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rapports parents/éducateurs

Des parents qui ne veulent pas voir le rideau tomber

Fiche 5 rapports parents/éducateurs

Il devient vite évident dans cette situation que les repères habituels ne sont d’aucune utilité, voire se révèlent contre-productifs dans un univers où la professionnalisation et les compétences sont recherchées. Bernard, mais aussi, de façon plus générale, tous les bénévoles et l’association elle-même sont mis en demeure d’être rigoureux et à l’écoute des parents qui deviennent de plus en plus des consommateurs d’une formation complémentaire de celle l’école. Or, pour répondre aux attentes des parents, encore faudrait-il les connaître. Encore faudrait-il aussi qu’elles aillent dans un même sens. Un père assiste à la scène. Il ne prend que peu part à la discussion bien qu’il exprime un avis différent : « il y avait le papa qui disait "moi, il ne faut pas que mon fils sache que je le regarde" ». Autrement dit, la multiplication de l’offre d’activités, nécessairement payantes mais menées par des bénévoles, a induit une attitude consommatrice et individualiste (Singly, 2005).

Dans ce cadre, le recours à des textes distribués en début d’année, voire commentés dans une assemblée, n’est sans doute pas suffisant pour créer un bien commun (Boltanski, 1990) qui échappe à la logique associative pour s’inscrire dans un univers de référence marchand, quoi qu’en pensent les responsables des associations et les bénévoles qui se répartissent les interventions. Malgré tous les efforts consentis ces dernières années pour distinguer la pratique professionnelle de celle de loisir (Étienne, Vinet et Vitali, à paraître), les arts du cirque rejoignent les autres pratiques artistiques et sportives : dans l’esprit du public et des consommateurs, l’intervention des bénévoles doit se professionnaliser.

Ce qui veut dire d’abord se régler, non seulement dans des textes écrits mais surtout dans des pratiques qui signent l’appartenance à l’institution en se rappelant que les rumeurs sont le « plus vieux média du monde » (Kapferer, 1987). Or, les communications sur les pratiques qui vont faire évoluer les styles particuliers vers des genres professionnels (ou amateurs) ne se rencontrent que dans les dispositifs d’analyses de pratiques, ou mieux, de situations comme Vitali en fait la proposition (Vitali, à paraître). Enfin, la nécessité pour toutes ces associations qui entretiennent un rapport plus ou moins marchand avec les familles devient flagrante au moment où l’éclatement des demandes individuelles ne permet plus de se contenter de généralités.

Les terme « loisir » et « association » peuvent entrer en contradiction avec enseignement, pédagogie et rigueur. Dans une relation triangulaire comme ici (animateurs, enfants et parents), le point de vue de tous

les groupes d’acteurs est indispensable, en premier lieu avant toute innovation. Ce qui ne dispense pas d’effectuer une régulation dans les premiers temps, de façon à ce que tous les acteurs y gagnent quelque chose et qu’aucun n’y soit perdant : ici, les bénévoles mais aussi les parents et les enfants, voire toute l’association qui est engagée par les actions et réactions de ses bénévoles. Si la réaction de cette maman est isolée, elle n’en permet pas moins à Bernard de constater qu’il est, lui aussi, le seul à tirer le rideau en présence des parents. On pourra faire le lien avec Jean qui est le seul à vouloir transmettre ses instructions par écrit.

La finesse de l’analyse des participants et le retour réflexif de Bernard confirment que les parents ne se contentent plus de confier leur enfant à l’association mais qu’ils entendent lui demander des comptes. Or, pour pouvoir les rendre, cette situation le prouve, il ne suffit pas de savoir ce que pensent les parents en général. Nous pourrions aller jusqu’à affirmer que ce GEASE a souligné l’importance de cerner tous les éléments de la communication autour de la pratique de loisir : quel est le décodage du terme ? Plaisir ? Apprentissage ? Performance ? Quel est le message à privilégier pour l’émetteur (l’association d’abord mais surtout ses bénévoles qui ont le contact avec les parents et les enfants) ? Comment les récepteurs (les parents mais aussi les enfants) reçoivent-ils le message, sachant que leurs attentes sont différentes ? Comment introduire du changement dans des institutions qui sont plus réglées par la coutume que par la raison ? Comment se fait-il que Bernard comprenne mieux a posteriori le message « votre histoire de rideau c’est odieux » ?

Pistes pour comprendre, réfléchir et agir :

1/ Le travail de bénévole dans une association est l’objet d’une image brouillée. Les parents paient leur adhésion et ils ne voient pas la différence entre une prestation payante et une démarche désintéressée. Nous pouvons avancer qu’ici, comme dans de nombreuses occasions de la vie sociale, la référence aux associations à but non lucratif qui existent en France depuis 1901 est remplacée dans l’esprit d’une partie du public par une attitude que l’on pourrait qualifier de « consommateur d’association » en référence à un livre de Ballion (1982). La notion de « bien commun » sur laquelle repose le bénévolat s’efface car elle est remplacée par celle de client/fournisseur qu’a imposée le néo-libéralisme.

2/ Dans une institution, la référence aux décisions écrites pour justifier d’une action soulève au moins trois problèmes :

• tous les groupes ont-ils été associés à la démarche ? Ici, nous constatons que le groupe des parents n’a pas été consulté en tant que tel ; nous pouvons même formuler l’hypothèse selon laquelle cette mise en place d’un rideau ne se fait pas avec les parents mais contre eux dans la mesure où

certains occupent le terrain et, par leur seule présence, perturbent la relation pédagogique,

• la décision a-t-elle été communiquée et comment ? Il semblerait que l’on se retrouve dans une situation bien connue : en fin d’année, pour satisfaire quelques bénévoles, l’assemblée entérine une proposition. Mais rien n’est dit sur la manière de la mettre en œuvre. L’exposition et l’interprétation montrent qu’entre la décision prise (tâche prescrite) et son exécution (réel de l’activité) bien des surprises sont possibles (Leplat & Hoc, 1983). Ce que découvre Bernard dans ce GEASE. Il en révise sa première interprétation : « il y avait peut-être une décision prise que je n’ai pas assumée ». Le GEASE favorise le détour par la pratique de l’analyse qui permet d’éviter la réaction spontanée dont la conséquence la plus grave consiste en une escalade verbale et parfois physique,

• le suivi des décisions prises est-il organisé sous forme de régulations formelles ? Nous voyons en effet que les autres animateurs n’utilisent que peu ou pas ce rideau. Bernard lui-même avait omis de le tirer. Ce que révèle une décision qui n’est pas appliquée ; c’est qu’il faut revenir sur les raisons qui ont poussé à la prendre et réexaminer le problème à la lumière de l’écart entre le prescrit et le réalisé. La démarche qualité (Le Boterf et al., 1992) a permis de comprendre que les personnes et les groupes ont de bonnes raisons de faire ce qu’elles font, même si cela n’entre pas tout à fait dans le cadre. Ces régulations implicites peuvent être l’occasion d’une réflexion conduisant à une régulation explicite et partagée. C’est ce que déclenche ce GEASE mais il conviendra sans doute de revenir et de délibérer dans l’instance ad hoc. Dans une démarche

collective, les règles qui ne sont pas appliquées menacent celles qui le sont car elles incitent à un relativisme généralisé.

3/ Le monde associatif a pris une telle importance dans la vie sociale qu’il lui faut mener une réflexion sur son fonctionnement et sans doute trouver le moyen, y compris dans de petites structures, de créer des situations de formation car les exigences ont crû en matière de prestations fournies au public qui ne se soucie guère de savoir s’il a affaire à une entreprise, à une association ou à un service public. L’analyse de situations vécues par les bénévoles ou par les salariés de l’association aura dans ce cas un double effet : le premier, classique en formation, d’actualiser la compétence des prestataires aussi bien dans leur « cœur de métier », ici l’initiation aux arts du cirque, que dans des comportements qui sont plus connexes qu’annexes, la relation personnelle aux parents, dont certains se sont déjà manifestés comme étant dans une attention particulière au traitement personnel de leur enfant. Ce qui ne veut pas dire en passer par la satisfaction de tous leurs désirs. Mais plutôt être capable d’anticiper et de gérer cet attachement que la chute du rideau interrompt avec une violence symbolique.

Références bibliographique pour approfondir le travail sur le bien commun dans une relation associative : Ballion, R. (1982). Les consommateurs d’école. Paris : Stock.

Boltanski, L. (1990). L’Amour et la justice comme compétences. Paris : Métailié. Clot, Y. (1999). La fonction psychologique du travail. Paris : PUF.

Étienne, R., Vinet, J., Vitali, J. (dir., à paraître). Quelle formation professionnelle supérieure pour les arts

du cirque ? Paris : L’Harmattan, Pratiques en Formation.

Kapferer, J.-N. (1987). Rumeurs, le plus vieux média du monde. Paris : Le Seuil.

Le Boterf, G.,Barzucchetti, S., Vincent, F. (1992). Comment manager la qualité de la formation. étrange. Paris : Les éditions d’organisation.

Vitali, J. (à paraître). Le Groupe d’Entraînement à l’Analyse des Situations Educatives (GEASE), un outil des sciences de l’éducation pour les formations aux arts du cirque. In R. Étienne, J. Vinet, J. Vitali, J. (dir.). Quelle formation professionnelle supérieure pour les arts du cirque ? Paris : L’Harmattan, Pratiques en Formation.

Wenger, E. (2005). La théorie des communautés de pratique. Apprentissage, sens et identité. Québec : Presses de l’Université Laval.

Jean ne veut communiquer que par écrit

Richard Étienne

Jean est un Conseiller Principal d’Éducation (CPE). Lors d’un GEASE, il prend la parole pour présenter une situation concernant une Assistante d’Éducation, personnel contractuel peu formé dont il a la responsabilité. Il travaille dans un nouveau lycée qui compte deux CPE. À l’exception de l’animateur, les autres participants sont tous des CPE ou des chefs d’établissement qui ont exercé cette fonction. La transcription a été effectuée par Jean dans le cadre d’un Groupe d’Études et de Recherche financé par le Rectorat.

Récit 12

Jean ne veut communiquer que par écrit

Jean commence ainsi son récit (exposition) : « Donc, je suis nouvellement arrivé dans l’établissement. Peu de temps après ma prise de fonction une de mes assistantes d’éducation m’a dit quelle était quelque peu gênée que je lui fasse passer les consignes ou tout au moins ce que j'attendais des fonctionnements du service et d'elle en particulier par écrit via des notes de service ou autres outils tels que cahier de liaison, des choses de cette nature là ! Cela m’a un petit peu interpellé puisque c’était quelque part pour moi une pratique habituelle que de procéder de la sorte, c'est-à-dire de formaliser. J'en ai discuté avec elle et elle m’a dit que ce qui la gênait c'était que ça passe par l’écrit et elle souhaitait que je passe par l'oral. Elle m'a dit « mais pourquoi vous ne venez pas me dire les choses ? ». Je lui ai répondu, et peut-être ai-je commis une maladresse, que j'étais assez formaliste ».

Dans la phase d’exploration, Jean apporte une précision : « avant d’être CPE je suis passé par des fonctions d'administratif au rectorat en l'occurrence, où les choses sont très formalisées ». Puis, il parle de sa collègue CPE qui a fait l’ouverture du lycée : « à sa décharge si je puis m'exprimer ainsi […] elle faisait l'ouverture du lycée et on lui demandait de faire des choses qui allaient bien au-delà du cadre de ses prérogatives et donc elle était tellement débordée qu'elle ne passait que par du verbal ». Mais lui n’est pas taillé dans le même bois : « le chef d’établissement, pour ne parler que de lui, c’était un peu gênant car il m’avait annoncé dans l’établissement, en quelque sorte présenté comme le Sauveur. Ce qu’il faut savoir c’est qu’il est en conflit avec ma collègue ». Vient alors une révélation qui éclaire la situation : « je ne fais jamais en sorte de la [la collègue CPE] mettre en difficulté face à la hiérarchie d’une part et d’autre part quand il y a des tentatives je m’en explique entre quatre yeux avec le chef d’établissement et là, j’ai la chance que ce soit un ami ». Son arrivée correspond à une phase de stabilisation de l’établissement : « j’avais la volonté de recadrer les fonctionnements et de rationaliser les fonctionnements ». Les notes de service sont remises aux surveillants mais sans commentaires. De fait, toute la communication passe par de l’écrit. Sauf dans une seule circonstance : « Les seuls moments où je procède de manière moins formelle c’est […] quand je vais les voir au self et qu’ils sont en surveillance de salle je profite de cela pour échanger avec eux. C’est à peu près le seul moment. Je ne bois pas de café, je ne fume pas, ça ne facilite pas non plus ! » Enfin, alors qu’il n’est pas remis en question, Jean éprouve le besoin de se justifier : « il ne m’apparaissait pas utile d’expliciter le pourquoi d’une formalisation, c’est tellement évident pour moi ».

L’interprétation commence par porter sur la communication ou plutôt l’absence de communication entre deux personnes qui ne s’entendent pas sur un seul et même support : « j’ai l’impression qu’il y a une différence de mode de communication et les différences ont engendré le conflit ; du coup elle qui est dans l’oral elle a sûrement besoin d’un retour oral ». Très vite, est mise en avant une « confusion entre des modes de communication à visée professionnels et des modes de communication à visée communicationnels ». La nouveauté de l’établissement et sa montée en effectif expliquent que « finalement tout le monde cherchait ses marques et il n’y avait pas vraiment de mode de communication instauré officiellement ». L’interprétation se termine sur une hypothèse qui tient compte des éléments livrés par Jean, son statut de « sauveur » et son « amitié » avec le chef d’établissement : « l’hypothèse serait qu’il peut y avoir un problème d’enjeu de pouvoir et que l’assistant aurait ressenti une certaine

forme de pouvoir et contre-pouvoir entre les chefs de service d’où une prise de parti en faveur de son ancienne CPE ».

Dans sa réaction, Jean mêle des considérations sur le GEASE : « j’adore l’exercice car cela ouvre des horizons, cela remet en cause des pratiques et est susceptible de faire évoluer » et « l’exercice, sur le moment ça chauffe un peu et la bouffée d’air ce sont les hypothèses émises. Ça apaise. Quoi qu’il puisse être dit, je prends toujours ça comme une chose qui puisse m’apporter » avec un retour sur l’origine de son attitude qu’il présente comme liée à une nécessité soulignée par sa collègue : « elle est en demande de formalisation et elle m’a avoué que les assistants avaient abusé l’an dernier ». Mais il termine sur une note personnelle : « Ceci dit pour me refaire ça va pas être facile ! ».

Méta-GEASE par Richard Étienne

Les questions de personnes interviennent dans le premier gradin et Jean se trouve confronté à une assistante d’éducation qui ne supporte pas sa manière de communiquer exclusivement par écrit. Mais d’autres personnes interviennent dans cette relation. Le chef d’établissement qui a appelé un « sauveur » et la collègue de Jean que ce dernier entend défendre contre les assistants qui abusent de sa bonne volonté mais aussi contre le chef d’établissement, même si l’explication se fait alors « entre quatre yeux ». De fait, Jean met en avant avec une certaine constance sa personnalité « assez formaliste » et il termine sur le fait qu’il « va pas être facile » de le refaire. Il explique que son formalisme pourrait s’apparenter à un habitus de personnel administratif ayant longtemps travaillé dans un rectorat.

Il se contredit d’ailleurs quelque peu, car, avec son ami, il ne communique pas par écrit mais, répétons-le, « entre quatre yeux ». Donc, la communication orale et informelle ne lui est pas inconnue. Il en use même pour sortir des alliances imposées par l’amitié. Tout cela travaille Jean pendant le GEASE et il reconnaît que « l’exercice » remet en cause ses « pratiques », voire plus. La personne du narrateur est prise dans une histoire singulière qui la fait travailler dans deux temporalités : la première est celle de la situation, ce passé qui revit dans l’instant de l’évocation et de l’analyse et la seconde le projette dans son avenir professionnel mais aussi, surtout pour les professions de la relation humaine, dans sa vie personnelle.

Le deuxième gradin concerne les groupes restreints et nous nous trouvons bien face à un groupe constitué de personnes régie par des textes. Dans le cadre de la fonction publique française, c’est ce qu’on appelle un service, le service de la vie scolaire. Le paradoxe, c’est que nous ne sommes pas, comme dans un hôpital par exemple, dans un service organisé de façon hiérarchique avec des dépendances réglées par des lois et règlements. Depuis longtemps, les surveillants à vie ont cédé la place à des personnels contractuels qui ne sont pas forcément des étudiants et qui n’ont pas vocation à devenir des enseignants. D’où le paradoxe d’une organisation assez désaccordée puisque les CPE sont des fonctionnaires recrutés sur concours et ils bénéficient d’un emploi à vie alors que leurs assistants, surtout dans le cadre de ce lycée, ont été recrutés à des moments divers sur des contrats qui dépendent des politiques ministérielles et ont vocation à faire baisser le taux de chômage de certaines catégories comme les jeunes ou les mères de familles, voire les chômeurs de longue durée ou les publics fragiles. Jean tente donc l’alliance avec sa collègue plus ou moins contre les assistants qui sont bien gentils mais ont tendance à ne pas s’inscrire dans le cadre. Le choix du self comme seul lieu de communication informelle est révélateur : la tâche de surveillance y est unique et, pour Jean, facile. Elle permet le seul contact qui ne passe pas par une transmission écrite. Dans ce lieu clos, à tort ou à raison, Jean estime qu’il n’y a aucun risque pour lui ou pour le service à se laisser aller à une relation informelle.

Au niveau du troisième gradin, celui de l’institution, se joue une toute autre partition.

Dans ce GEASE, nous voyons que les CPE de ce lycée sont en train d’inventer leur métier. En France, ce corps a succédé à celui des anciens surveillants généraux et c’est l’Inspecteur Général Vergnaud qui a accru la rupture avec cet héritage de la fonction publique française pour créer la « vie scolaire » et donner plus de fonctions éducatives aux « conseillers principaux d’éducation » dont l’appellation remonte à 1970. Mais les textes régissant leurs fonctions n’ont plus évolué depuis 1989 alors que les surveillants ont

disparu et que toutes sortes de personnels ont été affectés dans ces services de vie scolaire. D’autre part, nous sommes dans la deuxième année d’existence d’un lycée qui passe de 700 élèves à 1400 et hérite d’un deuxième CPE qui a été probablement choisi, avec son accord, par le chef d’établissement, qui n’est autre que l’ancien responsable de la formation dans laquelle Jean intervenait, d’où leur amitié.