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La mise en œuvre de la supervision et la discussion sur ses limites et perspectives

et des dispositifs

3. La mise en œuvre de la supervision et la discussion sur ses limites et perspectives

Nous avons fait de notre supervision un produit de formation diffusé par l’intermédiaire du service de formation de notre université. La première difficulté qui est apparue et nous a imposé un changement d’intitulé est l’inscription dans un champ plus large que celui de l’enseignement scolaire. Afin de le signifier, nous avons remplacé éducative par professionnelle. Ce qui nous amenés à proposer le sigle de GEASP. Il ne s’agit pas d’un renoncement mais d’un aménagement qui permet de surmonter le recul éprouvé par certaines personnes qui ne se reconnaissent pas dans l’adjectif « éducative » accolé à « situation ».

Les réunions sont suivies par des professionnels que nous avons formés au début puis, progressivement, par des formatrices et formateurs qui assistent régulièrement aux séances, viennent parfois d’assez loin et proposent des situations diverses et marquées par la complexité. Ce groupe s’est développé a atteint ses limites d’effectif (12 est un maximum pour nous), même s’il n’est pas toujours évident de fidéliser les participants à ce groupe de supervision qui sont distraits de cette tâche par les multiples sollicitations qui caractérisent les métiers de la formation.

Le faible effectif, qui est voulu au départ (6 à 8 par séance alors que les GEASE réunissent 12 à 15

personnes), permet de leur donner assez régulièrement l’occasion d’analyser une demande ou une offre de GEASE, voire d’analyser une des situations vécues et d’en tirer des éléments stratégiques, tactiques, de pilotage ou d’éclaircissement (institut médico-éducatif en crise ouverte avec un membre du personnel, formation de tuteurs d’accueil dans un centre hospitalier régional, coordination inter-services dans un groupe départemental de suivi médico-social). De plus, tous les participants interviennent dans le « quoi de neuf ? » qui sert aussi de « météo » selon les mots de la pédagogie institutionnelle car les situations apportées, comme dans les GEASE, sont souvent « chaudes » et témoignent d’une actualité qui nécessite une « improvisation réglée » (Perrenoud, 1983). Une certaine mutualisation s’observe dans les GEASE du groupe de supervision qui, de par son effectif et la connaissance des règles dans leur esprit, fonctionne avec une grande fluidité et permet aux animateurs de se positionner plus en ressources qu’en conducteurs, au point que, dans certaines occasions, le groupe, sur proposition des superviseurs, mène le GEASE en prenant des libertés avec le protocole habituel.

Nous avons bien eu quelques difficultés à affronter au cours de ces années de supervision. La première était de comprendre et faire partager ce qui entraîne encore et toujours l’analyse des pratiques

professionnelles (APP) du côté de l’intervention en organisation. La décision en matière de budget de formation appartient aux dirigeants des entreprises, qu’elles soient de formation ou qu’elles aient un autre objet. Il devient donc relativement plausible d’avancer que les APP peuvent être détournées de leur finalité première, qui est le développement de la personne (approches cliniques) ou des compétences professionnelles (approches situées), pour servir à des fins qui portent sur d’autres types d’intervention comme la gestion des conflits, la démarche de projet ou encore l’audit social.

Plus paradoxale apparaît la relative faiblesse du succès de la supervision alors que les APP connaissent un développement exponentiel. Nous faisons l’hypothèse que de nombreux formateurs pratiquent

l’animation de dispositifs d’APP sans formation initiale, donc sans prise de conscience de la complexité de leur tâche ainsi que des risques qu’ils prennent pour eux et pour les personnes. Ce qui expliquerait qu’ils ne recourent ni à la formation continue ni à la supervision. De plus, nous estimons que

l’intervention psychosociale des années 70 à 90 à visée transformatrice a cédé la place à un dispositif de formation professionnelle (les tuteurs d’accueil dans un Centre Hospitalier Régional), voire à la mise en forme et en mots d’un métier (celui de Conseiller Principal d’Éducation – CPE – ou de formateur à la pratique de loisir des arts du cirque, pour ne citer que ces deux exemples) qui peuvent être regroupés selon une visée formatrice. Enfin, nous constatons que les demandes de plus en plus nombreuses que nous avons à traiter proviennent d’un rééquilibrage de l’alternance avec un primat au terrain qui assure de plus en plus la formation et sa certification. Or, les professionnels de terrain sont mis en difficulté par les formes de plus en plus universitaires adoptées par les diplômes (Étienne & Clavier, 2012). Ainsi, nous voyons sortir les premières promotions d’infirmières et d’infirmiers qui détiennent une licence alors que leurs formateurs n’ont pas tous bénéficié d’une formation universitaire, même si, bien souvent, la

formation des cadres de santé fait intervenir des universitaires. Les séances de supervision nous ont permis de comprendre qu’un champ professionnel se développait pour les animateurs d’APP. Champ qui requiert un temps long pour la formation de ces animateurs et nécessite la mise en place d’une supervision qui soit attentive à leurs besoins et attentes.

Mémento 4 - élément 4 : la supervision, limites et perspectives

Mettre en place une supervision nécessite de :

- penser celle-ci comme une ressource pour les professionnels de la formation ;

- savoir que les formateurs et formatrices manquent de temps libre pour participer aux séances ;

- travailler avec un effectif moins important que lors des GEASE en raison de la participation de professionnels qui ont des situations à soumettre ;

- prendre soin d’éviter tout détournement du dispositif au profit d’autres finalités que les siennes (intervention en entreprise ou gestion des conflits par exemple).

Conclusion

La supervision est encore un « passager clandestin » de l’analyse des pratiques, « un style qui n’est pas devenu un genre » (Bakhtine repris par Clot, 1999) : ce chapitre a proposé quelques éléments pour la caractériser et l’organiser. Pratiquée par les psychologues, les psychothérapeutes et les psychanalystes, elle n’a donné naissance à ce jour qu’à peu de travaux de type scientifique. Elle est souvent confondue avec l’analyse de pratiques et parfois présentée comme simplement individuelle. Pourtant, nous avons énoncé ci-dessus les raisons pour lesquelles la supervision d’une équipe d’animateurs d’APP, et particulièrement de GEASE, se révèle indispensable : accompagnement de l’entrée dans le métier d’animateur de séances d’APP, réponse à des questions triviales sur la forme de ces dispositifs ou sur le fond des références théoriques, suivi du développement des compétences collectives et individuelles, réassurance des personnes.

Mais aussi, et cela va mieux en l’écrivant, réglages, ajustements constants des postures d’animateurs qui peuvent être déstabilisés par cette expérience, soit qu’ils manifestent un sentiment d’incompétence lié à la généralité ou à la complexité du champ convoqué, soit, au contraire, qu’ils dérivent vers la

toute-puissance. Des indices repris dans notre culture et tirés de notre expérience montrent qu’il est possible (et souhaitable ?) d’aller au delà de « bricolages-braconnages » (Levi-Strauss et de Certeau repris par Jorro, 2002) pour didactiser et professionnaliser ce qui n’est pas encore un métier mais déjà une partie de l’action et de l’activité du formateur et de son institution ou du commanditaire : l’intervention comme animateur de séances d’APP, dont les GEASE sont une variété particulière, expose à une charge

émotionnelle qu’il est essentiel de pouvoir communiquer et partager avec ses pairs dans l’activité, les autres animateurs.

Toutefois, cette dimension n’est pas la seule concernée par la supervision d’animateurs. Dans la mesure où ils sont également des entraîneurs, ils ont à comprendre l’effet qu’ils produisent séance après séance mais aussi sur la durée. En tant que conducteurs, ils ont à ressaisir perpétuellement la notion

d’accompagnement (Boutinet et al., 2007) qui se double d’une vigilance quant à la mise en sécurité du groupe mais aussi des participants et du narrateur. Enfin, comme formateurs, ils se doivent d’établir des liens avec les savoirs savants et les savoirs professionnels qui requièrent un lieu pour les évoquer, pour les construire et pour les diffuser. Mais cette intervention gagne à être différée et à ne pas polluer la séance de GEASE ou, plus généralement, d’APP. La recherche y a même son mot à dire, ainsi que nous avons pu le proposer à de nombreuses reprises (Étienne, 2004, 2005, 2008, 2009 et 2010 avec Chauvigné comme premier auteur). En effet, dans les années 2000, se sont multipliées jusqu’à la conférence de consensus de Créteil (Collectif, 2006) les comparaisons sur l’APP. Les années 2010 pourraient être dédiées à la

supervision-accompagnement des animateurs de ces dispositifs qui risquent, sans cet espace de régulation et de formation, l’enfermement dans des pratiques dictées par le hasard des rencontres ou des lectures et la nécessité liée à une commande institutionnelle de plus en plus pressante.

Mémento 4

Repères pour la supervision des animateurs et des équipes

Élément 1 : la supervision

Elle consiste à porter un regard aidant sur la manière dont les personnes chargées de l’animation de GAP :

- pratiquent cet exercice ;

- peuvent essayer d’éviter les éventuelles dérives qu’elles sont amenées à constater ou à se voir reprocher dans leur évolution professionnelle ;

- sont amenées volontairement ou collectivement à participer à une instance ou à des procédures destinées à les former et à leur permettre de rester dans la contenance en évitant la toute-puissance.