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Analyse des discours des représentants de différentes institutions muséales françaises

2. Analyse des discours par type d’institutions muséales

2.1. Les Musées d’histoire naturelle

Tableau n°6. Grille d’analyse des discours des représentants de musées d’histoire naturelle

Catégories d’analyse Passages significatifs Fréquence des réponses

MHN 2 : protection des rapaces, (…) découverte de la faune d’une mare

MHN 11 : la réalité du fonctionnement de la nature, des écosystèmes

MHN 9 : les mécanismes de la nature et les relations continues entre les mécanismes naturels et les activités humaines

MHN 1 : la présentation de milieux, les relations sol-végétation, pour montrer l’interdépendance de tous les éléments du milieu MHN 8 : les milieux humides d’eau douce

MHN10 : nous abordons la richesse des milieux, la diversité des êtres vivants, les difficultés qu’ils rencontrent suite aux actions humaines

4/10

Anthropocentrisme Problèmes, ressources milieu de vie

MHN 6 : les problèmes de la ville en ce qui concerne la gestion de l’eau, des déchets, des espaces verts.

MHN 7 : les déchets.

Interprétatif MHN 6 : sensibiliser (…), faire prendre conscience (…), faire découvrir (…), former les enfants à comprendre où ils vivent.

MHN 11 : faire prendre conscience de la fragilité du vivant

MHN 9 : que le public prenne conscience que l’environnement concerne tous les individus de la terre et que nous ne sommes pas seuls dans notre petit lopin de terre.

MHN 5 : prendre conscience de la pollution des eaux souterraines MHN 3 : prise de conscience des problèmes

MHN 12 : leur faire découvrir leur région et sa faune MHN 2, MHN 4, MHN 10 : sensibiliser, faire connaître

5,5/10

Positiviste MHN 7 : passer à des actes effectifs qui passent par des informations claires et scientifiques.

MHN 11 : les experts ont une approche moins subjective et sont à même de proposer des solutions plus efficaces et moins émotionnelles

MHN 5 : éduquer le citoyen à travers sa consommation quotidienne d’eau

MHN 3 : les experts doivent apporter l’information MHN 8 : donner la connaissance

MHN 12 : diffusion de connaissances

MHN 10 : les experts assurent la gestion de l’environnement et les citoyens doivent être informés le plus souvent possible

4,5/10

Critique sociale 0/10

D’après les réponses, les thèmes abordés se répartissent entre le biocentrisme, l’écocentrisme et l’anthropocentrisme.

Trois représentants (sur 12) de musées d’histoire naturelle (MHN 3, 12, 2) estiment que leurs activités sont environnementales car elles abordent certains éléments vivants de la nature (MHN 3 : faune et flore locale), déterminant ainsi une représentation biocentrique de l’environnement. Cette représentation biocentrique s’explique par l’histoire même des musées d’histoire naturelle et correspond à une certaine forme de muséologie traditionnelle et ancienne, qui repose principalement sur la présentation, en général selon la taxonomie, de spécimens naturalisés. En effet, les musées d’histoire naturelle, à l’origine cabinets de curiosité, étaient voués à rassembler des éléments « remarquables » des trois règnes (végétal, animal et minéral). C’est même la tradition de considérer les cabinets de curiosité puis les musées d’histoire naturelle comme « une mémoire de la nature » (Maigret, 1995), jouant « un rôle primordial de mémorisation d’objets naturels » (Van Praët, 1993).

Cinq représentants de musées d’histoire naturelle (MHN 11, 9, 1, 8, 10) annoncent que leurs expositions et animations abordent la notion de milieux, d’interrelations entre les composants des milieux mais aussi d’interrelations avec les activités humaines :

MHN 9 : les mécanismes de la nature et les relations continues entre les mécanismes naturels et les activités humaines.

Le discours est ici écocentrique et il correspond à une évolution des musées d’histoire naturelle. D’abord centrés sur des spécimens, les musées d’histoire naturelle ont grâce aux dioramas intégré le concept de milieu, et ce sous l’impulsion de l’émergence de la discipline scientifique appelée écologie : en effet, « élément du développement des idées synthétiques en sciences naturelles, l’écologie s’affirme comme démarche scientifique et impose une nouvelle thématique muséologique à partir des années trente » (Van Praët, 1989). C’est donc avec les dioramas27 que les musées d’histoire naturelle commencent à représenter les interactions naturelles entre les végétaux, les animaux, et parfois le climat d’un milieu donné. Le spécimen n’est plus présenté seul mais au sein d’une reconstitution tridimensionnelle d’un environnement naturel. A l’origine, les dioramas présentaient « des espèces animales dans un cadre réaliste correspondant à leur habitat naturel et comprenant des objets en trois dimensions (rochers, arbres, etc.) ainsi qu’une fresque peinte servant d’arrière-plan à

27 Lire à ce sujet le numéro spécial de Publics et Musées, 1996, n°9, Presses Universitaires de Lyon.

l’élément exposé. Aujourd’hui, le terme « diorama » est utilisé dans un sens beaucoup plus large, et désigne un élément d’exposition comportant des objets tridimensionnels présentés dans un cadre réaliste avec ou sans fresque représentant un paysage à l’arrière-plan » (Bitgood, 1996).

En terme d’ERE, et d’un point de vue positif, le diorama invite les visiteurs à appréhender la notion de milieu, d’écosystème : « le caractère didactique, esthétique et souvent spectaculaire des dioramas permet au public d’apprécier les relations de la faune et de la flore d’un milieu et prend valeur de témoignage historique et éthique par rapport à des milieux fragiles ou en péril écologique » (Van Praët, 1989a). Mais, Van Praët voit aussi dans les dioramas une première forme d’éloignement du visiteur de la démarche scientifique : « la présentation ne permet plus aux publics de saisir, sur des objets « authentiques », les mêmes observations que le chercheur et de potentiellement développer la même démarche scientifique, mais vise à lui donner sous une forme attractive les conclusions (écologiques, éthiques...) du concepteur de l’exposition, d ‘où une rupture entre le processus de la recherche et l’exposition » (Van Praët, 1989a). Cette rupture semble privilégier une approche positiviste de la science. Qu’en est-il réellement ? L’analyse, présentée plus loin, des objectifs éducatifs privilégiés par les représentants de musées permettra de répondre à cette question.

Il est également intéressant de noter l’attirance du public pour cette nature reconstituée, alors que paradoxalement, les publics sont généralement en quête d’authenticité : « les dioramas exercent une fascination sur le public en raison de leur caractère illusionniste, confirmant ainsi les propos d’Umberto Eco, selon qui les techniques d’exposition s’efforçant de reproduire la nature offrent l’exemple intrigant du plaisir inné que l’homme éprouve face à l’imitation » (Bitgood, 1996). Cela renvoie à la question majeure de savoir si on peut reconstituer la nature dans un musée. Pour l’équipe de conception de l’acte I de la Grande Galerie de l’Evolution (Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris), la réponse a été de se démarquer des dioramas en ne représentant pas la nature (ne pas faire illusion) mais par contre en la suggérant avec des indices (faire allusion), à l’aide de jeux de lumières ou de couleurs.

Par exemple, une lumière bleue plus ou moins sombre suggère le milieu marin et ses différentes profondeurs, le vert suggère la forêt etc. Le problème qui se pose est alors le suivant : les visiteurs décodent-ils ces symboles ? Il apparaît à travers les différentes évaluations que peu de visiteurs comprennent cette allusion à la nature (Peignoux et al., 1995).

D’après les réponses aux questionnaires, et au-delà des milieux naturels, ce sont aussi les interactions avec les activités humaines qui sont au cœur des thématiques écocentriques. Cette vision correspond encore une fois à une certaine évolution de l’écologie scientifique, qui prend en compte non seulement la notion de milieu mais aussi celle de relation avec les sociétés humaines. En effet, « science des systèmes, s’intéressant aux espèces, aux populations, aux communautés, l’écologie est contrainte désormais, pour comprendre les structures et leur fonctionnement, de se référer en permanence à l’homme et à l’histoire des sociétés » (Lefeuvre, 1989, cité par Ost, 1997). L’impact des sociétés humaines est donc de plus en plus abordé dans les musées d’histoire naturelle. Par exemple, la troisième partie de la Grande Galerie de l’Evolution (Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris) est consacrée à

« L’homme, facteur d’évolution ». Anciennement Galerie de zoologie ne présentant que des spécimens animaux dans une orientation biocentrique, la Galerie actuelle fait une place dans l’acte III aux relations entre les milieux naturels et les activités humaines, dans une orientation écocentrique.

Enfin, un troisième groupe de représentants de musées privilégient la représentation anthropocentrique en annonçant les problèmes de l’eau, des déchets, des climats (MHN 6, 7, 5, 3, 8). Certains représentants précisent que le musée offre aux visiteurs des expositions permanentes qui abordent la faune, la flore et les milieux naturels (orientation biocentrique et orientation écocentrique), et qu’en plus, au travers d’expositions temporaires ou d’activités, ils abordent ces thématiques anthropocentriques. Par ailleurs, il est intéressant de noter que certains musées (tels que MHN 7) ont des collections naturalisées classiques mais que c’est l’exposition temporaire anthropocentrique qu’ils décrivent comme justifiant une approche environnementale. L’approche biocentrique de l’environnement est ainsi niée par certains représentants.

Cette représentation anthropocentrique correspond encore une fois à l’évolution de l’écologie comme science, qui à partir des années 1960/1970, a du prendre en compte les préoccupations des individus et des sociétés. Aujourd’hui, les problèmes de pollution de l’eau potable, des changements climatiques, des déchets « font l’objet de multiples débats politiques et les spécialistes de l’écologie scientifique sont nécessairement amenés à se situer par rapport à cette nouvelle forme de la demande sociale » (Drouin, 1993).

Ces trois manières d’aborder l’environnement qui sont mises en évidence par notre analyse reflètent donc l’évolution de la muséologie dans les musées d’histoire naturelle, liée à l’évolution des sciences de la nature, d’une approche systématique à une approche écologique.

Tableau 7. Les évolutions parallèles de la muséologie de l’environnement et des sciences de la nature (Fortin-Debart)

Ecocentrisme Dioramas, évocation des interactions homme-nature

Ecologie scientifique Fin du XIXème siècle, début du

D’après ce que nous venons de voir, la muséologie de l’environnement dans les musées de sciences est donc fortement liée à l’évolution des sciences de la nature. Dans cette perspective, elle semble être associée à une approche scientifique de l’environnement, ce que confirment les résultats de notre enquête.

En effet, un premier groupe de représentants privilégient une approche strictement scientifique :

MHN 5 : étant donné que notre musée est municipal, donc public, la politique et le social ne doivent pas transparaître à travers nos expositions et nos animations. De plus, nos interventions sont davantage tournées vers l’approche scientifique.

MHN 8 : approche scientifique exclusivement. Le conservateur a un rôle scientifique, pas politique ni social.

MHN 10 : nous avons une approche scientifique et c’est notre force. L’approche politique peut être imposée par notre collectivité. Si personnellement nous sommes « militants », nous le faisons dans des associations de protection de la nature. Le muséum se positionne rarement ce qui donne plus d’effets à ce moment-là.

MHN 12 : nous nous contentons d’une approche scientifique car le musée émane de la Société d’Histoire Naturelle (et d’Ethnographie) qui fondée en 1859, est avant tout une société savante, menée par des bénévoles.

Pour un deuxième groupe, l’approche scientifique est une base qui peut être complétée éventuellement par des prolongements sociaux, économiques, politiques :

MHN 1 : la première approche doit être une approche scientifique, garant de la neutralité. Il est évident que les prolongements sociaux et politiques sont incontournables.

MHN 11 : à partir de données scientifiques (objectives), des compromis avec les nécessités sociales peuvent être envisagées et donc toucher au monde politique.

MHN 3 : exposition qui développe un thème général sur l’environnement (exemple :

« Préservons les climats ») sur des notions plus abstraites mais avec des documents officiels récents (lois, décrets…) et analyses scientifiques actualisées. Le muséum doit développer largement l’approche scientifique, il doit également montrer l’aspect législatif contemporain.

Il doit s’efforcer de proposer, suggérer des solutions avec les conséquences sociales et économiques.

MHN 9 : l’approche scientifique est fondamentale. L’introduction de la politique et du social est toujours possible mais elle doit l’être avec beaucoup d’intelligence dans ce propos.

Il est intéressant de souligner dans les propos des représentants du MHN 1 et MHN 11 les termes employés pour caractériser l’approche scientifique : neutralité et données objectives.

Pourtant, une approche historique et épistémologique de la science montre à quel point la science n’est ni neutre, ni objective, d’autant plus dans le domaine des questions environnementales où la science se confronte à des enjeux sociaux, politiques, économiques...

Cette représentation renforce l’idée d’une science neutre et objective, garante de progrès et de solutions.

Enfin, un troisième groupe (largement minoritaire, 2 cas sur 12) estime que l’approche doit être globale et contextualisée. Mais le représentant suivant souligne la difficulté de présenter cette approche dans une exposition et estime que les activités culturelles sont plus aptes à la développer :

MHN 7 : tous les aspects doivent être abordés car ils sont présents dans ces sujets de société.

Ils sont pourtant plus difficiles à muséographier et à déterminer. Les relais vers les institutions et les associations (conférences, visites de sites, chantiers etc.) permettent d’aller plus loin sur ces thèmes.

Nous préciserons ce clivage entre les possibilités de l’exposition et des activités culturelles dans la deuxième recherche présentée dans la partie suivante. Finalement, il apparaît qu’une très large majorité (10 sur 12) privilégie l’approche scientifique.

Cette perspective ne va pas sans poser de problèmes. Comment en effet aborder des thématiques aussi complexe que l’eau sans envisager les enjeux sociaux, économiques, politiques qui y sont liés. Par exemple, le représentant du MHN 5 annonce que l’exposition

aborde le thème complexe de l’eau et notamment les problèmes liés à cette ressource précieuse. Or ce représentant déclare : « étant donné que notre musée est municipal, donc public, la politique et le social ne doivent pas transparaître à travers nos expositions et nos animations ». Le problème de l’eau est abordé de manière scientifique et les aspects sociaux de la pollution de l’eau, comme par exemple les pollutions liées aux activités industrielles et agricoles, ne sont pas abordés. Pourtant, ce thème soulève des enjeux bien entendu scientifiques et techniques, mais aussi des enjeux socio-économiques apparemment occultés.

Les objectifs annoncés par le représentant de ce musée confirment cette approche technicienne et scientifique. Il estime en effet que c’est à grâce à la responsabilité individuelle et aux moyens techniques et scientifiques que le problème de la pollution de l’eau sera résolu :

« éduquer le citoyen à travers sa consommation d’eau quotidienne, mise en place de moyens pour épurer l’eau et lutter contre la pollution (station d’épuration, action des hommes) ».

Cette orientation illustre parfaitement l’absence de tout objectif lié au courant de la critique sociale. En effet, les représentants des musées d’histoire naturelle privilégient les approches interprétatives et positivistes mais négligent le courant de la critique sociale. Dans l’approche interprétative (5,5 objectifs sur 10), il s’agit de favoriser un rapport étroit avec l’environnement (sensibiliser, faire prendre conscience, faire découvrir) à travers le contact avec les collections. Dans à peu près la même proportion (4,5 sur 10) sont présents les objectifs de l’approche positiviste : il s’agit d’une transmission d’informations scientifiques qui orientent et /ou dictent les comportements à adopter. Notons que les comportements spécifiés dans les réponses concernent des comportements simples, envisagés à une échelle individuelle : consommation d’eau, tri des déchets.

Pourtant, bien qu’ils soient incomplets pour prétendre à une approche de critique sociale, les propos suivants constituent une ébauche de réflexion sur cette approche. Ainsi, les représentants suivants évoquent le rôle social des musées, la recherche d’esprit critique, un dialogue entre l’expert et le citoyen :

MHN 4 : le musée participe à l’éclairage qui façonne le sentiment des citoyens. Le musée d’histoire naturelle doit jouer un rôle de ferment social pour la maturation des idées. En synergie avec d’autres naturellement et avec beaucoup de prudence.

MHN 8 : donner la connaissance et un esprit critique pour atteindre une liberté. Connaître pour décider librement en citoyen.

MHN 9 : il doit s’établir un dialogue permanent entre le citoyen et l’expert.

Les musées d’histoire naturelle créent donc un lien social entre la société et les experts scientifiques, même si ce lien apparaît le plus souvent en sens unique : la discussion est rarement possible et les citoyens ne sont là que pour appliquer les directives issues des scientifiques. Dans ce sens, son rôle principal est l’apport de connaissances et d’informations.

Ils mettent cependant à disposition des visiteurs des données scientifiques qui constituent autant d’arguments pour prendre position sur une question environnementale. Pourtant, nous estimons qu’une exposition scientifique, si réussie soit elle, peut difficilement permettre le développement d’une opinion raisonnée sur les applications sociales de la science si justement le contexte social n’est pas abordé. Parler des relations cybernétiques au sein d’une forêt n’est pas suffisant pour qu’une personne se fasse une opinion sur la chasse : les différents usages sociaux de la forêt sont pour le moins indispensables à aborder dans ce cas.

Ainsi, aborder dans un musée d’histoire naturelle la nature et les problématiques environnementales qui y sont liées, notamment à travers une approche scientifique, n’est pas sans poser de problèmes quant aux images que l’on construit auprès du public, problèmes renforcés par l’absence d’un réel questionnement critique que pourrait susciter l’intégration du courant de la critique sociale.

L’analyse suivante des discours des représentants des parcs naturels régionaux va mettre en évidence une autre approche spécifique des réalités environnementales.