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Arbitrages du constructeur et des consommateurs : le matching

Les constructeurs automobiles face au matching

2. Production de la variété en présence d’incertitude 1 Incertitude et système de production

2.2 Arbitrages du constructeur et des consommateurs : le matching

Dans le schéma simplifié du système de production que nous venons de présenter, le constructeur fixe

- à long terme le délai maximum de livraison au client quand le produit demandé n’est pas en stock, c’est-à-dire les caractéristiques de son système de production,

- et à court terme, le volume du stock final de produits finis.

Si l’on se place dans un système de production donné et dans le cas d’un constructeur intégré verticalement, comment la firme décide-t-elle de la disponibilité, c’est-à-dire de l’espérance de délai sur les différentes variantes de son offre, autrement dit, quel est le programme d’optimisation du matching en présence d’une incertitude sur la demande ?

Nous reprendrons ici le raisonnement du modèle de Carlton (1978) que nous avons présenté dans le chapitre précédent, en nous plaçant dans un monde de prix imparfaitement flexible (les prix ne s’ajuste pas en permanence pour ajuster l’offre à la demande).

a)- Iso-utilité des consommateurs dans un espace prix / espérance de délai L’espérance de délai pour les consommateurs est issue de la probabilité de disponibilité immédiate (délai nul) et donc de celle d’avoir à passer une commande et d’attendre le délai maximum de livraison. Si cette espérance de délai est non nulle, elle est donc une caractéristique du bien pour les consommateurs. L’utilité nette des consommateurs pour une variante dépend donc non seulement du prix, mais également de l’espérance de délai, qui constitue une désutilité pour le consommateur.

On peut donc tracer des courbes d’iso-utilité des consommateurs pour une variante dans un espace bi-dimensionnel prix / espérance de délai37. Si l’espérance de délai s’allonge, pour laisser l’utilité du consommateur inchangée, le prix doit donc décroître (Figure 11).

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L’ordonné du graphique étant inversé par rapport au modèle de Carlton (1978) qui trace les courbes d’iso-utilité dans l’espace probabilité de disponibilité / prix, la convexité des courbes d’iso-utilité de Carlton devient une concavité dans l’espace espérance de délai/prix.

Figure 11 : Courbes d’iso-utilité des consommateurs U0 U1 U0> U1> U2 U2 Prix p Espérance de délai 0 Délai de livraison max b)- L’offre du constructeur

Dans un marché aux prix imparfaitement flexibles, la firme, ici le constructeur, doit donc fixer les prix et les quantités produites et stockées avant la réalisation de la demande. Pour chaque variante, la firme anticipe la demande aléatoire38.

Or, on a montré que pour une variante donnée, produire une unité de plus en stock réduit l’espérance de délai pour les consommateurs, mais accroît le risque d’invendus pour la firme. L’espérance de coût de la firme s’accroît donc lorsque l’espérance de délai offerte aux consommateurs décroît. Les courbes d’iso-profit peuvent ainsi être tracées dans l’espace espérance de délai/ prix. En effet, la réduction de l’espérance de délai pour une variante, par l’accroissement du stock de produits finis, nécessite que le constructeur augmente son prix pour couvrir le risque d’invendus et garder son profit constant (Figure 12).

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Comme dans le modèle de Carlton, on considère que la demande pour chaque variante est constituée de

i consommateurs avec une probabilité pr(i), ayant une demande individuelle x(p). Mais, lorsque la firme

offre une variété de biens substituables entre eux, un consommateur a une demande x(p) pour chaque variante, x(p) étant alors une fonction décroissante non seulement du prix, mais aussi de la distance dans l’espace des biens entre cette variante et la variante préférée du consommateur.

Figure 12 : Contrats offerts par le constructeur U0 U1 U0> U1> U2 U2 Prix p Espérance de délai 0 Délai de livraison max Π1 Π2 Π0 Π0 < Π1< Π2 p* d*

Pour un niveau d’utilité Û des consommateurs, la firme maximise son profit en offrant un contrat (p*,d*) à la tangence des courbes d’iso-profit et d’iso-utilité. Le contrat offert par la firme dépend du niveau profit qu’elle peut garder, et donc de l’intensité concurrentielle qu’elle subit sur son marché39. A l’équilibre, si les consommateurs consentent à supporter un risque sur le délai, l’espérance de délai est supérieure à zéro, et il restera toujours des consommateurs qui ne trouveront pas disponible immédiatement le véhicule de leur choix mais devront supporter un délai de livraison.

Or dans le cas de l’automobile, nous avons montré précédemment que le constructeur fixe les prix des variantes du catalogue avant de décider de la production du stock de produits finis. Ces prix sont en effet fixés dans un programme de différenciation (horizontale et verticale), qui ne prend pas en compte l’incertitude sur la demande à laquelle est confrontée la firme au moment des choix de production. Ainsi, le programme d’optimisation de la firme en présence d’une incertitude sur la demande, consiste à fixer la quantité stockée, et donc l’espérance de délai pour les consommateurs, pour le prix du catalogue. Pour un niveau de profit donné (nul si la concurrence est parfaite) et pour un prix de catalogue fixé, le constructeur fixe la quantité stockée en fonction de la demande aléatoire et donc du risque d’invendus qu’il anticipe sur chaque variante (Figure 13).

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Lorsque l’utilité des consommateurs dépend du prix et de l’espérance de délai, la firme en concurrence n’est pas preneuse de prix mais preneuse d’utilité.

Figure 13 : Contrats offerts par la firme pour trois variantes selon le risque d’invendu anticipé par la firme Prix p Espérance de délai 0 Délai de livraison max Π(v2) Π(v3) Π(v1) p* d(v1) d(v2) d(v3) U(v1) U(v2) U(v3)

Sur la Figure 13, le constructeur fixe la quantité stockée pour trois variantes v1, v2, et v3 qui ont le même prix de catalogue (trois variantes différenciées horizontalement, par leur couleur par exemple). La variante v1 est celle sur laquelle le constructeur anticipe le moins de risque d’invendus, et pour laquelle il fixe une quantité en stock offrant ainsi une espérance de délai d(v1). La variante v3 au contraire, est très risquée. Pour le niveau de profit donné et le prix de catalogue fixé, elle ne sera jamais stockée par le constructeur : les consommateurs qui achèteront cette variante devront tous passer une commande et subir le délai de livraison maximum. Il faut noté que ces quantités stockées sont fixées pour un niveau de profit donné, le constructeur peut réduire l’espérance de délai des consommateurs s’il consent à réduire son profit (déplacement des courbes d’iso-profit vers la gauche). L’espérance d’utilité des consommateurs achetant une des variantes vi est donc trouvée sur la courbe d’iso-utilité passant le point de contrat (p*, d(vi)) fixé par la firme.

c)- Arbitrage délai / différenciation et mis-matching

Ainsi, le constructeur offre un contrat « espérance de délai / prix » par variante, selon la demande aléatoire qu’il anticipe pour cette variante, et l’intensité de la concurrence à laquelle il est soumis (donc le niveau de profit). Or, on l’a vu, les variantes de l’offre sont substituables entre elles, bien qu’imparfaitement puisqu’elles sont différenciées horizontalement et/ou verticalement. Ainsi, les consommateurs font également des arbitrages entre variantes, selon le contrat offert par le constructeur sur chacune d’entre elles.

Un consommateur peut ainsi avoir une utilité nette sur sa variante préférée inférieure à celle que lui laisse une autre variante, plus éloignée de ses préférences mais sur laquelle le constructeur offre un meilleur rapport délai/prix. Le constructeur fait donc face à un nouvel arbitrage, qui nécessiterait, pour être explicité, une représentation multidimensionnelle.

Par soucis de simplicité, nous illustrerons l’arbitrage du consommateur et du constructeur en deux temps, en nous plaçant tout d’abord dans un espace « espérance de délai / distance par rapport aux préférences du consommateur » (Figure 14), puis nous nous reporterons dans l’espace « espérance de délai / prix » vu précédemment (Figure 15).

Figure 14: Arbitrage du consommateur et mis-matching

Distance / aux préférences du consommateur Espérance de délai 0 Délai de livraison max L2 d(v2) d(v1) U2 L1 U1 U2 > U1 d’(v1) A B C

Si les variantes sont substituables pour le consommateur et de prix égal (elles sont différenciées horizontalement), on peut tracer des courbes d’iso-utilité dans cet espace : l’utilité du consommateur reste inchangée lorsqu’une variante s’éloigne de ses préférences, à condition que l’espérance de délai offerte par la firme décroisse également. Sur la Figure 14, la variante v1 est située à une distance L1 des préférences du consommateur et est associée à une espérance de délai d(v1) (point A) : l’espérance d’utilité de ce consommateur pour la variante v1 est donc U1. Or la variante v2, plus éloignée de ses préférences (distance L2) est associée à une espérance de délai d(v2), le contrat de la firme est donc placé sur une courbe d’iso-utilité de niveau supérieure à celle de la variante v1 (point B). L’arbitrage du consommateur l’amène donc logiquement à choisir la variante la plus éloignée de ses préférences produit (passage de A à B) : on est donc en présence d’un phénomène de mis-matching. Le constructeur, pour assurer un matching parfait, devrait offrir un contrat laissant une utilité pour v1 supérieure ou égale à celle que le consommateur obtient pour la variante v2. Or, pour cela, il devrait offrir une espérance de délai d’(v1) (le point C sur la courbe d’iso-utilité de niveau U2).

Figure 15 : Arbitrage du constructeur et mis-matching Prix p Espérance de délai 0 Délai de livraison max Π’(v1) Π(v1) p* d’(v1) d(v1) U(v1) Π’(v1)< Π(v1)

Or dans l’espace « espérance de délai /prix » (Figure 15), pour le prix de catalogue p*, réduire l’espérance de délai pour la variante v1, nécessite d’accroître la quantité produite en stock, ce qui accroît le risque d’invendus et réduit donc le niveau de profit du constructeur de Π(v1) à Π’(v1).

Ici, les deux variantes v1 et v2 sont différenciées horizontalement et de prix égal. Le constructeur n’a donc aucun intérêt à assurer un matching parfait, c’est-à-dire à réduire son profit pour laisser le consommateur acheter la variante la plus proche de ses préférences. Cette représentation graphique (Figure 14 et Figure 15) ne nous permet pas de traiter le cas où les deux variantes sont différenciées verticalement et où un mis-matching implique une perte du profit de la discrimination pour le constructeur (v1 étant de qualité supérieure à v2). Dans ce cas, le constructeur devrait alors faire un arbitrage entre le coût d’un matching parfait, c’est-à-dire la perte de profit nécessaire pour que le consommateur choisisse la variante la plus proche de ses préférences, et le coût d’un mis-matching, c’est-à-dire la perte de profit si le consommateur se reporte sur une variante plus éloignée de ses préférences et de prix inférieur.

Enfin, ces phénomènes de mis-matching sont accrus car la demande aléatoire des consommateurs influe sur le risque associé au stockage de chaque variante, et donc sur les coûts du constructeur : il existe des externalités entre demande et coûts de la firme, liées aux économies d’échelle, ou effet de portefeuille, mis en évidence par Carlton (1978) dans son modèle mono-produit. En effet, en se reportant sur une variante pour laquelle le constructeur offre une meilleure espérance de délai, les consommateurs réduisent le risque d’invendus sur

cette variante et l’accroissent sur les autres, modifiant ainsi les coûts de la firme sur chaque variante et les contrats offerts pour chacune d’entre elles. Ce phénomène amplifie donc le report des consommateurs vers les variantes les moins risquées. Les arbitrages des consommateurs les amènent donc à réduire la variété demandée.

Cette représentation graphique du programme d’optimisation du matching d’un constructeur sur une large variété et soumis à une incertitude sur la demande, est bien sûr extrêmement simplifiée. En réalité, le constructeur doit maximiser son profit dans un espace multidimensionnel dans lequel les consommateurs font des arbitrages selon leur sensibilité à la différenciation, au prix et à la disponibilité des véhicules pour maximiser leur surplus. Un tel programme nécessiterait une modélisation complexe et lourde.

Cette représentation graphique nous permet toutefois de faire l’hypothèse que le programme de maximisation du profit du constructeur laisse nécessairement subsister des phénomènes de

mis-matching : tous les consommateurs n’auront pas une utilité nette maximum pour la

variante la plus proche de leurs préférences.

2.3

Organisation traditionnelle du matching sous contrainte d’incertitude dans

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