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Un groupe de pairs qui visent l’émancipation de la personne et le bien commun

Le GEASE, un dispositif à visée démocratique

1. Un groupe de pairs qui visent l’émancipation de la personne et le bien commun

Une série de questions se pose concernant le groupe à réunir. Pourquoi un groupe ? Quel type de groupe ? Pour quelle finalité ? Avec quelle justification sociale ?

1.1 Pourquoi un groupe ?

Le développement des tendances individualistes et la pression sur le temps des uns et des autres rendent suspect tout moment consacré à une réunion qui ne peut se justifier par un retour sur l’investissement consenti par l’organisation ou les personnes. Or, c’est une tendance spontanée chez chacun d’entre nous que de revenir sur son action pour tenter de l’améliorer. De plus, en l’absence d’une réunion instituée à cette fin, on peut observer que les salles des professeurs ou les salles du personnel, voire les couloirs et les parkings, sont le lieu d’échanges rapides sur des incidents du quotidien. L’insatisfaction de ces échanges « entre deux portes » établit qu’il y a bien là un vrai « besoin » et que la première justification du groupe provient des professionnels qui l’instituent furtivement. La décision d’organiser ce genre d’échange dans le temps de travail appartient aux responsables de l’institution concernée. Comme il n’y a pas de génération spontanée, il faut souligner que ce mouvement a connu un tel succès (de Peretti, 1991 et 1996), appuyé par des travaux de recherche que nous ne développerons pas ici (Beillerot, Blanchard-Laville & Mosconi, 1996 ; Blanchard-Laville, 2003), que des injonctions officielles viennent renforcer la crédibilité de ces dispositifs d’analyse de pratiques en groupe. C’est par le biais de la formation qu’ils sont mis en place. Dans des cas assez rares, ils font partie de l’horaire de travail sans recours à une justification formative.

Le choix du groupe pour apprendre se réfère explicitement aux travaux des psychologues (Piaget, Wallon et Vygotski) et des pédagogues (Meirieu, Barlow) qui ont été rejoints par les spécialistes de l’éducation des adultes ou andragogie (Solar, 2001) : on apprend toujours plus, mieux et plus vite en groupe que seul. Le choix du groupe est donc intentionnel et fondé sur des travaux de recherche mais aussi et surtout sur notre expérience.

Le groupe est généralement bienveillant et il offre un point de vue différent, complémentaire à la personne qui présente la situation et qui demande qu’on l’aide à penser à partir de son vécu et de sa reconstruction des faits.

Pendant la première phase du GEASE le groupe est totalement à l’écoute, et ne doit pas intervenir. Cette abstention favorise une attitude d’empathie maximum. Les participants sont tout entiers suspendus aux paroles, occupés à recréer, visualiser la scène, identifier les protagonistes, percevoir le mouvement des émotions ; mais aussi à observer ici et maintenant la gestuelle et les positions du corps du narrateur, à entendre ses inflexions de voix, repérer le moment où le ton monte, où le débit s’accélère, où la gorge se serre, où les mots font défaut ou se précipitent. (Fumat, 2008, p. 55-56).

De plus, le fait d’offrir à cette personne une multiplicité d’interprétations va construire chez elle une nouvelle compétence qui consiste à émettre un maximum d’hypothèses (entre 20 et 50 par séance !) au lieu de rester dans la sidération (voir l’abécédaire de la surprise dans le chapitre 4) qui a souvent présidé à l’expérience douloureuse qui est évoquée. Enfin, les réunions régulières de ce groupe (en étant sur un rythme annuel de 6 à 9 réunions) permettent le développement de compétences collectives aujourd’hui indispensables pour agir dans un monde de plus en plus marqué par les interactions de toutes sortes.

Mémento 2 - élément 1 : le groupe

Le groupe réuni en GEASE a pour fonction :

- d’offrir un cadre (espace et lieu) sécurisé pour apprendre à analyser des situations ;

- de faciliter les apprentissages individuels et collectifs par la coopération ;

- d’offrir un grand nombre de questions d’investigation et d’hypothèses d’interprétation ;

- d’apprendre à penser ensemble les situations sur la base de l’empathie.

1.2 Quel type de groupe ?

Les groupes spontanés évoqués (ceux où l’on se parle « entre deux portes ») ci-dessus reposent sur des relations établies et ne visent pas de transformation, même s’ils permettent d’exprimer une émotion et de la partager furtivement. Les échanges sont brefs et peu structurés. Les conclusions pour l’action restent implicites et forment la trame de l’expérience dont l’influence sur le comportement humain nous échappe. Notre dispositif a été élaboré dans des structures d’éducation et de formation (au sens large du terme) ; il s’est progressivement défini par rapport à des valeurs et à des évaluations. La première valeur étant celle de l’éducation, le GEASE se définit comme un dispositif provoquant un processus personnel et collectif d’émancipation reposant sur la confiance dans le co-développement. Cela veut dire qu’il ne peut être appelé GEASE que s’il réunit des pairs, volontaires et bénéficiant d’un espace de sécurité justifié par le

but poursuivi. Il ne doit donc pas y avoir de rapport hiérarchique au sein d’un GEASE, même si des personnes appartenant à plusieurs catégories peuvent y coopérer, mais toujours sans y introduire d’autre autorité que celle du groupe qui s’autorise à penser.

Mémento 2 - élément 2 : les participants

Le groupe réuni en GEASE est composé de :

- pairs (= personnes qui ne sont pas en relation hiérarchique mais qui sont dans la même branche professionnelle) ;

- volontaires (= personnes qui sont libres de ne pas participer au travail) ;

- protégés par la confidentialité qui fait que ce qui s’échange au sein du groupe ne doit pas être transmis à l’extérieur (=hiérarchie ou collègues).

1.3 Pour quelle finalité ?

On pourra rappeler que groupe vient de gruppo, la corde en italien. Il y a dans cette étymologie de tissage entre brins fragiles pour obtenir un ensemble résistant le principe d’idéal qui anime les GEASE depuis leur création. En renonçant à faire la leçon, à prendre une posture de surplomb, à incarner une figure d’autorité, l’animateur donne la priorité au développement de chacune et chacun grâce à la coopération de celles et ceux qui veulent bien participer au travail. La finalité émancipatrice peut donc être traduite en termes de démocratie contemporaine où le moment du débat, de la discussion ne doit pas être escamoté au profit de la seule prise de décision.

D’autres groupes peuvent poursuivre d’autres finalités et nous tenons à marquer notre différence avec eux sans les critiquer le moins du monde : les groupes Balint, les groupes de soutien au soutien et les groupes de parole sont plutôt à visée thérapeutique et se réfèrent exclusivement à la psychanalyse ; les groupes d’assurance qualité ou de résolution de problème visent un résultat plus ou moins immédiat qui leur impose d’entrer dans un schéma mécaniste de causes-conséquences ; les groupes de discussion ou de débat ne poursuivent pas un but de formation mais d’échange et de dialogue. L’éducation repose sur le temps long et un investissement lourd qui supposent une confiance dans le développement de la personne et des organisations. Pour être caricatural, ce n’est pas dans l’urgence qu’on va réunir un GEASE ou un groupe de ce type. Pour cela, il existe des techniques de résolution des conflits.

Mémento 2 - élément 3 : la finalité visée par le groupe

Le groupe cherche à :

- s’émanciper et à émanciper les personnes par l’application du principe démocratique de confiance en l’autre ;

- déterminer une solidarité qui entraîne une solidité des acquis ;

- inscrire résolument son activité dans la temporalité longue et non dans l’immédiateté.

1.4 Avec quelle justification sociale ?

La mise en place de dispositifs d’analyse de pratiques, dont le GEASE est une modalité particulière, peut susciter une interpellation : si ce temps est un temps professionnel (c’est le cas la plupart du temps), il convient de justifier la dépense faite en argent et en énergie par l’organisation et en investissement par les personnes. C’est là que nous retrouvons le rôle fondamental attribué à toute formation aux métiers de l’interaction humaine : préparer les personnes et les organisations à obtenir les meilleurs résultats, quitte à distraire une partie du temps rémunéré pour limiter les dysfonctionnements. Le GEASE s’inscrit résolument dans le projet de « formation tout au long de la vie » car il entend préparer :

- au choix du métier,

- à l’entrée dans le métier,

- à accompagner les débuts dans le métier,

- au développement professionnel,

- à l’ajustement aux changements perpétuels du monde du travail,

- au maintien de la compétences professionnelle et personnelle.

Ce qui ne veut pas dire que le groupe abandonne toute posture critique face aux évolutions de l’organisation du travail car la focalisation sur une visée sociale entraîne nécessairement un repérage des causes de la souffrance au travail (Blanchard-Laville, 2001 ; Lantheaume & Hélou, 2008 ; Dejours, 1980).

Mémento 2 - élément 4 : l’utilité sociale de ce groupe

Le groupe sert à :

- diminuer le nombre d’erreurs dans les interactions humaines ;

- permettre une formation tout au long de la vie et tout au long de l’action ;

- améliorer l’intégration de la dimension formative dans l’exercice professionnel par maintien de la compétence et ajustement aux changements dans le travail ;

- porter un regard critique sur les évolutions du travail.