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Éléments à prendre en considération avant d’animer un GEASE

Animer un Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situation Éducative (GEASE)

3. Éléments à prendre en considération avant d’animer un GEASE

3.1. La préparation de la salle et le dispositif matériel

De ses origines psychosociologiques, le GEASE a conservé une attention très fine à l’organisation matérielle de la salle dans laquelle le travail se fait. Dans les pratiques observées et vécues, sans qu’il y ait atteinte au noyau dur du GEASE, on peut discerner quelques variantes dans les choix opérés par l’animateur. Du cercle de chaises disposées en fonction de l’effectif (15 à 20 est un maximum) à la disposition en carré ou rectangle de tables sur lesquelles tout le monde peut écrire, il y a des nuances. Les références personnelles des animateurs vont du groupe Balint (groupe de praticiens conduit selon des références psychanalytiques) à la démarche d’enseignement universitaire et à la formation d’équipes

enseignantes, de personnel de santé ou du social. Cette diversité d’expériences explique une partie des différences.

Un autre élément déterminant se situe dans la culture professionnelle du public réuni : si les psychologues acceptent facilement la disposition en cercle sur des chaises, les enseignants préfèrent souvent se positionner derrière une table, ce qui impose une architecture en rectangle car il faut se voir pour se parler. L’essentiel est que tous les participants puissent se voir et que la bonne distance s’établisse.

La place de l’animateur n’est pas neutre ; elle signifie qu’il se comporte plutôt en conducteur, voire formateur, (devant le tableau) 12, ou en accompagnateur (ni devant le tableau ni en face de la porte mais avec la porte dans le dos, ce qui remet symboliquement au groupe l’accueil de nouveaux arrivants). En cas d’absence(s), il sait que les places situées à sa gauche ou à sa droite sont les dernières à être occupées, d’où son souci de disposer la salle pour éviter d’être isolé ! Il arrive qu’il soit amené, avec des adultes habitués aux mauvaises manières d’une certaine forme de formation continue, à demander aux nouveaux arrivants de bien vouloir ajouter une chaise, voire une table si c’est la disposition requise. Il vaut mieux ne pas céder aux sollicitations qui tendent à rétablir une deuxième rangée !

Une seule exception, mais de taille, à ce continuum spatial : la présence d’observateurs, qui est une technique utilisée dans ce que nous appellerons la didactique du GEASE. Dotées de consignes et d’outils, ces personnes sont volontairement situées hors du cercle de référence. Pour pouvoir faire des remarques sur le GEASE qui se déroule, elles doivent être placées en situation d’extériorité, ce qui confirme la nécessité première d’un espace discontinu, paritaire et volontairement aligné sur la distance optimale entre participants, disposition qui relève plus de la proxémique que de l’utilisation d’une règle d’arpenteur. La restitution de l’observation permet de mieux comprendre ce qui se joue dans un GEASE.

3.2. Le courage des commencements et la dynamique de groupe

Bien que nous la répétions souvent, cette vérité ne s’observe que dans l’action : le GEASE illustre les vertus de l’entraînement qui consiste à passer des années à préparer une compétition dont la brièveté est la principale caractéristique. Dès lors, le formateur se préoccupe en priorité du moment dans lequel s’inscrit le GEASE qu’il va assurer : si l’on est dans une première réalisation, mieux vaut exposer brièvement les règles de ce travail et les références principales de l’analyse puis répondre de manière assez détaillée aux questions posées. Par la suite, les conceptions s’affineront plutôt dans les méta-GEASE.

Ce qui se passe dans un GEASE dépend fortement de ce qui a précédé le début de la séance. L’intérêt manifesté aux personnes et aux éventuelles difficultés qu’elles éprouvent pour être là à l’heure et disponibles au travail contribue à créer l’atmosphère de solidarité exigeante qui doit caractériser toute

12 Le désir d’emprise que révèle ce positionnement conduit le plus souvent à un renoncement et à une volonté de se comporter en participant ayant en plus la responsabilité du groupe et des personnes.

analyse de pratiques professionnelles. Il s’agit bien de créer « un climat utile au travail » non par machiavélisme mais pour respecter les exigences éthiques qui vont être celles de la réflexion collective.

Enfin, le parti pris sur lequel repose le GEASE étant que la clarté n’existe jamais car la clarification est progressive, toujours à venir, l’animateur installe cette condition préalable au travail que toute interrogation sur les procédures et les références théoriques peut être évoquée lors des premières séances, même si elle n’est pas alors traitée de manière exhaustive car interrompre le déroulement présente le risque d’une dérive ou d’une démotivation. Selon son style, l’animateur peut alors renvoyer la question au groupe, faire état de son opinion, ce qui permet de le repérer comme un membre du groupe même s’il ne cherche pas à dissimuler son expérience, ou enfin renvoyer au méta-GEASE dont la première fonction est de permettre l’analyse de la séance précédente. Le GEASE prouve le mouvement en marchant et les réponses sont produites autant dans l’action que dans la réflexion : les compétences développées se mettent en place à l’insu du participant, au fil du temps. Paradoxalement, la maîtrise ne s’acquiert que par une forme d’abandon, de confiance, et ce n’est qu’au terme de quelques séances que cette prise de risque est acceptée comme condition sine qua non de l’apprentissage, modèle radicalement différent de celui que l’école républicaine a élaboré. L’animateur accompagne aussi cette mutation.

Pour commencer, nous conseillons poser une question aussi simple que celle-ci : « Qui veut dire quoi avant de commencer ? » car sa formulation permet d’amorcer la transition vers la séance d’entraînement tout en ménageant un espace pour la réflexion et l’expression. Il serait naïf de croire qu’il y a une interrogation derrière chaque question et le désir de « jouer la montre » peut expliquer certaines interventions. Sans brusquer les choses, il existe de nombreuses façons de faire prendre conscience au groupe qu’il est là pour se mettre au travail. Comme toutes les transitions, celle-ci gagne à être marquée par une phrase immuable : « S’il n’y a plus de question ou de remarque après celle-ci, on peut passer à la séance de travail ».

3.3. Le choix du narrateur et/ou de la situation

À notre connaissance, il s’agit d’un des moments où les stratégies varient le plus bien que l’on puisse désigner une orthodoxie. Les deux variables explicatives les plus fréquentes sont la profession d’origine de l’animateur et les objectifs poursuivis par le groupe.

La formule « À partir de maintenant, la première personne qui prendra la parole la gardera pour exposer au groupe une situation dont elle a été acteur ou témoin » présente l’avantage de régler la question du choix, dans la mesure où n’importe quel récit est alors légitime. Elle introduit un silence qui peut être pesant, une sensation de vide que bien des professionnels de la parole supportent mal et ouvre la porte à d’éventuelles dérives telles que les phénomènes de leadership (position dominante dans la conduite d’un groupe) ou l’évitement du travail en proposant des narrations sans base émotionnelle.

Une autre façon de procéder consiste à faire évoquer mentalement par chacun des participants une situation, à faire un tour de table ou à la partager avec deux ou trois de ses voisins avant un tour de table

des sous-groupes qui en auront retenu une ou deux. En amont du GEASE à proprement parler, on pourra envisager de nombreuses variantes, à commencer par celles que choisira une équipe qui décidera de travailler systématiquement sur les situations qui lui posent problème, voire sur celles qui sont évoquées en salle des professeurs ou des maîtres mais ne trouvent jamais un espace de développement. Pour médiatiser cette affaire, il est conseillé de les désigner par un titre journalistique et de les présenter succinctement sous forme d’un récit de quelques lignes (variante recourant à l’écriture) ou quelques phrases (présentation orale qui n’exclut pas une phase d’écriture préalable). Cette technique calme les appréhensions du groupe et crée une situation-problème de trop-plein, de frustration potentielle bien plus aisée à gérer que la gêne doublée de nervosité qui s’installe quand le silence se prolonge. Mais l’animateur évitera les récits préparés, rédigés ou encore lus qui ne laissent plus de place à l’émotion.

Les situations peuvent être choisies librement ou des contraintes imposées (situation de formation, d’enseignement, de direction, d’inspection, portant sur l’égalité entre garçon et fille, femme et homme, etc.) mais quelques conditions doivent être satisfaite pour que le GEASE puisse produire ses effets (une situation identifiée avec un contenu émotionnel fort pour la personne qui fait le récit - acteur et/ou témoin) car il serait vain de s’appuyer sur l’illusion d’une liberté qui serait productive. Le GEASE repose en effet sur un ensemble de contraintes qui enclenchent une dynamique et le rôle de l’animateur s’inscrit dans une tension exigeante entre cadre rigoureux et créativité analytique. Les ateliers d’écriture fonctionnent eux aussi avec des dispositifs qui permettent de lancer l’activité. Bien qu’il ne soit pas souhaitable de le faire, dans l’intention de fonctionner dans un flux émotionnel, la situation peut même avoir été rédigée à l’avance ou en début de séance. On pourra proposer à la narratrice ou au narrateur de ne pas s’appuyer sur son écrit car le récit gagne à être dit avec naturel, sans consulter un texte rédigé, pour s’inscrire dans la reviviscence évoquée au chapitre 4.

Qui choisira dans cet ensemble ? Si le groupe doit se réunir plusieurs fois, on peut faire procéder à un classement des priorités par les participants sous la forme d’un vote indicatif. Généralement, deux ou trois situations émergent alors. Si le GEASE est un échantillon, nous en choisissons arbitrairement une en nous expliquant a posteriori sur ce choix qui fait gagner du temps et permet de faire travailler sur le « presque rien » (Jankélévitch, 1980) d’une situation anodine. Situation n’est pas synonyme de difficulté (voir le début du chapitre 4 sur ce point) et le GEASE permet aussi d’analyser le dénouement heureux d’un événement mystérieux. L’intérêt d’une situation sort toujours renforcé d’un GEASE : bien des participants, notamment dans le cadre d’une formation initiale, pensent sous forme de recettes simples et applicables sans prise en compte du contexte ; dès les premières séances, la complexité de toute situation éducative et son irréductible singularité se construisent et nous n’avons pas de témoignage de la remise en cause d’une situation de ce point de vue, même dans le cas où elle apparaissait bien ténue à première vue.

Parfois, l’on se trouve en présence du besoin d’amour d’une personne qui va s’exposer pour le satisfaire. La gestion de cette affaire dépend de la compétence de l’animateur à amener la personne sur le terrain de l’exposé d’une situation ! Dans ce cas, comme dans bien d’autres, la situation révèle une

atteinte à l’estime de soi. Les groupes deviennent vite experts dans l’accompagnement des personnes qui s’exposent ainsi et l’animateur apprend à leur confier le traitement de cette demande.

Quel que soit le choix fait pour commencer le travail, il faut rappeler que nul n’est tenu de participer à un tel groupe. S’il est réuni dans un cadre professionnel, cette règle doit être l’objet d’un accord formalisé qui stipule que la participation volontaire repose sur un cloisonnement étanche : quand une personne participe à un GEASE, aucun élément n’en sera communiqué à son institution ou à son entreprise ; la confidentialité et le volontariat sont deux conditions sine qua non. La confidentialité du contenu s’oppose à toute mission d’évaluation des personnes participant au groupe par l’animateur ou par tout autre membre.