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La protection du parfum par le droit des brevets d’invention

Section 1. L’objet de la protection

1.4. La recette du parfum

82. Dans le cas de la recette du parfum, on peut reprendre l’exemple donné par Pamoukdjian qui consiste en une liste d’ingrédients, contenant leur origine, avec une méthode toute simple : « […] Pour obtenir 1000 cc ‹ d’ex-trait › : 150 g de la composition, compléter avec une quantité suffisante d’al-cool à 90° […] Laisser reposer trois mois, puis filtrer »199. L’application de cette recette à la lettre permet bien entendu de reproduire le jus du parfum un nombre indéterminé de fois.

83. On peut néanmoins se demander si le jus du parfum peut ainsi être reproduit de manière « identique » à chaque fois. Si l’on prend l’exemple d’une recette de cuisine, son application à la lettre donne en principe un résultat

195 Petranker, op. cit., p. 11, 12.

196 Petranker, op. cit., p. 12.

197 Pedrazzini,op. cit., n° 4.1, p. 29.

198 Tiré de l’abrégé du brevet CH 689 372 A5, délivré à Firmenich SA le 31.03.1999, p. 1.

199 Pamoukdjian,op. cit., p. 191.

« identique ». Toutefois, l’utilisation d’une telle recette ne donnera pas forcé-ment un plat avec le même goût. Cela s’explique non seuleforcé-ment en raison du temps de cuisson, du four utilisé, mais surtout de la qualité des ingrédients.

En effet, cette dernière varie non seulement en fonction des régions, mais également d’une saison à l’autre. La qualité du vin, fabriqué chaque année selon la même méthode, varie avec les aléas météorologiques responsables du taux de sucre contenu dans le raisin utilisé.

84. Dans le cas du jus du parfum, fabriqué au moyen d’une recette, on peut faire un raisonnement similaire, en particulier si les produits utilisés sont d’origine naturelle. Ainsi, la qualité des huiles essentielles et des eaux aromatiques qui proviennent de la distillation peut non seulement varier en fonction des régions et des plantes à leur base, mais aussi d’une année à l’autre. Il en va de même pour les solvants volatils tels que les essences concrètes, les essences absolues et les résinoïdes. Force est de constater que la qualité des solvants volatils provenant d’infusions d’origine animale ne saurait être constante.

85. Pamoukdjian observe à propos de la condition d’application indus-trielle en droit français : « Il est bien évident que cette exigence est remplie au regard des compositions de parfums nécessairement fabriquées – ou plutôt

‹ reproduites › – en milieu industriel »200. Dans la mesure où la reproductibi-lité au moyen d’une recette n’est pas de quareproductibi-lité constante, même si l’origine des produits naturels utilisés est indiquée, la condition d’invention en tant que règle est susceptible de constituer un obstacle à la brevetabilité de la re-cette du jus du parfum. Nous avons souligné que l’exigence d’une description suffisante pour permettre la reproduction relève de l’article 50 LBI (83 CBE), autrement dit des conditions formelles qui seront examinées ci-après. Par conséquent, à ce stade, il n’est pas nécessaire de trancher définitivement cette question.

§ 2. L’appartenance au domaine technique

2.1. Notions générales

86. La LBI ne contient pas de véritable disposition sur la notion « néga-tive » de l’invention, contrairement à l’article 52 al. 2 CBE, qui comprend une liste non exhaustive à ce sujet201. L’article 2 LBI exclut uniquement les inven-tions contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs, ainsi que les méthodes

200 Pamoukdjian,op. cit., p. 193 ; cf. aussi Laligant, Olivier, « Problématique de la protection du parfum par le droit d’auteur », RRJ 1992/1, (ci-après Laligant,Problématique de la protection du parfum), p. 594 ; Dubarry,op. cit., p. 17.

201 Bertschinger,op. cit., § 4 n° 4.16, p. 96.

Section 1 – L’objet de la protection

Chapitre 2 – La protection du parfum par le droit des brevets d’invention

de traitement et de diagnostic202. Dès lors que dans le cadre de notre étude nous n’examinerons pas les produits cosmétiques susceptibles de contenir des méthodes de traitement, cet article n’est pertinent, ni pour le jus du par-fum, ni pour la formule chimique d’un produit odorant ou d’un mélange de produits odorants. Il en va de même de l’article 1a LBI qui traite des cas spé-ciaux, notamment de l’exclusion des inventions sur les variétés végétales. Ces dernières relèvent en effet de la Loi fédérale sur la protection des obtentions végétales du 20 mars 1975 (ci-après LOV)203. La LOV est par exemple suscep-tible de s’appliquer à la protection d’une nouvelle plante avec des proprié-tés odorantes particulières. Cette hypothèse dépasse néanmoins le cadre de notre étude.

87. Perret et Aegerter définissent la technique comme une « […] em-prise de l’homme sur la nature […] » qui met en évidence l’aspect dynamique de l’invention204. L’objet de l’invention consiste en une règle qui permet de transformer quelque chose que l’on trouve initialement dans la nature en quelque chose de nouveau, « […] un état final artificiel […]205». En d’autres termes, « […] l’invention n’a pas d’autre rôle que d’indiquer comment maîtri-ser les forces de la nature (énergie électrique, pesanteur, pression des gaz et des liquides, etc.) pour les soumettre à l’homme206».

88. La technique est une notion à comprendre au sens large, ce qui signi-fie que les forces vivantes, pour autant qu’elles utilisent les forces de la nature, en font partie207. Selon les Directives en matière de brevets de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (ci-après IFPI) : « Un effet technique est obtenu lorsqu’il y a détermination de forces ou de matériaux naturels ou influence exercée sur ceux-ci, voire les deux à la fois. On s’attend ainsi à une interac-tion avec l’environnement physique208. » Pour nous déterminer sur l’apparte-nance de la formule chimique et de la recette du parfum au domaine de la technique, parmi les inventions expressément exclues par la Convention de

202 A noter que le projet de modification de la LBI publié avec le Message du CF du 23 novembre 2005, FF 2006, p. 1 et ss, prévoit des précisions principalement en relation avec les inventions biotechnologiques.

203 RS 232.16 ; cf. aussi Message du CF, FF 2006, p. 57 et ss, 148.

204 Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 3 ; Perret, François, L’autonomie du régime de protection des dessins et modèles, thèse Genève 1974, (ci-après Perret,L’autonomie du régime), p. 40 et ss ; Perret / Aegerter,FJS 519, op. cit., p. 2 et ss.

205 Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 3.

206 Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 3 ; arrêt «Canguilhem», ATF 98 Ib 396, 399.

207 Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 4 ; arrêt «Canguilhem», ATF 98 Ib 396, 399 ; Dessemontet, François, La propriété intellectuelle, CEDIDAC N° 42, Lausanne 2000, (ci-après Dessemontet, La propriété intellectuelle), n° 195, p. 112 ; Directives sur l’examen quant au fond des demandes de brevets nationales, IFPI, Berne le 1erjanvier 2006, disponibles sur Internet (dernière visite 6.02.2006) [www.ipi.ch], (ci-après Directives en matière de brevets), § 2.1, p. 14.

208 Directives en matière de brevets, op. cit., § 2.1, p. 14.

Munich, on examinera les directives qui s’adressent à l’esprit humain (art. 52 al. 2litt.c CBE), les découvertes (art. 52 al. 2litt.a CBE) et les créations esthé-tiques (art. 52 al. 2litt.b CBE), respectivement sous les chiffres 2.2, 2.3 et 2.4 ci-après.