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Analyse des discours des représentants de différentes institutions muséales françaises

2. Analyse des discours par type d’institutions muséales

2.3. Les écomusées

Les discours des représentants des écomusées ressemblent en partie à ceux des parcs naturels régionaux. En effet, ces deux structures proposent une médiation ancrée sur un territoire. Mais alors que les parcs naturels régionaux envisagent cette médiation par le biais du patrimoine, les écomusées eux abordent le territoire par le biais des activités humaines et des sociétés qui l’habitent. Ainsi, sept représentants de musées (sur 12 écomusées) évoquent dans une perspective anthropocentrique l’occupation et l’usage du milieu par l’homme. Pour la plupart,

il s’agit de territoires ruraux, abordés par le biais de l’agriculture, dans une perspective historique et locale.

L’autre partie des représentants d’écomusées (5 sur 14) centrent davantage leurs discours sur les sociétés, leurs évolutions, leurs mutations et les conséquences sur les milieux de vie, privilégiant ainsi une représentation sociocentrique de l’environnement :

ECO 3 : nous avons actuellement une exposition intitulée « Des labours aux semailles » qui présente des outils et matériels collectés localement, qui couvrent la période de la fin du XVIIIème à 1950 et qui permettent de comprendre l’évolution des techniques agraires et la transformation de l’environnement qu’elles ont entraînées.

Que ce soit dans une orientation sociocentrique ou anthropocentrique, les contextes sociaux, politiques et économiques sont présents dans la plupart des discours (dans 7,1 discours sur 10 analysés) :

Eco 2 : notre propos étant axé sur les mutations d’une société spécifique, on ne peut donc pas se contenter d’une approche scientifique de l’environnement ; celui-ci faisant parti d’un système où tous les éléments sont étroitement liés (biologique, économique, social, culturel et politique). L’évolution du métayage influant durablement sur l’environnement politique de cette région.

Eco 6 : il n’y a pas à opposer rôle scientifique, politique ou social. Un musée a toujours une démarche scientifique. Grâce à cette démarche, le musée aborde des thèmes sociaux (nous sommes un musée de société) et a un rôle politique (au sens premier du terme) dans le sens où nous faisons passer des connaissances, abordons des problèmes de société, interrogeons notre territoire.

Eco 10 : la seule approche scientifique ne peut mettre en perspective les aspects sociaux, économiques et politiques. La « tour d’ivoire » scientifique ne se suffit plus.

Eco 1 : les trois axes d’action [politique, social, scientifique] sont complémentaires.

Tableau n°9. Grille d’analyse des discours des représentants d’écomusées

Catégories d’analyse Passages significatifs Fréquence des

ECO 11 : elles sont environnementales dans la mesure où elles abordent les problèmes actuels liés à l’action de l’homme sur son milieu (destruction du bocage, diminution de la qualité des eaux)

1/10

Anthropocentrisme Problèmes, ressources milieu de vie

ECO 4 : l’occupation et l’usage de l’espace par l’agriculture traditionnelle, l’usage de cueillette d’un milieu très particulier (la pêche professionnelle qui se pratiquait sur le Rhin et l’Ill, l’usage très technique de l’eau, l’exploitation et l’usage de la forêt, les rapports avec le monde animal au travers des animaux domestiques et commensaux (moche, hirondelle, cigogne)

ECO 6 : les animaux de la ferme, un potager pédagogique et biologique avec des légumes et des fruits poussant dans notre région. A première vue, ces animations sont des actes évidents et banals de la vie quotidienne (lait, légumes) mais de moins en moins de personnes, en particulier les enfants, savent vraiment comment le lait est produit ou comment on fait pousser une tomate !

ECO 7 : ils traitent tous les aspects de la vie sur un terroir (air, eau, habitat, cultures, vie sociale, forêt, faune, flore, la vie des habitants)

ECO 9 : nos animations abordent la vie à la ferme et la place du paysage dans le vie du fermier : il vit avec lui, le façonne, le respecte et doit éviter de le détériorer.

ECO 12 : elles prennent en compte l’environnement naturel, bâti et humain, elles intègrent l’environnement comme élément de compréhension de l’histoire rurale de la région.

ECO 13 : rapport entre l’homme et son milieu : cueillette, paysage, développement local, valorisation des productions, jardin botanique

5/10

Sociocentrisme Systèmes sociaux

ECO 3 : nous avons actuellement une exposition intitulée « des labours aux semailles » qui présente des outils et matériels collectés localement, qui couvrent la période de la fin du XVIIIè à 1950 et qui permettent de comprendre l’évolution des techniques agraires et la transformation de l’environnement qu’elles ont entraînées ECO 8 : nous considérons l’environnement au sens le plus large possible : il s’agit pour nous de présenter l’essentiel des activités humaines passées ou présentes dans les domaines sociaux, historiques, géographiques, politiques…

ECO 14 : présenter l’histoire et la vie des habitants dans leur milieu urbain. Il s’agit de redonner ou de donner un passé à des habitants d’une commune de banlieue qui sont tous déracinés. De ce point de vue, nous avons une action environnementale.

(…) Les relations sociales dans la ville.

ECO 1 : la simplification des tâches domestiques et ses effets sur les comportements humains, les effets de la modernisation sur le milieu naturel

ECO 2 : notre propos est axé sur les mutations d’une société spécifique, celle-ci faisant partie d’un système où tous les éléments sont étroitement liés : l’évolution du métayage influe durablement sur l’environnement politique de cette région. (…) Métamorphose d’un système économique et de ses acteurs à partir de l’évolution d’un milieu naturel (lande, forêt)

4/10

Courant éducatif privilégié

Interprétatif ECO 8 : sensibilisation à des problèmes contemporains

ECO 14 : appropriation de l’histoire locale, donner à comprendre notre monde aux élèves des écoles, aux habitants de la ville

ECO 4 : nous voulons avant tout mettre l’accent sur le rapport direct aux choses, (…) Le participatif est une donnée essentielle de la mise en visite que nous proposons : les visiteurs sont amenés à rentrer dans l’action, dans le geste, le temps d’un instant, le temps de semer à la volée, avec le paysan en travail aux champs ce jour là. (…) Approche émotionnelle, sensitive de terrain.

ECO 11, ECO 5 : prise de conscience

ECO 6 : la connaissance par le sensible (vue, odeur, ouïe, toucher, goût) et la prise de conscience qu’il y derrière les produits (lait, légumes) des lieux, des animaux, des gestes, des savoir-faire…

ECO 7, ECO 10 : sensibiliser le public

ECO 12 : faire connaître, apprécier et aimer, favoriser le respect ECO 13 : délectation, plaisir, émotion, découverte

ECO 2 : susciter l’intérêt et la curiosité de l’enfant face à son environnement proche

6/10

Positiviste ECO 5 : une meilleure connaissance de l’environnement et de ses composantes et l’acquisition de comportements différents

ECO 1 : les stratégies issues des experts et des élus sont ensuite enseignées, médiatisées, vulgarisées de façon à être supportées en relais par le citoyen.

ECO 2 : transmettre des connaissances, des experts aux citoyens

1,5/10

Critique sociale ECO 8 : invitation à une participation active, les experts et les citoyens devant échanger informations et interrogations

ECO 4 : une société créative de responsabilité et d’engagement. Nous privilégions l’approche d’un débat de société dans lequel nous apportons des pites, des clés pour un débat et non des solutions toutes faites et imposées. Nous posons l’exemple du vécu de nos parents et grands-parents, pour fournir de quoi rebondir d’aujourd’hui à demain.

ECO 12 : nous devons présenter les différents besoins, les différentes aspirations des hommes, ainsi que les usages contradictoires de l’environnement et montrer les résultats. A chacun de juger. Provoquer la réflexion.

ECO 10 : les musées sont des médias à part entière qui, dans leurs raisonnements scientifiques, doivent pouvoir alimenter les débats de société : quelles conséquences de telles atteintes, quelles réponses sociales et politiques. Un des objectifs principaux est le questionnement. L’eau est un enjeu de société, la seule approche scientifique ne peut mettre en perspective les aspects sociaux, économiques et politiques

ECO 11 : participer à la réflexion, sensibiliser aux enjeux, susciter des réactions et des appuis

2,5/10

Comme pour les parcs naturels régionaux, les objectifs interprétatifs sont majoritaires (6 sur 10), il s’agit de faire connaître et faire découvrir pour favoriser l’appropriation du territoire : Eco 2 : permettre à l’enfant d’identifier un paysage et d’en connaître son histoire.

Transmettre des connaissances qui susciteront l’intérêt et la curiosité de l’enfant face à son environnement proche.

Les objectifs positivistes sont ici relativement en faible nombre (1,5/10) et concernent la transmission de connaissances des experts aux citoyens. Seul un représentant évoque l’objectif

de changer de comportements. Enfin, comme nous le verrons par la suite avec les résultats des autres institutions muséales, les écomusées sont les seules institutions muséales à offrir autant d’objectifs critiques.

Pour la plupart, il s’agit de montrer les différents enjeux et de provoquer la réflexion :

Eco 12 : nous devons présenter les différents besoins, les différentes aspirations des hommes, ainsi que les usages contradictoires de l’environnement et montrer les résultats. A chacun de juger.

Eco 11 : participer à la réflexion, sensibiliser aux enjeux, susciter des réactions et des appuis.

Dans cette perspective, l’écomusée participe aux débats de société :

Eco 4 : nous privilégions l’approche d’un débat de société dans lequel nous apportons des pistes, des clés pour un débat et non des solutions toutes faites et imposées.

Eco 10 : les musées sont des médias à part entière qui, dans leurs raisonnements scientifiques, doivent pouvoir alimenter les débats de société. (…) Un musée, médiateur des savoirs, doit dépasser les approches scientifiques pour éclairer les débats. La synthèse est nécessaire pour que les citoyens enrichissent leurs opinions.

Sans parler de réel engagement dans des investigations critiques, il apparaît ici que le citoyen et l’expert ont une relation qui n’est plus celle linéaire et verticale (de l’expert vers le citoyen) qui caractérise l’approche positiviste :

Eco 13 : l’une des caractéristiques d’un écomusée, c’est justement la confrontation des deux expériences [celles du citoyen et des experts], des deux volontés. Nous essayons de travailler en ce sens.

Eco 8 : aux deux, les uns et les autres devant échanger informations et interrogations.

Le musée n’est plus ici pour apporter des solutions (comme dans l’approche positiviste) mais il invite le visiteur à réfléchir et à se questionner. Il se positionne ainsi dans une première démarche du courant de la critique sociale qui est l’analyse critique des réalités environnementales (et notamment des enjeux et conflits sous-jacents). Par contre, d’après les réponses aux questionnaires, les écomusées ne permettent aux visiteurs de s’engager dans le changement de certaines réalités environnementales qui concernent le territoire de l’écomusée et de ses visiteurs.

Par ailleurs, la réflexion et le questionnement semblent souvent reposer sur un retour vers le passé :

ECO 4 : nous proposons l’exemple du vécu de nos parents et grands-parents, pour fournir de quoi rebondir d’aujourd’hui à demain.

Si une perspective historique est toujours intéressante pour comprendre une société et son implantation dans un territoire, il reste que ces retours vers le passé en proposent parfois une image idyllique, empreinte d’une certaine nostalgie. On peut penser alors que le visiteur risque de s’engouffrer dans cette nostalgie simpliste et dans une opposition au progrès, accusé de tous les maux : « la visite au musée se mue alors en pèlerinage vers un passé sacralisé qui, entr’aperçu dans les vitrines d’exposition, donnerait un peu de sa force sacrée pour résister aux dangers du présent » (Pierron, 1997). La mise en perspective critique est donc ici indispensable.

D’après cette étude, l’écomusée centre donc son discours sur une communauté et son territoire : soit dans une perspective anthropocentrique, il aborde de manière générale l’exploitation du milieu par les hommes du territoire (agriculture), soit dans une perspective plus sociocentrique, il aborde l’ensemble des habitants du territoire, leurs activités, leurs rapports à l’espace environnant etc. D’un point de vue éducatif, nous avons vu que les objectifs éducatifs sont doubles. Dans un premier temps, il s’agit de créer un sentiment identitaire, sentiment d’appropriation du territoire. Cet objectif apparaît dans la définition même de l’écomusée, envisagé dès les premières expériences comme « un miroir où la population se regarde pour s’y reconnaître, où elle cherche l’explication du terroir auquel elle est attachée ; jointe à celle des populations qui l’ont précédée dans la continuité ou la discontinuité des générations. Un miroir que cette population tend à ses hôtes pour s’en faire mieux comprendre, dans le respect de son travail, de ses comportements, de son intimité » (Rivière, 1975).

Mais un deuxième objectif plus critique est apparu dans nos résultats : il s’agit d’inviter le visiteur dans une démarche critique à appréhender les choix de société liés à l’environnement.

Ainsi, si les parcs naturels régionaux ont fait émerger la notion de patrimoine comme représentation de l’environnement, les écomusées sont les seules institutions muséales parmi celles étudiées dans notre recherche à faire émerger l’idée de processus sociaux comme représentation de l’environnement. Dans cette perspective, ce qui nous entoure n’est que le résultat de l’évolution des sociétés et de leurs activités. Notre environnement est le reflet de nos choix de société.

Ainsi, malgré des discours relativement proches, écomusées et parcs naturels régionaux offrent des perspectives éducatives assez différentes : pour les représentants des écomusées, le message repose sur des informations et un contact direct avec le territoire dans le but de susciter chez le visiteur un sentiment identitaire et une réflexion sur l’évolution d’une communauté à travers l’histoire et l’impact de cette évolution sur son milieu environnant.

Dans le cas des parcs naturels régionaux, le contact direct avec le milieu et le transfert de connaissances vise également ce sentiment identitaire, mais davantage orienté vers des changements de comportements, tels que le respect et la valorisation du patrimoine. Qu’en est-il pour la médiation environnementale dans les parcs nationaux ?