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Chapitre 3 Compréhension et réception des mesures encadrant le partage de la parole

3.2. Facteurs influençant la prise de parole et l’inclusion des personnes au mouvement

3.2.2. Question d’origines

Outre l’influence plus importante que semblent avoir les délégué.e.s de niveau universitaire sur le déroulement du congrès et ainsi sur les positions adoptées par l’ASSÉ, le commentaire de 67 Sébastien raconte par exemple un moment où un militant serait carrément monté sur la table : « Il a

Sasha pointe aussi vers un autre facteur d’inégalités soulevé par plusieurs répondantes et répondants, soit le pouvoir qui découle de la réputation de certaines associations étudiantes – lesquelles sont généralement situées sur l’île de Montréal (ASSÉ, 2013 : 6) :

De par leurs ressources, leur membership, leurs ressources matérielles, leur histoire – tu as des assos comme l’AFESH ou Saint-Laurent ou Maisonneuve, tu sais, c’est des assos qui ont un historique. Le Vieux[-Montréal], c’est tout de suite – peu importe qui parle, ou peu importe la personne ce qu’elle va dire – il y a un certain poids symbolique qui vient avec l’acronyme. (Philippe)

D’ailleurs, Philippe précise qu’il a rapidement intégré ces informations, lui permettant de juger des propos des délégué.e.s qui s’expriment en assemblée à l’aune de ces codes implicites. À l’opposé, les personnes interrogées dont l’implication s’est faite à Québec ou dans d’autres régions jugent que leur éloignement par rapport à Montréal a été un frein à leur intégration et a (ou a eu) un impact défavorable sur l’influence qu’ils et elles peuvent avoir dans l’ASSÉ. En plus de la réputation d’être moins combatives que portent les associations « de région », l’éloignement de la métropole rend difficile d’assister à autant d’événements et oblige les militantes et militants à participer à certaines réunions à distance (par Skype, par exemple). Ici encore, les effets du « Montréalocentrisme » qui serait présent à l’ASSÉ sont modulés par d’autres facteurs. Joëlle et Sasha jugent que les hommes provenant des associations étudiantes montréalaises parlent plus souvent, avec plus d’assurance, et reçoivent plus d’écoute, démontrant « une espèce de confiance de son militantisme, qui est plus grande que, par exemple, des gens des régions » (Joëlle). Mais ce manque de confiance, s’il est avéré, n’a pas le même impact sur tout le monde. Pascal, par exemple, cite le cas d’un cégépien d’une association étudiante hors Montréal qui occupait un poste sur le conseil exécutif en même temps que lui :

Il y a le fait de se sentir moins légitime parce que tu viens d’une place où ça « mobbe » moins, tu sais, tu es plus jeune, tu es dans le réseau collégial alors que l’exécutif est très majoritairement universitaire… Il avait… lui, très clairement, il avait une insécurité qui faisait qu’il parlait tout le temps. (Pascal)

Là encore, parler, même beaucoup et longtemps, ne signifie pas forcément être écouté.e. Plusieurs des répondantes et répondants relèvent que les délégué.e.s dont l’accent les associe à certaines régions du Québec (selon Sasha : « Il y en a un qui n’a pas été dernièrement élu en congrès parce qu’il avait un gros accent de [région] ») ou à des origines ethniques ou nationales autres que québécoises reçoivent moins d’écoute. Louis et Sasha ont d’ailleurs cité spécifiquement le cas d’une déléguée d’origine indienne présenté au premier chapitre. Pour Sasha toujours, « c’est comme si sa parole avait aucune valeur ». Bien que je n’aie pas été en mesure de creuser cette question dans toutes les entrevues, il me semble pertinent de relever le point de vue de Sasha qui

déplore que l’intégration des délégué.e.s anglophones et allophones ne soit pas vue comme une priorité. Selon elle, en effet, les débats qui ont suivi la proposition d’augmenter les cotisations des associations membres afin de financer un service de traduction simultanée dans les instances de l’ASSÉ révèlent une volonté d’inclusion à deux vitesses :

Les gens étaient « Ah ouais, mais tu sais, on a-tu vraiment besoin de traduction simultanée? Tu sais, il y a pas tant d’Anglos… » tu sais, il y a ce genre de doute là. Tu dis oui, il faut inclure les Anglos, mais on pourrait prendre des gens gratuits, tu sais qu’on… on va faire des traductions chuchotées plus simultanées, plus systématiques. Mais tu sais, quand il faut mettre de l’argent, pour avoir les moyens de nos ambitions d’inclusion, tu sais, parfois là, les gens backent un peu. Ça dépend pour quels enjeux. On dirait que pour les enjeux féministes, OK c’est beau, on va mettre 12 000 piasses comme dans je sais pas quoi, mais quand on parle de d’autres genres d’inclusion, comme par exemple inclure les minorités anglophones, alors là on mettra pas d’argent, tu sais. (Sasha)

Au demeurant, une bonne partie des répondantes et répondants rejoint le point de vue exprimé par Pascal, selon lequel l’ASSÉ est « un milieu très blanc, francophone, pis ça reste un milieu d’éducation supérieure, je veux dire, ça reste un milieu très privilégié, au moins au regard de la scolarité. » Plusieurs soulignent ainsi que les personnes non francophones ainsi que les personnes racisées qui s’impliquent à l’ASSÉ tendent à provenir de familles et de milieux assez favorisés économiquement et culturellement. Ce type de privilèges de classe serait aussi caractéristique des personnes, toutes origines confondues, qui s’impliquent de manière plus soutenue à l’ASSÉ, notamment celles qui occupent des postes élus. Selon Alice, ce serait un phénomène assez récent, les militantes et militants s’impliquant avant 2012 ayant été plus susceptibles de provenir de milieux populaires. Impossible pour moi, dans le cadre de ce projet, de fournir un portrait clair des origines socioéconomiques des militantes et militants de l’ASSÉ, mais il me semble important de relever que le milieu d’origine peut avoir un impact sur les rôles et l’influence des personnes au sein de l’organisation. Marc résume :

Il y a clairement, à l’ASSÉ, une prédominance de gens qui viennent de… Je dirais, de milieux culturellement favorisés. Fait que des gens dont les parents avaient une bonne éducation, pis de milieux financièrement corrects. C’est pas nécessairement – c’est pas des bourgeois ou quoi que ce soit, mais c’est des gens dont les parents vont payer une partie de l’appartement, payer des frais de scolarité, ou ce genre de truc là. Parce que, comme, tout à l’ASSÉ est bénévole, veux, veux pas, c’est les gens qui sont dans une situation pas trop précaire qui peuvent se permettre de militer, pis mettre plus de temps. Pis en mettant plus de temps, connaître plus de gens, récolter plus d’informations, etc. (Marc)