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Analyse des discours des représentants de différentes institutions muséales françaises

3. Interprétation générale des résultats

3.2. Les approches éducatives privilégiées

D’une manière générale, et comme le montre la figure n°6 suivante, l’approche interprétative est privilégiée. Dans un sens, ce résultat est normal car selon nous, l’approche interprétative caractérise la médiation muséale. En effet, la médiation muséale repose sur l’interaction entre le visiteur et l’objet mis en scène, le visiteur interprétant de lui-même (selon ses connaissances préalables, selon ses représentations sociales, selon son contexte de visite) le discours véhiculé. Rappelons tout de même que le visiteur est capable d’interpréter lui-même une exposition à condition qu’il possède certains pré-requis cognitifs, mais aussi et surtout les habilités et les codes de lecture nécessaires (Cohen, 2001).

Figure 5. Les courants éducatifs privilégiés par les représentants de musées.

Par l’observation (Musées d’histoire naturelle), par la manipulation et l’interactivité avec des objets (CCSTI), par la lecture de paysage (CPIE, parcs naturels régionaux), par l’immersion sensorielle dans un milieu (parcs nationaux) etc., le visiteur développe ainsi un rapport étroit avec ce qu’il interprète, il peut éprouver de l’intérêt, de la curiosité, une prise de conscience, une sensibilisation à propos de la thématique exposée. Cette approche des réalités environnementales s’inscrit dans le domaine de l’éthique puisqu’elle favorise certaines valeurs. Ces résultats montrent ainsi que les musées, en favorisant une approche interprétative et l’émergence de valeurs, développent un rapport éthique à l’environnement. Dans cette perspective, la muséologie de l’environnement renouvelle les pratiques classiques de l’ERE, qui associées surtout à l’acquisition de connaissances au sujet de l’environnement, ont peu intégré le développement de compétences éthiques et critiques (Sauvé, 2000). Le partenariat avec des musées pour une ERE permet donc d’envisager cette relation éthique à l’environnement. Malheureusement, comme nous l’avons vu, il ne favorise que très peu les compétences critiques.

Par ailleurs, notons que, de par son nom et ses objectifs, l’approche interprétative s’apparente à l’activité d’interprétation, telle que définie par Tilden (1957) : « activité éducative qui cherche à révéler les significations des choses et leurs relations (entre elles et à nous), en ayant recours à des objets originaux, à une expérience personnelle directe et à des médias illustratifs, plutôt qu’en communiquant simplement des informations factuelles ». En effet, dans ces deux démarches éducatives (l’approche interprétative des réalités environnementales et l’interprétation), c’est l’expérience personnelle du contact direct avec des choses de l’environnement et la recherche de sens à propos de ces objets qui sont au centre de la médiation.

courant interprétatif courant positiviste courant de la critique sociale

Les représentants de musées évoquent ensuite, en moindre proportion, des objectifs positivistes. L’expert scientifique (interne ou externe à l’institution muséale selon les cas) élabore un savoir qui est transmis aux visiteurs. A partir de ces connaissances, il peut être suggéré aux visiteurs de changer leurs comportements, notamment en ce qui concerne leur consommation d’eau et le tri des déchets.

Le courant de la critique sociale est très faiblement représenté, mis à part dans les écomusées.

Et même dans ces institutions, il s’agit surtout de montrer aux visiteurs les débats, les enjeux, pour le faire réfléchir aux choix de société que sont les questions environnementales. Mais aucun représentant de musée n’évoque l’objectif d’amener le visiteur à s’engager dans de réelles investigations critiques et encore moins dans le changement des réalités environnementales et sociales. Est-ce le rôle des musées ? En ont-ils les moyens ? Les recherches suivantes tenteront de répondre à ces questions.

Néanmoins, nous remarquons que si le courant de la critique sociale est relativement négligé, les contextes socio-culturels et politiques des réalités environnementales sont le plus souvent pris en compte par les représentants de musées. Une faible proportion de représentants privilégie une approche strictement scientifique (figure n°7), situation que l’on retrouve particulièrement dans les musées d’histoire naturelle.

Figure n°6. Répartition des approches privilégiées

En favorisant uniquement les approches interprétative et positiviste, les représentants semblent privilégier une ERE où le rapport étroit (affectif, symbolique, cognitif) avec l’environnement,

approche scientifique exclusive

approche contextualisée

la connaissance de quelques concepts scientifiques et l’adoption de comportements suffirait.

Par exemple, pour le thème de l’eau, il s’agit de prendre conscience de l’eau et de son importance, de connaître quelques notions sur le cycle de l’eau et de faire attention à sa consommation d’eau. Eventuellement, certaines données sociales et politiques viennent prolonger le discours : les législations en place sont évoquées, la gestion publique de l’eau est abordée. Mais en absence du courant de la critique sociale, à aucun moment la gestion de l’eau ne se pose comme un choix de société. A aucun moment les choix ne sont exposés : par exemple, et de manière très caricaturale, le choix entre de la viande bon marché grâce à l’élevage intensif ou une eau moins polluée en nitrates n’est pas posé. A aucun moment, le musée ne donne aux visiteurs la capacité d’analyser les enjeux et les conflits sous-jacents afin de s’engager dans la volonté de changer certaines réalités sociales liés au problème de l’eau.

Nous pensons donc que l’absence de questionnement critique et social conduit à une ERE parcellaire et limitée. Elle peut également construire des sentiments et des attitudes défavorables à l’engagement dans la préservation de l’environnement. En effet, sans cette approche critique, sociale, collective, la résolution des problèmes semble se placer au niveau uniquement individuel. N’est ce pas là une source à la fois de sentiment d’impuissance (ce n’est pas un comportement individuel qui changera tout) mais aussi de culpabilité ?