de Flath et Nariu est utile pour le cas de l’automobile. La condition de coût unitaire faible pour la mise en place efficace de RPM est intuitive : le coût financier sur un véhicule pour un concessionnaire est tel qu’il est difficile de contraindre un concessionnaire à détruire une part de son stock. L’imposition de RPM « plancher », mis à part un problème de licéité, risque d’être particulièrement difficile à faire respecter par les concessionnaires. Enfin, le retour de véhicules en sur-stock s’avère très coûteux pour des produits comme l’automobile. En revanche, le constructeur peut réduire le risque du concessionnaire en accordant des aides financières spécifiques pour l’écoulement de stocks vieillissant, c’est-à-dire en prenant à sa charge une part de la baisse des prix nécessaire à leur écoulement74.

D’autre part, lorsque le constructeur a de meilleures anticipations de la demande que les concessionnaires, par exemple lors du lancement d’un nouveau modèle pour lequel la demande est très incertaine, on observe que les constructeurs imposent des stocks minimums et prennent en charge partiellement le risque sur ces stocks en allégeant le coût financier des distributeurs (crédit gratuit rallongé par exemple).

Ainsi, Tirole (1988) met en évidence que l’incitation d’un distributeur à fournir un effort commercial peut être réduite par un problème de double marge, qui nécessite soit de donner les droits résiduels sur le profit joint au distributeur (et à le remonter ensuite par une charge de franchise), soit de mettre le distributeur en concurrence, à condition que la demande soit sensible au service offert. Or, Deneckere, Marvel et Peck montrent que lorsque le coût de l’effort consiste en une prise de risque sur le stock, l’incitation du distributeur dépend de son espérance de profit, elle-même dépendant de l’intensité concurrentielle à laquelle est confronté le distributeur. Le distributeur stockeur doit donc être protégé d’une concurrence destructrice en prix. L’apport de Flath et Nariu montre que si le coût du risque est élevé et difficile à maîtriser par une restriction de la concurrence, le producteur peut être amené à prendre en charge une part de ce risque.

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Ce type d’aide est observé dans le réseau Renault en France où des primes sont négociées au cas par cas entre les Directions Commerciales Régionales et les concessions encombrées par des stocks vieillissants.

Mais une dernière limite apparaît au traitement par les modèles présentés du comportement du distributeur confronté au risque de stock. En effet, ces modèles ne prennent pas en compte l’aversion au risque des distributeurs, qui cherchent toujours à maximiser l’espérance du profit dans un environnement incertain.

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