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La recette d’une séance de GEASE

Le GEASE, un dispositif à visée démocratique

6. La recette d’une séance de GEASE

6.1 Les ingrédients : la durée, la salle, l’effectif

Il est indispensable de disposer d’un temps libre d’au moins une heure trente pour réaliser un GEASE. Contrairement à d’autres dispositifs, le nôtre ne minute pas les différentes phases pour des raisons théoriques simples à énoncer : nous partons d’un récit chargé d’émotion ; il n’est pas possible de contraindre le narrateur à entrer dans un format pré-conçu ni d’empêcher le groupe d’exprimer sa sympathie, d’accueillir l’émotion et de l’accompagner.

Sauf événement mettant en danger les participants, le GEASE doit se dérouler à son rythme et les personnes qui ne pourraient assister à la fin seront dispensées de toute participation au travail : ayant entendu le récit, elles se doivent d’écouter la réaction de celle ou celui qui a bien voulu confier une situation vécue au groupe pour l’entraînement mais aussi pour son propre développement réflexif. L’idéal est de disposer de trois heures pour travailler d’abord sur la singularité de la situation avant de passer à une montée en généralité au cours du méta-GEASE qui est présenté ci-dessous.

L’aménagement de la salle a également son importance : si l’on peut enlever les tables et disposer les chaises en cercle sans être ni trop proche ni trop éloigné, le travail sera facilité. Toutefois, dans le cas de certaines formations, la disposition en rectangle ou en carré derrière les tables permet de surmonter les appréhensions de celles et ceux qui assimilent le dispositif à un moment « psy. ». De toute façon, après le GEASE, il faudra bien remettre en place une disposition permettant la prise de notes.

L’effectif est enfin un élément déterminant pour la réussite du travail : il est souhaitable de ne pas dépasser les quinze participants pour favoriser les prises de parole et les échanges. Existe-t-il un minimum pour l’effectif ? Des GEASE peuvent être très vivants et productifs avec un effectif très faible (de quatre à six participants) mais nous recommandons, dans la période de familiarisation, de tabler plutôt sur dix à douze, ce qui permet de nourrir l’analyse.

Dans tous les cas, il y aura une animatrice ou un animateur dont le rôle de garant de la sécurité du groupe (lié à sa fonction et travaillé en formation) ne l’empêche pas de participer au travail en donnant toujours la priorité au groupe.

Mémento 3 - élément 1 - Les ingrédients du GEASE

Pour être réalisé dans les meilleurs conditions, un travail en GEASE doit réunir :

- une salle permettant aux participants d’exprimer de la sympathie pour mieux se mettre en empathie (cercle de chaises ou disposition en carré derrière des tables) ;

- un espace-temps d’au moins une heure trente et, si possible, de trois heures pour prévoir un méta-GEASE assurant la montée en généralité ;

- un effectif de 12 à 15 participants ;

- une animatrice ou un animateur dont la formation permet à la fois la protection des personnes et du groupe et le travail dans le groupe.

6.2 La première phase de la recette : l’exposition

Une fois les participants installés, l’animatrice ou l’animateur rappelle en quelques mots les règles de confidentialité, de suspension du jugement et du conseil, ainsi que le rôle qu’elle ou il est amené à jouer comme participant privilégiant les interventions des autres participants. Puis, elle ou il propose aux personnes qui le souhaitent de prendre la parole ; une formule du genre « est-ce que quelqu’un veut dire quelque chose avant de commencer ? » permet de ne pas démarrer trop brutalement.

Quand ces échanges sont terminés, il est temps de commencer par la phrase citée ci-dessus : « À partir de maintenant, la première personne qui prendra la parole va exposer au groupe une situation dont elle a été acteur ou témoin ; cette situation permettra au groupe de s’entraîner à l’analyse ». C’est un moment chargé d’émotion pour la personne qui anime mais aussi pour le groupe qui, assez spontanément, va essayer de l’aider en cherchant une situation susceptible de délivrer tout le monde de cette période de silence inhabituelle chez les professionnels de l’enseignement.

Parfois, une personne prend la parole immédiatement, parfois, il faut attendre deux à trois minutes pour qu’une situation soit évoquée mentalement et qu’une personne la propose. Pour rassurer les uns et les autres, il faut savoir qu’il suffit qu’une ou un des participants soit en évocation pour que le GEASE puisse démarrer.

Seuls parlent la narratrice ou le narrateur ainsi que l’animatrice ou l’animateur dont le rôle est double : s’assurer que la situation est bien singulière, correspond à une scène précise et appuyer la demande faite au groupe par la narratrice ou le narrateur, s’il y en a une, ce qui est assez fréquent mais facultatif.

Mémento 3 - élément 2 - 1er temps : commencer un GEASE par une phase d’exposition

Avant de commencer un GEASE, il faut pour faciliter l’exposition d’un situation singulière :

- rappeler les règles et permettre un moment d’expression libre ;

- inciter à la prise de parole par une consigne assez complète : : « À partir de maintenant, la première personne qui prendra la parole va exposer au groupe une situation dont elle a été acteur ou témoin ; cette situation permettra au groupe de s’entraîner à l’analyse » ;

- rappeler que l’animatrice ou l’animateur se charge de l’identification d’une situation ainsi qu’éventuellement de la reformulation de la demande explicite faite au groupe par la narratrice ou le narrateur.

6.3 Le travail d’exploration

Un récit fait sous le coup d’une double émotion, d’abord celle du souvenir, souvent désagréable, parfois heureux, puis celle de la prise de parole pour révéler des faits et un vécu que l’on n’avait généralement pas eu le temps ni l’occasion de partager avec d’autres, laisse bien des parts d’ombre. C’est le rôle de la seconde phase du travail ouverte à tous que d’explorer les faits exposés et le vécu du protagoniste présent.

L’essentiel est de ne pas chercher à établir la vérité, ni de vouloir remonter à la situation réelle (situation 1) mais de se concentrer sur la situation présentée (situation 2), avec ses zones d’ombre qu’on essaie d’éclairer, et ressentie par la personne qui la présente. Le groupe va chercher à coopérer avec le témoin pour en savoir plus sur les faits vus par le témoin mais aussi sur son vécu, sur la manière dont il les a ressentis. Il est évident que c’est alors que se forge la capacité à se déplacer dans les travées, les axes et les gradins de l’arène.

C’est le temps de travail le plus long, un des plus délicats, tant se mettent à affleurer les interprétations, voire des expressions qui ressemblent à du jugement, à du conseil, à l’enfermement dans des alternatives. Le groupe apprend progressivement à ne plus explorer de façon émiettée et à coopérer en étant attentif aux relances et formulations des autres.

Enfin, quand l’exploration semble satisfaisante pour le groupe, après avoir signalé le passage imminent à la phase suivante, l’animatrice ou animateur va inviter les participants à intervenir pour compléter leur exploration, puis il propose de passer à l’interprétation.

Mémento 3 - élément 3 - 2ème temps : réussir l’exploration

Pour réussir l’exploration, le groupe s’efforcera de :

- lever la part d’ombre en facilitant l’évocation par le narrateur de la situation vécue et racontée (situation 2) et non en cherchant la vérité de la situation réelle (situation 1) ;

- s’informer sur les faits mais aussi le vécu du protagoniste présent ;

- coopérer pour encourager la reviviscence de la situation qui permettra de poursuivre la narration des faits et l’évocation de l’émotion qui échappaient au narrateur.

6.4 L’interprétation ou le contre-don fait au narrateur

C’est un moment particulier : il s’agit de présenter au narrateur ou à la narratrice des hypothèses sur ce qui a pu amener la situation. Il a fait le don au groupe de cette situation, au groupe de lui faire un contre-don, le réseau de raisons qui ont pu se combiner et créer la scène qui l’a marqué. Dans cette intention, il est prévu de « priver de parole », très provisoirement, cette personne. Elle ne pourra plus alimenter la discussion d’éléments d’information qui lui viendraient à l’esprit ni prendre part à l’émission d’éléments d’interprétation. Pour renforcer ce positionnement en écoute pure, nous lui conseillons de prendre des notes en vue de la dernière phase où elle reprendra et la parole et la situation. Quant au groupe, il se donne pour règle de ne pas l’interpeller par la parole ou le regard. La consigne est simple : faire comme si elle n’était pas là, en parler à la troisième personne.

Les hypothèses sont de nature explicative. Il ne s’agit pas de savoir ce qui va se passer mais de comprendre (littéralement « prendre ensemble ») tous les éléments qui se sont combinés pour créer la situation. Pas de propos péremptoire, ni de parole d’autorité. Tout le monde s’efforce, sinon verbalement, du moins mentalement, de commencer sa contribution par « je fais l’hypothèse que… ». Cela peut entraîner une certaine confusion, l’impression de dire tout et son contraire ou, au contraire, montrer que l’effort de production d’hypothèses impose de s’inscrire dans le monde de la dialogique d’Edgar Morin (1997 : « Je signalerai encore une troisième notion que j'appelle la dialogique, notion qui peut être considérée […] comme la présence nécessaire et complémentaire de processus ou d'instances antagonistes ». Le groupe ne livre donc pas une analyse bien bouclée et finie ; il tente de proposer une interprétation qui éclaire la situation sous un jour nouveau.

La situation n’est plus seulement remémorée ou imaginée. Telle qu’elle est maintenant pensée (à savoir comprise), on peut l’appeler « situation 3 ». Création collective progressive du sens et richesse des perspectives nous semblent caractériser ce travail de pensée en commun (Fumat, 2008, p. 60).

Mémento 3 - élément 4 - 3ème temps : coopérer pour l’interprétation

Dans l’interprétation, l’intérêt est de :

- présenter à la narratrice ou au narrateur des hypothèses auxquelles il lui est impossible de répondre sur le champ ; il peut noter ce qu’il entend mais il n’est plus partie prenante du groupe qui s’efforce de « penser ensemble » ;

- coopérer pour émettre et argumenter des hypothèses explicatives ;

- s’en tenir à une contribution à une analyse qui ne sera pas simpliste et se référera à la complexité ;

- ne pas bloquer le processus par des critiques d’autres hypothèses ou par une prise de pouvoir fonctionnant sur la base de l’autorité.

6.5 La réaction ou la reprise en mains de la situation

Enfin, comme à la fin de la phase d’exploration, le ou la responsable constate que le tour de parole s’épuise, que ses relances ont suscité ou non des relances et qu’il est temps de redonner la parole à la personne qui a bien voulu prêter la situation. Il s’agit de savoir terminer la séance mais aux niveaux symbolique et personnel, les enjeux sont bien plus importants : privés de leur situation et de parole, la narratrice ou le narrateur ont besoin de les récupérer. C’est la raison pour laquelle toute personne présente au début du GEASE doit rester jusqu’à la fin de cette ultime phase que nous appelons la réaction.

La situation a-t-elle pris un sens nouveau pour la personne ? Elle va réagir comme elle l’entend ; rien ne lui sera imposé ; elle pourra critiquer et/ou remercier le groupe pour son travail. Il lui faudra sans doute quelques jours pour être au clair avec ce que cette séance d’analyse lui a apporté. Il arrive que le groupe considère que cette personne a subi une épreuve difficilement supportable. A posteriori, il est extrêmement rare que ce soit ce sentiment qui l’emporte. Bien souvent, au contraire, soit immédiatement à la fin de la séance, soit dans les jours qui suivent, la personne fait état de la manière dont elle a pu progresser grâce au travail d’analyse.

Ni le responsable ni le groupe n’interviennent sur les paroles prononcées par la narratrice ou le narrateur qui aura le « dernier mot » (Fumat, 2008, p. 63-64), ce qui ne veut pas dire qu’il détiendra la vérité mais qu’il pourra mener un travail complémentaire à partir de la situation 3 pour aller, qui sait, vers une situation 4 (situation repenséee à partir de la situation pensée collectivement). Il s’agit de privilégier la confiance : la situation prêtée pour les besoins de l’entraînement a été restituée et plus personne ne travaillera sur elle ce qui permet à son auteur de bénéficier de toute cette intelligence collective qui s’est

mise à son service sans aucune arrière-pensée de prise de pouvoir. Si un méta-GEASE doit suivre, c’est l’heure de la pause et de l’éventuelle reconfiguration de la salle.

Mémento 3 - élément 5 - 4ème temps : la réaction pour boucler la boucle

La réaction est une phase courte où :

- la narratrice ou le narrateur a le « dernier mot » et donne sa « réaction » ;

- le groupe écoute ce qu’elle ou il dit avec attention mais sans intervenir ;

- le travail va continuer pour elle ou lui au fil des jours suivants ;

- et le groupe s’en tiendra à la confidentialité qui est la principale règle avec le refus de position d’autorité signifié par le silence imposé à toutes et tous après le « dernier mot ».

Mémento 3

La recette du Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situation Éducative

Les ingrédients - un travail en GEASE doit réunir :

- une salle permettant aux participants d’exprimer de la sympathie pour mieux se mettre en empathie (cercle de chaises ou disposition en carré derrière des tables) ;

- un espace-temps d’au moins une heure trente et si possible de trois heures pour prévoir un méta-GEASE assurant la montée en généralité ;

- un effectif de 12 à 15 participants ;

- une animatrice ou un animateur dont la formation permet à la fois la protection des personnes et du groupe et le travail dans le groupe.

1er temps - commencer un GEASE par une phase d’exposition :

- rappeler les règles ;

- inciter à la prise de parole : : « À partir de maintenant, la première personne qui prendra la parole va exposer au groupe une situation dont elle a été acteur ou témoin ; cette situation permettra au groupe de s’entraîner à l’analyse » ;

- l’animation a en charge l’identification d’une situation par prise parole spontanée ou élaborée et l’éventuelle reformulation de la demande explicite faite au groupe par le narrateur.

2ème temps - pour réussir l’exploration, le groupe s’efforcera de :

- faciliter l’évocation par le narrateur de la situation vécue et racontée (situation 2) sans chercher la vérité sur la situation réelle (situation 1) ;

- s’informer sur les faits mais aussi le vécu du protagoniste présent ;

-coopérer pour encourager la reviviscence afin de développer la narration des faits et l’évocation de l’émotion qui échappaient au narrateur.

3ème temps - coopérer pour l’interprétation incite à :

- présenter des hypothèses auxquelles le narrateur ne répond pas sur le champ ; il peut noter ce qu’il entend mais il n’est plus partie prenante du groupe qui s’efforce de « penser ensemble » ;

- ne pas bloquer le processus par des critiques d’autres hypothèses ou par une prise de pouvoir fonctionnant sur le mode de l’autorité.

4ème temps : la réaction est une phase courte où :

- le narrateur a le « dernier mot » et donne sa « réaction » ; - le groupe écoute ce qu’il dit avec attention mais sans intervenir ; - le travail va continuer pour lui au fil des jours suivants ;

- et le groupe s’en tiendra à la confidentialité qui est la principale règle avec le refus de position d’autorité signifié par le silence imposé à toutes et tous après le « dernier mot ».