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rôles et statuts mal assumés

Karine supporte mal sa directrice

Fiche 3 rôles et statuts mal assumés

C’est le subtil décalage que l’on trouve dans beaucoup d’organisations entre organigramme réel et organigramme caché. Du fait de l’ancienneté, du savoir-faire, de la compétence, de la fermeté, le vrai pouvoir dans une institution n’est pas toujours là où il se trouve officiellement. Dans certains cas de figure, le chef officiel non seulement prend des avis de subordonnés plus compétents, mais il peut être totalement remplacé, souvent avec son consentement.

Les conséquences sont diverses : parfois, un autre équilibre s’établit (partage tacite des tâches avec des adjoints), parfois, ces oscillations sont nuisibles à la bonne marche de l’institution.

Ici l’absence de compétence de la directrice a des effets secondaires :

Le rapport à la Loi a du mal à s’établir pour tous ; la directrice se confine dans la séduction avec les élèves et les parents ; elle agit sans même en parler à ses collègues (professeurs, CPE, surveillants). Ses décisions empiètent sur leurs domaines ; elle s’adresse « en direct » aux familles sans en faire part aux responsables de la vie scolaire.

Les critiques de Karine portent sur cette confusion, sur cette manière de tenir son rôle, mais ce qui la gêne le plus est que, par là-même, elle ne peut tenir le sien. Elle est frustrée de mal faire son travail ; du même coup elle arrive à un certain degré d’abstention, de démission dans un travail qu’elle aimait particulièrement.

Geneviève et les enjeux de l’évaluation

Richard Étienne et Yveline Fumat

Récit 10

Geneviève déjoue les pièges des parents d’élèves

Exposition de Geneviève, directrice d’école élémentaire :

« C’était une entrevue avec des parents d’élèves ; j’accompagne l’enseignante qui s’occupe d’une élève juste avant son bilan (notes de l’année, orthophoniste…). Cette élève est chez nous depuis un an, au CE1 9. Dés son arrivée, on s’est emparé de sa façon d’apprendre car elle avait des difficultés, elle ne possédait pas la quantité ; on avait proposé une rééducation, fait part de ses difficultés aux parents ;mais, à la réunion, la maman n’était pas d’accord : « - pourquoi dites vous qu’elle a des difficultés puisqu’elle n’a aucune note au dessous de 9 ? »

Exploration : Geneviève complète utilement ce récit assez court et allusif

« - Quelles étaient exactement les difficultés ? » « - Au début elles étaient camouflées, on avait du mal à voir ce qui venait de l’enfant ou du réseau familial ; on avait pensé d’abord la faire redoubler, en

valorisant ses progrès, puis on l’a laissée passer au cycle 3… en proposant une rééducation.Je dis toujours aux enseignants : "attention aux termes employés ; pour les parents : "difficultés", ce n’est pas

dramatique… ils comprendront seulement qu’elle n’est pas dans le cadre. Attention aux mots : ne dites pas qu’une enfant est "insupportable », dites : "elle s’est levée dix fois de sa chaise, elle a craché…". Il faut rendre cohérent ce qu’on note. Il y a huit ans que je leur dis cela ».

« - Quel était l’objet exact de cette réunion ? » « - C’est un suivi, on accompagne la famille et l’élève ; on était en début d’année ; c’était une évaluation diagnostique. Je sais qu’Élisabeth, l’enseignante, travaille beaucoup dans l’affectif ; là, j’ai tout de suite pensé "on va y avoir droit". La maman qui enseignait l’espagnol (mais repassait depuis cinq ans son CAPES 10) s’occupait beaucoup des résultats de sa fille ». « - Peux-tu nous parler de cette enfant ? » « Au CP, elle avait été hospitalisée, pendant un mois et demi. À l’école précédente, il n’y avait pas d’écoute suffisante (elle mettait plus de temps pour comprendre). Mais je pense que ses difficultés ne relèvent pas de la simple rupture. La psychologue le dit : elle manque d’autonomie ; la maman excuse tout, lui fait ses devoirs ; elle annote tout, même les évaluations ». Plus tard, Geneviève parle de l’« accompagnement forcené » de la maman, de l’« emprise » de la maman sur l’enfant.

« - Si l’on revient à la réunion, qu’est ce que tu en attendais ? » « - Il faut être cohérent ; je disais à Elisabeth, "il faut être cohérent, tu t’y prends mal". On continue à noter… alors cette fois, "on y est !". J’ai tenu à ce qu’il y ait une belle salle réservée. Je voulais ménager la chèvre et le chou ; j’ai laissé parler Élisabeth… On est revenu sur le bilan, ils ont accepté un projet particulier pour l’enfant, et de ne plus annoter les évaluations. A la fin ils étaient plus détendus ; je pensais "ça va ! ils ne se sont pas étripés !" ».

Les interprétations ont été très variées Elles ont porté sur

- les rapports à la mère (majorité),

- le système d’évaluation (remarques sur les préoccupations de la maman ; son CAPES, les notes systématiquement très basses dans les concours),

- la capacité des enseignants à écouter les parents,

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Le CE1 correspond au cours élémentaire, deuxième année du premier degré, après le cours préparatoire (CP) ; les élèves ont sept ans. Ils sont en dernière année du cycle 2 et, s’ils passent en classe supérieure, le CE2, ils seront en première année du cycle 3.

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Le CAPES est un concours d’aptitude pour le professorat de l’enseignement secondaire en France. Il permet de recruter des professeurs qui sont ensuite titulaires de leur poste. Sans ce concours, les enseignants ne sont recrutés qu’en contrat à durée déterminée.

- la capacité de l’école à recevoir les parents (très bonne, semble-t-il, dans cette école).

Réaction

Geneviève paraît satisfaite mais exprime quand même la difficulté à se positionner comme directrice quand on a été enseignante dans la même école. Et elle affirme que ce qui est arrivé à Élisabeth « tellement dans l’affect » peut lui arriver à elle.

Méta-GEASE par Yveline Fumat

Cette reprise, cette analyse après coup, tient compte des hypothèses émises, mais revient aussi sur la séance en distinguant des niveaux d’approche. Du même coup, nous présentons un modèle

d’intelligibilité, non pas de façon abstraite, mais en le faisant fonctionner, en montrant son efficacité, sa pertinence.

La situation présentée est très intéressante, car sa complexité permet de parcourir tous les gradins, de plus elle semble avoir apporté une certaine satisfaction à la narratrice, ce qui est rare dans le choix des récits.

1er gradin

Dans une situation, on peut distinguer ce qui vient des personnes et de leur relation personnelle : chacun a sa personnalité, son passé, son histoire ( peu importe ici qu’on parle de l’inné ou de l’acquis), chacun a un style de rapport aux autres (« elle est rigide, coincée, il était "vroum-vroum" », termes employés récemment).

Ce qui vient de la personne elle-même est un facteur qui a son importance, mais on lui donne souvent trop d’importance, et, pour expliquer des difficultés, on ne pense qu’aux relations entre les personnes

(incompatibilité d’humeur, heurts de personnalités, querelles de personnes) alors que les conflits viennent plus souvent de l’organisation du travail, des institutions, des statuts mal définis, et des tenues de rôles mal assumées. Quels qualificatifs évoquent ici le style propre des personnes, leur caractère ? Pour Élisabeth, « elle est dans l’affectif ». Pour la maman: « elle a une emprise sur sa fille […] elle a collé au CAPES plusieurs fois » ; le père, lui ,« ne dit rien ».

2ème gradin

Le contexte d’action immédiat est souvent un groupe restreint. Groupe où les personnes sont en

relations de co-présence et se rencontrent ou travaillent ensemble dans des conditions données. Certes, le groupe peut se former de manière occasionnelle, mais, le plus souvent, c’est un groupe qui correspond à un certain niveau de l’institution, et, de toute manière, il produit toujours des effets irréductibles à la rencontre personnelle. Les personnes se rencontrent, avec leurs projets d’action et de communication, échangent, délibèrent, se concertent, s’influencent ou se soumettent, toujours avec un souci de faire leur travail, de parler aux autres mais devant les autres, de tenir leur rôle. Ainsi, nous pouvons identifier dans une école :

- des groupes où l’institution croise une autre institution (commission avec la mairie), - des groupes d’évaluation d’une stagiaire,

- des équipes pédagogiques où les enseignants se concertent,

- des conseils de classe où enseignants, parents, élèves sont présents,

- des groupes de rencontre avec les parents, prévus par l’institution scolaire mais sollicités par les parents.

Ces groupes sont dépendants de certaines règles institutionnelles ; ils doivent leur composition,

organisation, leur finalité, leur rythme de réunions, leur existence même, à une institution qui les englobe. Cela ne signifie pas que les actions des personnes ne bénéficient d’aucune marge de liberté ; mais il ne faut pas oublier qu’elles se déroulent dans ce groupe restreint qui a ses règles.

Ici, on a deux groupes essentiels : - l’équipe pédagogique,

- le groupe formé de la directrice, Geneviève, l’enseignante, Élisabeth, et les parents. La directrice est à l’intersection des deux : elle anime l’équipe pédagogique et elle accompagne l’enseignante lors de l’entrevue avec les parents.

La scène rapportée est une scène où figurent parents d’élèves, enseignante et directrice, une constellation d’acteurs, qui ne sont pas en relation deux à deux, mais qui sont là dans ce petit groupe, ce qui les fait agir d’une certaine manière ; ces personnes ont chacune un objectif :

- les parents de l’élève viennent défendre leur fille,

- l’enseignante a fait une évaluation contestée par les parents,

- la directrice de l’école a le double but de soutenir son adjointe et d’apaiser les parents. Mais, dans ce petit groupe où tout semble se jouer, beaucoup de choses viennent de plus loin.