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Analyse des discours des représentants de différentes institutions muséales françaises

2. Analyse des discours par type d’institutions muséales

2.4. Les parcs nationaux

Tableau n°10. Grille d’analyse des discours des représentants des Parcs nationaux

Catégories d’analyse Passages significatifs Fréquence des

PN 1 : les notions de biodiversité, d’interdépendances PN 4 : le paysage insulaire résulte de la double dynamique de l’histoire naturelle et de l’histoire humaine

PN 2 : le milieu naturel, sa richesse et son fonctionnement 7,5/10

Anthropocentrisme Problèmes, ressources milieu de vie

PN 3 : le territoire du parc, (…) le patrimoine culturel et naturel

2,5/10

Sociocentrisme Systèmes sociaux

0/10

Courant éducatif privilégié Interprétatif PN 4 : attirer l’attention des visiteurs

PN 2 : susciter l’intérêt du public, ouvrir les yeux, susciter la curiosité, développer l’envie de voir et de comprendre (…) à travers une expérience sensible au sein de la nature

PN 1 : sensibiliser

7,5/10

Positiviste PN 1 : conduire à adopter un comportement civique

et responsable 2,5/10

Critique sociale

Une partie des discours des représentants (3/4) des parcs nationaux s’articule essentiellement autour de la notion de milieux naturels dans une perspective écocentrique :

PN 2 : à travers ses expositions, le parc cherche à susciter l’intérêt du public pour le milieu naturel, sa richesse, son fonctionnement... Son action éducative est donc naturellement environnementale.

Parmi eux, deux représentants intègrent l’interaction du milieu avec les activités humaines : PN 4 : le paysage insulaire résulte de double dynamique de l’histoire naturelle et de l’histoire humaine.

PN 1 : les notions de biodiversité, d’interdépendances … qui intègrent la dimension humaine.

L’écocentrisme est donc largement privilégié puisqu’il apparaît dans trois questionnaires sur quatre. Un représentant privilégie une orientation anthropocentrique où l’environnement, c’est celui de l’homme, c’est son territoire, avec ses composantes naturelles et culturelles :

PN 3 : ces expositions ont pour but de faire découvrir le patrimoine naturel et culturel du parc.

Pour deux représentants sur 4, l’approche est contextualisée, locale, elle invite les acteurs du parc dans une démarche de préservation et de valorisation :

PN 3 : l’institution parc ne doit pas se contenter d’une approche scientifique mais doit par des actions politiques et sociales répondre en priorité aux besoins des habitants et du grand public. Des plans d’aménagement, des schémas d’interprétation, des plans de gestion sont en cours et doivent déboucher sur des actions concrètes (par exemple, développement de produits labels, aide à l’agriculture et au tourisme, éducation et accueil du public).

Au niveau des objectifs, la protection est essentielle :

PN3 : mieux faire connaître le parc, ses missions, ses actions auprès des communes et des habitants avec pour priorité l’objectif de protection et de gestion environnementale.

PN2 : le message du parc est la protection de la biodiversité...

PN4 : la nature est un bien public, il serait d’autant mieux protégé et respecté qu’il serait mieux connu dans sa fragilité.

Cette protection repose essentiellement sur des objectifs interprétatifs (on a envie de protéger ce qu’on aime et ce qu’on connaît) :

PN 2 : susciter l’intérêt du public, ouvrir les yeux, susciter la curiosité, développer l’envie de voir et de comprendre (…) à travers une expérience sensible au sein de la nature.

Dans ce contexte, les objectifs spécifiques au courant de la critique sociale sont complètement occultés (0/10). Il est évident que ce n’est pas le rôle premier des parcs nationaux que d’inviter le visiteur dans une démarche de critique sociale. Et pourtant, la mission des parcs de protection de milieux naturels est bien au centre de nombreux conflits de représentations de la nature. Rappelons en effet que la création de zones de non-intervention humaine totale sous l’impulsion de la Conférence internationale de protection de la nature organisée à Londres en 1933 (Perroux, 1997), correspond à « une certaine écologie, sous-tendue par une idéologie de

la nature vraie, vierge, mais violée par l’homme dénaturant. Pour nombre d’écologues, il fallait aller étudier la nature loin des hommes, pour en saisir les fonctionnements intrinsèques, hors de toute perturbation » (Blandin, Bergandi, 1997).

La protection des milieux naturels renvoie donc à la représentation d’une nature vierge et entretien par là une certaine bonne conscience : nous polluons mais quand même nous préservons des morceaux de nature intactes. En effet, « en acceptant les réserves, nos « acquis sociaux » gagnés de haute lutte, nous n’avons pas vu que nous acceptions en même temps le principe qui les sous-tend, à savoir la destruction de la nature partout ailleurs. (…) En effet, le temps investi à produire de l’espèce rare dans des îlots « surprotégés » est perdu pour le vrai combat, celui d’une meilleure gestion de la nature ordinaire. (…) Ces conservatoires, parce qu’ils donnent l’impression que s’effectue la protection de la biodiversité, donnent une bonne conscience qui déresponsabilise les citoyens et entreprises dans le quotidien » (Génot, 1998). De Rosnay (1991) estime lui aussi que la protection ne doit pas être un but en soi : « la protection de l’environnement m’a toujours gêné dans la mesure où l’on a l’impression qu’il s’agit de se fabriquer un petit paradis terrestre pour nous - toujours l’égocitoyen- avec des papillons, des baleines, des fleurs, tout cela entouré d’un grillage. C’est notre paradis à nous.

Non, la « protection » de l’environnement, je n’aime pas du tout. Je préfère l’investissement dans l’environnement ». Enfin, lorsqu’on parle de conservation, il s’agit en réalité plus « d’un jardinage écologique et d’une protection d’espèces phares et médiatiques in situ comme d’autres conservatoires protègent les plantes de manière ex-situ, et non d’une conservation de la nature au sens littéral du terme, c’est à dire des capacités naturelles d’évolution d’un milieu » (Génot, 1998).

Dans une autre perspective, le discours des parcs nationaux rencontre une autre contradiction.

Comme nous venons de le voir, ils favorisent l’idée de nature « vierge », comme représentation de l’environnement, mais ils invitent par ailleurs les visiteurs à venir vivre une expérience sensible au sein de cette nature. Comment alors concilier préservation et tourisme ? En fait, il est intéressant de souligner que tout en créant des zones centrales interdites à la plupart des activités humaines (industrielles, agricoles), les parcs invitent les visiteurs à découvrir une sorte de tourisme vert. Aménager ces zones protégées pour le tourisme et finalement faire de ces espaces naturels une vaste cours de récréation pour citadins en mal de nature, voilà une contradiction que dénonce le naturaliste Terrasson (1988).

Terrasson estime en effet que nous sommes plein de contradictions envers la nature : nous avons peur de la nature (Terrasson, 1988) alors nous souhaitons la dominer mais nous voulons en même temps qu’elle reste « sauvage ». Cette contradiction inconsciente, appelée double contrainte selon les termes de Bateson (1977), est selon Terrasson (1988) la vraie cause de la destruction de la nature et d’aberrations en matière de protection de la nature : « toute société, tout individu a tendance à définir la nature comme étant ce qui ne dépend pas de notre volonté ; la protection de la nature est une intervention volontaire pour préserver des milieux ; ce qui est reconnu comme nature par la sensibilité est de l’ordre du spontané, de la non-intervention ; la protection est interventionniste, tout le contraire du spontané. Donc la protection tue la nature, en ce sens qu’elle élimine l’ambiance de non-volontaire, essence du concept de nature. L’idée de base qui préside aux meilleurs intentions vis à vis de la nature dans nos sociétés est une fantastique double-contrainte : c’est littéralement une idée folle.

Avec de redoutables conséquences…. » (Terrasson, 1988).

Ainsi, Terrasson (1988) nous propose une autre image du concept de protection de la nature à travers les parcs ou les réserves, concept selon lui contraire à la réalité. « La demande de nature telle qu’elle est actuellement ressentie dans la plus grande partie des esprits est destinée à rester éternellement insatisfaite, car elle correspond à une réalité qui n’existe pas.

Elle conduit à engager des actions d’aménagement qui consistent à habiller la nature soi-disant désirée des signes qui la feront, on l’espère, ressembler à l’image mythique. D’où le faux-rural, le paysan comme autrefois, l’artisanat factice et le folklore frelaté. Les méthodes pédagogiques et d’information appliquées au tourisme jusqu’à maintenant ont toujours sous-estimé l’importance de ces composantes mythiques. Partant de l’idée qu’en mettant l’homme dans la nature, celle-ci le transformerait dans un sens bénéfique, elles n’ont pas encore assumé l’idée qu’au contraire, comme toujours, c’est l’homme urbain qui modifie la nature, pour tenter désespérément de la rendre semblable à une conception désincarnée et passablement névrotique. La vague d’urbains se précipitant sur de fausses pistes, qu’elles soient de ski ou de grande randonnée, diffuse ses modèles jusqu’au cœur des sociétés rurales dont l’idéal se situe, en sens contraire des arrivants, en milieu urbain. Ce transvasement des modèles aboutit à des réalisations fort curieuses, les parcs nationaux et réserves » (Terrasson, 1988).

Larrère C. (2000) dénonce également les conséquences du tourisme et surtout souligne que finalement ces contradictions prouvent l’inconcevabilité de considérer une nature vierge,

extérieure à l’homme : « la principale menace qui porte sur la conservation des espaces protégés, du type parcs naturels, est le nombre excessif de ceux qui les visitent. Le voyage en wilderness, là où il est possible est une véritable mode. Le plus souvent, on a rendu accessibles les parcs nationaux par des routes, des parkings, des sentiers balisés qui transforment l’accès à la wilderness en voyage organisé. On peut ironiser sur les effets pervers et auto-destructeurs de l’engouement pour le sauvage, qui conduit à sa disparition, ou à son artificialisation. On peut aussi y voir l’impossibilité de conserver l’idée, typiquement moderne, de la nature comme radicale extériorité par rapport à l’homme » (Larrère C., 2000). Dans le même ordre d’idées, exporter cette idée de wilderness dans les pays du Tiers-monde, en chassant les populations locales pour en faire de vastes espaces récréatifs pour les occidentaux d’Europe et d’Amérique du Nord, relève de l’impérialisme (Larrère C., 2000).

Le recours aux points de vue de ces auteurs n’a pas pour but de dévaloriser l’idée de protection de la nature et de tourisme dans les parcs nationaux. Nous souhaitons seulement illustrer les conflits sous-jacents à la protection de la nature et montrer ainsi l’intérêt d’un questionnement critique, questionnement complètement occulté dans les réponses du questionnaire. Tout en respectant les missions des parcs nationaux (inviter les visiteurs dans une démarche interprétative de respect des milieux et la préservation de ces milieux), nous pensons qu’il serait également intéressant d’inviter les visiteurs à se questionner sur la notion de protection, afin qu’ils s’interrogent plus largement sur leurs rapports à la nature, sur les choix d’aménagement de ces territoires spécifiques, sur la place de la nature dans les sociétés occidentales etc.

Quoiqu’il en soit, nous retiendrons de l’analyse des réponses que les parcs nationaux offrent aux visiteurs une expérience de découverte d’un territoire (approche interprétative), soit dans une perspective écocentrique (centrée sur les milieux naturels), soit anthropocentrique (centré sur le patrimoine naturel et culturel du parc). Il s’agit essentiellement pour les représentants des parcs nationaux de susciter un rapport étroit avec le territoire du parc et une sensibilisation à la préservation de ce territoire.