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Problématique et axiologie de la recherche

2. Une recherche centrée sur une dimension essentielle de l’ERE : l’approche critique des réalités

socio-environnementales

Comme nous l’avons vu précédemment, l’ERE implique l’intégration de différentes approches et différents courants complémentaires. Cependant, nous avons privilégié dans notre recherche une orientation éducative particulière, l’approche critique qui s’avère « nécessaire à l’analyse et à la compréhension des réalités environnementales » (Sauvé, 1997). Plus précisément, l’approche critique repose sur la compréhension d’une situation, d’un phénomène - il s’agit de repérer, analyser, identifier, évaluer les représentations, attitudes, valeurs, idéologies sous-jacentes aux actions (Sauvé, 1997) - dans le but faire des choix et un engagement raisonné dans l’action. En cela, elle constitue une dimension essentielle de l’ERE car elle permet de répondre à certains nouveaux enjeux récemment identifiés, tels que la recherche de nouvelles pratiques sociales. Par ailleurs, en considérant la complexité des réalités environnementales, cette approche participe à la « résolution des situations conflictuelles qui émergent du réseau des relations personne – société – environnement » (Sauvé, 1997).

Comme nous le verrons plus en profondeur dans la deuxième partie à travers la définition du courant de la critique sociale, l’approche critique repose ainsi sur deux aspects complémentaires :

• une théorie critique, élaborée à partir d’une réflexion et d’une analyse des réalités environnementales, sociales et éducationnelles ;

• une orientation pratique qui consiste en « un engagement à l’égard des nécessaires transformations qu’elle [la théorie critique] contribue à définir » (Sauvé, 1997). Ces transformations concernent à la fois les acteurs mais aussi les réalités environnementales, sociales et éducationnelles qui les concernent.

Dans cette perspective, nous pensons que l’approche critique permet de dépasser la simple sensibilisation et favorise la recherche de nouvelles pratiques sociales. En effet, en se référant à certains constats établis par des observateurs et/ou acteurs de la médiation environnementale depuis le début des années 1990, nous remarquons que si une certaine sensibilisation existe, elle ne débouche pas pour autant sur de nouvelles pratiques sociales favorables à

l’environnement. Ainsi, Kalaora décrit la situation en ces termes : « en tant qu’observateur impliqué- j’ai été chargé de mission au ministère de l’environnement de 1986 à 1991 – j’ai pu mesurer la relative indifférence, le scepticisme de la population française aux problèmes d’environnement. Toutes les enquêtes montrent le décalage entre les opinions plutôt favorables à la prise en compte de l’environnement et les actions et comportements. Un fossé semble exister entre, d’une part, un consensus sur la réalité des problèmes et, d’autre part, les pratiques sociales qui en font peu de cas. Un sentiment d’innocence face aux problèmes de dégradation coexiste avec une forte inquiétude, mais chacun dénie sa responsabilité propre.

(…) S’il y a des consensus sur l’importance des menaces, l’implication concrète des populations dans la lutte contre les risques est quasi inexistante » (Kalaora, 1998).

Les acteurs de l’Education Relative à l’Environnement estiment en effet que le temps de la sensibilisation initiale est révolu : « il semble bien maintenant que dans les sociétés industrialisées, l’époque de sensibilisation initiale à l’existence et à l’importance des principaux problèmes environnementaux est en voie de se terminer. (…) Mais l’éducation relative à l’environnement n’a pas achevé pour autant sa mission. (…) Au-delà de la sensibilisation, nous verrons que ses objectifs concernent le développement de connaissances (intégrées, transférables, applicables), le développement d’attitudes et de valeurs (dont la clarification implique la manifestation dans l’agir), le développement de compétences (permettant l’exercice d’une responsabilité à l’égard de l’environnement) et enfin, l’adoption d’un agir personnel quotidien, de même que l’engagement dans des actions communautaires en faveur de l’environnement » (Sauvé, 1997). Le conseil de la conservation et de l’environnement du Québec (1990, cité par Tardif et col., 1997) estime quant à lui que « l’on a porté les grands problèmes d’environnement à l’attention du grand public en accusant les industries, le gouvernement ou d’autres intervenants, alors qu’on a jamais remis en cause notre mode de vie et nos choix sociaux qui contribuent à ces problèmes. Il n’est donc pas étonnant que la population se dise très inquiète des problèmes d’environnement, qu’elle s’avère très sensibilisée dans les sondages, mais qu’elle continue à se comporter de façon irresponsable dans ses actions de consommation ».

Dans ce cadre, la médiation environnementale se doit de répondre aux questions suivantes : comment dépasser le stade de l’information, de la prise de conscience, et de la sensibilisation et envisager que chaque personne trouve sa place au sein du réseau complexe des réalités environnementales ? Comment envisager la double responsabilisation, individuelle et

collective ? Comment inviter les personnes à développer un regard critique et du recul, à l’inverse des psychoses et irrationalités diverses ? Comment inciter les personnes à façonner librement leur opinion ? Comment leur apprendre la complexité, l’incertitude, la diversité ?

Pour répondre à ces questions, certains chercheurs en ERE proposent alors une éducation axée sur une approche plus globale, contextualisée, sociale et éthique des questions environnementales : l’ERE doit-elle se contenter « d’apporter des connaissances et compétences scientifiques, techniques, méthodologiques ou bien ces formations en environnement doivent-elles également intégrer les dimensions éthiques et sociales de l’environnement, c’est à dire apporter des capacités de réflexion permettant de clarifier les valeurs sous-jacentes à tout choix de stratégie environnementale ? » (Croizier, Goffin, 1998-1999). Ces capacités de réflexion permettant de clarifier les valeurs sous-jacentes à tout choix de stratégie environnementale sont au cœur de notre problématique, déterminant une approche critique des réalités environnementales.

Par ailleurs, l’approche critique met l’accent sur la complexité des réalités environnementales :

« la complexité des questions environnementales, liée à la multiplicité des variables biophysiques et socioculturelles impliquées, ne peut être envisagée sans faire appel à la pensée critique » (Sauvé, 1997).

En effet, l’environnement, quelque soit sa définition, est un objet complexe qui impose ce que Ost (1997) appelle une épistémologie de la complexité : « l’intelligence des interactions entre société et nature implique l’adoption d’une épistémologie de la complexité. On peut définir comme « complexe » tout phénomène qui met en jeu une différence de niveaux et une circularité entre ces différents niveaux. Prendre en compte à la fois ces différences de niveaux (par exemple entre l’objet, l’environnement de l’objet et l’observateur) et les rapports de circularité qui s’établissent entre eux est le propre de l’épistémologie de la complexité, dont on peut dire qu’elle s’oppose point par point à la méthode cartésienne » (Ost, 1997).

L’épistémologie de la complexité, qui rend compte de la complexité des rapports entre les objets, prend des sens plus ou moins différents selon les auteurs. Pour Morin (1991), elle remet en cause la pensée linéaire et cartésienne, qualifiée de « disjonctive ». En effet, elle croise les cadres de pensée de chaque entrée disciplinaire, et sans elle, nous ne pourrions aborder les questions environnementales « que de manière partielle, fragmentée et

conjecturale au travers des cadres pluriels de connaissance et d’interprétation à leur disposition » (Godard, 1997).

Pour de Rosnay, la complexité correspond à une approche systémique, les questions environnementales ayant obligé les domaines politiques, industriels ou ceux de l’éducation à avoir une approche systémique et donc à changer de paradigme : « l’écologie jette les fondements, les bases d’une nouvelle culture de la complexité » (Rosnay, 1991). L’approche systémique complète ainsi le paradigme analytique : « l’approche systémique se concentre sur des éléments en interaction, alors que l’approche analytique réduit la complexité en éléments simples » (Rosnay, 1991). Dans ce sens, Rosnay explique que l’approche systémique met en jeu deux opérations essentielles dans l’étude d’un système, l’identification des composantes et l’établissement du jeu des relations : « la découverte de l’approche par interdépendance des facteurs dans une dynamique temporelle tenant compte de l’évolution des constituants par rapport à un tout. C’est cela la systémique » (Rosnay, 1991). Le système est ici considéré comme un ensemble d’éléments interreliés pour former un tout cohérent et homogène, séparé par d’autres systèmes voisins.

Pour d’autres, la complexité des problématiques environnementales s’explique par le fonctionnement en réseau : « tous ces réseaux sont connectés et une atteinte en un point donné se répercute au niveau du réseau, dans une échelle temporelle indéterminée » (Larrère C., 1997). Blandin et Bergandi (1997) insistent sur la nécessité de la prise en compte de ce fonctionnement en réseau car son absence explique finalement la crise environnementale :

« on peut avancer l’hypothèse que la crise environnementale et la crise épistémologique de l’écologie naissent de la même source, à savoir une vision fragmentée et fragmentante, qui trouve, dans la perspective réductionniste, son fondement ».

Enfin, la complexité des réalités environnementales tient dans leur nature conflictuelle : « très souvent, la prévention et la résolution des problèmes environnementaux, de même que la gestion des ressources, font l’objet de controverses entre divers protagonistes dont les croyances et les valeurs diffèrent » (Sauvé, 1997). Nous reviendrons en détail sur cette caractéristique des réalités environnementales dans les différentes recherches que nous présentons.

Cette évocation de points de vue différents, bien entendu non exhaustive18, souligne la diversité de contexte et de sens qui caractérisent la notion de complexité. Quoi qu’il en soit, nous retiendrons que l’approche critique est essentielle pour prendre en compte cette complexité qui caractérise les réalités environnementales.

Nos travaux sont donc centrés sur cette approche de l’ERE, car d’une part, nous pensons qu’elle répond aux enjeux soulevés précédemment et d’autre part, elle est généralement peu exploitée et insuffisamment prise en compte comme nous le verrons dans la suite de cette recherche. Ainsi, divers praticiens et/ou chercheurs reconnaissent que cette approche, bien qu’elle existe dans les discours, est négligée dans la pratique : « l’équipe a constaté que trop souvent, les acteurs de l’ERE partent d’un discours théorique environnemental global (intégrant les dimensions socioculturelles), pour aboutir à des activités écologiques et à des pratiques simplement naturalistes, bien intentionnées certes, mais négligeant les composantes culturelles et sociales et donc restreignant fortement la portée contextuelle de l’action » (Torres Carrasco, 1998-1999). De plus, « les activités ont une portée immédiate, mais le plus souvent, il manque la dimension critique, la vision d’avenir, la perspective d’amélioration de la qualité des interactions société-nature-culture… » (Torres Carrasco, 1998-1999).

D’autres dressent le même état des lieux : « il semble que le caractère critique de l’ERE (…) ait peu à peu été dilué dans les pratiques dominantes (…). En effet, pour caractériser la pratique qui s’est développée en ERE depuis une vingtaine d’années, Fien (1993), Greenall Gough (1993), Robottom (1987) et Robottom et Hart (1993), soulignent l’ancrage de l’ERE dans un enseignement des sciences qui coïnciderait avec la mise en place d’une ERE plus acceptable pour l’ordre social établi et ce principalement par la mise en place d’approches pédagogiques dans lesquelles l’environnement est envisagé essentiellement en tant que

« substrat naturel » » (Bader, 1998-1999).

Nous cherchons donc à connaître, toujours dans un but de clarification de l’offre muséale, la place et la forme que va prendre cette approche critique au sein de la médiation muséale.

Cependant, et comme nous l’avons vu, l’ERE repose sur la complémentarité et l’intégration de différentes approches et l’approche critique n’est bien sûr pas la seule voie à exploiter. De

18 Il existe de nombreux autres auteurs majeurs qui ont abordé cette notion de complexité : von Bertalanffy L, 1972, Théorie générale des systèmes, Paris, Editions Dunod ; Durand D., 1990, La systémique, Paris, Collection

plus, il est évident que les musées peuvent offrir d’autres rapports à l’environnement que ce rapport critique. C’est même, comme nous le verrons dans la première recherche, une dimension pertinente du partenariat école-musée que d’offrir différentes approches et différents types d’apprentissage selon les types de musées. Ainsi, si nous privilégions cette approche critique, nous reconnaissons toute la pertinence et la nécessité des autres approches.

De plus, reconnaissons que l’approche critique rencontre certaines limites. Par exemple, elle peut tendre à « inhiber l’agir à cause justement de la complexité des thèmes traités, et des compétences environnementales et épistémiques (Kitchener, 1983) nécessaires chez les citoyens pour évaluer les enjeux » (Guilbert, Gauthier, 1998-1999). Theys (1993) suppose même qu’une telle orientation procède à un questionnement trop frontal de nos modes de développement et notamment des problèmes de redistribution sociale. Par ailleurs, l’approche critique n’inclut pas certaines dimensions de nos rapports à l’environnement qui sont pourtant essentielles : la dimension affective, intuitive, symbolique, expérientielle etc.

Que sais-je ?, PUF. Nous avons retenu à titre d’illustration des auteurs qui abordaient cette notion en rapport avec les notions d’environnement et d’écologie.