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Chapitre 2 Considérations conceptuelles et méthodologiques

2.4. Méthode

2.4.1. Recrutement et collecte de données

J’ai procédé à des entretiens semi-directifs avec des personnes militant actuellement à l’ASSÉ et d’autres dont l’implication remonte à quelques années. Comme je l’ai mentionné plus haut, le choix de l’ASSÉ a été motivé dans un premier temps par l’éventail de pratiques qu’elle met en œuvre pour encadrer le partage de la parole. Bien que plusieurs de ces pratiques soient utilisées

par d’autres groupes et regroupements au Québec, l’ASSÉ se démarque par son application d’un grand nombre de mesures sur une assez longue période de temps. En effet, certaines de ces pratiques ont été mises en application dès la fondation de l’ASSÉ en 200150 et sont utilisées par des

dizaines de délégué.e.s chaque année.

J’ai choisi de conduire des entretiens semi-directifs puisque je m’intéresse à la vision et aux opinions de personnes impliquées ou ayant été impliquées à l’ASSÉ par rapport aux pratiques en vigueur dans cette organisation. Les entretiens semi-directifs offrent un accès aux motivations et aux perspectives d’un pan plus large et plus diversifié des personnes impliquées dans une organisation militante que ce que propose la documentation officielle du mouvement puisque les paroles et les écrits qui sont les plus susceptibles d’être conservés sont ceux des personnes et des groupes plus privilégiés (Blee et Taylor, 2002 : 93). Évidemment, il est probable que les personnes ayant accepté de participer à ma recherche fassent elles-mêmes partie de groupes relativement privilégiés au sein de l’ASSÉ. Ainsi, bien que j’aie tenté autant que possible de rencontrer des répondants et répondantes présentant des profils variés, la majorité (7/12) d’entre eux et elles étudient aux deuxième et troisième cycles universitaires et deux seulement sont au collégial. De plus, la plupart ont occupé ou occupent toujours un poste élu au sein de l’ASSÉ, et ce, malgré mon intention (traduite dans les critères de recrutement utilisés) que les participantes et participants soient encagés plus ou moins activement à l’ASSÉ. Je trace un portrait plus complet du profil des répondantes et répondants au début du prochain chapitre.

En outre, les entretiens semi-directifs permettent de dégager non seulement de l’information, mais aussi des thèmes et des catégories d’analyse provenant d’une (relative) diversité de membres du mouvement (voir Blee et Taylor, 2002 : 92-96). C’est d’ailleurs dans cette optique de favoriser une multiplicité de points de vue que j’ai interrogé à la fois des membres qui s’impliquent présentement et des personnes qui ne sont plus impliquées. Cela m’a donc permis de recueillir le point de vue et l’expérience de personnes ayant quitté l’ASSÉ pour différentes raisons et qui sont donc éventuellement plus à même de poser un regard critique sur l’organisation dont elles se sont éloignées. En effet, « la plupart d’entre nous appartenons à plus d’une collectivité à un moment donné et, si nous vivons de l’exclusion, nous garderons sans doute nos distances face à des organisations officielles dont le mandat privilégie une collectivité qui nous exclut » (Simpson, 2009 : 26). En résumé, pour participer à la recherche, les personnes devaient être âgées de dix-huit ans ou plus et avoir participé à au moins trois congrès ou autres instances de l’ASSÉ au cours des cinq dernières années.

Afin d’entrer en contact avec des participantes et participants potentiel.le.s, j’ai fait appel à mon réseau amical et militant en ciblant les personnes qui étaient susceptibles d’être en contact avec des membres de l’ASSÉ. Je leur ai fait parvenir une lettre d’invitation51 à participer à mon projet en

leur demandant de la faire suivre aux personnes pouvant être intéressées à prendre part à une entrevue individuelle d’une durée estimée à 90 minutes. Cette méthode a porté fruit assez rapidement et m’a permis de rencontrer plusieurs personnes dès les premières semaines de recrutement. Elle a toutefois le désavantage de m’avoir mise en contact avec un groupe plus homogène que je ne l’avais d’abord souhaité. Ainsi, dix des douze répondantes et répondants rencontré.e.s s’identifient comme blancs ou blanches et les douze comme étant cisgenres.

J’aurais particulièrement souhaité entendre le point de vue de personnes s’identifiant comme trans ou ayant une identité de genre non binaire52, mais les démarches que j’ai faites pour rejoindre

des personnes correspondant à ces profils n’ont pas porté fruit. Dès les premières entrevues, puisque la plupart des personnes que j’ai interrogées me proposaient de parler de mon projet à des ami.e.s s’étant impliqué.e.s à l’ASSÉ, je leur ai mentionné que je cherchais à parler à des personnes s’identifiant comme trans ou ayant une identité de genre non binaire. Certaines devaient en parler à des personnes qu’elles connaissaient, or cette approche n’a pas donné de résultats. Parallèlement, j’ai contacté plusieurs groupes et associations LGBT basés dans des cégeps et universités dont les associations étudiantes sont membres de l’ASSÉ, ainsi qu’un groupe queer non affilié à une institution scolaire, dont les membres étaient susceptibles de s’être impliqué.e.s à l’ASSÉ. J’ai reçu plusieurs accusés de réception, mais personne ne m’a contactée directement pour prendre part au projet. Dans un cas, une personne ressource semblait avoir trouvé une personne intéressée à participer, bien qu’elle ne correspondait pas tout à fait aux critères de sélection que j’avais définis pour participer à la recherche. En effet, elle ne s’était pas impliquée formellement à l’ASSÉ, mais uniquement dans une association locale membre de l’ASSÉ. J’ai proposé de rencontrer cette personne en adaptant mon schéma d’entrevue puisqu’il me semblait potentiellement intéressant de comprendre ce qui avait empêché cette personne de participer à des instances de l’ASSÉ, le cas échéant. Je n’ai toutefois pas pu mener la démarche à terme puisque la personne concernée n’a pas donné suite à mon invitation.

51 Voir Annexe A.

52 Les personnes non binaires ou au genre non binaire ont une identité de genre qui ne s’inscrit pas dans le système binaire femme / homme. Il ne s’agit donc pas de personnes cisgenres ou trans ayant une

expression de genre non conforme aux attentes sociales, mais s’identifiant tout de même comme hommes ou femmes. Les personnes au genre non binaire peuvent s’identifier, entre autres, comme agenres, bigenres, genderqueer, comme ayant un genre fluide (genderfluid), comme bispirituel.le.s (two-spirit), etc. (Serano, s.d.).

Il m’apparaît dommage que certaines voix qui sont peu audibles à l’ASSÉ n’aient pas pu se faire entendre par le biais de ce projet. La stratégie de recrutement que j’ai privilégiée a certainement contribué à me faire entrer en contact principalement avec des personnes qui avaient envie de parler, et qui se sentaient – relativement – à l’aise de le faire. Ce constat est d’autant plus problématique compte tenu de ma propre position privilégiée par rapport à ces enjeux. En tant que femme blanche, cisgenre, hétérosexuelle, plus scolarisée que plusieurs membres de l’ASSÉ, il est clair que certains pans de la réalité me sont moins visibles, voire invisibles. Ces zones restent aussi difficiles d’accès pour les participantes et participants qui partagent ces privilèges.

Les entretiens que j’ai menés, écoutés, transcrits et relus ont été la source de données la plus importante de cette recherche. J’ai toutefois eu aussi recours aux larges archives de l’ASSÉ disponibles en ligne. Pour obtenir l’accès à des procès-verbaux et à des textes de réflexion, j’ai consulté le site web principal de l’Association, mais aussi son ancien site, toujours disponible en ligne53, et plusieurs sites dédiés à des événements spécifiques. J’ai aussi assisté au congrès

d’orientation qui s’est tenu à Montréal en décembre 2016, sans objectifs particuliers de collecte de données, mais plutôt pour m’imprégner de l’ambiance pouvant régner dans un congrès de l’ASSÉ (tout en ne tenant pas pour acquis que cet événement était représentatif de l’ensemble des congrès). Je m’y suis présentée comme observatrice en précisant que je menais une recherche sur les pratiques encadrant le partage de la parole et je me suis assurée à plusieurs reprises que les personnes sur place étaient à l’aise avec ma présence, particulièrement lorsque j’ai participé à des caucus de discussion.