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Rechercher les données enregistrées

UTOPIE TROISIÈME : Voyage dans la mémoire des enregistrements

3.4 Nommer, déclencheurs et indices

3.4.7 Rechercher les données enregistrées

« Il ne sait pas très bien faire le tri entre toutes les images qui se posent dans sa tête. Pour lui tout revient au même, de ces misérables bribes d’information ».

William Gibson1

« Comment le souvenir vient à nous, comment en vient-on au souvenir de ces chemins “erratiques ?” »2 Des chemins erratiques parcourus pour accéder à nos propres souvenirs, nous sommes confrontés à un autre système de circulation, entre des données agencées de manière logique et rationnelle. En effet, comment se souvenir alors de ce que la machine garde en mémoire ? Les chemins pour accéder aux données « souvenirs » détenues par la machine se parcourent d’une manière plus directe et sans détours. Entre les chemins et les sites, territoires de stockage, il arrive qu’on se perde parfois en redondance et en perte de données.

Nous sommes confrontés à la limite de notre mémoire et à celle, infiniment plus grande, de la mémoire informatique. Avec notre mémoire limitée, il est difficile de retrouver les données dans ces stockages démesurés.

Notre mémoire nous semble « plus limitée que celle de l’ordinateur. On se trouve face à des problèmes d’échelle. Notre petite mémoire est confrontée à celle gigantesque (giga) de l’ordinateur. On peut stocker des données comme un être vieillissant qui accumule des années de souvenirs sans pouvoir accéder à tous ses souvenirs enregistrés (données stockées). »3 Comme l’écrit Lev Manovich, « le temps que nous consacrons aujourd’hui à la réception d’une seule narration peut varier de quinze secondes (une pub à la télévision), deux heures (un film), quarante heures (le temps moyen qu’un joueur passe sur un nouveau jeu), à des centaines d’heures (quand on suit une série télé ou un soap opera). Mais la capacité de stockage de l’information a récemment changé de manière spectaculaire. Par contraste avec les dix minutes d’une bobine de film ou des deux heures d’une cassette

1 Cité par Bouchra Khalili, « Level 5 ou le Reposoir », Recherches sur Chris Marker, loc. cit.

2 Anne Cauquelin, Le Site et le paysage, op. cit., p. 41.

3 Lev Manovich, « Metadata mon amour », Interfaces, anomalie digital_arts n°3, p. 148.

DV, un serveur numérique peut contenir une quantité quasi illimitée d’enregistrements audiovisuels. »1

Nombreuses sont les histoires d’amnésiques au cinéma. Nombreux sont les scénarii mettant en scène l’histoire d’un personnage en perte de mémoire ou en quête d’un souvenir. Les recherches propres au cinéma interactif ont généré un autre type de scénario, mettant en scène des histoires de perte de données ou d’accès impossible, comme les films Tron2 et Wargame3. Ce foisonnement de scénarii de « films de cinéma au sujet des disques durs », ces histoires de cryptologie et de code impossible à retrouver, témoignent d’un désarroi et d’une fascination de l’utilisateur, pris par le vertige de cette accumulation de souvenirs stockés.

L’accès aux flux des données numériques permet de consulter et de copier une quantité d’informations de toutes sorte. Le risque s’accroît de ne pouvoir les consulter et de ne pas les retrouver intégralement, sans qu’elles ne soient perdues, altérées, effacées ou illisibles. Ce siècle de découvertes techniques successives a, pour des médiums comme la vidéo et la musique, provoqué des changements de supports et d’objets. En changeant ainsi les différents modes de consultation et de lecture des fichiers se pose la question de leur accès dans dix, vingt ou cinquante ans, puisque les supports évoluent en permanence. Si j’oublie de transférer les informations vers les formats les plus récents, mon système utilisateur risque de ne plus les reconnaître. Les données seront-elles encore accessibles ? Contrairement au livre, qui une fois acheté appartient à son propriétaire et reste lisible, le CD-Rom ou autre support électronique dépend aussi bien de ses lecteurs que des fabricants des divers systèmes de lecture ou encore de la pérennité physique du support lui-même. Il ne s’agit pas d’objets autonomes, leur consultation dépend du système mis en place. Cette angoisse relative aux contenus, esclaves d’un système « évolutif » des supports de lecture, se propage. Elle concerne toute la chaîne, des concepteurs aux fabricants, des réalisateurs aux spectateurs.

1 Ibid., p.152.

2 Steven Lisberger, Tron, 1982.

3 John Badham, Wargames, 1983.

Acteurs et consommateurs d’un cinéma sur ordinateur sont donc tributaires d’une technologie commune.

Voilà pourquoi nous restons, parallèlement à notre pratique des médias électroniques et numériques, attachés aux anciens systèmes qui, comme les livres, restent visibles dans leurs dispositifs initiaux. Entre ces techniques matérielles, indépendantes, et celles plus immatérielles, dépendantes d’une machine, nous passons de l’une à l’autre. On imprime sur papier un texte électronique, tout en regrettant la souplesse des opérations « copier / coller » lors de la composition ou la consultation d’un livre. « L’impatience que, par exemple, certains lecteurs ressentent maintenant devant les textes imprimés, a sans nul doute des bases psychologiques et physiologiques. Appuyer sur des touches et voir le curseur leur cligner de l’œil leur manque. Inversement, d’autres lecteurs (ou peut-être les mêmes, mais d’humeur différente) retournent vers l’imprimé avec un nouvel intérêt pour sa longévité, sa résistance et la facilité avec laquelle on peut l’utiliser. »1

Comment retrouver les informations, quand elles sont si nombreuses, et stockées dans cette mémoire gigantesque que représentent les prothèses externes ? Je deviens, au fur et à mesure que j’utilise ces mémoires externes, dépendante des moyens qui permettent d’accéder aux informations, trop nombreuses et difficiles à organiser, mais si faciles à compulser. Chaque élément doit être placé quelque part. Lorsqu’il est impossible de ranger les informations, je les place dans des zones d’attente, mais tôt ou tard je me retrouve face à l’insurmontable problème de devoir trier les données stockées pour retrouver les informations recherchées.

Pour retrouver ces informations, dans ce désordre « par défaut », on dispose de logiciels, conçus avec le système d’exploitation, permettant de rechercher des ressources associées à des mots. L’utilitaire Sherlock, par exemple (sur Macintosh), trouve ce que l’utilisateur a oublié ou perdu. Il accède à toutes les données stockées. Il pallie à l’incapacité de trouver rapidement un fichier. Pour accéder à ce que nous avons perdu, on a le choix

1 Katherine Hayles, How we became Posthumain, op. cit., p. 542.

entre des rubriques comme : trouver par nom, par couleur, par genre, par poids… Et par la suite, le moteur de recherche passe en revue toutes les ressources. La vitesse, l’infaillibilité et la précision de ces moteurs de recherche surpassent nos recherches mentales. Nous ne pourrions analyser si rapidement autant d’éléments de manière aussi exhaustive. Il n’est pas rare qu’une recherche de ce type ramenant à la surface des fichiers imprévus entraîne l’utilisateur sur un chemin inattendu de consultation de ses données et le déroute vers une forme informatique de zapping.

Les images déclencheuses de notre moteur de pensée sont comme des étiquettes qui prennent la forme de mots rattachés aux idées. Elles fonctionnement comme certains moteurs de recherche, tel Google, où le mot déclenche une image ou une autre information. Celle-ci est parfois source d’inspiration ou de pensée. Allons-nous penser différemment, après nos expériences d’utilisation de ces moteurs de recherche ?

3.5 L’œuvre-réservoir